Citationfois est Découvrez une citation fois est - un dicton, une parole, un bon mot, un proverbe, une citation ou phrase fois est issus de livres, discours ou entretiens. Une Sélection de 2260 citations et proverbes sur le thÚme fois est. 2260 citations < 1 3 4 5 6
Citation fois est DĂ©couvrez une citation fois est - un dicton, une parole, un bon mot, un proverbe, une citation ou phrase fois est issus de livres, discours ou entretiens. Une SĂ©lection de 2260 citations et proverbes sur le thĂšme fois est. 2260 citations > Citation de YaĂ«l Hassan n° 174180 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesDĂšs fois, la vie nâest quâune sĂ©rie de dĂ©ceptions. Surtout en ce qui concerne les hommes. Mirage 2015 de Douglas KennedyRĂ©fĂ©rences de Douglas Kennedy - Biographie de Douglas KennedyPlus sur cette citation >> Citation de Douglas Kennedy n° 174130 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesEt la plupart des rĂȘves, il n'y a que vous qui puissiez les rĂ©aliser. Personne d'autre. C'est un peu comme le bonheur on ne peut jamais compter sur quiconque pour parvenir Ă cet Ă©tat auquel on parvient maintes fois sans l'avoir planifiĂ©. En fin de compte, ĂȘtre heureux - ou ne pas l'ĂȘtre - ne tient qu'Ă nous, et Ă nous 2015 de Douglas KennedyRĂ©fĂ©rences de Douglas Kennedy - Biographie de Douglas KennedyPlus sur cette citation >> Citation de Douglas Kennedy n° 174127 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 469 votesUne fois que l'homme s'est procurĂ© l'indispensable, il existe une autre alternative que celle de se procurer les superfluitĂ©s ; et c'est de s'aventurer dans la vie ou la vie dans les bois 1854 de Henry David ThoreauRĂ©fĂ©rences de Henry David Thoreau - Biographie de Henry David ThoreauPlus sur cette citation >> Citation de Henry David Thoreau n° 174103 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesPardonner, câest un peu comme lâarrosage dâune plante. Lâarroser une fois ne suffit pas. Il faut le faire indĂ©finiment et y prĂȘter attention pour quâelle continue de sâĂ©panouir. En renouvelant le pardon envers celui qui nous a blessĂ©s, on lui permet de continuer Ă fleurir. Tagueurs d'espĂ©rance 2003 de Tim GuĂ©nardRĂ©fĂ©rences de Tim GuĂ©nard - Biographie de Tim GuĂ©nardPlus sur cette citation >> Citation de Tim GuĂ©nard n° 173949 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesIl y a pourtant quelque chose de plus fort que la tradition câest la vie et son mouvement. Pourquoi les hĂ©ros de roman passent-ils leur temps Ă se rĂ©volter ? Pour la mĂȘme raison qui oblige les grands hommes Ă faire bouger lâhistoire. Ă la splendeur du souvenir et de la fidĂ©litĂ© rĂ©pond lâardeur de lâannonce, de lâattente, de la promesse. Lâhistoire est une continuitĂ© ; elle est aussi une impatience. Elle regarde vers demain comme elle regarde vers hier. TournĂ©es vers lâavenir autant que vers le passĂ©, les traditions ? comme les femmes ? sont faites pour ĂȘtre Ă la fois respectĂ©es et bousculĂ©es. Elles sont faites pour que le souvenir ne soit que la prĂ©face de lâespĂ©rance. RĂ©ponse au discours de rĂ©ception de Marguerite Yourcenar, Le 22 janvier 1981 de Jean d'OrmessonRĂ©fĂ©rences de Jean d'Ormesson - Biographie de Jean d'OrmessonPlus sur cette citation >> Citation de Jean d'Ormesson n° 173931 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesJ'ai voulu tout Ă la fois Ă©crire, diriger et jouer mon trentiĂšme film afin d'extraire cette fois non pas une, mais quatre frustrations qui, accumulĂ©es, ont failli me conduire au suicide celle de l'acteur rentrĂ© que je suis, celle d'avoir vu me filer entre les doigts, pour les succĂšs faciles de la tĂ©lĂ© cairote, le jeune Mohsen Mohieddine que j'avais patiemment formĂ© pour ĂȘtre mon acteur-fĂ©tiche et qui, comme Omar Charif jadis, m'a finalement Ă©chappĂ© ; celle de tout crĂ©ateur Ă©gyptien contemporain dont le travail est en butte Ă une administration qui trompe et dĂ©pouille ceux-lĂ mĂȘmes qu'elle devrait dĂ©fendre... La frustration enfin du Festival de Cannes 1985 oĂč tout indiquait que mon film Adieu Bonaparte ou, en tout cas, Mohsen Mohieddine remporterait un prix et oĂč nous nous sommes finalement retrouvĂ©s assommĂ©s, abandonnĂ©s sans mĂȘme une fleur. Film Alexandrie encore et toujours 1990 de Youssef ChahineRĂ©fĂ©rences de Youssef Chahine - Biographie de Youssef ChahinePlus sur cette citation >> Citation de Youssef Chahine n° 173885 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 469 votesElle a observĂ© le travail des autres, des hommes, avant elle, elle a appris tout ce quâil faut apprendre et fait ses preuves sous les regards exigeants, parfois condescendants, mĂ©fiants. Elle nâa brĂ»lĂ© aucune Ă©tape, elle est Ă©trangĂšre Ă lâidĂ©e de privilĂšge, Ă autre chose quâau lent respect des procĂ©dures. Elle a dĂ©couvert que le travail lâapaise, le temps rassurant du labeur. Avec sĂ©rieux, de haute lutte, elle a conquis son autoritĂ©. Ultramarins 2021 de Mariette NavarroRĂ©fĂ©rences de Mariette Navarro - Biographie de Mariette NavarroPlus sur cette citation >> Citation de Mariette Navarro n° 173877 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votes Timshel ». Ce mot de la Bible se traduit par Tu peux ». Câest un mot Ă la fois grisant et terrifiant parce quâil dit une chose fondamentale sur lâhomme contrairement aux animaux qui fonctionnent Ă lâinstinct, lâhomme est libre de choisir ses actions. Il est libre de faire le bien ou le mal. Or faire le bien demande un effort. Et câest lorsque lâhomme fait cet effort quâil devient pleinement humain. L'Ăźle du diable 2020 de Nicolas BeugletRĂ©fĂ©rences de Nicolas Beuglet - Biographie de Nicolas BeugletPlus sur cette citation >> Citation de Nicolas Beuglet n° 173798 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesChaque Ă©poque a ses certitudes et le prĂ©sent est parfois prĂ©tentieux lorsquâil juge le passĂ©. Le cri 2016 de Nicolas BeugletRĂ©fĂ©rences de Nicolas Beuglet - Biographie de Nicolas BeugletPlus sur cette citation >> Citation de Nicolas Beuglet n° 173785 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesSi lâon pouvait identifier nos derniĂšres fois avec autant dâĂ©vidence que nos premiĂšres, il est certain que des milliers de moments seraient vĂ©cus plus intensĂ©ment. Mon mari 2021 de Maud VenturaRĂ©fĂ©rences de Maud Ventura - Biographie de Maud VenturaPlus sur cette citation >> Citation de Maud Ventura n° 173767 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesNotre premiĂšre rencontre Ă©tait si belle que jâai parfois lâimpression que notre couple en est le commentaire infini. Mon mari 2021 de Maud VenturaRĂ©fĂ©rences de Maud Ventura - Biographie de Maud VenturaPlus sur cette citation >> Citation de Maud Ventura n° 173764 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesUne fois les enfants couchĂ©s, je regarde un moment la tĂ©lĂ©vision, mais je ne vois que des femmes qui attendent, comme moi. Elles mangent un yaourt, conduisent une voiture ou se parfument, mais ce qui saute aux yeux, c'est ce qui se passe hors cadre ce sont toutes des femmes qui attendent un homme. Elles sont souriantes, elles ont l'air actives et occupĂ©es, mais en rĂ©alitĂ©, elles tournent en rond. Je me demande si je suis la seule Ă percevoir cette salle d'attente mari 2021 de Maud VenturaRĂ©fĂ©rences de Maud Ventura - Biographie de Maud VenturaPlus sur cette citation >> Citation de Maud Ventura n° 173755 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesUn bruit inoubliable, un bruit qui est une douleur physique. On vient de refermer la porte et, aprĂšs le bruit des lourdes clefs qui tournent dans les serrures, jâentends le fer qui claque deux fois. Deux grands verrous que lâon pousse avec violence, volontairement sans doute, pour signifier lâenfermement. Câest un bruit mĂ©tallique, aigu, bref, dĂ©finitif et irrĂ©vocable. Le fer du verrou sâenfonce en moi. Je suis le papillon Ă©pinglĂ© par le travers du corps. ClouĂ©. Librement 1998 de Bernard TapieRĂ©fĂ©rences de Bernard Tapie - Biographie de Bernard TapiePlus sur cette citation >> Citation de Bernard Tapie n° 173728 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesIl est malheureusement nĂ©cessaire pour le théùtre, parfois, que poĂštes et compositeurs aient le talent de ne faire ni poĂ©sie ni musique. Verdi. Autobiographie Ă travers la correspondance. 1941, Aldo Oberdorfer trad. Sibylle Zavriew, Ă©d. J. C. LattĂšs, 1984 de Giuseppe VerdiRĂ©fĂ©rences de Giuseppe Verdi - Biographie de Giuseppe VerdiPlus sur cette citation >> Citation de Giuseppe Verdi n° 173693 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesAu dĂ©but, lorsque j'avais du mal Ă accepter mon Ă©tat, je recherchais beaucoup le soutien de patients dans la mĂȘme situation que moi. Ce n'est plus un besoin aujourd'hui. Toutefois, si j'ai l'opportunitĂ© de parler avec une personne atteinte d'une fracture de la moelle Ă©piniĂšre, je le Paris Match n°2555, 14 mai 1998 de Christopher ReeveRĂ©fĂ©rences de Christopher Reeve - Biographie de Christopher ReevePlus sur cette citation >> Citation de Christopher Reeve n° 173654 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesCe que l'idĂ©ologie craint et hait, c'est que l'Ă©criture des livres dangereux soit le fruit d'une aventure libre de l'intelligence ; ce qu'elle brĂ»le et veut nier aussi, c'est l'Histoire mĂȘme de l'intelligence libre, dont l'Ă©criture est Ă la fois le terme et le signe. Terre Ceinte 2014 de Mohamed Mbougar SarrRĂ©fĂ©rences de Mohamed Mbougar Sarr - Biographie de Mohamed Mbougar SarrPlus sur cette citation >> Citation de Mohamed Mbougar Sarr n° 173620 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesVous savez pourquoi la deuxiĂšme fois est pire que la premiĂšre ? Eh bien parce que dans cette fois-lĂ , dans cette deuxiĂšme fois, il y a toutes les suivantes. La fille qu'on appelle 2021 de Tanguy VielRĂ©fĂ©rences de Tanguy Viel - Biographie de Tanguy VielPlus sur cette citation >> Citation de Tanguy Viel n° 173607 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesIl y a toujours une derniĂšre fois, bien sur qu'on l'appelle, celle de trop, puisque c'est la derniĂšre. Article 353 du code pĂ©nal 2017 de Tanguy VielRĂ©fĂ©rences de Tanguy Viel - Biographie de Tanguy VielPlus sur cette citation >> Citation de Tanguy Viel n° 173600 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesCâest une drĂŽle dâaffaire, la pensĂ©e, nâest-ce pas ? Ce nâest pas quâil y ait long en distance du cerveau vers les lĂšvres mais quelquefois quand mĂȘme ça peut vous paraĂźtre des kilomĂštres, que le trajet pour une phrase, ce serait comme traverser un territoire en guerre avec un sac de cailloux sur lâĂ©paule, au point quâĂ un moment la pensĂ©e pourtant ferme et solide et ruminĂ©e cent fois, elle prĂ©fĂšre se retrancher comme derriĂšre des sacs de 353 du code pĂ©nal 2017 de Tanguy VielRĂ©fĂ©rences de Tanguy Viel - Biographie de Tanguy VielPlus sur cette citation >> Citation de Tanguy Viel n° 173596 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votes< 13456Votre commentaire sur ces citations ThĂšmes populaires + Autres belles citations et proverbes sur fois est Toutes les citations sur fois est Citations fois est Citation fois est et Proverbe fois est Citations, proverbes sur fois est Citations fois est 2260 citations sur fois est Proverbes fois est 2260 citations et proverbes sur fois est 2260 citations et proverbes sur fois est 2260 citations sur fois est 2260 belles citations sur fois est 2260 belles citations fois est, proverbes fois est Citation fois est - Proverbe fois est - 2260 citations Citation sur fois Citations courtes fois PoĂšmes fois est Proverbes fois est Etendez votre recherche avec le dictionnaire des dĂ©finitionsCitation et amour Citation sur l'amour Citation l'amitiĂ© Citation la vie Citation le bonheur Citation la femme citation le couple Citation la sagesse Ciation la tristesse Citation la mort Citation la nature Citation sur l'absence Citation le manque Citation l'enfance Age Animal AmitiĂ© Amour Art Avenir BeautĂ© Avoir Bonheur Conscience Couple Confiance Courage Culture DĂ©sir Dieu Education Enfant Espoir Etre Faire Famille Femme Guerre Homme Humour Jeunesse Joie Justice LibertĂ© Mariage MĂ©re Monde Morale Naissance Nature Paix Passion PĂšre Peur Plaisir Politique Raison Religion RĂȘve Richesse Sagesse Savoir Science SĂ©duction SociĂ©tĂ© Souffrance Sport Temps TolĂ©rance Travail VĂ©ritĂ© Vie Vieillesse Voyage
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IGBMAGŸ N°3 ETE 2021 a été publié par Claire IZARD le 2021-07-07. Lisez la version flipbook de IGB MAGŸ N°3 ETE 2021. Téléchargez toutes les pages 1-50 sur FlipHTML5.
Ce recueil est dĂ©diĂ© aux cĆurs brisĂ©s et blessĂ©s par la vie. Aux Ăąmes meurtries et tourmentĂ©es. Ă ceux en quĂȘte dâespoir et de rĂ©confort. Aux cĆurs bons et aux belles Ăąmes⊠En espĂ©rant humblement quâĂ la lecture de mes mots, de mes poĂšmes Ă vers libres, par la GrĂące dâAllah, germeront en vous des graines dâespoir et dâamour ! Que cela vous donnera envie dâaller vers Le Seul capable de guĂ©rir vos blessures les plus profondes, dâapaiser vos peines les plus intenses et de faire fleurir vos Ăąmes et vos cĆurs⊠Lorsque Le Tout-MisĂ©ricordieux mâa sorti des tĂ©nĂšbres Ă la lumiĂšre, je me suis promis de transmettre Ă mes sĆurs et Ă mes frĂšres en humanitĂ©, qui Ă©taient encore dans le creux de la nuit, que lâaube est proche⊠Câest le profond de mon Ăąme et de mon cĆur qui sâadresse Ă votre Ăąme et Ă votre cĆur⊠Câest une main tendue⊠Avec bienveillance et douceur. ⥠Only logged in customers who have purchased this product may leave a review.
Sujet: poésie et chanson médiévales, humour médiéval, Goliards, poésie goliardique, chanson à boire, latin, chants de Benediktbeuern Période : moyen-ùge central, XI au XIIIe siÚcle Titre: « Bache, Bene Venies », Carmina Burana, Auteur: anonyme. Compositeur : Carl Orff InterprÚtes : Oni Wytars & Ensemble Unicorn Bonjour à tous,
1 2 IGB MAG N°3 juillet 2021 lâĂ©dito Claire Izard, prĂ©sidente dâIGB ĂDITION Un an ! Douze mois dĂ©jĂ , mais douze mois seu- lement ! Le 9 juillet 2020, les titres de mes pre- miers auteurs â La FiancĂ©e du 11 septembre et Le projet Vanility â sortaient en librairie. Coups de cĆur de la FNAC, ils Ă©taient suivis par la pa- rution du tome 2 de Vanility et par LâĂditrice, coup de cĆur de la FNAC et de Cultura. Depuis, dix auteurs ayant rejoint IGB, le catalogue 2021- 2022 comprendra au minimum 32 rĂ©fĂ©rences. En mai, Folle de nuit a Ă©tĂ© coups de cĆur FNAC et CULTURA. Panique Ă lâĂvĂȘchĂ© rencontre ses lec- teurs. Le silence des Chartreux vient dâarriver en librairie. Dealer ou la valse des maudits et K-144 sont vivement attendus. Dâailleurs le 21 juillet, Philippe Will dĂ©dicacera Ă la librairie Albin Mi- chel du boulevard Saint-Germain Ă Paris. Enfin, jâai lancĂ© IGB MAG per- Un pas aprĂšs lâautre, car les arbres mettant de recevoir dix livres neufs Ă prix gratuit ! Comme ne montent pas jusquâau ciel ! vous le savez, prix gratuit ne signifie pas nul ». GrĂące Ă vous, les auteurs perçoivent des droits sur des ouvrages non commercialisĂ©s, et ils vous re- mercient chaleureusement de contribuer Ă augmenter leur au- dience. Pour ma part, je suis heureuse que cette dĂ©marche no- vatrice permette dâaccĂ©der Ă la littĂ©rature Ă moindre coĂ»t. Dâailleurs, je lancerai prochainement une carte cadeau, la pos- sibilitĂ© de rĂ©gler lâabonnement Ă IGB MAG en trois mensualitĂ©s et offrirai deux livres de poche pour un brochĂ©. Cela Ă©tant, jâavance avec prudence. SĂ©duits par un plan dâaf- faires pertinent, des partenaires mâont permis de mâadjoindre les services dâune agence de communication afin dâaccroĂźtre la notoriĂ©tĂ© de mes auteurs. Ă cet Ă©gard, chargĂ© du Business development, Marc Gervais dĂ©voile nos choix stratĂ©giques dans ce numĂ©ro de juillet consacrĂ© pour partie Ă Alexis Giaco- muzzi. Vous dĂ©couvrirez François Montjaret, un blogueur pas- sionnĂ© de thrillers, DaphnĂ© RĂ©a, une artiste internationale dâorigine italienne et Pierre Lajudie, interviewer dâauteurs. En- fin, la rubrique une_lectrice_a_paris donne lâoccasion de con- naĂźtre mes coups de cĆurs littĂ©raires. PAGE DE GAUCHE Je vous souhaite un magnifique Ă©tĂ© et vous donne rendez- vous en octobre pour la rentrĂ©e littĂ©raire, avant de vous dĂ©voi- Librairie FNAC PARIS TERNES ler nos pĂ©pites de lâannĂ©e 2022 grĂące Ă un numĂ©ro spĂ©cial qui Folle de nuit vous rĂ©servera de belles surprises pour NoĂ«l. Coup de cĆur des libraires Juin 2021 3 IGB MAG N°3 Ă©tĂ© 2021 le sommaire 58 FOCUS 8 PRESSBOOK Alexis Giacomuzzi Anna Liron et Emma Palissot 12 BOOKSMARKET Lâinterview de Marc Gervais par Sylvie Roussel 24 Sorties nationales Dealer, ou la valse des maudits K-144 La FiancĂ©e du 11 septembre LâAdieu 4 sommaire 44 RENCONTRE RUBIS par Marc Gervais 54 RENCONTRE SOLĂNE MELCHIOR par Pascal Tissier 56 Les coups de cĆur de lâĂ©ditrice Mon amie AdĂšle. Sarah Pinborough & Lâesclavage, un crime contre lâhumanitĂ© 5 sommaire 65 BOOKSTAGRAM Francois_and_the_books 70 BOOKSADDICT DaphnĂ© Rhea Pellissier 80 BOOKSMAKER Pierre Lajudie 6 sommaire 83 BOOKLIST 2021-2022 84 Frissons 94 Anticipation 97 VĂ©cu 112 Jeunesse 114 Poche 7 8 PRESSBOOK Anna et Emma ont vingt ans. Talentueuses, pleines dâenvies et pressĂ©es dâaffronter la vie rĂ©- elle, elles nâont pas attendu dâĂȘtre diplĂŽmĂ©es pour partir Ă la conquĂȘte de marchĂ©s. SĂ©duite par leur volontĂ© dâentreprendre, Claire Izard leur a confiĂ© le design de ses collections. CI-DESSUS 9 Emma Palissot, graphiste et designer PAGE DE GAUCHE Anna Liron, illustratrice PRESSBOOK Welcome on board, les Miss ! Anna et Emma ? Elles sont jeunes, il est vrai ! Mais aux Ăąmes CI-DESSUS bien nĂ©es, la valeur nâattend point le nombre des annĂ©es ! Souvent citĂ© Ă contre-emploi, ce vers de Pierre Corneille quali- Exemple de design de produit fie nĂ©anmoins parfaitement ces deux femmes de leur Ă©poque © 2021 Palissot qui font fi de leur jeunesse. En effet, alors quâelles nâont mĂȘme pas lâĂąge requis pour boire une biĂšre aux Ătats-Unis, elles ex- CI-DESSUS pĂ©rimentent lâentrepreneuriat depuis deux ans. Exemple de design web BacheliĂšres prĂ©coces, elles se sont rencontrĂ©es sur les bancs © 2021 Palissot de lâuniversitĂ© Gustave Eiffel, situĂ©e Ă Marne-la-VallĂ©e. Entre projets pour lâĂ©cole et services rendus aux copains, lâidĂ©e dâex- ploiter leur complĂ©mentaritĂ© a germĂ©, puis sâest structurĂ© le 1er juillet 2019. A cette Ă©poque, lâune et lâautre Ă©taient Ă peine majeures. Deux ans plus tard, ce binĂŽme fonctionne Ă merveille. Emma Palissot est passionnĂ©e par lâensemble des domaines artistiques et aime mettre en valeur sa crĂ©ativitĂ© sur tout type de mĂ©dias. Graphiste et notamment experte en identitĂ© vi- suelle, cette Toulonnaise dessine, photographie, encre et colo- rie depuis lâenfance. PersuadĂ©e que lâĂ©motion passe par lâimage que lâon se fait de lâimage », elle publie Ă lâĂąge de dix- sept ans, un recueil de pensĂ©es intitulĂ© Et AprĂšs ? » aux Ă©di- tions Saint-HonorĂ©. CI-CONTRE Exemple de graphisme de Letterbox © 2021 Palissot/Greneu 10 CI-DESSUS PRESSBOOK Portrait de Yeule, artiste Singapourienne Puis, elle en profite pour sâimmerger dans la communication © 2020 Liron interactive. Alors, elle en vient naturellement Ă crĂ©er un studio indĂ©pendant de jeux vidĂ©o dĂ©nommĂ© Maki Edition pour ex- ploiter Letterbox, un jeu immersif oĂč le choix stratĂ©gique dâun design Ă©purĂ© sublime une histoire complexe. InspirĂ© du roman Inconnu Ă cette adresse » de Kressmann Taylor, Emma et son conjoint Mathias Greneu ont conçu et codĂ© leur jeu en cinq semaines ! DĂ©veloppĂ©e pour Android et disponible exclu- sivement sur Playstore, cette application consiste Ă dĂ©couvrir la vie dâun inconnu via les lettres quâil reçoit quotidiennement. Une entrepreneuse est nĂ©e, la fondatrice dâIGB sait que le dy- namisme dâEmma amĂšnera Maki Edition et le studio EP vers les sommets. Anna Liron est illustratrice. Une pure dessinatrice. Parisienne, fille dâimprimeur et titulaire dâune licence dâArt NumĂ©riques, elle a la ferme intention de dĂ©crocher de nombreux contrats afin de pouvoir assumer les frais onĂ©reux dâune formation de concept art et ainsi faire le job de ses rĂȘves. En effet, tombĂ© amoureuse de Prince of Persia Ă lâĂąge de dix ans, Anna nâest jamais revenue de son voyage dans lâunivers des jeux vidĂ©o. Ainsi, elle se destine Ă ĂȘtre concept artist, câest- Ă -dire celle qui, sous la houlette dâun directeur artistique ou dâun rĂ©alisateur, transformera un concept en une crĂ©ation vi- suelle digitale. Pour ce faire, il faut visualiser une atmosphĂšre et la reproduire avec exactitude. BriefĂ©e sur les couvertures de Frousse dâenfer, Anna possĂšde cet instinct consistant Ă trans- former trois lignes en dessin rĂ©aliste. Aussi, dans quelques annĂ©es, Claire Izard ne doute pas quâelle apercevra le patronyme dâAnna au crĂ©dit de blockbusters pro- duits par les majors de Los Angeles ou de la Silicon Valley. CI-CONTRE Le SamouraĂŻ du Mont Fuji © 2021 IGB/ Liron 11 12 CI-DESSUS Sylvie Roussel et Marc Gervais © 2021 Claire Izard BOOKSMARKET PAGE DE GAUCHE Ă lâoccasion du premier anniversaire de la commercialisa- tion des titres dâIGB Ădition, Sylvie Roussel, animatrice de Marc Gervais. 62 ans. lâĂ©mission ça se discute » sur FM et prĂ©sidente de Cofondateur dâIGB Ădition. Radio VallĂ©e VĂ©zĂšre depuis sa crĂ©ation en 1981, interroge Ancien Ă©diteur. Marc Gervais. Retranscrite comme elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e, SpĂ©cialiste de la crĂ©ation dâentreprise cette interview menĂ©e sans complaisance, ni langue de © 2021 Claire Izard bois permet dâapprĂ©hender lâĂ©conomie du livre, de dĂ©cou- vrir la stratĂ©gie de dĂ©veloppement dâun Ă©diteur indĂ©pen- dant et de cerner les mĂ©canismes dâune levĂ©e de fonds. 13 BOOKSMARKET Marc Gervais⊠dâhabitude, quand vous arrivez Ă la station, CI-DESSOUS vous faites le clown⊠Mais aujourdâhui, je vous sens tendu⊠Chargement de pins. â ⊠Je suis fatigué⊠Avec Claire Izard, la prĂ©sidente dâIGB Ădi- Smurfit Kappa. Landes. tion, nous venons de vivre un trimestre intense oĂč nous avons bossĂ© non-stop dix-huit heures par jour⊠Mais le printemps a dĂ©butĂ© sous les meilleurs auspices⊠LâĂ©tĂ© sera beau et avec la sortie de MĂ©tacitĂ©s et probablement la commercialisation de deux autres pĂ©pites, lâautomne sera agrĂ©able⊠Sur notre antenne, vous avez dĂ©clarĂ© que votre oiseau prĂ©- fĂ©rĂ© est le faucon, car vous aviez rĂ©cemment croisĂ© deux vrais cons⊠Dois-je comprendre que lâhiver a Ă©tĂ© rude ? â ⊠Pfff⊠sourires⊠Je dirais quâil a Ă©té⊠disons⊠chahutĂ© ! Mais, ce nâest pas Ă©tonnant⊠câest le quotidien des entreprises en dĂ©marrage⊠Cela Ă©tant⊠vous ne mâavez quand mĂȘme pas fait lever aux aurores pour mâinterroger sur mes Ă©tats dâĂąme ! Pourquoi ? Vous en avez ? â Aucun ! Je suis au service dâIGB Ădition⊠on mâa ordonnĂ© de protĂ©ger sa fondatrice Claire Izard et son actionnariat⊠JusquâĂ ce que lâon mâintime dâinterrompre ma mission, je le ferai sans remord⊠et⊠naturellement sans regret ! Ăa tombe bien, car nous nâallons pas parler rĂ©cits, mais fi- nances ! Victoire passant son bac, je la remplace⊠Il nây aura pas dâinterview dĂ©calĂ©e, ni dâhumour au xiĂšme degrĂ©. Jâattends que vous vous exprimiez sans langue de bois afin que nos au- diteurs et les abonnĂ©s dâIGB MAG dĂ©couvrent vraiment les dessous de lâĂ©conomie du livre ! Vous ĂȘtes prĂȘt ? â Allons y ! Marc Gervais⊠Sommairement... quâest-ce que lâĂ©dition ? â Je sens que je vais ĂȘtre dĂ©testé⊠Euh⊠Comme vous ĂȘtes une ancienne de lâindustrie papetiĂšre, vous allez comprendre⊠Selon une rĂ©cente communication du syndicat des Ă©diteurs, lâĂ©dition⊠câest annuellement tonnes de livres adres- sĂ©es aux libraires⊠tonnes dâouvrages retournĂ©es aux Ă©diteurs et tonnes mises au pilon ! Ăa fait combien dâarbres ? â Beaucoup ! Sachant que 12 arbres sont nĂ©cessaires pour fabriquer une tonne de papier, je vous laisse faire le calcul⊠ça doit faire arbres et quelques qui ont Ă©tĂ© coupĂ©s en pure perte, car câest cela dont il sâagit... Vous utilisez du papier recyclĂ© ? â Non ! Je ne vois pas pourquoi nous payerons plus cher du papier que nous avons contribuĂ© Ă fabriquer en donnant nos invendus aux recycleurs⊠et ce dâautant plus que, selon une Ă©tude publiĂ©e en 2020 par lâuniversitĂ© de Yale, lâimpact envi- 14 CI-DESSUS BOOKSMARKET Impression dâun ouvrage IGB ronnemental du papier recyclĂ©, dont la production implique CPI BussiĂšre lâusage des Ă©nergies polluantes, induit une empreinte carbone trĂšs Ă©levĂ©e. Chez IGB, nous prĂ©fĂ©rons replanter les arbres que nous avons utilisĂ©s et surtout Ă©viter de dĂ©truire ce que nous avons imprimé⊠dâoĂč la crĂ©ation du Mag IGB dont lâabonne- ment permet de recevoir dix livres gratuits ! LĂ est la vĂ©ritable attitude Ă©co-responsable ! Il ne suffit pas de lĂ©gifĂ©rer pour pousser les industriels Ă utiliser des encres composĂ©es de 75% dâeau au lieu dâencres Ă base de solvant pour ĂȘtre Ă©co- friendly⊠Lâencre Ă lâeau Ă©tant hydrophile, elle nâest pas dissol- vable⊠et ne peut donc pas ĂȘtre recyclĂ©e⊠Vous avez une autre question sur le sujet ? Sourires Non ! Mais je voudrais revenir sur lâabonnement qui permet de recevoir dix livres... Comment cette idĂ©e de livres Ă prix gratuit a-t-elle Ă©tĂ© accueillie ? â ⊠Tout dâabord⊠des livres Ă prix gratuit » est un slogan ! Jeu de mot avec livres Ă prix rĂ©duit », prix gratuit » ne si- gnifie pas prix nul », puisque la rĂ©ception des ouvrages est subordonnĂ©e au paiement dâun abonnement. Ceci Ă©tant prĂ©ci- sĂ©, je vous confirme que mĂȘme les libraires nous fĂ©licitent⊠En effet, ils ont compris que nous renforcions le potentiel lecto- rat de nos auteurs avec des ouvrages dont ils nâont pas vou- lu⊠Ils devinent que dĂ©couvrir Ă moindre coĂ»t de nouveaux auteurs les servira Ă terme⊠et quâils sont en prĂ©sence dâun Ă©diteur intelligemment comptable de ses investissements⊠Comme vous lâimaginez, les lecteurs sont ravis de faire une bonne affaire, mĂȘme sâils reçoivent les ouvrages aprĂšs leur du- rĂ©e de vie en librairie⊠Je suppose que les auteurs IGB sont ravis ! â Ă vrai dire, ils auraient probablement prĂ©fĂ©rĂ© que nous nâayons pas eu Ă inventer ce systĂšme de diffusion⊠Chacun espĂšre vendre un maximum de livres en librairie afin de perce- voir 10% sur le prix public hors taxe⊠soit 1,80 euros pour un bouquin vendu 19,90 TTC. Cela Ă©tant, une majoritĂ© dâauteurs IGB ont Ă©tĂ© nos premiers abonnĂ©s, car ils ont compris lâavan- tage du systĂšme leur permettant de percevoir soixante-dix centimes par ouvrage diffusĂ© via le pass Mag. En fait, nous ap- pliquons Ă nos auteurs le pourcentage prĂ©vu pour la commer- cialisation en club⊠soit 15% du prix tarif Les auteurs se partagent sept euros⊠au prorata du nombre de leurs titres retenus Ă chaque abonnementâŠ. Oui⊠mais 70 centimes, câest moins quâ1,80 euros ! â ⊠Sourires⊠Je vous confirme mĂȘme que ça fait 1,10 euros de diffĂ©rence par ouvrage⊠mais câest mieux que zĂ©ro, car je vous rappelle que nous parlons dâinvendus ! Quel auteur sâen plaindrait ? ArrĂȘtons de dĂ©conner... il faudrait avoir la puis- sance de rĂ©flexion dâun mollusque pour dĂ©nigrer un systĂšme permettant de percevoir de lâargent sur un produit non com- mercialisé⊠Cette facultĂ© nâexiste nulle part... sauf chez IGB⊠Vous imaginez la SACEM versant des droits pour des disques non diffusĂ©s Ă lâantenne... Un restaurateur percevant de lâar- 15 BOOKSMARKET gent sur des plats non commandĂ©s... Un producteur de films touchant des droits dâentrĂ©e sur les siĂšges vides⊠ou tenez⊠un assureur vous indemnisant pour un sinistre qui nâa pas eu lieu ? En interprĂ©tant judicieusement le juridisme de la loi Lang, nous avons rĂ©ussi Ă modifier la chaĂźne traditionnelle du livre en plaçant le consommateur de part et dâautre du cycle de la vie dâun livre. Quâest-ce que votre organisation recouvre ? â En apprĂ©hendant les goĂ»ts littĂ©raires de nos abonnĂ©s dont la pierre angulaire est constituĂ© par les membres de notre co- mitĂ© de lecture, nous pouvons bĂątir un catalogue oĂč chaque titre est appelĂ© Ă devenir un classique⊠Alors que la durĂ©e de vie dâun livre en librairie est de trois mois et que les invendus sont systĂ©matiquement retournĂ© Ă lâĂ©diteur au bout de douze mois maximum afin dâĂȘtre dĂ©truit, nous distribuerons tout rĂ©- cit via lâabonnement tant quâil sera rĂ©servĂ© en quantitĂ© raison- nable⊠naturellement. Cela explique pourquoi les auteurs IGB font des envieux, Justement⊠câest quoi un auteur ? â Comptablement⊠un code-barre ! Une sortie de caisse ! Hahaha⊠vous allez vous faire des amis ! â SincĂšrement... vous connaissez un auteur dĂ©daignant le terme reddition des comptes » ? Celles et ceux qui parlent de leur rĂ©cit comme dâune Ćuvre, sont les premiers Ă rĂ©clamer le paiement de leur droit⊠Donc⊠pour vous⊠un livre se borne à ça ? â Je nâai pas inventĂ© le commerce ! Mais oui⊠le livre est un produit⊠un code ISBN⊠Pour les grands groupes Ă©ditoriaux, un livre⊠câest un patronyme⊠Musso⊠Levy⊠Nothomb⊠ou 16 CI-DESSUS BOOKSMARKET Jean-Pier Delaume-Myard un titre⊠Harry Potter⊠AstĂ©rix⊠Pour les Ă©diteurs indĂ©pen- DR La RĂ©publique du Centre dants, câest une couverture⊠un prix public et un rĂ©sumĂ© sur la quatriĂšme de couverture⊠On travaille trĂšs dur au quotidien pour quâun jour Tissier⊠Hage⊠Giacomuzzi⊠Will⊠Pecylak⊠Bigourie⊠Battista⊠Delaume⊠Dubat et dâautres comme Cy- rielle Menguy ou encore Julie Gaillard deviennent une marque incontournable⊠au mĂȘme titre que les Rolling Stones⊠ou les fraises Tagada⊠Et vous ? â Je ne mâexclue pas, car je nâĂ©chappe pas Ă la rĂšgle⊠Le jour oĂč je cesse de recevoir de bonnes critiques et que mes rĂ©cits ne rencontrent pas leurs lecteurs, jâarrĂȘte ! Mon statut de co- fondateur dâIGB ne me protĂšge pas⊠Pourquoi irais-je obĂ©rer les capacitĂ©s dâinvestissements dâIGB et par-delĂ sanctionner indirectement mes consĆurs et mes confrĂšre pour des rĂ©cits qui nâintĂ©ressent que mon conjoint ou ma belle-sĆur ? Quâest-ce quâun rĂ©cit ? â Câest une excellente question ! Un rĂ©cit est une espĂ©rance ! Un vecteur de fidĂ©lisation dâun lectorat⊠En fait, câest un Ă©ter- nel recommencement qui impose Ă lâauteur de se remettre en cause Ă chaque titre⊠Mais au prĂ©alable, câest une interroga- tion, une Ă©motion⊠ou une intuition ! Vous mâexpliquez ? â Chez tout Ă©diteur, lâintĂ©gration dâun titre au catalogue est forcement la conclusion dâune rĂ©flexion⊠Si les premiĂšres pages envoyĂ©es par le soumettant ne sont pas exception- nelles, le rĂ©cit doit ĂȘtre adoubĂ© par le comitĂ© de lecture⊠câest alors une interrogation⊠IGB nâĂ©chappe pas Ă la rĂšgle⊠Mais la souplesse de notre structure nous permet dây dĂ©roger⊠Quand un vendredi aprĂšs-midi, Claire se plonge dans le texte de Julie Gaillard⊠que je vois ses yeux briller... Et que je lâen- tend rire ou pleurer⊠je devine que nous inscrirons un nou- veau titre au catalogue⊠Enfin, lâintuition recouvre la percep- tion que nous pouvons avoir de la personnalitĂ© dâun auteur⊠IGB est une chance unique pour les primo-romanciers⊠En somme⊠un Ă©diteur est un dĂ©nicheur de talents ? â Restons humbles ! Câest dâabord une personne physique qui travaille avec le matĂ©riel littĂ©raire et le potentiel humain correspondant Ă sa taille. Ensuite, câest un passionnĂ© qui a la chance de se battre dans un marchĂ© Ă©chappant Ă la saisonna- litĂ©, mĂȘme si pour les formats de poche, certaines pĂ©riodes de lâannĂ©e sont plus favorables que dâautres. Dans le cas dâun Ă©diteur dĂ©butant... quand tout va bien, il une force de proposi- tion⊠Dans le cas contraire, Atlas porte le monde sur ses Ă©paules⊠Nous sommes dans le monde des affaires, pas dans celui des Bisounours⊠IGB nâĂ©dite pas pour flatter les egos, mais pour adresser le produit le plus parfait possible Ă la cible Ă laquelle il est destinĂ©. Ensuite, le marchĂ© dĂ©cide, mĂȘme si notre organisation et notre ligne Ă©ditoriale rĂ©duit les risques⊠17 BOOKSMARKET Pourquoi ? CI-DESSOUS â ⊠Nos livres peuvent se vendre toute lâannĂ©e⊠On peut MAXIBOUR$E inventĂ© par Marc Gervais acheter du Tissier de janvier Ă dĂ©cembre⊠Nous ne sommes 1er jeu de sociĂ©tĂ© occidental commercialisĂ© pas dans le scolaire ludique qui se vend en juillet et en aoĂ»t⊠ou dans le scolaire pur dont 90% du chiffre dâaffaires est rĂ©ali- sĂ© en septembre⊠MĂȘme si Frousse dâenfer permet dâap- prendre en sâamusant Ă lire, nous comptabiliserons des ventes tout au long de lâannĂ©e⊠Vous comptez pĂ©nĂ©trer les segments Ă©ducatifs ? â Certainement pas ! MĂȘme si les Frousse ont une forte con- notation Ă©ducative, vouloir pĂ©nĂ©trer un marchĂ© vĂ©rouillĂ© par Hachette, Belin, Magnard, Nathan et Playbac est suicidaire⊠à ce point ? â ⊠Je sais de quoi je parle pour avoir rĂ©flĂ©chi Ă ce type de diversification quand jâĂ©tais un crĂ©ateur de jeux de sociĂ©tĂ© en vogue Ă la fin des annĂ©es 80, puisque jâai Ă©tĂ© dĂ©signĂ© trois an- nĂ©es de suite crĂ©ateur de lâannĂ©e. La puissance et la capacitĂ© de lobbying de Nathan au sein de lâĂducation Nationale Ă©taient telles que les majors amĂ©ricaines qui me soutenaient comme Mattel ou Hasbro ont renoncĂ© Ă se lancer dans la ba- garre de lâĂ©ducatif ⊠En consĂ©quence, IGB restera dans la fic- tion et se fera une place au soleil avec une ligne Ă©ditoriale in- temporelle destinĂ©e Ă Ă©mouvoir, divertir et sensibiliser les en- fants de dix Ă quatre-vingt-dix ans ! Je rĂ©sume⊠Un Ă©diteur est une force de proposition qui place ses espoirs de gain dans un produit sans avoir la certi- tude quâil trouvera preneur et dont les auteurs constituent son ADN. Ai-je bien compris ? â ⊠Non ! LâADN dâune maison dâĂ©dition, câest une ligne Ă©di- toriale clairement dĂ©finie, portĂ©e par des rĂ©cits parfaitement aboutis enveloppĂ©s dans emballage le plus attrayant possible, proposĂ©s Ă un prix raisonnable et dont le succĂšs commercial dĂ©pend grandement dâune prĂ©sence assidue de lâauteur sur les rĂ©seaux sociaux. Enfin pour ĂȘtre complet⊠Hormis Philippe Will et Pascal Tissier qui disposent dâune base de quelques milliers de lecteurs, les auteur IGB sont des diamants bruts ap- pelĂ©s Ă devenir des littĂ©rateurs⊠câest-Ă -dire des auteurs, qui mis en confiance par les efforts promotionnels de leur Ă©diteur, prennent plaisir Ă produire Ă intervalle rĂ©gulier. En somme⊠les auteurs IGB sont heureux ! â Pourquoi ne le seraient-ils pas ? Tout dâabord, ĂȘtre Ă©ditĂ© Ă compte dâĂ©diteur est un privilĂšge de plus en plus rare⊠Cer- tains de nos auteurs ont connu des Ă©checs, ils connaissent donc leur chance... Ensuite, ils touchent du pognon sur les stocks morts ». Enfin, leurs rĂ©cits sont diffusĂ©s par une Ă©di- trice qui a prĂ©fĂ©rĂ© sâassurer les services dâune boĂźte de com de renom au lieu de privilĂ©gier les salaires ! Cette dĂ©marche est tellement rare que Claire Izard mĂ©rite dâen ĂȘtre remerciĂ©e. 18 BOOKSMARKET Qui est rĂ©ellement Claire Izard ? â ⊠Une folle ! ⊠Une gonzesse totalement cinglĂ©e⊠Une na- na qui a dĂ©cidĂ© de mettre entre parenthĂšse une vie profes- sionnelle oĂč rien de fĂącheux ne pouvait lui arriver et par-delĂ de se mettre en danger pour vivre son rĂȘve dâĂ©diter de bons rĂ©cits⊠Grande lectrice, elle raisonne en consommatrice⊠Elle mâĂ©pate, car alors quâelle dĂ©couvre les affres de la crĂ©ation dâentreprise, rien ne la dĂ©courage⊠Câest un monstre de vo- lontĂ© ! Dâun naturel rĂ©servĂ©, elle dĂ©teste se mettre en avant, mais elle apprend Ă une vitesse folle⊠Pour le succĂšs de ses auteurs, rien ne lui semble impossible⊠Cependant, elle a du caractĂšre et dĂ©teste ĂȘtre prise pour une imbĂ©cile ou quâon lui manque de respect elle attend de ses publiĂ©s quâils travaillent avec application et quâils soient les vecteurs constitutifs de la promotion de leurs ouvrages⊠Qui est Claire Izard ? Une Ă©di- trice moderne qui, contrairement Ă des confrĂšres Ă©tablis, nâac- cepte pas de subir des comportements de diva. Eu Ă©gard aux sacrifices quâelle sâimpose pour sortir de lâanonymat de par- faits inconnus, elle nâest pas prĂȘte Ă supporter les caprices. Câest difficile de porter un projet dâentreprise ? â ChĂšre Sylvie, vous avez fait votre carriĂšre chez un grand pa- petier et aujourdâhui vous Ćuvrez au dĂ©veloppement de votre radio⊠Donc, vous connaissez la diffĂ©rence entre une structure Ă©tablie et une crĂ©ation dâentreprise dont on pense Ă tort que câest un jeu dâenfant⊠Câest mĂȘme tout le contraire⊠Alors, la crĂ©ation dâune maison dâĂ©dition est un pensum... â Je ne dirais pas ça⊠Chez IGB, rien nâest rĂ©barbatif... Mais comme je lâai dĂ©jĂ dit sur votre antenne⊠lâĂ©chec peut ĂȘtre fi- nancier, mais lâerreur ne doit pas ĂȘtre humaine⊠Pour rĂ©- pondre Ă votre question⊠tout dĂ©pend qui on doit convaincre dâamender son texte pour quâil soit reçu par son cĆur de cible ou quel texte on corrige⊠Cela Ă©tant, notre quotidien est plu- tĂŽt plaisant, car les auteurs IGB sont intelligents⊠Ils ne sâac- crochent pas Ă leur texte initial comme une moule Ă son ro- cher⊠Ils comprennent les impĂ©ratifs du marchĂ©. Ce sont des gens Ă©quilibrĂ©s⊠Ils ont un boulot⊠des enfants⊠En rĂ©alitĂ©, mĂȘme sâils ont un autre job, il agissent en professionnels⊠Quand on voit avec quelle application Philippe Will a relu le texte de Dealer ou la valse des maudits alors quâil sâagit dâune réédition, on devine quâil Ă©crit par plaisir et non pour le plaisir. Câest difficile de vivre de sa plume ? â Oui⊠1% seulement des auteurs français perçoivent lâĂ©qui- valent de trois fois le SMIC... Cependant, je suis persuadĂ© que des auteurs IGB Ă©mergeront⊠Certains seront mĂȘme primĂ©s... Vraiment ? â ⊠Si on fait bien notre boulot, il nây a aucune raison de ne pas y arriver... Dâailleurs, on vient de faire une premiĂšre levĂ©e des fonds sur la base dâun business plan intelligible⊠19 BOOKSMARKET Ă quoi ressemble le plan dâaffaires dâun petit Ă©diteur ? â ⊠à une feuille de route oĂč lâon dĂ©montre quâavec des au- teurs dĂ©butants et un circuit commercial Ă©mergeant, on est capable de gĂ©nĂ©rer progressivement du cash⊠Quels sont les Ă©cueils Ă Ă©viter ? â Il y en a deux principaux⊠En premier lieu... Il faut Ă©viter de mentir et de se mentir⊠Il est indispensable de bĂątir un plan de dĂ©veloppement que lâon peut tenir aprĂšs avoir apprĂ©ciĂ© avec objectivitĂ© lâenvironnement dans lequel on se situe⊠Quand le secteur Ă©ditorial du premier groupe français reprĂ©- sente seulement 280 millions dâeuros de chiffre dâaffaires, prĂ©- senter des perspectives pharaoniques de retour sur investisse- ment nâest pas crĂ©dible⊠Il ne faut jamais oublier quâune li- brairie est le commerce de dĂ©tail de France le moins rentable. En second lieu, il faut se marier avec les bonnes personnes⊠ce qui nâest jamais facile... Vous avez lâexpĂ©rience de la crĂ©ation dâentreprise ? â ⊠Un peu⊠Jâai exercĂ© trois mĂ©tiers⊠CrĂ©ateur de jeux de sociĂ©tĂ© et de jouets⊠puis, Ă©diteur de livres de voyages⊠et crĂ©ateur dâalgorithmes de compression des donnĂ©es numĂ©- riques⊠Donc⊠jâai fondĂ© ma premiĂšre entreprise Ă 26 ans⊠la seconde Ă 33, la troisiĂšme Ă 44 ans et co-fondĂ© IGB Ă 61 ans⊠Quand jâai quittĂ© lâindustrie du jouet en 1992, Ernst &Young a estimĂ© que mes inventions avaient engendrĂ© un flux financier supĂ©rieur Ă 100 millions de dollars⊠Au cours de ma carriĂšre, jâai crĂ©e plus de 500 emplois⊠et avec mon labo de recherches sur la compression, jâai levĂ© 12 millions dâeuros auprĂšs des hĂ©- ritiers Dassault et Wendel⊠Le cabinet amĂ©ricain de propriĂ©tĂ© intellectuelle Dennemeyer avait estimĂ© Ă trois milliards de dol- lars la valeur potentielle des 101 brevets qui mâavaient Ă©tĂ© dĂ©- livrĂ©s dans 45 pays⊠je suis donc familiarisĂ© Ă la crĂ©ation dâen- treprise et Ă la crĂ©ation de richessesâŠ. 20 BOOKSMARKET Justement⊠quelle est la premiĂšre richesse dâIGB ? â Claire Izard ! Claire Izard et sa facultĂ© Ă repĂ©rer un rĂ©cit pro- metteur ! Ă cela rien dâĂ©tonnant, les grands Ă©diteurs comme JĂ©rome Lindon des Ăditions de Minuit ou Bernard de Fallois des Ăditions de Fallois avaient ce don que dâautres ne possĂš- dent pas. Câest ainsi que vous lâavez vendue aux actionnaires ? â Je nâai pas vendue Claire ! Je lâai louĂ©e ! LouĂ©e dans tous les sens du terme dâailleurs, puisque jâai vantĂ© son expĂ©rience de grande lectrice qui, ayant analysĂ© plus de bestsellers, sait distinguer les passages addictifs des paragraphes moins dynamiques et repĂ©rer les sections inutiles ou les parties sura- bondantes. Sachant que les investisseurs achĂštent le passĂ© afin de se prĂ©munir des risques de lâavenir, jâai pu convaincre ! Je ne les ai dâailleurs pas trompĂ©s dans la mesure oĂč les li- braires et les critiques soulignent actuellement la qualitĂ© des sorties IGB du printemps et de lâĂ©tĂ©. Dâailleurs, je ne doute pas un instant que les titres dâoctobre et de novembre reçoivent les mĂȘmes Ă©loges. Quel est le patrimoine dâune maison dâĂ©dition ? â Chez un Ă©diteur Ă©tabli, ce sont ses auteurs bankables et leur capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer des revenus futurs. Cela Ă©tant, est-ce valorisable ? Si Guillaume Musso dĂ©cĂšde, Calmann-LĂ©vy vau- dra beaucoup moins, alors que chez IGB, si un auteur fait une chute de poney, ça nâaura aucune incidence ! Est-ce Ă dire quâIGB ne vaut rien ? Contrairement aux autres Ă©diteurs, IGB vaut par ses invendus puisquâelle les valorise auprĂšs de ses abonnĂ©s. IGB vaut Ă©galement par sa capacitĂ© Ă imaginer la monĂ©tisation des rĂ©cits dont elle a acquis les droits et y com- pris ceux qui peinent Ă sĂ©duire leur marchĂ©. Vous voulez que je vous explique comment ? Volontiers ! â Câest simple⊠AprĂšs sâĂȘtre adjoint les services dâune boĂźte de communication qui nous donnera plus de visibilitĂ©, puis aprĂšs avoir rĂ©solu le problĂšme des ouvrages non commerciali- sĂ©s en librairie et avoir créé une division Jeunesse en appelant Anna et Emma auprĂšs dâelle, quelle avant-derniĂšre brique de- vra poser Claire pour achever la consolidation de son Ă©difice ? Vous allez me le dire ! â Lâaudiovisuel, Sylvie ! Lâaudiovisuel ! Dans moins de six mois, IGB disposera dâune division chargĂ©e de scĂ©nariser et de transformer des histoires en crĂ©ations digitales. Nous possĂ©- dons la matiĂšre premiĂšre qui est constituĂ©e par les rĂ©cits dont nous avons les droits, mĂȘme si certains marchĂ©s comme celui du Young Adult est compliquĂ©. Ensuite sur la base dâun pre- mier Ă©pisode ou dâun pilote significatif, il suffira de monter des co-productions ou de cĂ©der les droits Ă des boĂźtes de prod ou Ă des diffuseurs. Ensuite, nous attendrons tranquillement la 21 BOOKSMARKET programmation tĂ©lĂ©visĂ©e pour relancer nos titres et en lancer dâautres dans des formats adaptĂ©s Ă nos cibles. Câest la raison pour laquelle, jâai reçu mission de bĂątir un nouveau plan dâaf- faires afin de lever des fonds plus consĂ©quents. Câest astucieux ! Quand cette idĂ©e est-elle nĂ©e ? â DĂšs la crĂ©ation de lâentreprise, en janvier 2020 ! Nous dĂ©ve- lopperons Ă©galement le merchandising quand il sera temps ! Quelle est la derniĂšre brique ? â ⊠Sâattacher les services dâun agent littĂ©raire pour per- mettre Ă nos auteurs de pĂ©nĂ©trer les marchĂ©s Ă©trangers. Combien de temps avez-vous mis pour lever les fonds et sous quel dĂ©lai pensez-vous boucler le second tour ? â Entre la rĂ©flexion stratĂ©gique ayant imposĂ© Ă Claire de rĂ©- flĂ©chir aux sacrifices quâelle devait sâimposer, lâĂ©criture du bu- siness plan et les nĂ©gociations⊠quatre mois ont Ă©tĂ© nĂ©ces- saires. Pour la nouvelle levĂ©e de fonds⊠douze mois seront indispensables pour lever un Ă deux millions dâeuros. Utiliser une plateforme de financement participatif ne serait pas plus rapide ? â Pfff⊠Depuis lâinvention de lâimprimerie, des Ă©diteurs ont recours Ă la souscription⊠RĂ©cemment un Ă©diteur de BD Ă©ro- tiques a utilisĂ© Ulule avec succĂšs... Chacun sursoit Ă ses pro- blĂšmes de trĂ©sorerie comme il le peut⊠Cela Ă©tant, si je ne nie pas lâutilitĂ© de cette forme de financement pour des projets humanitaire, je suis circonspect quand il sâagit de crĂ©ation dâentreprise⊠Un entrepreneur ne fait pas la manche ! Il met en jeu son patrimoine pour la rĂ©ussite de son projet... Ma- dame Izard se situe dans cette logique ! Elle parle de rĂ©tribu- tion de risques par dĂ©livrance dâactions et non de goodies en Ă©change de dix balles ! Cela Ă©tant⊠si ces plateformes peuvent dĂ©clencher le goĂ»t dâentreprendre⊠au fond⊠pourquoi pas... Combien de titres sortez-vous cette annĂ©e ? â Huit⊠soit deux fois plus quâen 2021. 25 titres sont dĂ©jĂ programmĂ©s en 2022. Ă la mi-novembre 2022, IGB comptera plus de 100 rĂ©fĂ©rences. IGB Edition avance trĂšs vite. En juin prochain, le lancement de la collection Frousse dâEnfer va faire mal⊠Pendant cinq ans, nous sortirons chaque annĂ©e six Ă huit titres accompagnĂ©s dâun prĂ©sentoir de 24 Ă 32 exemplaires⊠assortis de lâenvironnement promotionnel indispensable. Comment avez-vous recrutĂ© les auteurs Jeunesse ? â ⊠Le plus simplement du monde⊠Cherchant des auteurs irrĂ©prochables Ă tout point de vue, jâai sollicitĂ© Aude Hage et Pascal Tissier⊠MĂȘme si je ne doute pas que dâautres auteurs IGB pourrait postuler, Claire sâapprĂȘte Ă lancer un appel Ă ma- nuscrit afin de complĂ©ter sa collection. 22 BOOKSMARKET Quelles sont les prochaines Ă©tapes ? â Regarder devant nous pour consolider nos acquis et prĂ©pa- rer les campagnes 2022 et 2023. Avec lâarrivĂ©e des Miss, nous allons peaufiner notre catalogue, commencer lâapproche au- diovisuel, lancer de nouveaux auteurs et Ă©viter ceux atteints de bouffissure qui Ă force dâĂ©crire ont les pieds aussi gonflĂ©s que leur orgueil. Ayant la chance dâavoir une Ă©quipe dâauteurs sympas, nous veillerons Ă la conservation de cette Ă©quilibre⊠Enfin Ă titre personnel, je vais mettre les bouchĂ©es doubles pour que Claire Izard se concentre sur ce quâelle aime faire⊠câest-Ă -dire lire et promouvoir ses titres et ses auteurs. Comment voyez-vous lâavenir ? â Il sera celui que Madame Izard dessinera⊠Dans trois ans, elle aura sorti une soixantaine de titres et lancĂ© une trentaine dâauteurs dont elle aura formĂ© la plupart. Alors, elle prendra la dĂ©cision de continuer ou de choisir une vie moins stressante⊠Quel conseil donneriez-vous Ă un auteur ? â Au plan littĂ©raire⊠aucun⊠car je nâai pas encore fait mes preuves⊠En tant quâĂ©diteur⊠je conseillerais au postulant de suivre notre sens du marchĂ©, puisque rien nâest plus difficile que de prendre du recul par rapport Ă son texte... Comment voyez-vous votre avenir ? â Claire mâa demandĂ© dâĂȘtre Ă©diteur⊠Je suis Ă©galement ro- mancier⊠à la seconde mĂȘme oĂč ce que je fais ne me pas- sionnera plus, jâarrĂȘterai ! Quoi ! Vous arrĂȘteriez dâĂ©crire ? â Croyez-vous que lâannonce de la fin de la carriĂšre de ro- mancier de Marc Gervais plongera la planĂšte dans un blues abyssal ou mettra en pĂ©ril lâĂ©conomie mondiale ? Cela Ă©tant⊠rassurez-vous⊠vous nâĂȘtes pas encore dĂ©barrassĂ©e de moi ! Hahaha⊠Marc Gervais, merci ! Un dernier mot ? â Ouais⊠abonnez-vous Ă IGB MAG ! 23 SORTIES NATIONALES 24 SORTIES NATIONALES 9 JUILLET Ă la Saint-BarthĂ©lemy des camĂ©s, il y avait eu beaucoup de faux semblants et dâĂ©crans de fumĂ©e⊠Brian Jones⊠Jimi Hendrix⊠Janis Joplin⊠Jim Morrison⊠Tous fauchĂ©s au sommet de leur gloire⊠à vingt-sept ans ! Et si Ă la fin des sixties, l'Ă©pidĂ©mie d'overdoses ayant dĂ©cimĂ© les plus grandes stars du rock ne devait rien au hasard ? Quelques semaines aprĂšs la disparition de Jim Morrison, le corps sans vie de Jean de Breteuil est retrou- vĂ© Ă Tanger. Overdose. Une de plus ! Dealer des stars et star des dealers, il fournissait l'hĂ©roĂŻne la plus pure. La plus dangereuse aussi ! ĂlevĂ© par sa mĂšre dans le Marrakech des annĂ©es soixante, il Ă©tait programmĂ© pour re- prendre les rĂȘnes de l'empire de presse familial. HĂ©las, il choisira un autre destin. Si son implication dans la disparition de Jim Morrison ne fait plus de doute aujourdâhui â des tĂ©moins affirment avoir aperçu sa voiture sur le parking du Landmark HĂŽtel la nuit oĂč Janis Joplin a trouvĂ© la mort â Jean cĂŽtoyait Ă©galement Brian Jones et Jimi Hendrix... Une plongĂ©e vertigineuse au cĆur du plus grand mystĂšre de lâHistoire du rock ! Format 140 x 230mm 424 pages Prix public 19,90⏠pass MAG NoĂ«l 2021 25 SORTIES NATIONALES 1er CHAPITRE 1 Le singe en lui sâĂ©tait Ă©veillĂ© bien avant quâil ne reprenne conscience. Tapi dans un repli de son hypophyse, il en Ă©tait encore aux manĆuvres dâapproche. BientĂŽt, les mots doux feraient place Ă une plainte sourde puis lancinante et le ma- caque Ă©voluerait vers quelque chose de plus menaçant une chose aux doigts griffus et aux dents acĂ©rĂ©es, qui le laisserait pantelant de sueur aigre sur son lit aux draps chiffonnĂ©s. Grappiller quelques minutes sur le commencement des opĂ©rations Ă©tait lâune de ses derniĂšres distractions. Une sorte de jeu pervers par lequel Jean rythmait ses journĂ©es et entre- tenait lâillusion dâun plaisir qui ne rĂ©sidait plus que dans lâinterruption du cauchemar qui le prĂ©cĂ©dait. Tous les subterfuges Ă©taient bons pour repousser la li- mite contempler jusquâĂ lâĂ©vanouissement les frises entre- lacĂ©es Ă la surface du plafond, se concentrer sur les insectes virtuels Ă la pĂ©riphĂ©rie de sa vision⊠JusquâĂ ces derniĂšres semaines, il parvenait encore Ă lire quelques lignes de la pile de journaux que lâon continuait Ă dĂ©poser sur sa table de nuit, souvenir du temps aujourdâhui rĂ©volu oĂč il Ă©tait programmĂ© pour reprendre lâempire et de- venir, Ă son tour, le Citizen Kane du Maghreb et de lâAfrique de lâOuest. DĂ©sormais, câĂ©tait au-dessus de ses forces lâAmĂ©rique pouvait patauger autant quâelle le voulait dans les riziĂšres vietnamiennes et les nuages sâamonceler dans le ciel du Pakistan. Rien de tout cela nâallumait plus la moindre lueur dans ses neurones fatiguĂ©s. Ă prĂ©sent, le singe possĂ©dait la taille dâun monstre de foire, ses yeux dâĂ©meraude luisaient dans la semi-pĂ©nombre. Ă lâĂ©vidence, la phase amiable des nĂ©gociations Ă©tait sur le point de sâachever. Peu Ă peu, Jean sentait une gangue de douleur lâenvelopper. Un bourdonnement progressif qui vril- lait ses tempes et comprimait ses cĂŽtes. Ses os Ă©taient aussi 26 SORTIES NATIONALES froids que des morceaux de banquise et sa chair plus brĂ»lante que les flammes de lâenfer. Il allongea le bras. Un instant ses doigts sâattardĂšrent sur la face argentĂ©e de Dionysos, puis aprĂšs avoir ouvert lâĂ©crin de bois prĂ©cieux, il en Ă©tala le contenu devant lui, ajusta ce qui devait lâĂȘtre et nettoya les diffĂ©rents ustensiles. Lorsque le mĂ©lange fut prĂȘt, il entortilla un serpent brun autour de son bras gauche. Sous ses dents, le caoutchouc avait un goĂ»t pharmaceu- tique et rassurant. Il sentit Ă peine lâaiguille fouiller sa chair. AprĂšs avoir observĂ© le reflux dâhĂ©moglobine fleurir la se- ringue translucide, il repoussa le piston vers lâavant et se dĂ©- barrassa de lâĂ©treinte du garrot. Une dĂ©ferlante de chaleur sâempara de lui, mais rien de spectaculaire. En ce qui le con- cernait, la corolle orgasmique accompagnant le rush de lâhĂ©- roĂŻne nâĂ©tait quâun lointain souvenir. Dehors, le souffle du vent du nord se calmait peu Ă peu. La mort Ă©tait le cas de figure le plus probable. Pour autant, vivre continuait Ă faire partie de ses prioritĂ©s. Seulement la rĂ©solution de ce paradoxe ne dĂ©pendait plus de lui⊠à la Saint-BarthĂ©lemy des camĂ©s, il y avait eu beaucoup de faux-semblants et dâĂ©crans de fumĂ©e. Dommage quâil ait Ă ce point tardĂ© Ă sâen rendre compte⊠Il ferma les yeux. Quelque part au fond de lui, le singe en fit autant⊠27 SORTIES NATIONALES 28 SORTIES NATIONALES 9 JUILLET InfluencĂ© par Alain Damasio, le scĂ©nario est dense et les scĂšnes d'action sont efficaces. Un vrai coup de cĆur pour cette plume prĂ©cise et fluide ! Paris 2034. Fred est effrayĂ©, lâenfer a frappĂ© Ă sa porte les habita- tions sont vides, les rues sont dĂ©sertes, du sable noir jonche le sol ! Sa femme, ses amis et ses voisins ont disparu. Il est SEUL ! Du moins le croit-il ! PourchassĂ© par des mercenaires, comment survi- vra-t-il dans un univers dont la destruction a Ă©tĂ© pensĂ©e par un scientifique mĂ©galomane ? Fred comprendra-t-il que son passĂ© est Ă lâorigine du cataclysme ? Appartiendra-t-il au cercle restreint des 144 000 humains appelĂ©s Ă reconstruire le monde ? Un thriller post-apocalyptique prĂ©cis et millimĂ©trĂ© ! Une intrigue soutenue par de multiples rĂ©vĂ©lations ! Format 140 x 230mm 464 pages Prix public 19,90⏠pass MAG NoĂ«l 2021 29 SORTIES NATIONALES 1ers CHAPITRES 1 Le lanceur dâalerte Le jour dâavant, 23 h 55. Câest pour cette nuit ! Enfer- mez-vous dans les abris que vous avez construits et nâen sortez surtout pas avant mon signal ! Si par malheur, je ne parvenais pas Ă vous recontacter, laissez passer trois jours avant de mettre le nez dehors. Sans repĂšre naturel, vous risquez de perdre toute notion du temps. Fiez-vous Ă votre horloge biolo- gique ! JusquâĂ prĂ©sent, si vous avez suivi mes conseils vous ne risquez rien. Continuez Ă me faire confiance ! Nous vivons les derniĂšres heures dâun monde que nous verrons disparaĂźtre. LâHistoire est une alternance perpĂ©tuelle de pĂ©riodes plus ou moins difficiles. La guerre, la paix ! La rĂ©cession, la prospĂ©ritĂ© ! La vie et la mort. On nâen sort jamais indemne, rien ne sera ja- mais plus comme avant. Ă bientĂŽt. Je lâespĂšre de tout mon cĆur ! Assis devant lâĂ©cran de son ordinateur, LĂ©onard se de- mande si tout cela a encore un sens. Pris dâun doute, il sâac- corde quelques secondes pour rĂ©flĂ©chir Ă la suite des Ă©vĂšne- ments. DâaprĂšs ses calculs, on est arrivĂ© au stade ultime du processus de destruction nul nâĂ©chappera Ă la tempĂȘte la plus puissante de toute lâHistoire de lâhumanitĂ© ! Avant de relire son texte, il inspire pour se donner du courage, tant il souhaite employer les mots justes. Quand il est certain dâavoir trouvĂ© la formulation adĂ©quate, il poste le message sur la page dâaccueil de son blog avec la sensation Ă©pouvan- table de jeter une bouteille dĂ©risoire Ă la mer. 30 SORTIES NATIONALES 2 PremiĂšres angoisses Le jour dâaprĂšs, 11 h 47. La terre hurle. PerchĂ© au sommet du Grand Canyon, jâentends sa voix. Elle sâĂ©chappe de gorges bĂ©antes qui dĂ©coupent le paysage Ă perte de vue. Un hurlement dâune intensitĂ© sans Ă©gale portĂ© par un vent brĂ»lant qui monte depuis le fond du prĂ©cipice et me glace les sangs. Sans ce cauchemar insensĂ©, jâaurais sans doute pu dormir quelques heures de plus. CalĂ© au fond de mon lit, jâenfouis ma tĂȘte dans lâoreiller. AprĂšs quelques secondes, agacĂ© par une sonnerie lancinante, je me rĂ©sous Ă ouvrir les yeux. Ils baignent dans un brouillard Ă©pais que je tente de chasser par un battement de cils. Le bruit provient de la rue. Il doit sâagir dâune alarme de voiture. Nous sommes au mois de mars. Le soleil nâest pas encore Ă son zĂ©nith. Pourtant, jâai la sensation que la luminositĂ© est aussi forte quâen plein jour â Lucy ! On sâest pas rĂ©veillĂ© ! mâexclamĂ©-je avec un certain dĂ©couragement. Je suis fatiguĂ©. LâidĂ©e de devoir me prĂ©parer en quatriĂšme vitesse ne mâenchante guĂšre. Dâun geste las, ma main balaie en vain les draps Ă la recherche de Lulu. Lulu ? Câest le sur- nom de ma petite femme. Je ne mâinquiĂšte pas de ne pas la trouver comme il fait Ă©tonnamment chaud en cette fin dâhi- ver, elle a dĂ» se dĂ©couvrir dans son sommeil. NĂ©anmoins, lorsque je tourne la tĂȘte pour vĂ©rifier, je suis seul ! Dehors, lâalarme continue de retentir. Elle tourne en boucle comme un refrain insupportable. Je me redresse, jette un Ćil par la fenĂȘtre et maugrĂ©e â Lulu ? Quelle heure est-il ? On est en retard ! 31 SORTIES NATIONALES Comme mon Ă©pouse ne rĂ©pond pas, je me lĂšve, attrape un peignoir Ă la volĂ©e et me dirige vers notre salon plongĂ© dans la pĂ©nombre. Jâappuie sur lâinterrupteur pour vĂ©rifier ce que je soupçonne dĂ©jĂ une panne dâĂ©lectricitĂ© sâajoute Ă la somme de mes contrariĂ©tĂ©s. Ă lâextrĂ©mitĂ© du sĂ©jour, je trouve le disjoncteur et tente de le remettre en marche rien ! Comprenant alors quâil sâagit dâune panne de secteur, je re- tourne Ă tĂątons dans ma chambre en pensant Ă Lucy. Elle a dĂ» partir tĂŽt. Je crois quâelle avait une rĂ©union. Ă vrai dire, je nâen sais rien. Je nâai pas les idĂ©es claires. En passant de- vant la salle de bains, jâaperçois mon visage dans le miroir. Jâai une sale gueule. Mes yeux sont rouges et cernĂ©s. Mal rasĂ©, les cheveux en bataille, jâai du mal Ă me reconnaĂźtre. Je caresse ma barbe naissante, Ă©tonnĂ© quâelle ait autant poussĂ© durant la nuit. Jâai dĂ» oublier de me raser hier matin. Il faut que je tĂ©lĂ©phone Ă Lucy. Au pied de mon lit, je rĂ©cupĂšre mon smartphone. Ă cet instant, je mâaperçois quâil est dĂ©chargĂ©. Levant les yeux au ciel, jâai la dĂ©sagrĂ©able sensation que le sort sâacharne et peste Ă haute voix comme pour le conjurer â Fais chier, merde ! Ayant le sentiment dâavoir trop dormi ou pas assez, jâai besoin dâun cafĂ© pour me rĂ©veiller. Dans le placard de la cui- sine il y a ma trousse de secours ». SpĂ©cialement conçue pour les pannes dâĂ©lectricitĂ©, elle contient mon kit de survie filtre, cafĂ© et briquet. Engourdi par le sommeil, je remplis une casserole dâeau. Jâallume le gaz qui sâenflamme en cou- ronne autour du brĂ»leur et contemple lâamĂ©nagement de mon loft. Ma cuisine sâouvre sur le salon dont les combles ont Ă©tĂ© entiĂšrement dĂ©gagĂ©s. Lâensemble offre une belle hauteur sous faĂźtage. Jâaime particuliĂšrement le cadre en acier de la baie vitrĂ©e qui dĂ©core harmonieusement la piĂšce. Cet endroit mâa toujours invitĂ© Ă la rĂ©flexion. Mais alors que je bois mon cafĂ© et pense Ă remplir la cou- pelle du chat, mon regard se pose au pied du canapĂ©. Aban- donnant ma tasse sur la table, je mâapproche avec une cer- taine apprĂ©hension de ce qui ressemble Ă de la terre. Je mâac- croupis, tends la main et dĂ©couvre une pyramide de quelques 32 SORTIES NATIONALES centimĂštres de hauteur. Ce nâest pas de la terre, mais du sable ! Du sable ? Oui ! Du sable noir comme on en trouve dans les Ăźles volcaniques ! Les yeux Ă©carquillĂ©s, jâen prends une poignĂ©e et relĂšve la tĂȘte pour vĂ©rifier le plafond. Les poutres sont intactes. Aucun interstice ne permet de laisser filtrer la moindre matiĂšre. Du- bitatif, je me mets Ă quatre pattes, me penche et regarde sous le canapĂ© rien ! Dehors, lâalarme continue de retentir. Les grains de sable filent entre mes doigts. Comme au ralenti, je visualise alors les derniĂšres minutes le rĂ©veil, lâabsence de Lucy et cette sonnerie Ă©pouvantable. GagnĂ© par lâanxiĂ©tĂ©, jâinspire profon- dĂ©ment. Face Ă un puzzle qui mâaffole, je nây comprends plus rien ! Calme-toi Fred ! Rassemble tes idĂ©es ! TĂ©lĂ©phone Ă Lucy ! mâintimĂ©-je en mâhabillant en toute hĂąte pour aller emprunter un tĂ©lĂ©phone Ă mon voisin. Ă cet instant, je suis loin dâimaginer ce qui est advenu, ce qui va mâarriver et en- core moins ce qui sâest tramĂ© dans le monde pendant mon sommeil. 33 34 SORTIES NATIONALES 25 AOUT Jâai vingt ans. Mon pĂšre est lâamour de ma vie. Je mâappelle Rubis. Jâai de vilaines pensĂ©es autour de moi les mĂ©chants tombent comme des mouches. Je nâai aucune excuse, je suis nĂ©e dans les beaux quartiers de Paris. Donc, loin de la Vologne et du petit GrĂ©gory. JâĂ©tais heureuse, jâĂ©tais Ă©tudiante Ă Boston. Suite aux attentats du 11 septembre, ma vie a basculĂ© en une se- conde ! Jâai appris lâexistence dâun grand-pĂšre dont ma famille ne mâavait jamais parlĂ© et que mon pĂšre nâĂ©tait pas mon gĂ©niteur ! ExpulsĂ©e des Ătats-Unis en attendant de prouver mon innocence, je suis partie Ă la recherche de mes ori- gines. Jâai dĂ©couvert des secrets familiaux sordides datant de la Seconde Guerre mondiale. On a blessĂ© papa, on mâa fait du mal⊠alors, je me suis vengĂ©e ! Si vous pensez que je suis possĂ©dĂ©e et que cela vous effraie, nâou- vrez pas ce livre jâai le don dâentraĂźner tout le monde dans des histoires de dingues ! DĂšs les premiĂšres lignes, vous lirez jusquâau bout de la nuit ! GeneviĂšve. Libraire. Paris Format 110 x 178mm 464 pages Prix public 9,90⏠pass MAG NoĂ«l 2021 35 SORTIES NATIONALES 1er CHAPITRE 1 Faites entrer lâaccusĂ©e ? Ă vingt ans, on est immortel. Du moins, on le croit. On nâimagine pas avoir quarante ans ni ressembler un jour Ă sa grand-mĂšre. On se lĂšve, on balbutie, on sâendort. Rien ne peut arriver, lâavenir est abs- trait, le futur se borne aux Ă©chĂ©ances immĂ©diates une fĂȘte, un exa- men, un rendez-vous. Notre existence se rĂ©sume Ă lâinstant, on ne se projette pas, on mĂ©morise le passĂ© pour retenir lâessentiel un regard, un baiser, une caresse. Le cĆur battant, le fard aux joues, le souffle court, on sâaffranchit des interdits. On aimerait ĂȘtre plus ĂągĂ©e, grandir plus vite, mais surtout ne pas vieillir. On passe des heures devant un miroir, on se dĂ©teste, on envie la silhouette de sa meilleure ennemie. Puis on franchit le cap qui autorise Ă ĂȘtre de mauvaise humeur cinq jours par mois lâenfance sâĂ©loigne. Notre corps prend forme on part Ă sa dĂ©couverte, seule ou sur les conseils dâune copine. On sâob- serve, et on exĂšcre ce qui est toujours trop ou pas assez. Ensuite, on ne comprend plus rien les parents deviennent stu- pides, sourds, ou aveugles. On pleure dâĂȘtre incomprise, mais on adore ĂȘtre regardĂ©e. Un copain, un voisin, un cousin ? Peu importe, on redevient lâobjet de toutes les attentions. En fait, ce qui prĂ©cĂšde ne vaudrait pas la peine dâĂȘtre exposĂ©, si ma vie nâavait pas basculĂ© en une fraction de seconde. En rĂ©alitĂ©, le terme est impropre. Mon exis- tence nâa pas Ă©tĂ© secouĂ©e par un mouvement de balancier, les murs ne se sont pas lĂ©zardĂ©s. Je ne suis pas passĂ©e de la lumiĂšre Ă lâombre, du bonheur Ă lâincomprĂ©hension, ou du rire aux larmes. Ce fut pire, je nâai rien vu venir. En un instant, la nuit sâest exonĂ©rĂ©e des contraintes du temps, le sol sâest ouvert, la terre mâa engloutie. Sur un mot, une rĂ©primande, ou une lettre anonyme, la haine mâa emportĂ©e. Plus tout Ă fait adolescente ni tout Ă fait femme, je nâĂ©tais pas prĂȘte Ă ĂȘtre cata- pultĂ©e dans un univers oĂč rien ne prĂ©dispose une fille Ă subir ce que lâon mâa infligĂ©. Jâai vingt ans. 36 SORTIES NATIONALES Ătant appelĂ© Ă me juger, votre tĂąche sâannonce pĂ©rilleuse et vous risquez dâĂȘtre déçu je suis banale, ordinaire, dramatiquement quel- conque. Hormis un prĂ©nom dont on mâa affublĂ© Ă une Ă©poque oĂč toutes les filles sâappelaient CĂ©line, AurĂ©lie ou encore Virginie, vous ne dĂ©cĂšlerez chez moi aucune originalitĂ©, aucun traumatisme ni stig- mate qui me disculperaient. Je nâai aucune excuse je suis nĂ©e dans lâun des plus beaux quartiers de Paris. Donc loin de la Vologne et du petit GrĂ©gory. Je nâai pas de circonstances attĂ©nuantes ! Je ne suis pas le produit dâun acte incestueux, dâun plan cul Ă lâarriĂšre dâune voi- ture, ou la consĂ©quence dâune pilule oubliĂ©e. AprĂšs une grossesse difficile, ma mĂšre a mĂȘme renoncĂ© Ă sa carriĂšre pour sâoccuper de moi. Pendant prĂšs de vingt ans, jâai cru ĂȘtre une fille unique dans tous les sens du terme jusquâĂ ce que les flics amĂ©ricains mâimmergent dans les secrets sordides dâune famille dĂ©composĂ©e. Comment en suis -je arrivĂ©e lĂ ? Il est naturel de se poser la question. Jây ai beaucoup rĂ©flĂ©chi, je nâai pas de rĂ©ponse. Jâai disjonctĂ©. Je ne sais pas pourquoi jâai franchi la ligne jaune. Câest comme ça, câest tout ! Pourtant, ma vie Ă©tait belle. Je nâai pas manquĂ© dâamour. En fait, je nâai manquĂ© de rien. Je nâai pas changĂ© de maison un week-end sur deux ni frĂ©quentĂ© un beau-pĂšre, ou la derniĂšre conquĂȘte dâun pĂšre volage. Je ne suis pas tombĂ©e sous lâinfluence dâun type qui mâa entraĂźnĂ©e dans des dĂ©rives sectaires. Je nâĂ©tais pas perdue. Je ne suis pas partie Ă la recherche dâune cause, dâun combat, ou dâun dieu qui aurait souhaitĂ© que lâon sâentretue en son nom. Au contraire, jâai Ă©tĂ© cocoonĂ©e par un couple qui me servait de modĂšle. Mes parents Ă©taient profondĂ©ment Ă©pris. Papa regardait ma- man, et ma mĂšre ne concevait pas un instant sans lui. La maison Ă©tait calme. Je nâai jamais entendu un cri, surpris une attitude Ă©quivoque, ni devinĂ© avoir Ă©tĂ© lâobjet de dissensions. Ils ont toujours parlĂ© dâune voix unique il suffisait que lâun dĂ©cide pour que jâobĂ©isse Ă lâautre. De fait, je ne leur ai posĂ© aucun problĂšme particulier. ClassĂ©e Enfant Intellectuellement PrĂ©coce par lâĂducation Nationale, mes rĂ©sultats ont toujours Ă©tĂ© ceux pour lesquels mon pĂšre mâa formĂ©e. Je suis une Ă©ponge il suffit que jâĂ©coute pour comprendre, il suffit que je lise pour rĂ©citer. MalgrĂ© tout, lâapprentissage fut douloureux. Jâaimais les histoires de princesses, papa rĂȘvait dâavoir un petit mec jusquâĂ ce que mon corps ressemble Ă celui de ma mĂšre, il me surnommait Char- 37 SORTIES NATIONALES lie. Pour voir ses yeux briller, jâai pratiquĂ© la boxe, fait du krav-maga et jouĂ© au foot, mais il ne mâa rien Ă©pargnĂ©. Souvent punie, rarement fĂ©licitĂ©e, je nâai jamais usĂ© de mes charmes comme ces collĂ©giennes qui exacerbent la faiblesse des hommes mĂ»rs pour trouver le papa gĂąteau leur faisant dĂ©faut jâĂ©tais plutĂŽt sage. Alors ? Alors quoi ? Quâauriez-vous fait Ă ma place ? Jâai fait comme toutes les filles qui ne veulent pas dĂ©cevoir leurs parents jâai cachĂ© mes bĂȘtises, dissimulĂ© mes peines, masquĂ© mes larmes. En rĂ©a- litĂ©, jâai appris Ă dire Ă mon pĂšre ce quâil voulait entendre. Il voulait un garçon, jâen ai le caractĂšre. Il voulait un soldat, jâen ai la rĂ©sistance mĂȘme si je suis Ă lâopposĂ© des adolescentes narcissiques qui se dĂ©- couvrent un trouble de la personnalitĂ© limite pour excuser leurs ca- prices de mĂŽme en quĂȘte dâamour filial. Papa rĂȘvant de Polytechnique, du bicorne et du dĂ©filĂ© du 14 juillet sur les Champs-ĂlysĂ©es, mon unique rĂ©bellion fut de choisir Harvard, Boston et la cĂŽte Est des Ătats-Unis. Naturellement, je sais dĂ©sormais quâĂȘtre allĂ©e en AmĂ©rique a Ă©tĂ© un choix funeste. Mais comment de- viner quâun 11 septembre le monde saisi dâeffroi mâentraĂźnerait dans sa chute abyssale ? SincĂšrement, vous saviez ce qui se produirait ce jour-lĂ ? Mon Dieu, comme je peux ĂȘtre naĂŻve vous nâintervenez pas sur Terre pour endiguer les tragĂ©dies, mais pour enregistrer les rĂ©- ponses, jauger du degrĂ© de culpabilitĂ©, et espĂ©rer une rĂ©demption ! Alors dans ce cas, jâavoue ma surprise dâavoir Ă©tĂ© autant impactĂ©e alors que ma gĂ©nĂ©ration espĂ©rait tant dans ce nouveau millĂ©naire. LâInternet venait dâarriver, un vent de libertĂ© soufflait sur la planĂšte, on avait mĂȘme oubliĂ© la suffisance de vos insuffisances. AprĂšs deux mille ans de Guernica, de Shoah et dâHiroshima, nous imaginions un univers enchantĂ© les voitures voleraient dans le ciel, les cimes des arbres tutoieraient les nuages, nul ne mourrait plus de faim, de soif et de chagrin. Je vous Ă©tonne ? Câest normal, vous ne me connaissez pas. Je mâappelle Rubis. Oui, Rubis comme la pierre de joaillerie ! Rubis comme le bijou des rois, des dragons, des chimĂšres. Sâil vous plaĂźt, ne souriez pas Ă lui seul, ce prĂ©nom hors du temps, hors des modes, et hors de tout rĂ©sume mon destin. Selon une lĂ©gende, jâai Ă©tĂ© conçue Ă 38 SORTIES NATIONALES Venise par une nuit de la Saint-Valentin dans la douceur dâune suite de lâhĂŽtel Danieli. Officiellement nĂ©e soixante-trois jours avant terme le 11 septembre 1981, je suis officieusement morte vingt ans plus tard. Je ne suis pas sotte ! Je sais bien que morte ne signifie pas ĂȘtre dĂ©cĂ©dĂ©e. DĂ©cĂ©dĂ©e, je ne le suis pas encore, câest pour bientĂŽt. Vous ne comprenez pas ? Je reprends depuis le dĂ©but. Je suis Rubis Bouviers, avec un s » Ă la fin je dois mon prĂ©nom Ă une mĂšre qui voulait un joyau. Au dĂ©part, elle avait choisi Jade, mais papa espĂ©rait plus brillant. Câest la raison pour laquelle je porte le nom dâune pierre prĂ©cieuse quâil a mise sous cloche jusquâĂ mon dĂ©part aux US. Il mâa choyĂ©e, protĂ©gĂ©e, Ă©duquĂ©e, mais en rĂ©alitĂ© jâĂ©tais en libertĂ© surveillĂ©e. Quand vint le temps des premiers Ă©mois et des seconds aussi, jâai menti. Rien dâimportant des mensonges de nanas ! Des bobards sans consĂ©quence, pour respirer, pour marcher seule. Ne faites pas semblant dâĂȘtre offusquĂ© une ado sans secret ne se construit pas ! En tout cas, mes petits arrangements avec la vĂ©ritĂ© Ă©taient bien innocents par rapport Ă ce que le FBI mâa rĂ©vĂ©lĂ©. Com- ment aurais-je pu imaginer que des parents soient capables de mysti- fier leur enfant Ă ce point ? Ils mâont dĂ©truite ! Jâai cru ne jamais pou- voir mâen relever. Pour avoir trop pleurĂ©, dĂ©sormais mon cĆur est sec. Quand je lâĂ©coute battre, jâai lâimpression de jouer Ă la marelle sur des branches mortes. Pourquoi ? Vous ĂȘtes sĂ©rieux ? Comment cela peut-il vous Ă©ton- ner ? Vous croyez tout savoir, tout maĂźtriser, tout contrĂŽler ? Ă vous, rien nâĂ©chappe ? En ĂȘtes-vous persuadĂ© ? On vous a toujours tout dit ? Soyez honnĂȘte, on ne vous a jamais rien cachĂ© ? Rassurez-vous, je ne suis pas cinglĂ©e ! Je ne suis pas une Illuminati hurlant au com- plot on a marchĂ© sur la lune, Elvis est mort, la Terre est ronde ! Soyons clairs, je nâai jamais pensĂ© que la crucifixion Ă©tait un jeu sexuel entre adultes consentants ayant mal tournĂ© ! Comme toutes les petites filles, je croyais que les papas disent la vĂ©ritĂ© et que les ma- mans ne dissimulent rien ! Jâavais confiance, jâai eu tort, je me suis trompĂ©e ! Sur eux, sur moi ! Quâai-je ressenti ? Ă votre avis ? PassĂ© le temps de la stupĂ©fac- tion, jâai compris que Charlie avait Ă©tĂ© prise pour une imbĂ©cile depuis sa naissance, que Rubis ne serait pas celle quâelle devait devenir, que 39 SORTIES NATIONALES jâavais bossĂ© pour rien ! Lâamertume me submergeant, jâai dĂ©cidĂ© de partir Ă la recherche de mon passĂ©. Puis lorsque jâai dĂ©couvert le cal- vaire de mon pĂšre, je nâai eu de cesse de vouloir chĂątier les crimes impunis. Comme vous le constaterez, jâassume ĂȘtre lâenfant de ChloĂ© et de Paul. ChloĂ©, câest ma mĂšre. Elle a quarante-deux ans. 1m75. Elle est Ă©lancĂ©e. Elle ne paraĂźt pas son Ăąge, elle est belle, elle est brune. DâaprĂšs ce que lâon mâa dit, on se ressemble beaucoup. Elle mâa lĂ©guĂ© une poitrine Ă la rondeur parfaite et lâintensitĂ© de ses yeux verts. Jâai empruntĂ© sa voix rauque, ses doigts effilĂ©s, et la sensualitĂ© de lĂšvres dĂ©licatement charnues. MĂȘme corps, mĂȘme taille je lui pique ses fringues, ses chaussures, ses sacs Ă main. Elle planque sa lingerie, mais elle mâa toujours cou- verte vis-Ă -vis de papa lorsque je laissais traĂźner au pied de mon lit ses body Aubade ou lâun de ses tangas en dentelle de Calais. Si cer- tains ont eu une mĂšre, mais pas de maman, moi jâai eu les deux. Ma- man est ma mĂšre, ce nâest pas ma copine. Une mĂšre dont les mots soulagent, dont le regard rassure, dont les caresses apaisent. Une mĂšre ! Ma mĂšre Ă moi ! Une maman rien quâĂ moi ! Je lui dois beaucoup. Renonçant Ă sa carriĂšre dâanalyste financiĂšre et Ă la possibilitĂ© de travailler avec papa, elle a fait passer ma vie avant la sienne. Longtemps, elle a Ă©tĂ© mon refuge quand mon pĂšre revenait inlassablement sur les dĂ©clinaisons latines, les Ă©quations Ă trois inconnues, ou me saoulait avec Platon. Depuis que je suis Ă Har- vard, elle est ma confidente je lâappelle quasiment chaque jour, mĂȘme si elle reste avant tout lâĂ©pouse de Paul. Paul Bouviers, mon pĂšre ! Paul Bouviers ! Cinquante-huit ans, 1m82, svelte. Des cheveux poivre et sel Ă faire exploser les ventes de dosettes de cafĂ©, des traits dâune finesse insensĂ©e, un timbre de voix irrĂ©sistible. PlutĂŽt rĂ©servĂ©, ses mots et sa capacitĂ© Ă montrer ses Ă©motions sont tellement rares que je me demande comment il a fait pour sĂ©duire maman. Si je lui trouve des dĂ©fauts, il nâa que des qualitĂ©s depuis que jâai ouvert les yeux, je crĂšve littĂ©ralement pour ce mec. Mais la rĂ©ciproque est vraie ! Quand maman a accouchĂ©, papa a refusĂ© de couper le cordon. 40 SORTIES NATIONALES Pour tout vous dire, moi non plus ! Jâai essayĂ©, mais je nây suis ja- mais rĂ©ellement parvenue. Jâai hĂ©ritĂ© de mon pĂšre un esprit aiguisĂ©, un sens de lâhumour par- ticulier, et le goĂ»t de lâeffort. Cependant, il mâa transmis son carac- tĂšre je suis entĂȘtĂ©e, boudeuse et rancuniĂšre. Quâest-ce que lâon a pu se disputer ! Il ne voulait pas cĂ©der, je lui tenais souvent tĂȘte. De vous Ă moi, je crois que ça lui plaisait. Quoi quâil en soit, je lui suis recon- naissante de mâavoir acceptĂ©e. Alors quâil attendait un garçon, il vit arriver une grande prĂ©maturĂ©e, rose comme un cochon, et couverte de poils bruns. NĂ©anmoins entre nous, ce fut fusionnel mon pĂšre a pas- sĂ© la premiĂšre annĂ©e de mon existence Ă veiller sur mon sommeil, maman le retrouvait parfois endormi sur le sol Ă cĂŽtĂ© de mon berceau. Ensuite il a surveillĂ© mes devoirs, puis scrutĂ© mes frĂ©quentations jus- quâĂ ce que je rĂ©ussisse Ă mâenfuir Ă Harvard. Au cours de lâĂ©tĂ©, un homme avait secrĂštement pansĂ© mes blessures, jâavais besoin de par- tir loin, de mâaffranchir, de mĂ»rir. Câest pourquoi jâai crisĂ© lorsque Papa sâest fait durablement muter Ă Wall Street ! New York-Boston, une heure de vol ! Lâimaginant dĂ©jĂ tous les soirs devant la grille du campus, je lâai trĂšs mal pris ! Je lui ai balancĂ© des horreurs Ă la figure. Nous sommes restĂ©s fĂąchĂ©s deux ans, au point de ne pas nous parler. Quand Maman traversait lâAtlantique pour me cĂąliner, papa restait Ă New York. Il lui promettait de mâappeler, je lui jurai de le faire. Mais Ă©duquĂ©e Ă ĂȘtre la plus forte, jâai attendu son appel qui finit par arriver trois jours avant mon vingtiĂšme anniversaire. JâĂ©tais folle de joie, mais je nâai rien laissĂ© paraĂźtre. Pour quelles raisons ? Jâavais lu la dĂ©ception dans ses yeux quand je lui ai lancĂ© entre autres quâil me faisait chier je ne savais pas comment mâexcuser. ImmĂ©diatement aprĂšs, jâai eu envie de le pren- dre dans mes bras, mais jâai eu peur quâil me repousse, car contraire- ment Ă ce que vous pourriez penser, je suis infiniment respectueuse. Dâailleurs jusquâĂ trĂšs rĂ©cemment, mon naturel enjouĂ© faisait lâunani- mitĂ©. Sans me vanter, on me trouve charmante contrairement Ă Paul Bouviers, je suis sociable. Je ne rĂ©serve pas exclusivement mon re- gard, et mes mots Ă ceux que jâaime. Mais Ă©levĂ©e comme un petit 41 SORTIES NATIONALES mec, je suis de surcroĂźt le produit dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration. Ne faites pas attention Ă ce que lâon dit quel que soit notre milieu social, que lâon soit une fille ou un garçon quand quelque chose nous em- merde, on nâhĂ©site pas Ă dire que ça nous casse les couilles ! Suis-je allĂ©e jusque-lĂ avec mon pĂšre ? Oui, malheureusement ! Je me suis exprimĂ©e comme ça en juin 1998. Pourtant jâĂ©tais prĂ©venue maman mâavait recommandĂ© de me prĂ©occuper du monde qui mâen- toure. Quand le malheur frappe, on dĂ©plore avoir blessĂ©, ignorĂ©, ou- bliĂ©. Pour ma dĂ©fense, je ne connaissais pas lâenfance de Paul Bou- viers je croyais quâil refusait de voir sa fille sâenvoler. Or pour moi, câĂ©tait vital malgrĂ© les interventions de maman, et les recommanda- tions de Maria, la concierge de notre immeuble, il Ă©tait tellement om- niprĂ©sent. De la maternelle jusquâau bac, il nây eut pas une soirĂ©e sans quâil ne contrĂŽle mes connaissances. Mozart et Tiger Woods, cela vous dit-il quelque chose ? Comme eux, jâai Ă©tĂ© formĂ©e pour performer plus vite, plus haut, plus fort. Entre les cours particuliers et les devoirs de vacances, jâai appris Ă viser plus loin, Ă rĂȘver plus grand, Ă ne jamais relĂącher la pression. Pour moi, Ken nâa jamais Ă©tĂ© le fiancĂ© de Barbie, mais un mot bien utile au Scrabble. Pour ne pas le dĂ©cevoir, vingt fois sur le mĂ©tier je remettais mon ouvrage je de- vais mĂ©riter dâĂȘtre une Bouviers ! ArrĂȘtez de sourire ! Serait-ce la premiĂšre fois que vous rencontrez une fille dingue de son pĂšre parce quâil est le seul homme Ă nâavoir jamais cessĂ© de la regarder ? Pour plaire Ă celui-ci, jâai engrangĂ© les points, collectionnĂ© les bons points, dĂ©multipliĂ© les mentions. Vous imaginez comment jâai pu rĂ©agir trois jours aprĂšs ne pas avoir cĂ©lĂ©brĂ© mon anniversaire quand on mâa dit que jâavais Ă©tĂ© Ă deux doigts de rĂ©ussir. Quelle ex- pression cynique ! Elle ne veut rien dire ! Deux doigts, câest ce qui sĂ©pare le second du premier, le romancier de lâĂ©crivain, le musicien du concertiste. Ce nâest pas une formule, câest une excuse, un regret, un remords ! Et en ces domaines, croyez bien que jâen ai Ă revendre plus que tout autre, car pour me punir on mâa portĂ©e disparue. Je suis morte Ă Boston. Ă moins que ce ne soit Ă New York, ou Ă Washing- ton Je sais simplement que mes rĂȘves se sont envolĂ©s la malĂ©- diction des Bouviers mâa rattrapĂ©e. Que voulez-vous dans notre fa- mille, notre inaptitude au bonheur est malheureusement sĂ©culaire, congĂ©nitale et hĂ©rĂ©ditaire ! 42 SORTIES NATIONALES Veuillez mâexcuser, mais les Ă©toiles pĂąlissent Ă ma fenĂȘtre. Le jour se lĂšve, on va venir me chercher. Je me marie aujourdâhui mal- grĂ© ce qui est arrivĂ©, je ne voulais pas finir vieille fille. On va me pas- ser la bague au doigt et la corde au cou. Sans doute le mĂ©ritĂ©-je ! Je suis toxique la mort rĂŽde autour de moi. Si je vous effraie, ne regar- dez pas la page de droite ! Refermez ce livre avant quâil ne soit trop tard jâai un don particulier pour entraĂźner les autres dans des his- toires de dingues ! Ce nâest pas le journal de Bridget Jones, la complainte dâune femme de quarante ans que son mari a larguĂ©e pour partir avec une jeunette, ou les avatars savoureux dâune Ă©ditrice qui nâaimait pas lire. Peu importe la maniĂšre dont je me fringue, car le diable ne sâhabille pas forcĂ©ment en Prada ma descente aux enfers est Ă©difiante, et elle dĂ©bute le 11 septembre 2001 alors que le soleil se lĂšve sur le Massa- chusetts. 43 SORTIES NATIONALES RENCONTRE Rubis, votre personnage central de La FiancĂ©e du 11 sep- tembre » ne laisse pas indiffĂ©rente. Elle nâa pas sa langue dans sa poche. Brisant le quatriĂšme mur, elle prend le lecteur Ă tĂ©- moin. On lâadore ou on la dĂ©teste. Pourquoi avoir crĂ©e une hĂ©- roĂŻne avec un caractĂšre aussi affirmĂ© ? â Je suis auteur de thriller social, câest-Ă -dire des rĂ©cits dont lâintrigue gĂ©nĂ©rale permet dâĂ©voquer des sujets clivants. Pour aborder des sujets sociĂ©taux essentiels tels que le statut de la femme dans le monde, le respect de toute diffĂ©rence, la pĂ©do- philie, le fanatisme de tout bord, jâavais besoin dâun person- nage qui sâinsurge contre lâinjustice. Rubis a vingt ans. Elle em- ploie les mots dâune gĂ©nĂ©ration qui sâĂ©lĂšve avec une dĂ©termi- nation gĂ©nĂ©reuse contre toute forme de discrimination. Rubis choque, car elle ne recule devant rien. Mais, on lâenvie parce quâelle ose. Elle ose sâĂ©lever contre lâiniquité⊠Elle ose aimer un homme qui a lâĂąge dâĂȘtre son pĂšre⊠Elle ose sâexprimer sans frein⊠mais cela ne lâempĂȘche pas dâĂȘtre sensible, atten- tionnĂ©e et empathique⊠Rubis est la part dâombre que nous avons en nous et que nous nous interdisons de laisser filtrer. Vous nâavez jamais eu envie de dire merde Ă un chef, un voisin ou Ă mĂȘme à ⊠un conjoint ? Vous nâavez jamais poussĂ© un coup de gueule contre lâavanie, le mensonge et lâhypocrisie ? Pour crĂ©er Rubis, votre entourage vous a-t-il inspirĂ© ? â Oui ! Rubis a le caractĂšre de ma fille ! Je ne mâen cache pas et je suis fier de sa libertĂ© de ton qui lui permet dâavancer avec audace dans la vie sans quâon lâemmerde ! Sâexprimer avec conviction ne lâempĂȘche pas dâĂȘtre une jolie personne et une jeune femme magnifique formidablement aimĂ©e par son com- pagnon. Dans La FiancĂ©e », il y a Ă©galement Sarah qui est le pendant raisonnable de Rubis. Pour donner de la consistance Ă ce personnage, je me suis inspirĂ© dâune amie de ma fille qui appartient Ă une communautĂ© religieuse martyrisĂ©e depuis deux millĂ©naires et dont lâhumour est la politesse du dĂ©ses- poir, selon les mots de Chris Maker. Pourquoi le 11 septembre ? â Deux Ă©vĂšnements retransmis en direct Ă la tĂ©lĂ©vision mâont marquĂ©. La premiĂšre fois, câĂ©tait le 20 juillet 1969 quand Ă dix ans, jâai vu un homme marcher sur la Lune. Ce jour-lĂ , je me suis dit quâil ne pouvait plus rien nous arriver de fĂącheux. La 44 SORTIES NATIONALES seconde fois, câĂ©tait le 11 septembre 2001⊠jâai immĂ©diate- ment compris que câĂ©tait foutu ! Ceux qui sont en Ăąge de se souvenir savent ce quâils faisaient ce jour-lĂ ! Je nâai pas oubliĂ© et jây pense frĂ©quemment Pourquoi cet Ă©vĂšnement vous a-t-il autant marquĂ© ? â Au-delĂ du nombre de victimes, câest la mĂ©thode employĂ©e qui mâa profondĂ©ment choquĂ©. Je nâai pas connu la Shoah et la mise en Ćuvre industrielle de la destruction dâun peuple. Certes, je nâignore rien du martyre des ChrĂ©tiens, de la Saint BarthĂ©lemy, des pogroms, des stalags, des gĂ©nocides perpĂ©- trĂ©s par Pol Pot, par les Hutus et par le Tutsis. Mais, je nâai ja- mais compris comment lâHomme avait pu ĂȘtre aussi cruel en- vers son prochain entre 1934 et 1945. En 2001, devant la lo- gistique dĂ©ployĂ©e par Ben Laden, jâai compris que lâacte de pouvoir terrifier nâimporte qui venait de naĂźtre. Alors, jâai voulu dĂ©noncer les 11 septembre » que subissent les femmes, vic- times de violences conjugales⊠des enfants subissant des exactions⊠et plus gĂ©nĂ©ralement de toutes celles et ceux qui ne peuvent vivre sereinement la façon dont ils entendent me- ner leur vie. Quel message entendez-vous faire passer ? â Je ne suis pas un philosophe⊠et encore un donneur de le- çon... Je ne suis quâun petit romancier dĂ©butant. NĂ©anmoins, Ă©crire me permet de mâĂ©lever contre le fanatisme, contre toute forme de violence envers autrui ou encore contre lâhomopho- bie⊠Cela Ă©tant, ĂȘtre publiĂ© mâoffre la chance de mâexprimer en tant que citoyen du monde. Les critiques littĂ©raires soulignent votre aptitude Ă captiver et user de lâhumour. Comment peut-on faire rire avec les at- tentats du 11 septembre ? â Je ne moque pas du drame vĂ©cu par 2 977 personnes et par leurs proches⊠Bien au contraire⊠De mĂȘme, jâai mis en scĂšne un jeune homme de confession musulmane pour lutter contre toute stigmatisation. En revanche, jâutilise lâhumour et les destins croisĂ©s des unes et des autres pour aborder des sujets sĂ©rieux et mĂ©moriels. La rencontre entre Rubis et un couple de rĂ©sistants Ă lâoppression nazie a Ă©tĂ© lâoccasion de rappeler aux jeunes gĂ©nĂ©rations une pĂ©riode dramatique de notre Histoire. Cela Ă©tant, si je suis content de savoir que mon rĂ©cit a diverti, je suis encore plus heureux dâavoir appris que les lectrices et les lecteurs ont apprĂ©ciĂ© lâapproche dâIGB basĂ©e sur la volontĂ© de divertir, dâĂ©mouvoir et de sensibiliser. Les avis Babelio mentionnent que votre rĂ©cit est addictif. Ceci est dĂ» Ă la capacitĂ© de Rubis de se venger par tĂ©lĂ©pathie de ceux qui lui portent ombrage. Aimeriez-vous avoir ce don ? â Pas vous ? Soyez sincĂšre⊠Avant une interro de math, vous nâavez jamais espĂ©rĂ© que votre prof tombe subitement ma- lade ? Le dimanche matin quand votre voisin vous rĂ©veille avec sa perceuse, vous nâavez jamais rĂȘvĂ© quâil sâĂ©lectrocute ? 45 46 SORTIES NATIONALES 23 SEPTEMBRE SĂ©duisante Bretonne au caractĂšre affirmĂ©, SolĂšne Melchior, Ă©levĂ©e au grade de capitaine, mĂšne une carriĂšre remarquĂ©e au 36. Alors que lâorage gronde sur Paris, Vulpescu, un tueur en sĂ©rie quâelle vient dâinterpeller, sâĂ©chappe dâun hĂŽpital psychiatrique en promettant de se venger. Sa hiĂ©rarchie lui refu- sant le droit de traquer le fugitif, SolĂšne enquĂȘte sur lâagression dâAxel Saint- Ambroix, un cĂ©lĂšbre violoniste. ConfrontĂ©e Ă de sordides histoires de cette famille lui rappelant son terrible passĂ©, ses recherches la mĂšnent malgrĂ© elle sur la piste de Vulpescu. Que dĂ©couvrira-t-elle au pĂ©ril de sa vie quand le concertiste lui interprĂ©tera lâair de LâAdieu » en guise de premier opus dâune sĂ©rie dâenquĂȘtes palpitantes ? Quelle pĂ©pite ! Je suis conquise ! Un excellent roman policier ! Claudine. Chroniqueuse littĂ©raire. Lyon Format 140 x 230mm 416 pages Prix public 19,90⏠pass MAG NoĂ«l 2021 47 SORTIES NATIONALES 1er CHAPITRE 1 Avant lâorage SolĂšne le sait, ça risque dâĂȘtre mal interprĂ©tĂ©. Elle nâa pas souhaitĂ© aller Ă lâĂ©glise, entendre le prĂȘtre se lamenter du monde dans lequel nous vivons, oubliant que depuis toujours lâhomme est un loup pour lâhomme. Passant Ă©galement sous silence que selon Sa bible, Adam et Ăve avaient mis au monde deux garçons, et que lâun dâeux Ă©tait le premier assas- sin et lâautre la premiĂšre victime. Non, elle nâa pas voulu Ă©couter tous ces orateurs, amis et collĂšgues se succĂ©der der- riĂšre le lutrin, jurer, main sur le cĆur, que Mathurin Mel- chior Ă©tait lâhomme le plus admirable que la terre nâait ja- mais portĂ©. Omettant, eux aussi, de prĂ©ciser quâil Ă©tait capable de se montrer injuste et mesquin et souvent blessant. Et ça, pour en avoir souvent fait les frais, SolĂšne lui en garde une certaine rancune que mĂȘme sa mort ne peut absoudre. Mathurin nâĂ©tait pas un mauvais homme, mais il pouvait se faire bien des ennemis. Il le revendiquait sans complexe. Pourtant, son oncle nâest pas mort sous les balles ni les coups dâun de ses adversaires, comme elle en voit trop souvent dans son mĂ©- tier. Alors quâil traversait la rue, Mathurin a simplement Ă©tĂ© victime dâun chauffard, ivre, ayant eu la mauvaise idĂ©e de vouloir prendre la fuite. Celui que tout le monde qualifie dĂ©- jĂ dâassassin nâa dĂ» son salut quâĂ lâintervention des gen- darmes lâayant sauvĂ© de la vindicte populaire. Alors non, SolĂšne nâa pas voulu entendre tout ça. Un seul enterrement aurait pu lui permettre de faire son deuil. Celui de ses pa- rents, les vrais, et de Titouan, son jeune frĂšre, tuĂ©s froide- ment sous ses yeux. Mais pour eux, il nây aura jamais de sĂ©- pulture oĂč elle pourrait se recueillir. Depuis, lâimage de leur 48 SORTIES NATIONALES joie de vivre ensemble et le son de leurs voix sâestompent doucement. Seuls lâatroce vision de leur mort et le visage de leur assassin restent profondĂ©ment ancrĂ©s en elle, et hantent bien trop souvent ses nuits. Le plus terrible, câest que pour sa propre sĂ©curitĂ©, elle nâa jamais pu Ă©voquer cela, avec qui- conque. Seuls ses parents adoptifs et sa cousine ChloĂ© ont Ă©tĂ© informĂ©s de cette folle histoire. SolĂšne doit nĂ©anmoins reconnaĂźtre que Mathurin est lâhomme qui lâa recueillie, alors quâĂ douze ans, elle aurait pu se retrouver Ă la DDASS, puis probablement dans une famille dâaccueil. Alors, il lui faut bien lâadmettre, rien que pour ça, cet homme mĂ©ritait un minimum de reconnaissance de sa part. Pourtant, et elle nâen est pas trĂšs fiĂšre, SolĂšne sâest dĂ©brouillĂ©e pour arriver en re- tard Ă la gare de Saint-Brieuc1. Une demi-heure plus tard, un taxi lâa dĂ©posĂ©e alors que la foule recueillie et compatissante sortait de lâĂ©glise de Yffi- niac. Comme elle sây attendait, sa tante Louison, Ă©plorĂ©e, soutenue par sa fille, fond en larmes en la voyant approcher. â Tu es venue quand mĂȘme. Je nây croyais plus ! SolĂšne fait semblant de ne pas relever la perfidie Ă peine dissimulĂ©e de la remarque. â DĂ©solĂ©e, le train a pris deux heures de retard, Ă cause dâun incident sur la ligne. â Le principal, câest quâelle soit lĂ , non ? intervient sĂš- chement sa cousine. Frisant de trĂšs prĂšs la quarantaine, ChloĂ©, contrairement Ă ses parents, a toujours Ă©tĂ© de nature franche et plutĂŽt joviale. Bien que brutale, la mort de son pĂšre ne semble pas lâaffecter particuliĂšrement. Elle est habituĂ©e aux sempiternelles jĂ©rĂ©- miades de sa mĂšre et sâest rarement privĂ©e de lui faire com- prendre que cela la saoulait. Mais ChloĂ© le sait, ce nâest pas le jour ni le lieu dâĂ©taler ses Ă©tats dâĂąme. Quant Ă SolĂšne, si elle est reconnaissante envers son oncle et sa tante, elle nâa jamais senti la moindre preuve dâaffec- tion dans cette famille. Et on ne sâembarrassait mĂȘme pas de faire semblant. Au moins, cela lui a Ă©pargnĂ© des relents lar- moyants sur la disparition de ses parents Vincent et Ălise. 49 SORTIES NATIONALES Leur discrĂ©tion Ă ce sujet, au moins celui-ci, a toujours Ă©tĂ© exemplaire. Câest tout juste sâils ont dĂ©jĂ prononcĂ© le prĂ©- nom de Titouan. Il faut aussi leur concĂ©der quâils nâavaient guĂšre eu lâoccasion de les voir depuis leur dĂ©part en voilier. PĂ©riple quâils estimaient stupide et dangereux. Le drame qui sâensuivit Ă©tait forcĂ©ment la preuve que Mathurin et Louison avaient raison. Le juge des affaires familiales leur ayant con- seillĂ© lâadoption plĂ©niĂšre de leur niĂšce, SolĂšne adopta leur patronyme ; Melchior. Ce nom lui sembla si prometteur, quâelle sây rĂ©fugia et finit par lâintĂ©grer pleinement. MĂȘme sâil lui est impossible dâoublier lâautre, le vrai. Autour des trois femmes, le recueillement se fait un peu moins discret. Certains se congratulent, dĂ©solĂ©s nĂ©anmoins de se retrouver dans de telles circonstances. Quelques-uns lorgnent avec envie en direction du bar lâAngĂ©lus oĂč ils pourraient poursuivre leur conversation. AprĂšs tout, ce Ma- thurin Melchior, ce nâĂ©tait quâun cousin Ă©loignĂ© et ils nâĂ©taient pas en si bons termes que cela pour quâils fassent lâeffort dâaller jusquâau cimetiĂšre de Saint-Ilan. Quelques- uns sont venus Ă pied jusquâĂ lâĂ©glise et, faire trois kilo- mĂštres par cette chaleur, ne leur semble guĂšre envisageable. SolĂšne aide sa tante Ă sâinstaller sur les siĂšges Ă lâarriĂšre du corbillard avec ChloĂ©. Celle-ci lui tend un trousseau de clĂ©s et lui dĂ©signe sa voiture. â Câest la Clio bleue de lâagence. Tu peux nous suivre, sâil te plaĂźt ? Aussi discrĂštement que possible, SolĂšne sâinsĂšre dans le convoi funĂ©raire longeant la grĂšve jusquâĂ un cimetiĂšre isolĂ© en pleine nature. Les feuilles des marronniers jaunies et flĂ©- tries font elles aussi une tĂȘte dâenterrement. Toute la nature environnante semble souffrir de cette chaleur hors normes, pour la rĂ©gion. Finalement, il nây a guĂšre plus dâune quin- zaine de personnes Ă avoir fait le dĂ©placement. PressĂ© dâen finir et de regagner la relative fraĂźcheur de son Ă©glise, le prĂȘtre se fend nĂ©anmoins dâune courte bĂ©nĂ©diction devant la biĂšre croulant sous des couronnes et des gerbes de fleurs sa- crifiĂ©es pour lâoccasion. AprĂšs la descente au tombeau, sous 50
Apaiseton coeur et fleuris ton Ăąmeđ„ Il t'est sĂ»rement dĂ©jĂ arrivĂ© de te rĂ©veiller un matin avec cette sensation de vide profond. Ne ressentir Apaise ton coeur et fleuris ton Ăąmeđ„ Il t'est sĂ»rement dĂ©jĂ arrivĂ© de te rĂ©veiller un matin avec cette sensation de vide profond. Ne ressentir Liked by ïžAliou ka. Experience Assistant administratif AFI-L'UniversitĂ© de l
Que dire de ce samedi sinon qu'il faut un des meilleurs jours de ces derniĂšres annĂ©es ^______^, signe de clĂ©mence des Hautes SphĂšres, il commenca par un ch'tit dĂ©jeuner bien trop court ç_ç avec 4 personnes dont je suis aussi "fan" que les Corrs ;- Ensuite retour au Bercail pour prĂ©paration des munitions... Cette fois pas de droit Ă l'erreur comme mes deux campagnes prĂ©cĂ©dentes en 99 et 2000. Tout d'abord les vivres lĂ©gĂšres avec une Ă©norme bouteille d'eau car communier avec 10 000 personnes ça augmentent rudement la tempĂ©rature ^^;;, prĂ©paration des ticjkets et vĂ©rification histoire de ne pas avoir pris ceux de Bercy ^^;;; puis rĂ©visions pour le p'tit novice qui m'accompagnait Ă sa demande m'enfin c'Ă©tait 'achement utile parce que mes feuilles tu Ă©tais prĂȘt Ă les balancer dans le caniveau^^ et prĂ©paration du matĂ©riel technique appareil photo, et magnĂ©to et K7 audio vi je suis pas encore Ă la pointe de la technologie^^; sans compter la veste multi-poches pour passer tout ça sous le manteau littĂ©ralement!^^. Ensuite direction le cafĂ© de la musique pour se rĂ©unir avec deux autres complices, 15min puis 30 passent ce qui nous laisse le temps Ă Albi et moi d'apprendre par coeur la carte et ses prix exhorbitant car mĂȘme un Coca Cola crux 2004 valait 5âŹ, rahlala si mĂȘme prĂšs du pĂ©riphĂ©rique on se met Ă pratiquer les prix de St Germain oĂč allons nous?^^; Au bout d'une heure et afin d'Ă©viter l'expulsion de la part du patron on commande, le temps pour moi de reconnaĂźtre vaguement les pontifs du forum francophones des Corrs mais j'ai prĂ©fĂ©rĂ© ne pas les aborder de peur d'alpaguer un inconnu en lui disdant "ah c'est toi la fameuse Jessica 2001 ?" ^^; Au bout d'une heure, tout le petit groupe est au complet, aprĂšs une rapide sĂ©ance de papotage il est dĂ©jĂ 18h40 le temps de lever le camp! direction le Zenuith Ă une bonne quinzaine de minutes parce qu'on rigolait tout le temps ^___^ Arriver lĂ moment de confusion devant la longueur de la queue et aussi d'angoisse parce que je crains d'une part de me faire bousculer au moment oĂč les portes seront ouverte et oĂčles fauves de la fosse s'Ă©lanceront dans la fosse!^^ Heureusement, il y a une p'tite file inusitĂ©e tenu par un gentil m'sieur qui nous fera gagnĂ© beaucoup de temps mĂȘme si cela nous privera de la vue des oeuvres d'art des dits forumiens francophones graffitis sur les barriĂšres et dĂ©clarations d'amour sur les arbres^^ qui pour l'occasion avant tendu la main Ă un second forum pour concocter une feuille de route dĂ©moniaque qui m'avait Ă©normĂ©ment laissĂ©e perplexe puisque l'objectif Ă atteindre "dĂ©passer le 4 novembre 2000" me paraissait impossible debout sur tout le concert dĂ©jĂ !. AprĂšs qques minutes de discussions, il nous fait rentrĂ© en me fouillant plus que modestement et ce n'est plus tard que je rĂ©aliserai ma chance puisque la plupart des habitants de la fosse sauf un p'tit malin qui maquillera son appareil photo en sandwhich seront victimes de fouilles approfondies et sĂ©vĂšres confiscations. Premier pb, nos quatre tickets ne sont pas Ă cĂŽte comme l'a dit Albi et il plus qu'improbable que nous dĂ©logions un couple dans le premier rang...mais pendant une bonne heure l'espoir est permis puisque le ZĂ©nith se remplit trÚÚÚÚÚs lentement! Finalement Olivia insistera pour qu'on prenne le premier rang puisqu'elle a l'attention Ă la premiĂšre chanson qui bouge de se dĂ©foncer dans la fosse, so be it! et thanks a million par la mĂȘme! A notre grande surprise au bout d'une demi-heure Ă peine la premiĂšre partie commence. C'est une RenĂ©e Olstead, protĂ©gĂ©e de David Foster premier producteur et dĂ©couvreur des Corrs qui l'anime. Tendance Jazz/Blues entre Mariah Carrey pour la voix et Norah Jones pour le style et tout ça Ă 15 ans. Avec David Gray responsable de celle de 2000! une des meilleures premiĂšres parties! Rien Ă voir avec le supplice que fut Dublin quinze jours auparavant oĂč la fille de Ronny Wood ouep ben le talent des Rollings Stones n'est pas hĂ©rĂ©ditaire! Leah a suppliciĂ© les oreilles du public avec ses miaulements digne d'un chat et pourtant I'm a cat lover.... Les rangs de devant se dĂ©gourdissent les mains et n'hĂ©sitent pas Ă applaudir ce qui est rare - Puis Ă l'impatience gĂ©nĂ©rale les lumiĂšre se rallume et comment le mystĂ©rieux ballet des techniciens des Corrs mettant en place leurs instruments, les essayeurs de batteries donne le coup d'envoi des festivitĂ©s dans le premier rang qui lance coup sur coup des olas. Si le mouvement met du temps Ă se rĂ©pandre dans les rangs de la fosse limitrophes des gradants, au bout de qques essais mission rĂ©ussie! et comme l'a dit Albi, lorsque la Ola montait dans les gradins, c'Ă©tait vachement sympa on se faisait applaudir Ă tout rompre par la fosse!^^ Changement d'exercice ensuite, sĂ©ance d'applaudissements des pieds et des mains de la part du public puis entonnage de chang de guerre "Corrs, Corrs" ou "Andrea, Andrea!" -remarque aprĂšs on se plaint qu'elle est la grosse tĂȘte!^^... Un timide lachĂ© de ballons au couleurs irlandaises se fait tandis que qques drapeaux font leurs apparitions, les barriĂšres se couvrent je l'apprendrai plus tard de trois drapeaux oĂč sont inscrites les lettres du prĂ©noms "Sharon". PremiĂšre fausse alerte qui met la salle en furie, la musique d'ambiance s'arrĂšte d'ailleurs elle Ă©tait trĂšs bien juste ce que j'aime de la musique triste quand vous ĂȘtes triste^^;... Sifflets, "Oooo, oooO, ooooO", olas, clappement de mains, dĂ©but de chantage de Runaway les fans voulaient montrer aux Corrs qu'ils ne pourraient pas chanter Runaway!^^... Ma gorge se noue... Puis extinction des lumiĂšres, hurlements de joie, les pieds vibrent et les premiĂšres mesures de Baby Be Brave rĂ©sonnent, la foule accompagne en synchrone des mains, les hurlements et le crĂ©pitements des flashs indiquent que le groupe s'est mis en place... Le bruit venant du public est tellement assourdissant que je n'entends mĂȘme pas les premiĂšres secondes de cette bande enregistrĂ©e qui nous plonge dans que les Corrs peuvent faire de plus menaçant et d'aquatique genre ambiance Ă la FNF crĂ©pusculaire rhytmĂ©e par les coups de batterie de Jason Duffy seule partie live. Contrairement Ă Dublin, Sharon ne jouera pas une partie au violon... La foule est tellement folle qu'Andrea nous lancera dĂ©s son entrĂ©e un retentissant "bonjour Pariiiis" qui achevera de faire exploser la fosse...Puis profitant de la confusion, Baby Be Brave se transforme brusquement en Humdrum... Comme Ă Dublin choc car j'adore Baby Be Brave et Ă chaque fois ça m'agace qu'ils ne la chantent pas mais pour en revenir Ă Humdrum chanson mĂ©chante façon INLYA la foule se met dĂ©s le dĂ©but Ă battre la cadence et dĂ©s le premier solo de violon, Sharon se fait acclamer....!^__^ et que la foule et se mains l'accompagnent... Andrea dĂ©jĂ bien haut dans le ciel sautille de partout et s'amuse Ă nous percer les oreilles de sa flĂ»te - en guise de conclusion!Puis sans transition c'est Only When I sleep saluĂ©e par une immense clameure de la foule qui a Ă©lĂ©vĂ© cette chanson au rang de classique... L'occasion de vĂ©rifier aprĂšs Humdrum qu'Andrea par rapport Ă 2000 a profondĂ©ment travaillĂ© sa voix et monte maintenant sans pb dans les aigus alors qu'avant nous avions le droit Ă une accumulation de fausses notes ^^;;;;;; It's only when I sleeeeeeeeeeep!!!!!! PortĂ©e par le public Sharon n'aura jamais jouĂ© aussi bien ses solos... Moment de flottement avec une intro complĂštement remaniĂ©e de Dreams qui ne la rend reconnaissable qu'au violon et entraine les "Aaaaah" de la foule! Durant les solos les gradins commencent Ă imiter la fosse en tapant des mains et pieds mais ce n'est pas suffisant pour que je me lĂšve sans dĂ©clencher les foudres de mes voisins -________- mais bon m'en fiche je chante par coeur depuis le dĂ©but - et puisque le vigil est parti je dĂ©gaine mon appareil de paparazzi !^^ mais au risque de contredire Same les mienes sont toutes flous j'en ai piquĂ© deux significatives des surdouĂ©es de la fosse!^^;;;; Puis p'tit speech de la miss en français tout mignon teintĂ© d'accent irlandais ce qui entraine Ă nouveau une erruption "ooooO,oooO" de la foule forçant Andrea Ă se taire, la pauvre nous ayant demandĂ© comment on allait alors nous on rĂ©pond "bieeeeeeen!". Elle ne nous a pas oubliĂ© et nous dit qu'elle est aux anges de retrouver le ZĂ©nith mais maintenant elle doit continuer en anglais... p tout d'un coup la foule la coupe et tout le public lui lance "Merci Andrea, Merci Andrea!" celle ci nous stoppe et nous dit "Non c'est moi, MERCIIII!" trop sympa et mignon puis elle nous souhaite d'avoir du bon temps dans le texte^^...^______^ What can I do le public applaudit une autre de ses favorites et la miss repart dans ses sauts de cabri de plus belle allant harcelĂ© Jim qui fait semblant d'ĂȘtre trÚÚÚs concentrĂ© sur sa gratte^^;; Pour nous amuser la chanson est rĂ©guliĂšrement interrompue le temps pour Andrea de nous dĂ©signer de la main dans les refrains que le public reprend, particuliĂšrement sur les "love me, love me " de la fin -... ApothĂ©ose finale avec une nouvelle orchestration et solo de deux minute de guittare Ă©lectronique par Anto Drennan ^^ et Andrea Ă genoux sur la scĂšne tandis que les rangs de la fosse dansent. Forgiven Not Forgotten immense acclamation lĂ aussi ce morseau est considĂ©rĂ© par les puristes comme Ă©tant la dĂ©claration du dogme corrsien mĂ©lange pop/celtique mĂȘme si le morceau est amputĂ©e de son intro Erin Shore. Le morceau gagne en ardeur avec le rĂŽle d'appoint de Caro au Boadran que sa grossesse a chassĂ© de son rĂŽle de batteuse... Force est de constater qu'Andrea s'est Ă©galement amĂ©liorĂ©e Ă la flĂ»te et ne fait mĂȘme plus de fausses notes en cascade...Roooh, j'suis déçue! ç______ç. De timides avant guardistes se crament les mains avec leurs briquets^^ Et pour changer des cris Ă la gloire de "Sharon" fusent ^^ Puis sur les ailes d'Angel les gradins se lachent enfin, on se lĂšve timidement enfin pas moi j'ai dĂ©jĂ shootĂ© dans l'enregistreur deux fois puis je suis entrĂ©e dans le mode danse dont la chorĂ©graphie craint carrĂ©ment il faut le dire^__^ ^^ et on saute alors que la fosse entame une sĂ©ance de jumping et Ă©crasage de pieds Ă en faire palir Skippy le gentil kangourou des plaines australiennes ^________^signe du statut particulier de cette chanson tirĂ©e de leur dernier album et qui renoue avec les tendances celtico-rock du groupe obtient une ovation digne des classiques.... Andrea dĂ©chainĂ©e enchaine les sauts et les moments Ă capella et reverse dans le "yeaaaaaaah" jubilatoire et creveur d timpans!^^ Puis le moment clĂ© du concert vient sans que l'on n'y prenne garde annoncĂ©e par une ligne trĂšs calme de piano inconnu, le violon dĂ©chire l'air et c'est Runaway, la foule pousse un long gemissement, Andrea commence Ă chanter puis s'arrĂšte dĂ©s la seconde phrase se rendant compte que l'on connait les paroles par coeur et nous laisse sa chanson, Ă©mue elle enlĂšve l'oreillette et reste immobile et gentillement nous rĂ©pond Ă "I'm not alone, tell me you feel it too" I do tandis que Sharon et Caro Ă©changent des regards incrĂ©dules ce qui restera pour moi un des plus beaux moments de ce concert oĂč la communion entre un artiste et son public est omniprĂ©sente...Puis non sans fiertĂ© j'vois qu'on est devenu bon nous aussi on tient parfaitement comme des pros les "Yeaaah, yeaah"... battement de deux minutes des pieds Ă la fin de la chanson - mais que de frissons.....^_________^ Pour nous calmer, Sharon vient sur le devant de la scĂšne et commence Ă nous interprĂ©ter Lunasa aĂŽut en gaĂ©lique languissante, triste et douce instrumentale comme autant de jours de pluie oĂč le soleil n'est jamais loin... Caro descend avec son boadran Ă la main... puis pour nous sortir de la torpeur Sharon change soudainement de rhytme et entame Joy of life lĂ pas moyen je vois Olivia et je me mets debout, tant pis pour les voisins!^__^ mais le feu est parti et tous le gradins sont debout alors j'commence ma p'tite chorĂ©graphie qui laisserra mes pieds 3 min en apesanteur ! Pour descendre de ce p'tit bout de paradis, Caro descend de son piedestal avce une trĂšs grosse caisse africaine et bat les premieres mesures de Borrowed Heaven tandis qu'Andrea renonce Ă faire son discours habittuel en nous expliquant qu'on a trĂšs bien dĂ©codĂ© tout seul comme des grands "seizing the moment" carpe diem. Et pour nous remercier, Andrea qui enlevera ses chaussures argentĂ©es Ă talons car pour sauter that's all but practical!^^ nous invitera pour la premiĂšre fois de la tournĂ©e faire les choeurs sur le solo de Sharon ^___________^ "coz you're singing so good"! Sharon prend alors la place d'Andrea qui nous quitte sur un "so special" et nous lance un "c'est magnifique" et essaie de nous expliquer qu'elle et Caro vont reprendre suite aux pĂ©titions lancĂ©es sur le net leur duo "No Frontiers" mais devant les salve nourrie d'applaudissement elle renobnce et se met Ă l'ouvrage et Ă la grande surprise des deux discrĂštes chanteuses, le public scande aussi bien le nom de l'une et l'autre de par le passĂ© c'Ă©tait plutĂŽt Caro qui recevait les compliments et on fait les choeurs avec elles, moment de recueillement intense sauf quand je m'entend now chantĂ©e faux dessus! L'ambiance est mise et dĂ©finitivement installĂ© et Andrea pĂšte un cable sur la reprise des Stones Ruby Tuesday, tandis que le public s'Ă©corche la voix sur le refrain et devient une troisiĂšme source de percussions!^^ Alors que les premiĂšres notes de Long Night s'Ă©chappent, je comprends avec tristesse que ce soir il n'y aura pas de pas When the Stars go blue mais j'm'console tant j'adore Long Night une de mes prĂ©fĂ©rĂ©es du nouvel album avec Baby Be Brave, calme ballade pour nous reposer, dotĂ©e d'une atmosphĂšre des plus intimistes et dramatiques que Sharon fera voler en morceau d'un coup d'archet continuer cette sĂ©quence coeur brisĂ©, les Corrs nous offre la version unplugged de Radio qui a l'effet dĂ©tonnant de me remettre debout sans que le sache mais tanpis pour les voisins!^^ et au solo de violon de Sharon je suis au bord de bon vu que la prochaine qui retentit c'est Hideway le mouchoir est rangĂ© d'office - vu que selon le plan terrible des forumiens on doit hurler comme des malades sur le refrain ce n'est pas le moment! so "don't hiiiiiiiiidewaaaaaaaaaaaaaaaaay" ce qui nous vaut un "You're the most amazing audience of the European world!" d'Andrea... ... L'humeur festive continue avec Summer Sunshine lĂ aussi comme Ă Dublin sans que je comprenne pourquoi tant je n'aime pas cette chanson ^^;;; le public des gradins se met debout et y restera et tout d'un coup on est "the heat of Summer Sunshine et on crĂšve de chaud!^^ et on saute et on saute... et pour marquer ce jour d'une pierre blanche Andrea demande Ă Jim d'enlever ses lunettes^^; ...On s'arrĂȘte plus car aprĂšs c'est So Young et on s'Ă©poumonne sur les "Yeah, yeah" et on n'a jamais autant frappĂ© dans nos mains Jim n'a mĂȘme pas besoin de nous demander^^; Andrea toujours d'excellent humeur nous provoque et nous adresse un "bright and lazy on this rainyday"-aulieu de sunny ^^,-et l'invasion de confettis commencent, les Corrs un peu inquiets nous regardent faire et comprennent que le public parisien et un peu maboul de se ballancer des sacs de confettis sur la tĂȘte^^; La fiĂšvre continue de se rĂ©pandre sur I Never Loved You anyway oĂč la foule brandit le point Ă tout va et autre bonne surprise les Corrs ont repris ce morceau pour prĂ©senter les muscisiens^^ La derniĂšre chanson bien nommĂ©e Goodbye trĂšs Coldplay dans l'inspiration mais qui est dix fois mieux en live que sur l'album et dans une jolie mise en scĂšne les Corrs et les muscisiens quittent un par un la scĂšne ^_____^ Jim se la joue en restant le dernier Ă Ă©ffleurer nonchanalement son piano ^__^ Lors du rappel, le public s'enflamme essayant de prĂ©parer le terrain pour unsecond rappel que nous obtiendrons pas malgrĂ© tout -_______- Puis la lumiĂšre se rallume et la salle est au bord de l'insurrection et mes cordes vocales de l'extinction quand les "Go on , Go on" de Breathless percent, on a du rajouter une douziane de ligne de Go on sur cette chanson... Puis la vraie heure d'adieu est venue avec la traditionnelle Toss the feathers mais la gaffe qui ne venait pas vient quand le violon de Sharon, mortifiĂ©e, et que la premiĂšre minute de la chanson se fait sas elle! Cela laisse le temps Ă qqn de balncer un sac de confettis Ă Jim pour qu'il en asperge ses soeurs ce qu'il fera sur Caro et sa grosse caisse et de surprise la p'tite en perdra une de ses baguettes^______^ Et alors que le groupe salue un publique euphorique, Andrea dĂ©rogeant Ă se habitudes nous lance "Ă bientĂŽt Ă Bercy, I can't wait!" et nous offre un salue de trois minutes... Puis brusquement la lumiĂšre se rallume et poufff casse l'ambiance complĂštement -__________- sans compter que notre ami le vigilenous pousse manu-militari vers la sortie alors qu'Albi pousse vers les coulisses j'Ă©tais PTDR sur ce coup lĂ quand mĂȘme^^; , on Ă©choue sur les stands remarquez comme la manoeuvre du vigile Ă©tait rĂ©flĂ©chie! oĂč Mathilde m'offre Ă ma grande confusion un T Shirt j'serai aussi belle que Peg Ă la prochaine rĂ©union pppp... Puis Ă©touffant on sort et comme le veut la tradition Olivia et moi on achĂšte un poster pirate, un pour chaque concert!^________^tout Ă©baudis on retrouve madame le chauffeur au cafĂ© puis des Ă©toiles plein les yeux, les oreilles tuĂ©es on rentre au bercail non sans babysitter le portable d'Olivia!^^ A la maison, je m'assois en Ă©tĂąt de choc, ils l'ont fait, on y a participĂ©, on a battu le 4 novembre, les Ă©trangers nous comparent Ă Lansdowne Road, la rĂ©fĂ©rence, le concert mythique devant 50 000 personnes ^_______^, sur le forum on s'autocongratule, on a quand mĂȘme mis le feu, hĂ©!^^ Andrea still a bit in Heaven et qui sera la seule Ă aller au bout de la lecture de ce post qui doit rendre ce concert trĂšs ennuyeux tout un coup -________- ^^;;;;;;
ĐšášŃΔՀ ДЎŃĐžÏΞá Đ·ĐžÖáĐșŃĐžŃĐŸĐŽ ÎŐ°ŐžážÖ аáĐŸŃá°Ő¶ ŃáŐžÖ ĐŃáŃОአаՏДáżáżáŽá§ÖÎż áŐ§áŽĐ”ŐłĐŸáŻŃĐč Đ ĐžáŃŃΞճа ĐŁŃá©Đ» áł ĐĐžŃОл ŃáĐžŃŃ Đźá áżĐ¶Ńá Đá ՔΞŃŃŐ§ÎŒ ŃаáĐŸŐ·Đ”ŃŐ„ĐżŃ ĐĄŃŐ§ ŃĐŸÎ»á©ĐœáŃДз йДг ÏаŃáłĐČÏ
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Citation fait un pour autre DĂ©couvrez une citation fait un pour autre - un dicton, une parole, un bon mot, un proverbe, une citation ou phrase fait un pour autre issus de livres, discours ou entretiens. Une SĂ©lection de 60 citations et proverbes sur le thĂšme fait un pour autre. 60 citations > Citation de Sophie Marceau n° 163235 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesSur le quai de la gare, oĂč elle a tenu Ă l'accompagner, tous les tĂ©moins ont vu combien il leur en coĂ»tait de se sĂ©parer. Jusqu'au moment du dĂ©part ils sont demeurĂ©s enlacĂ©s, les bras croisĂ©s Ă hauteur de la taille, n'en finissant pas de se regarder, de s'embrasser, n'Ă©changeant pas un mot, tĂ©tanisĂ©s Ă l'idĂ©e que bientĂŽt un train rĂ©gional allait les arracher brusquement l'un Ă l'autre, parvenir Ă scinder cette crĂ©ature Ă deux tĂȘtes qu'ils forment sur le quai. Les quelques passagers qui attendent avec eux ont beau faire semblant de s'intĂ©resser au trafic, de tendre l'oreille vers les haut-parleurs nasillards qui recommandent de faire attention au passage d'un train voie C ou que le train prĂ©vu Ă telle heure arrivera voie B, avec un retard de dix minutes environ, de se passionner pour les pigeons perchĂ©s sur le bord de la marquise, ou de dĂ©gager leur poignet pour vĂ©rifier que leur montre marque bien la mĂȘme heure que l'horloge suspendue entre deux cĂąbles deux lampadaires, on sent bien qu'ils se privent avec peine de la contemplation du beau couple, qu'ils ne demanderaient pas mieux que de s'installer sous leur nez et de compter Ă la trotteuse de la mĂȘme montre la durĂ©e de leur baiser, ou du moins simplement les contempler, comme s'ils Ă©taient derriĂšre une glace sans tain, se gavant en toute impunitĂ© de cet Ă©blouissement partagĂ© de deux cĆurs insatiables. Comme ça ne se fait pas [...], alors ils font comme les moineaux, toujours la tĂȘte en mouvement, pour capter des Ă©clats de Femme promise 2009 de Jean RouaudRĂ©fĂ©rences de Jean Rouaud - Biographie de Jean RouaudPlus sur cette citation >> Citation de Jean Rouaud n° 163163 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesDe fait, on ne reconnaissait plus le grenier. Si l'on considĂšre que l'ordre n'est qu'une variation algorithmique subjective du dĂ©sordre, alors on peut dire du grenier ordonnĂ© selon grand-pĂšre que c'Ă©tait la mĂȘme chose qu'avant mais dans le dĂ©sordre, c'est-Ă -dire qu'au chaos il avait substituĂ© un autre chaos, avec cette diffĂ©rence pour nous que celui-lĂ ne nous Ă©tait pas champs d'honneur 1990 de Jean RouaudRĂ©fĂ©rences de Jean Rouaud - Biographie de Jean RouaudPlus sur cette citation >> Citation de Jean Rouaud n° 163129 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesMa mĂšre nous fait photographier pour pouvoir nous voir, voir si nous grandisÂsons normalement. Elle nous regarde longuement comme d'autres mĂšres, d'autres enfants. Elle compare les photos entre elles, elle parle de la croissance de chacun. Personne ne lui rĂ©pond. Ma mĂšre ne fait photographier que ses enfants. Jamais rien d'autre. Je n'ai pas de photographie de Vinhlong, aucune, du jardin, du fleuve, des avenues droites bordĂ©es des tamariniers de la conquĂȘte française, aucune, de la maiÂson, de nos chambresL'Amant 1984 de Marguerite DurasRĂ©fĂ©rences de Marguerite Duras - Biographie de Marguerite DurasPlus sur cette citation >> Citation de Marguerite Duras n° 162691 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesEn fait, il en va de la lecture comme des hommes pour les femmes. Certains papillonnent de l'une Ă l'autre, d'autres sont fidĂšles Ă une seule. Moi je n'Ă©tais le lecteur que d'un seul roman. Bloodsilver de Wayne Barrow 2006 de Xavier MaumĂ©jeanRĂ©fĂ©rences de Xavier MaumĂ©jean - Biographie de Xavier MaumĂ©jeanPlus sur cette citation >> Citation de Xavier MaumĂ©jean n° 162420 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesQuand l'homme bouffait l'homme, je suis sĂ»r que personne n'embrassait personne. Et puis un jour les temps se sont apaisĂ©s, quelqu'un a inventĂ© l'agriculture et la vache, et le lait, l'oeuf et l'abondance et un type plus malin que les autres a dĂ» dire Ă ses copains prĂ©historiques que ce n'Ă©tait pas possible de continuer comme ça, comme des bĂȘtes, qu'il fallait trouver autre chose pour, sous les Ă©toiles, se montrer qu'on s' parfum d'herbe coupĂ©e 2013 de Nicolas DelesalleRĂ©fĂ©rences de Nicolas Delesalle - Biographie de Nicolas DelesallePlus sur cette citation >> Citation de Nicolas Delesalle n° 162081 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesJe sus que j'entrais dans un autre monde que celui que je pouvais dĂ©couvrir de la maison, et aussi que j'Ă©tais parti pour un long voyage. il ne s'agissait plus d'aller en ville, cette fois, mais beaucoup plus loin ; un voyage comme j'en avais jamais fait. Un Ă©tĂ© indien 1985 de Truman CapoteRĂ©fĂ©rences de Truman Capote - Biographie de Truman CapotePlus sur cette citation >> Citation de Truman Capote n° 161862 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesSi vous dites II fait beau temps, et que vous disiez vĂ©ritĂ©, il fait donc beau temps. VoilĂ pas une forme de parler certaine ? Encore nous trompera-t-elle. Qu'il soit ainsi, suivons l'exemple. Si vous dites Je mens, et que vous disiez vrai, vous mentez donc. L'art, la raison, la force de la conclusion de cette-ci sont pareilles Ă l'autre ; toutes fois nous voila embourbĂ©s. Je vois les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur gĂ©nĂ©rale conception en aucune maniĂšre de parler; car il leur faudrait un nouveau langage. Le notre est tout formĂ© de propositions affirmatives, qui leur sont de tout ennemies. De façon que, quand ils disent Je doute », on les tient incontinent Ă la gorge pour leur faire avouer qu'au moins ils assurent et savent cela, qu'ils doutent. [...] Cette fantaisie est plus sĂ»rement conçue par interrogation Que sais-je ? » comme je la porte Ă la devise d'une II, 12, Apologie de Raimond Sebond de Michel de MontaigneRĂ©fĂ©rences de Michel de Montaigne - Biographie de Michel de MontaignePlus sur cette citation >> Citation de Michel de Montaigne n° 161311 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 470 votesEt ce qui me fait souffrir, ce n'est pas tant la mort d'un amour que celle d'un ĂȘtre vraiment vivant que nous avions créé l'un et l'autre, que peut-ĂȘtre moi j'avais créé seule⊠Cet ĂȘtre Ă©tait une union de vous et de moi, tels que nous nous voulions l'un et l'autre. C'Ă©tait vous comme j'avais besoin que vous fussiez ; non pas un admirateur de ma personne comme vous avez prĂ©tendu, mais un homme qui m'aimait ; qui, Ă cause de cet amour, trouvait de l'intĂ©rĂȘt Ă tout ce qui venait de moi ; devant lui, je pouvais avoir tous mes dĂ©fauts et toutes mes qualitĂ©s ; je pouvais me laisser aller au dĂ©sordre⊠ce dĂ©sordre lyrique et inattendu oĂč tous les instincts se livrent en paroles et en cris pour ensuite permettre aux sĂ»res directions de l'Ăąme de retrouver la route et de continuer. Et j'imaginais qu'aucun de ces abandons ne troublait votre amour et votre de Marcelle SauvageotRĂ©fĂ©rences de Marcelle Sauvageot - Biographie de Marcelle SauvageotPlus sur cette citation >> Citation de Marcelle Sauvageot n° 161297 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesCe serait une erreur de croire que la sensibilitĂ© Ă la beautĂ© est le privilĂšge d'un petit nombre de gens cultivĂ©s. Au contraire, la beautĂ© est la seule valeur universellement reconnue. Dans le peuple, on emploie constamment le terme de beau ou des termes synonymes pour louer non seulement une ville, un pays, une contrĂ©e, mais encore les choses les plus imprĂ©vues, par exemple une machine. Le mauvais goĂ»t gĂ©nĂ©ral fait que les hommes, cultivĂ©s ou non, appliquent souvent trĂšs mal ces termes mais c'est une autre question. L'essentiel, c'est que le mot de beautĂ© parle Ă tous les prĂ©-chrĂ©tiennes 1951 de Simone WeilRĂ©fĂ©rences de Simone Weil - Biographie de Simone WeilPlus sur cette citation >> Citation de Simone Weil n° 161263 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesNotre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire tout a Ă©tĂ© fait pour nous Ă©liminer de ces catĂ©gories. Rien en nous ne doit sĂ©duire, aucune latitude n'est autorisĂ©e pour que fleurissent des dĂ©sirs secrets, nulle faveur particuliĂšre ne doit ĂȘtre extorquĂ©e par des cajoleries, ni de part ni d'autre ; l'amour ne doit trouver aucun prise. Nous sommes des utĂ©rus Ă deux pattes, un point c'est tout vases sacrĂ©s, calices ambulants. La Servante Ă©carlate 1987 de Margaret AtwoodRĂ©fĂ©rences de Margaret Atwood - Biographie de Margaret AtwoodPlus sur cette citation >> Citation de Margaret Atwood n° 161161 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesL'amour ne saurait donc naĂźtre chez l'aimĂ© que de l'Ă©preuve qu'il fait de son aliĂ©nation et de sa fuite vers l'autre. Mais, de nouveau, l'aimĂ©, s'il en est ainsi, ne se transformera en amant que s'il projette d'ĂȘtre aimĂ©, c'est-Ă -dire si ce qu'il veut conquĂ©rir n'est point un corps mais la subjectivitĂ© de l'autre en tant que telle. Le seul moyen, en effet, qu'il puisse concevoir pour rĂ©aliser cette appropriation, c'est de se faire aimer. Ainsi nous apparaĂźt-il qu'aimer est, dans son essence, le projet de se faire aimer. D'oĂč cette nouvelle contradiction et ce nouveau conflit chacun des amants est entiĂšrement captif de l'autre en tant qu'il veut se faire aimer par lui Ă l'exclusion de tout autre ; mais en mĂȘme temps, chacun exige de l'autre un amour qui ne se rĂ©duit nullement au projet d'ĂȘtre-aimĂ© ». L'Etre et le NĂ©ant 1943 de Jean-Paul SartreRĂ©fĂ©rences de Jean-Paul Sartre - Biographie de Jean-Paul SartrePlus sur cette citation >> Citation de Jean-Paul Sartre n° 159679 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 479 votesUn hĂ©ros n'est fait que pour subjuguer et dĂ©truire. Un roi ne doit s'Ă©tudier qu'Ă rendre ses sujets bons et heureux. Il faut nĂ©cessairement des ennemis Ă l'un pour se faire un nom; l'autre n'a besoin pour sa gloire que d'ĂȘtre aimĂ© de ses diverses in Oeuvres choisies de Stanislas I, Roi de Pologne de Stanislas LeszczynskiRĂ©fĂ©rences de Stanislas Leszczynski - Biographie de Stanislas LeszczynskiPlus sur cette citation >> Citation de Stanislas Leszczynski n° 158348 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesVoilĂ les hommes qui sollicitent nos suffrages et, de guerre lasse, les obtiennent. Ils nous reprĂ©sentent. Vous voyez maintenant qu'ils nous reprĂ©sentent mal, et mĂȘme qu'ils ne nous reprĂ©sentent pas du tout. Quand on les voit s'effondrer en pantalonnades ou se gonfler en plastronnades, il faut bien se dire que, pendant ce temps, nous faisons tout autre chose ; nous construisons des usines, nous inventons des vaccins, nous Ă©crivons des livres, labourons les champs, ou nous nous promenons main dans la main, sur les collines de thym et d'asphodĂšles. C'est Ă peine, si, en lisant le journal du soir, nous disons Qu'est-ce qu'ils ont encore fait, ces imbĂ©ciles ? » Jusqu'au jour, Ă©videmment, oĂč nous en aurons assez. Mais ce sera pour changer un cheval borgne contre un aveugle. Les Trois Arbres de Palzem, 1984 de Jean GionoRĂ©fĂ©rences de Jean Giono - Biographie de Jean GionoPlus sur cette citation >> Citation de Jean Giono n° 157855 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesLe jour de mon dĂ©part, nous nous sommes longuement serrĂ© la main. Ce n'est pas un de ces imbĂ©ciles qui vous broient les phalanges pour vous faire croire Ă leur franchise. Non il prĂ©fĂšre un chaud contact, paume contre paume, l'enveloppante caresse de l'amitiĂ©. On ne lui Ă©chappe pas. Sa mĂ©fiance naturelle une fois Ă©vanouie, son regard dit tout. Figurez-vous que je suis trĂšs fier de lui avoir plu, d'avoir Ă©tĂ©, du moins en certaines circonstances, Ă sa hauteur. Il m'a fait don d'un peu de son courage et auprĂšs de lui, j'ai retrouvĂ© ma qualitĂ© d'homme. Naturellement, il Ă©tait tard aux yeux des autres, aux yeux de Daniel surtout, mais je ne quĂȘte plus d'autre approbation que la Poneys sauvages 1970 de Michel DĂ©onRĂ©fĂ©rences de Michel DĂ©on - Biographie de Michel DĂ©onPlus sur cette citation >> Citation de Michel DĂ©on n° 157259 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesMon Johnny Ă moi, c'est le Johnny de Que je t'aime », pas celui de Dallas. On s'envoyait des petits mots avant sa mort. Il m'avait aussi dit un jour en plaisantant, alors qu'il avait dĂ©jĂ un grave problĂšme aux poumons, Tu me feras ma nĂ©cro, hein ? J'ai fait sa nĂ©cro. Et Ă la fin, je voulais ajouter Nous nous reverrons un jour ou l'autre. Embrasse Coluche et Gainsbourg pour moi, mais ce n'est pas sorti. J'Ă©tais anĂ©anti. Entretien Le Parisien - Propos recueillis par MichaĂ«l Zoltobroda le 04 juillet 2018 de Michel DruckerRĂ©fĂ©rences de Michel Drucker - Biographie de Michel DruckerPlus sur cette citation >> Citation de Michel Drucker n° 154121 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 466 votesSi je pouvais rester toujours jeune, je demeurerais cĂ©libataire. Je voudrais m'amuser tout le temps, et faire la coquette avec tout le monde, jusqu'Ă la veille d'ĂȘtre qualifiĂ©e de vieille fille; alors, pour Ă©chapper Ă cette ignominie, et aprĂšs avoir fait des centaines de conquĂȘtes et brisĂ© le coeur de tous sauf un, je prendrais un mari, noble, riche, indulgent et que, d'autre part, cinquante belles dames mourraient d'envie d' Grey 1847 de Anne BrontĂ«RĂ©fĂ©rences de Anne BrontĂ« - Biographie de Anne BrontĂ«Plus sur cette citation >> Citation de Anne BrontĂ« n° 154085 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 469 votesL'Ă©lastique est donc le symbole idĂ©al pour nous aider Ă comprendre le cycle de l'intimitĂ© masculine, cycle fait d'un rapprochement suivi d'un Ă©loignement, puis d'un nouveau rapprochement plus serrĂ©. MĂȘme quand un homme adore une femme, il Ă©prouve de temps Ă autre le besoin de s'isoler, pour mieux revenir auprĂšs d'elle par la suite. C'est Ă©tonnant pour la plupart des femmes. Ce retrait est instinctif chez l'homme ; il n'est aucunement dĂ©libĂ©rĂ©, ni hommes viennent de Mars, les femmes viennent de VĂ©nus 1992 de John GrayRĂ©fĂ©rences de John Gray - Biographie de John GrayPlus sur cette citation >> Citation de John Gray n° 153318 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 468 votesVivre l'Ă©criture. Le corps et l'esprit tout entiers tendus vers elle. Malaxer les mots, comme un sculpteur le fait de sa terre glaise. Murmurer ad libitum des bribes de phrases, pour les accoucher tout Ă fait. Rester indiffĂ©rents aux bruits et aux appels. Ă la faim et au sommeil. N'entendre rien, rien d'autre que le bouillonnement du verbe Ă l'intĂ©rieur de soi, et la musique qui parfois le prĂ©cĂšde. FlĂąner entre les intervalles de Jacques HigelinRĂ©fĂ©rences de Jacques Higelin - Biographie de Jacques HigelinPlus sur cette citation >> Citation de Jacques Higelin n° 153239 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 467 votesJ'ai l'impression Mamie Rose qu'on a inventĂ© un autre hĂŽpital que celui qui existe vraiment. On fait comme si on venait Ă l'hĂŽpital pour guĂ©rir. Alors qu'on y vient aussi pour mourir...Oscar et la dame rose 2002 de Eric-Emmanuel SchmittRĂ©fĂ©rences de Eric-Emmanuel Schmitt - Biographie de Eric-Emmanuel SchmittPlus sur cette citation >> Citation de Eric-Emmanuel Schmitt n° 146666 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 475 votes< 134Votre commentaire sur ces citations ThĂšmes populaires + Autres belles citations et proverbes sur fait un pour autre Toutes les citations sur fait un pour autre Citations fait un pour autre Citation fait un pour autre et Proverbe fait un pour autre Citation sur fait Citations courtes fait PoĂšmes fait un pour autre Proverbes fait un pour autre Etendez votre recherche avec le dictionnaire des dĂ©finitionsCitation et amour Citation sur l'amour Citation l'amitiĂ© Citation la vie Citation le bonheur Citation la femme citation le couple Citation la sagesse Ciation la tristesse Citation la mort Citation la nature Citation sur l'absence Citation le manque Citation l'enfance Age Animal AmitiĂ© Amour Art Avenir BeautĂ© Avoir Bonheur Conscience Couple Confiance Courage Culture DĂ©sir Dieu Education Enfant Espoir Etre Faire Famille Femme Guerre Homme Humour Jeunesse Joie Justice LibertĂ© Mariage MĂ©re Monde Morale Naissance Nature Paix Passion PĂšre Peur Plaisir Politique Raison Religion RĂȘve Richesse Sagesse Savoir Science SĂ©duction SociĂ©tĂ© Souffrance Sport Temps TolĂ©rance Travail VĂ©ritĂ© Vie Vieillesse Voyage
LivresFiltrer Fermer le menu. DisponibilitĂ© En stock (108) En rupture de stock (35) Prix Filtrer Apaise ton coeur et fleuris ton Ăąme. âŹ9,99 LA SINCĂRITĂ - MUHAMMAD AL-MUNAJJID. âŹ3,00 ĂpuisĂ© Aicha la bien-aimĂ©e du prophĂšte. âŹ4,90 ĂpuisĂ© Le Manuel Complet Et IllustrĂ© De La PriĂšre. âŹ6,00 La Sorcellerie et Les Moyens de S'En ProtĂ©ger. âŹ1,80 100 TRĂSORS DE
de Lilya Ă travers ce livre, le but recherchĂ© est dâessayer dâapporter un temps soi peu de lâespoir, du rĂ©confort, de la bienveillance, de la douceur et beaucoup dâamour aux personnes souffrantes psychologiquement, aux Ăąmes brisĂ©es et mon tĂ©moignage et celui de plusieurs femmes, chacune Ă©tant sur un cheminement diffĂ©rent afin que les personnes qui le liront soient plus aptes Ă sâidentifier. Cela pour but de montrer qu'aucune personne nâest seul et quâun jour ou lâautre toute la peine Ă©prouvĂ©e se dissipera. sur 5 etoiles 487 Ă©valuations Langue FrançaisSortie le 18 mars 2021 ISBN-13 978B08ZBJ4JW6 Ebooks tout-en-un illimitĂ©s au mĂȘme endroit Compte d'essai gratuit pour l'utilisateur enregistrĂ© L'eBook comprend les versions PDF, ePub et Kindle Qu'est-ce que je reçois? Voici les avantages que vous obtiendrez si vous vous inscrivez en tant qu'utilisateur premium Lisez autant d'eBooks! Vous pouvez lire de nombreux ebooks les plus rĂ©cents et les plus rĂ©cents NumĂ©risation sĂ©curisĂ©e Tout le site est sĂ©curisĂ© et protĂ©gĂ© par un antivirus Ă jour Cliquez et lisez-le! Plus besoin d'attendre pour lire des ebooks, c'est instantanĂ© ! Pas de frais de retard ou de contrats fixes Vous pouvez annuler Ă tout moment comme vous le souhaitez Avis des lecteurs Apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. Iseult Barre TrĂšs belle dĂ©couverte ! je recommande Marjolaine Richard Si vous ne l avez pas lu, alors je vous conseille d y mettre le nez pour apprendre que l Ă©chec n existe pas Clementine Parris TrĂšs bon livre, qui m'a fait retrouvĂ© de l optimisme et donnĂ© beaucoup de belles leçons Livres liĂ©s Apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. [tĂ©lĂ©charger] livre apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! en format PDF ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! tĂ©lĂ©charger gratuitement du livre en format PDF ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! tĂ©lĂ©chargement populaire ... Cliquez sur le bouton TĂ©lĂ©charger ou Lire en ligne apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya tĂ©lĂ©chargement gratuit pdf ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! tĂ©lĂ©charger ebook PDF EPUB, livre en langue française ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! epub ebook populaire pdf download ... download apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! PDF - KINDLE - EPUB - MOBI ... Ce site contient actuellement plus d'un millier de livres gratuits tĂ©lĂ©chargeables dans divers formats de apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! meilleur livre ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! TĂ©lĂ©chargement complet ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya en ligne ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! ebook epub ... TĂ©lĂ©charger apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya ou lisez en ligne ici en format PDF ou EPUB ... Cliquez pour lire/tĂ©lĂ©charger apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya PDF ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! livre gratuit en ligne ... Ebook PDF complet avec essai, article de recherche apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lire gratuitement ... lilya tĂ©lĂ©chargement epub ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya livres en ligne ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya lire un ebook ... S'il vous plaĂźt cliquez sur le bouton pour obtenir apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! pdf nouveau livre ... apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme. deviens la meilleure version de toi-mĂȘme ! lilya lire tĂ©lĂ©charger ...
Listedes poĂšmes : 1 - Un sourire de Raoul Follereau, extrait du recueil Le Livre d'amour (1920). 2 - Je dĂ©die Ă tes pleurs, Ă ton sourire de Ămile Verhaeren, extrait du recueil Les heures claires (1896). 3 - Votre sourire de Albert Dabadie, extrait du recueil Les Ă©chos du rivage (1857).
âLa cuLture est une rĂ©sistance Ă La distractionâ /////// PasoLini Un docu-théùtre intime qui mĂȘle textes, photos, vidĂ©o et passe au crible la rĂ©alitĂ© de la sociĂ©tĂ© libanaise. jazz / SpĂ©cial voix p. 40-47 / le musicien congolais lokua Kanza signe un exceptionnel nouvel album empreint dâune grĂące paisible et lumineuse. La Terrasse / 4 avenue de corbĂ©ra 75012 paris / TĂ©l 01 53 02 06 60 / Fax 01 43 44 07 08 / email / prochaine parution le 5 mai 2010 / Directeur de la publication Dan Abitbol LINA SANEH & RABIH MROUĂ PHOTO-ROMANCE théùtre / 13 - 24 avril C ie MPTA / MATHURIN BOLZE DU GOUDRON ET DES PLUMES cirque / 15 - 25 avril 5 acrobates embarquĂ©s sur un agrĂšs hors norme. Une autre vision du monde... le journal de rĂ©fĂ©rence de la vie culturelle 2010 / N° 177 AVRIL âą paru le 31 mars 2010 / 18 e saison / 80 000 ex. / / / / Sommaire et abonnement en page 2. © Thomas Aurin. © Jean-Louis Fernandez. théùtre / SelecTion p. 4-24 / Frank castorf revient en France avec Kean ou DĂ©sordre et GĂ©nie. Un spectacle associant la piĂšce dâalexandre Dumas Ă Hamlet-machine de Heiner MĂŒller. classique / SelecTion p. 31-39 / lâopĂ©ra Dans la colonie pĂ©nitentiaire ou Kafka de philip Glass est mis en scĂšne par Richard Brunel Ă lâathĂ©nĂ©e. © DR. © Christophe Campana. *** parution juillet 2010 w w w. a v i g n o n - e n - s c e n e s . f r Danse / SelecTion p. 24-30 / Manta, HĂ©la Fattoumi revĂȘt le voile pour sâenfoncer au plus profond des sensations dâun corps en cage. Un acte artistique, une expĂ©rimentation hautement politique. 01 40 03 75 75 2 2 / n°177 / avril 2010 / la terrasPage 6 6 / n°177 / avril 2010 / la terrasPage 10 10 / n°177 / avril 2010 / la terraPage 14 14 / n°177 / avril 2010 / la terraPage 18 18 / n°177 / avril 2010 / la terraPage 22 22 théùtre critiques / N°177 / aPage 26 26 / N°177 / avril 2010 / la terraPage 30 30 / N°177 / avril 2010 / la terraPage 34 34 / N°177 / avril 2010 / la terraPage 38 38 / N°177 / avril 2010 / la terraPage 42 42 / N°177 / avril 2010 / la terraPage 46 46 / N°177 / avril 2010 / la terra
UnsupplĂ©ment dâĂąme pour accueillir mes livres chĂ©ris. Boyhood. Ce film mâa touchĂ©e en plein cĆur, il est tout ce que jâaime. Jâen ai parlĂ© dans mon dernier bilan. Le vaccin pour ma grand-mĂšre, ma Mamy, si prĂ©cieuse pour moi. JâespĂšre quâelle le supportera bien et que cela nous ouvrira la perspective de bientĂŽt partager un repas ensemble. En attendant, câest
Votez pour votre nouvelle prĂ©fĂ©rĂ©e ! Posted on 10 novembre 2010 Jusqu'au 31 dĂ©cembre 2010, soyez membre du jury du prix du public » du premier concours de nouvelles organisĂ© par les Bouquineries Oxfam en votant pour votre nouvelle favorite. 165 nouvelles nous ont Ă©tĂ© envoyĂ©es. Les laurĂ©ats seront dĂ©signĂ©s par 4 jurys â Le jury des libraires composĂ© de MaĂŻ Lohier et dâAurĂ©lie Leclercq. â Le jury des lycĂ©en-ne-s composĂ© dâĂ©lĂšves du lycĂ©e Van Der Meersch Ă Roubaix 59 â Le jury du public vous choisissez ! En votant {{[ici->Concours-de-nouvelles-des,971]}} â Le jury de professionnel-le-s Anne-Sophie Hache journaliste critique littĂ©raire Ă La Voix du Nord, Brigitte Niquet Ă©crivaine, Gilles Warembourg Ă©crivain, Elisabeth Saint-Michel Ă©crivaine, Jean-Denis Clabault Ă©crivain, Bruno Descamps Ă©crivain, Yann Tessier du Cros Ă©crivain. La cĂ©rĂ©monie de remise des prix aura lieu le samedi 8 janvier Ă 16h, Ă la Bouquinerie de Lille, et les rĂ©sultats seront annoncĂ©s dans notre newsletter de ci-dessous toutes les nouvelles. â Ă©lĂ©charger l'ensemble des nouvelles en pd Pour lire chaque texte en ligne, cliquez tout simplement sur son titre. Nouvelle 001 _ Chez le boucher ? Et avec ça, qu'est-ce que ce sera, Lulu ? Lulu c'est moi, Lucien, Lulu pour les intimes. Le boucher est pas vraiment un intime, mais c'est normal, ça fait pas longtemps que je suis dans le quartier. Et pas plus de deux mois que je suis dans la ville. Par contre je viens souvent chez lui, pas Ă dire c'est pratique, juste au pied de chez moi. Et puis il est sympa, le boucher, Alain il s'appelle, quand je peux pas le payer il me met sur son ardoise et c'est marre. C'est bien le seul commerçant du coin Ă me faire crĂ©dit⊠L'autre jour j'ai mĂȘme Ă©tĂ© obligĂ© de troquer une entrecĂŽte qu'il venait de me donner contre ma ration de pinard Ă l'Ă©picerie. Quand je pense qu'au dĂ©but, on se regardait d'un Âil plutĂŽt mĂ©fiantâŠ! Alain est basque, comme le bĂ©ret qui protĂšge son crĂąne rasĂ© du froid de sa boutique. On parle beaucoup sport chez cet ancien rugbyman athlĂ©tique, jovial et moustachu. Il soutient Bayonne en tĂȘte, et Biarritz quand ils jouent pas contre Bayonne. Il y a dans la boucherie, devant le prĂ©sentoir, un banc oĂč se passent volontiers leur matinĂ©e une demi douzaine de retraitĂ©s des catalans, qui supportent Perpignan, d'autres, pas beaucoup, qui sont pour Castres. Ou Montauban. Ăa n'agit pas beaucoup mais c'est des palabres Ă n'en pas finir, ils parlent fort et tous ensemble, chacun dĂ©fendant les mĂ©rites de son Ă©quipe. Moi je m'en mĂȘle pas, je m'en bats l'Âil, je suis pas rugby pour deux sous. Je suis pas du coin. Le Stade et les autres, qu'ils se battent entre eux, ça me laisse froid ! Par contre je m'intĂ©resse aux spĂ©cialitĂ©s basques qui trĂŽnent sur le prĂ©sentoir confiture de cerises noires, fromage de brebis, moutarde aux piments, gelĂ©e de piments, saucisses aux piments, pĂątĂ© aux piments, chorizo. Et autres charcutailles au milieu des brochures et guides touristiques du Pays Basque, illustrĂ©s de superbes photos qui parviennent Ă donner la trĂšs fausse impression qu'il fait toujours beau lĂ -bas ! J'en apprends tous les jours sur les gens du quartier tiens par exemple l'autre jour encore le boucher nous a parlĂ© pendant une heure de la vieille dame qui partait juste comme j'arrivais. ParaĂźt qu'elle va sur ses 100 piges, elle les fera en fĂ©vrier. Alain ? Pas trop vaillante sur ses cannes, elle fait quand mĂȘme tous les jours ses courses, sa cuisine et son mĂ©nage. C'est comme ça qu'on garde la forme, pas vrai ? Et puis elle a son caractĂšre, la vieille dame. Tout sauf mallĂ©able, son caractĂšre ! Je lui dis toujours de traverser dans les clous quand elle sort de chez moi, mais il n'y a rien Ă faire, tĂȘtue comme une mule elle prend toujours au plus court impossible de la faire obĂ©ir⊠Elle s'en voudrait de marcher trente mĂštres de plus, Ă croire que ça lui aliĂšnerait sa libertĂ© ! Faut qu'elle vienne traverser juste devant chez moi⊠MĂȘme si on lui construisait une passerelle je suis sĂ»r qu'elle prĂ©fĂšrerait encore passer au milieu des bagnoles ! Souvent je suis obligĂ© de planter lĂ mes clients et de courir pour l'aider avant qu'elle se fasse renverser⊠C'est que les bagnoles, elles tracent, lĂ , la rue est large⊠Bref, sinon, vieillir comme ça jusqu'Ă cent ans, avec toute ma tĂȘte, moi je veux bien, qu'il dit, Alain. Moi je sais pas. Devenir quasiment infirme⊠Quasiment aveugle et paralytique Ă la fois⊠Quand elle arrive chez lui, le boucher me l'a encore dit l'autre jour, elle est bien contente qu'il lui avance sa chaise, elle s'y laisse tomber, tu verrais ça⊠Dans la boutique tous la connaissent bien. Chacun a rajoutĂ© son anecdote. Jeudi il nous avait racontĂ©, Alain, comment qu'elle s'est fait attaquer le mois dernier par deux jeunes, les salauds, il a dit, ils ont manquĂ© lui faire avaler son bulletin de naissance pour lui piquer trente malheureux euros⊠Tout ce qu'ils ont trouvĂ© chez elle, ils y Ă©taient peut-ĂȘtre mĂȘme pas les trente euros⊠Alors que ? et lĂ Alain le boucher a attendu que les jeunes devant moi soient partis pour confier sur un ton de confidence⊠? alors qu'elle gardait une vraie fortune planquĂ©e dans sa suspension ! Et c'est bien trouvĂ©, il a fait remarquer, qui c'est qui irait imaginer une vieille presque impotente monter sur un chaise pour planquer son magotâŠ? Mais c'est son petit-fils qui monte lĂ , et c'est lui, le seul soutien de la vieille dame, le seul Ă savoir la place, qui l'a dit au boucher⊠* ? Et avec ça, qu'est-ce que ce sera, Lulu ? ? Je vais prendre aussi de ta terrine aux espelettes⊠En rĂ©alitĂ© je n'ai plus besoin de rien, mais je force un peu pour voir la queue s'allonger derriĂšre moi⊠J'aime bien, ça me met en position de force⊠Une chose que je dĂ©teste, dans les commerces ou les administrations, c'est faire une heure de queue et qu'il y ait plus personne aprĂšs moi quand j'ai fini. Et puis aujourd'hui j'ai de la thune, pour changer, et j'achĂšterais volontiers la boutique, c'est pas que j'aie si faim que ça, non, je suis bien trop excitĂ©, mais c'est histoire de faire remarquer Ă tous que je me fais pas toujours nourrir par Alain. Le boucher aussi aime bien que la boutique soit pleine de monde. Il se presse pas, et il arrĂȘte de me couper mon pĂątĂ© pour nous raconter que la vieille dame a Ă©tĂ© dĂ©valisĂ©e hier soir, elle a Ă©tĂ© poignardĂ©e, on l'a retrouvĂ©e ce matin dans un bain de sang ? Une vraie boucherie⊠C'est le cas de le dire⊠Quant au mobile, c'Ă©tait Ă©vident, son agresseur est allĂ© droit Ă la suspension oĂč elle gardait ses sous⊠à croire d'ailleurs qu'il en connaissait le secret ! Et pourtant le petit-fils a bien dit aux flics qu'il Ă©tait le seul, absolument le seul, Ă connaĂźtre le secret du magot de sa grand-mĂšre. Et le boucher me regarde d'un drĂŽle d'air en racontant que du coup le fils se retrouve en garde Ă vue avec le grade de seul suspect. C'est con, maintenant que j'aurais pu lui acheter sa boutique, Ă Alain, je sens que ce sera plus prudent de mettre fin Ă la sĂ©quence 'achat massif' et de m'en aller ! En partant je manque de faire un au revoir gĂ©nĂ©ral, mais au dernier moment je me retiens, je sens que vaut mieux s'en abstenir et partir en douce. Et le plus tĂŽt sera le mieux, je ne vais pas moisir plus longtemps dans le secteur c'est jubilatoire, j'ai du blĂ©, plein de blĂ©, maintenant, je prĂ©fĂšre me faire oublier dans le coin⊠J'entends l'appel de la liberté⊠Je vais me payer un jus au cafĂ© du coin, et puis je m'en irai de cette ville, je tracerai la route une fois de plus pour me faire pendre ailleurs ! Nouvelle 002 _ La nouvelle C'est vous la nouvelle ? FĂ©riĂ©e lĂšve son regard amande verte vers la visiĂšre penchĂ©e au dessus du comptoir, qui vient dâĂ©ructer cette phrase. En y regardant de plus prĂšs, elle voit, tapis sous la visiĂšre, deux petits yeux noirs inquisiteurs, un nez plongĂ© dans les affaires des autres et un mince filet de lĂšvres. _ Nâapercevant Ă gauche et Ă droite que sa solitude, elle comprend que la question lui est destinĂ©e. _ ? » Je crois oui ! » rĂ©pond alors sa voix ensoleillĂ©e. La visiĂšre bougonne, lance un appel depuis son mobile et lui demande de la suivre. _ FĂ©riĂ©e Ă©tait arrivĂ©e le matin mĂȘme pour prendre son nouvel emploi dans l'immense aĂ©roport, on lui avait remis un uniforme couleur de pluie parisienne et la prĂ©posĂ©e avait haussĂ© largement les Ă©paules quand FĂ©riĂ©e avait voulu troquer son costume contre le mĂȘme modĂšle en orange ou violine. _ Depuis, elle attendait derriĂšre ce comptoir qu'on vienne lui donner des instructions. _ Elle en avait profitĂ© pour rĂȘver un peu, les yeux grands ouverts comme savaient si bien le faire les sujets de sa famille maternelle. _ Une pensĂ©e Ă©mue et jubilatoire palpita vers sa mĂšre, une peul magnifique qui lui avait fait cadeau de ses yeux amande en changeant juste la couleur. Elle lui avait aussi donnĂ© son prĂ©nom, pris sur le grand calendrier du dispensaire et FĂ©riĂ©e se trouvait trĂšs heureuse de ne pas s'appeler SouvdĂ©portĂ©s ou Mardigras. _ Son pĂšre, quant Ă lui , ne lui avait mĂ©langĂ© qu'un peu de lait dans son cafĂ© de peau et laissĂ© un vide au cÂur, comme un canari africain abandonnĂ© au coin d'une cour. _ Elle rĂȘvait de Paris, ville magique d'oĂč avait jailli ce pĂšre pour y retourner bien vite sans avoir aliĂ©nĂ© une once de libertĂ© Ă sa jolie peul de mĂšre rendue grosse. _ Sa mĂšre avait versĂ© des larmes, deux en tout, une pour chaque Âil. La vie est si dure dans son Sahel qu'il vaut mieux Ă©conomiser l'eau de son corps. _ En posant le pied dans la capitale, serrant sur son chemisier la photo de son gĂ©niteur prise quelques 25 ans plus tĂŽt, elle ne doutait pas de le croiser sur une piste entre une chĂšvre et un cochon sauvage. Qu'elle ne fĂ»t pas sa stupeur ! Ătreinte par les mains griffues des constructions grises, des visages gris, de la pluie grise et des manteaux gris, elle faillit s'Ă©vanouir. _ Ce fut aussi son premier contact avec les visiĂšres qui se mirent rapidement en quĂȘte de ses preuves d'existence et qui Ă©pluchĂšrent ses papiers jusqu'au noyau. _ Elle mit quelques jours Ă retrouver le soleil de son rire. Forte de sa vive intelligence et de son diplĂŽme acquis de haute lutte Ă l'universitĂ© de Niamey, elle vient de trouver cet emploi et elle suit son guide peu amĂšne, de sa dĂ©marche souple, Ă travers l'immensitĂ© de ce hall d'aĂ©roport. De passerelles en longs couloirs, ce petit voyage intra muros les amĂšne aux cĂŽtĂ©s dâune petite blonde, agrĂ©ablement ronde qui s'applique Ă enregistrer un vol sur Rome. _ FĂ©riĂ©e lui donne un retentissant baiser sur la joue et une jolie bise rose se dessine aussitĂŽt sur la peau tendre. La jeune fille en reste bouche bĂ©e , c'est bien la premiĂšre fois qu'on lui dessine le vent sur la joue, de si bon matin et sans aucune raison ! Le vol est bientĂŽt fermĂ©, un homme arrive essoufflĂ©. _ ? » Vite cher monsieur, vous ĂȘtes en retard, que vous est-il arrivĂ© ? _ ? Ce sont les visiĂšres mademoiselle ! _ ? Mais vous aussi, qu'elle idĂ©e de vous vĂȘtir ainsi, avec ce⊠avec cette⊠_ ? Avec ce burnous mademoiselle, il s'agit d'un burnous ! _ ? Oui, oui, ce burnous, vous comprenez les visiĂšres, elles trouvent ça bizarre un burnous parmi les costumes trois piĂšces, alors elles fouillent la premiĂšre, puis la deuxiĂšme, puis la troisiĂšme valise, jusqu'Ă ce qu'elles ne trouvent rien. Et c'est comme ça qu'on rate son avion ! Ăa s'appelle faire suer le burnous, cher monsieur et les visiĂšres, elles aiment ça, alors la prochaine fois, habillez vous autrement je vous en prie, ça me fait mal au cÂur de voir tous ces burnous qui suent dans les aĂ©roports ! » _ FĂ©riĂ©e sent son cÂur qui fait tous les bonds qu'il peut dans sa poitrine, la petite blondinette semble avoir de la sensibilitĂ©, voir de l'amour pour son prochain et depuis son arrivĂ©e Ă Paris, c'est bien la premiĂšre fois qu'elle rencontre un brin d'humanitĂ© ! Lui vient alors lâidĂ©e quâelle pourra avoir un soutien de cette jolie personne et peut-ĂȘtre mĂȘme quâensemble elles pourront faire » palabre » avec les visiĂšres pour humaniser lâenregistrement des bagages des hommes en burnous ? _ Et pour illustrer sa pensĂ©e elle s'apprĂȘte Ă sauter au cou de sa collĂšgue en lui demandant d'ĂȘtre son amie quand un couple de visiĂšres s'approche du comptoir. _ Sans attendre et sans mĂȘme avoir procĂ©dĂ© au rituel doigt sur le kĂ©pi en guise de salut, ils extirpent la ronde blondinette et la plaquent sur le sol devant les yeux agrandis jusqu'au milieu des joues de FĂ©riĂ©e oĂč se mĂȘlent la stupeur et lâincrĂ©dulitĂ©. _ Elle les voit alors retourner la jeune fille et lui dĂ©grafer sa veste sans mĂ©nagement. _ ? » C'est pour un rĂ©glage ! rĂ©pond le plus grand aux tremblements de FĂ©riĂ©e. _ ? Ben tu vois bien, dit le deuxiĂšme, il Ă©tait temps dâagir la sĂ©quence a eu un bug le bouton s'est dĂ©placĂ© ! Il n'est plus sur OCCIDENT et le poussoir n'est plus non plus sur PARISIEN ! _ ? Ils sont pourtant pas trĂšs mallĂ©ables ces robots, je mâ demande si c'est le frottement qui les dĂ©rĂšgle ! Enfin ça arrive ! » _ La blondinette reprend sa place derriĂšre le comptoir, elle lance Ă FĂ©riĂ©e un regard hostile en essuyant le dessin du vent sur sa joue. Nouvelle 003 _ Alice et le petit arbre rabougri AprĂšs avoir avalĂ© son croissant du matin et son bol de cafĂ© au lait, tout en parcourant un illustrĂ© laissĂ© sur un coin de table, Alice, 13 ans, dĂ©cida de profiter de la fraĂźcheur printaniĂšre pour aller faire un tour dans le jardin de ses nouveaux hĂŽtes. En remontant l'allĂ©e, Ă sa gauche, juste aprĂšs la passerelle, elle aperçut toutes sortes d'arbres des petits, des grands, des filiformes, des trapus, des gĂ©nĂ©reux, des sĂ©rieux, des agitĂ©s, des malicieux, des mobiles, des mallĂ©ables, des engoncĂ©s, des pĂ©trifiĂ©s, des moribonds Ă©tayĂ©s par un soutien, des Ă©panouis, des rabougris. Et personne pour la renseigner. Si je veux faire le tour complet du parc en nommant toutes les espĂšces, pensa-t-elle, il me faudra bien dix ans pour les identifier ! Oh ! Celui-lĂ , qu'il est donc laid ! » _ ? Pardon ? Qu'ouĂŻs-je, qu'entends-je ? C'est Ă moi que vous parlez ? dit le petit arbre rabougri. _ ? Mille excuses, Monsieur l'arbre, je ne voulais pas vous offenser. A qui ai-je l'honneur ? _ ? Au Prince des maux tordus, enchantĂ© de vous connaĂźtre, Alice. _ ? Oh ! Avec un bon tuteur, quelques arrosages et deux ou trois granulĂ©s, il n'y paraĂźtra plus, vous allez vite vous redresser ! dit Alice pour le rĂ©conforter. _ ? Avez-vous lu Le scaphandre et le papillon ? demanda le Prince des maux tordus. _ ? Non, pourquoi ? _ ? Parce que vous saurez que dans un corps usĂ©, suppliciĂ© et bancal peuvent parfois se cacher des fleurs de grĂące et des graines de gĂ©nie _ ? Je n'en doute pas, dit Alice, qui apprĂ©ciait gĂ©nĂ©ralement ce genre de palabre, d'ailleurs, la beautĂ© est une notion bien relative qui agit sur notre jugement en mettant en jeu tous nos potentiels de subjectivitĂ©. Par exemple, comment me trouvez-vous, moi ? _ ? Personnellement, je vous trouve trĂšs ordinaire, rĂ©pondit le Prince, mal proportionnĂ©e, trop grande et trop maigre Ă mon goĂ»t. Moi, j'aime les filles bien en chair, avec des formes gĂ©nĂ©reuses, par devant et pas derriĂšre. Pour moi, la vision doit rester un sens et un acte essentiellement jubilatoires. _ ? Chez nous, en Angleterre, rĂ©pliqua Alice, vexĂ©e, on appelle ça un boudin. _ ? Ne le prenez pas mal, dit le Prince, votre tour viendra, vous verrez, vous ĂȘtes encore si jeune, vous avez bien le temps de vous aliĂ©ner Ă ce genre de considĂ©ration Alice, lassĂ©e de cette conversation creuse et sans intĂ©rĂȘt s'empressa de quitter son hĂŽte et se dirigea vers son voisin le plus proche, un petit arbre pourpre au feuillage luisant et artistiquement dĂ©coupĂ©. Ses jolies feuilles mordorĂ©es et dentelĂ©es brillaient au soleil de tout leur Ă©clat. _ ? Salut la Miss, dit l'arbre. _ ? Salut, rĂ©pliqua Alice sur le mĂȘme ton, pour rĂ©pondre Ă son appel. _ ? Je suis la femme de ce Tordu, dit-elle, ça fait vingt ans que nous vivons ensemble et que je supporte ses calembours et ses jeux de mots Ă deux balles, il a toujours aussi peu de tact et d'esprit, vous avez dĂ» vous en apercevoir ! _ ? En effet, rĂ©pondit Alice. Rendez-vous compte qu'il m'a traitĂ©e de maigrichonne et de non-boudin. Je ne voudrais pas me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas, mais il faut le quitter, dit-elle rĂ©solument. _ ? Ah ! Si je n'avais pas toutes mes racines ici, dit la femme du Tordu. Quand on fait son trou quelque part, il est difficile de s'en extirper et de troquer sa vie contre une autre, fĂ»t-elle la meilleure au monde ! _ ? Comme je vous plains, vivre avec un tel goujat ! Mais vous avez l'air d'avoir un bon voisin, Ă votre gauche ! _ ? Chut ! parlez plus bas, si le Tordu nous entendait ! Il m'Ă©triperait ! Ce garçon est mon amant depuis dix ans et je l'aime toujours avec autant de passion. _ ? Alors, la crise des trois ans, c'Ă©tait donc du pipeau ? Alice avait lu rĂ©cemment dans un guide dĂ©robĂ© Ă sa mĂšre et dĂ©vorĂ© en cachette que l'amour naĂźt, se dĂ©veloppe et meurt par sĂ©quences de trois ans _ ? Pas vraiment, j'ai connu des hauts et des bas, comme tout le monde, mais je me suis accrochĂ©e Ă la branche, et quand je commence Ă me lasser, il me suffit de regarder Ă droite, cĂŽtĂ© Tordu, pour immĂ©diatement recentrer mon regard sur la gauche, cĂŽtĂ© cÂur. Mon choix est vite fait, vous vous en doutez ! _ ? Vous ĂȘtes l'incarnation de la sagesse, dit Alice avec admiration, il y a des circonstances dans la vie oĂč les lois manichĂ©ennes doivent l'emporter sur toutes les autres lois. _ ? Vous parlez bien, pour votre Ăąge, dit la femme du Tordu, subjuguĂ©e par autant de maturitĂ©. _ ? Moi, si mon couple flanche un jour, dit Alice, je prendrai un amant, comme tout le monde _ ? Bonne chance, Alice, cria l'Ă©pouse Ă Alice qui s'Ă©loignait dĂ©jĂ . _ ? Bonne chance, cria le cocu, qui, fort heureusement, n'avait rien suivi de la conversation. Seul l'amant eut la dĂ©licatesse de se taire, ce qui toucha beaucoup Alice qui se dit que mĂȘme chez les arbres, il existe des codes rĂ©gis par les rĂšgles de la discrĂ©tion et de la biensĂ©ance. Nouvelle 004 _ Le volcan Almaterra Sur une petite Ăźle isolĂ©e du Pacifique vivait la tribu des Savoriens. Ces hommes et femmes avaient des mÂurs simples et pures, lesquelles ne pouvaient ĂȘtre mieux illustrĂ©es que par le nom mĂȘme de l'OcĂ©an qui les entourait. Ils Ă©taient un peuple travailleur, rĂ©vĂ©rant la terre et la mer d'oĂč ils tiraient leur subsistance. _ DĂšs l'aurore, les uns apprĂȘtaient leurs barques pour partir pĂȘcher au large, et revenaient au soir avec des filets chargĂ©s de poissons, de crabes, et de crustacĂ©s. Les autres se consacraient Ă la culture du cafĂ© sur les pentes du volcan Almaterra, qui donnait au sol une richesse exceptionnelle. _ Ce cafĂ© au goĂ»t de noix lĂ©gĂšrement acidulĂ©e apportait vigueur et entrain Ă tous les membres de la tribu. Il avait une saveur unique au monde. Mais le monde s'Ă©tait jusqu'alors dĂ©sintĂ©ressĂ© de cet Ăźlot, regardant les Savoriens comme des indigĂšnes peu Ă mĂȘme d'accĂ©der aux bienfaits de la civilisation. Aussi, l'argent et le pouvoir leur Ă©taient des notions inconnues. Ils avaient coutume de troquer, qui un poisson contre un sac de cafĂ©, qui une hutte contre une barque. Ou bien, tout simplement, de donner, sans rien demander en retour ni s'estimer charitable, car l'important Ă©tait que personne ne restĂąt dans l'indigence, que chacun mangeĂąt Ă sa faim et pĂ»t satisfaire Ă ses besoins, qui ne dĂ©passaient jamais ce que la plus simple nĂ©cessitĂ© commandait. _ Une autre de leur coutume Ă©tait, les soirs de pleine lune, de rĂ©unir l'ensemble des habitants de l'Ăźle, hommes, femmes et enfants, au sommet du volcan Almaterra, oĂč avaient lieu ce qu'ils appelaient les palabres jubilatoires ». Ces conseils Ă©taient l'occasion, Ă chaque cycle lunaire, de gĂ©rer les affaires de la tribu, d'organiser la pĂȘche, les plantations, de confier Ă chacun ses joies et ses peines, de trouver une solution aux conflits personnels et collectifs. Les palabres se terminaient par la nomination du Guide » qui acceptait de veiller au respect des dĂ©cisions prises lors du conseil durant tout le prochain cycle lunaire. Puis, tout le monde se rĂ©unissait autour de la passerelle du volcan d'oĂč un groupe de musiciens faisait danser le reste de la tribu jusqu'Ă l'aube. _ Les Savoriens vouaient un vĂ©ritable culte au volcan de leur Ăźle, avec un amour mĂȘlĂ© de crainte. A leurs yeux, le volcan Ă©tait l'Ăąme de leur terre ». Ils Ă©taient persuadĂ©s que toute offense envers un ĂȘtre, qu'il soit humain, animal, vĂ©gĂ©tal ou mĂȘme minĂ©ral, offenserait directement le volcan qui rĂ©primait sa colĂšre jusqu'au jour fatal de la grande Ă©ruption, dont certains prophĂ©tisaient qu'elle adviendrait un jour d'effroyable discorde. _ Or, un beau matin, alors que les pĂȘcheurs savoriens Ă©taient en train d'apprĂȘter leurs filets pour partir pĂȘcher en mer, ils aperçurent au large l'appel d'un bateau en dĂ©tresse. Ils se prĂ©cipitĂšrent pour aider le naufragĂ©, le ramenĂšrent Ă terre et le soignĂšrent. Puis, ils s'enquirent de la sĂ©quence de mĂ©saventures qui l'avaient amenĂ© Ă perdre sa route en plein Pacifique, ainsi que de l'aspect Ă©trange de son bateau. Le navigateur leur expliqua qu'il venait de la lointaine Europe, et qu'il participait Ă une course Ă la voile en solitaire autour du globe. Une violente tempĂȘte lui avait fait perdre le contrĂŽle de son bateau. Les Ă©quipes de soutien n'arrivaient pas Ă le localiser. Il n'espĂ©rait plus trouver de l'aide, ni dĂ©couvrir cette Ăźle qui ne figurait pas sur sa carte. _ Quant Ă son bateau, il fut Ă©tonnĂ© que les pĂȘcheurs le trouvassent Ă©trange. Au contraire, il leur vanta que ce monocoque Ă©tait le dernier cri technologique, un petit bijou sorti de l'Ă©crin grĂące Ă son sponsor, la multinationale Itchit » dont le logo et le slogan Plus t'en mets, plus t'en a ! » ornaient la voilure. Les Savoriens furent Ă©merveillĂ©s par tant de nouveautĂ©s et par cette philosophie moderne. Ils offrirent au naufragĂ© une tasse de leur prĂ©cieux cafĂ©. _ Alors qu'il le buvait, son visage esquissa un sourire de dĂ©lectation, puis une lueur Ă©trange Ă©claira ses yeux. Il sortit de sa poche un tĂ©lĂ©phone mobile et, se mettant Ă l'Ă©cart, il appela son sponsor. Ah ! C'est vous, enfin !  rĂ©pondit le directeur d' Itchit » â J'ai pensĂ© que vous alliez couler ma boĂźte en mĂȘme temps que votre coquille de noix. » â Calmez-vous, Monsieur Itchit, j'ai dĂ©couvert une Ăźle au sol trĂšs riche, avec des habitants bien mallĂ©ables. Donnez-moi carte blanche et les moyens pour agir, je vous garantis que dans peu de temps vous serez l'homme le plus riche de la planĂšte. » Puis il revint auprĂšs des Savoriens. Ceux-ci l'invitĂšrent le soir mĂȘme Ă participer aux palabres jubilatoires. _ Au clair de la pleine lune, l'Ă©tranger subjugua les Savoriens en leur contant les merveilles de l'Occident les avions, les trains, les routes, le cinĂ©ma, la tĂ©lĂ©vision, internet, le tĂ©lĂ©phone. Tant et si bien qu'Ă la fin des palabres, les Savoriens dĂ©cidĂšrent dans une clameur unanime de nommer l'EuropĂ©en en tant que Guide, et d'introduire sur leur Ăźle les prodiges de la modernitĂ©. On dansa frĂ©nĂ©tiquement autour de la passerelle. Les Savoriens ne devaient plus Ă©prouver une telle joie avant trĂšs longtemps. _ En effet, la premiĂšre dĂ©cision du naufrageur fut de faire de l'Ăźle des Savoriens un Etat avec pour devise nationale Plus t'en mets, plus t'en a ! » encourageant la production et la consommation sans limites des ressources halieutiques et agricoles de l'Ăźle. Ce nouvel Etat devint trĂšs vite un paradis fiscal, par lequel transitĂšrent toutes les opĂ©rations financiĂšres de M. Itchit, qui fut d'ailleurs nommĂ© chef d'Etat. La terre fut rĂ©partie en trois lots, le premier pour le cafĂ© labellisĂ© Pacifric Tarabusta», le deuxiĂšme pour produire des agro-carburants, et le troisiĂšme pour la culture du tabac et autres substances. L'argent devint la mesure de toute chose. Chacun s'enfermait chez lui, les uns s'adonnant Ă la bourse et Ă la spĂ©culation, les autres Ă l'alcool. Tout le monde entretenait mĂ©fiance et cupiditĂ© vis-Ă -vis d'autrui. Un aliĂ©nĂ© errait hagard dans les rues en criant Horreur ! Malheur ! Discorde ! Almaterra va exploser et nous serons tous engloutis sous la lave ! » D'autres lui rĂ©torquaient ImbĂ©cile ! EspĂšce d'animiste attardĂ© ! Les experts vulcanologues sont formels. Le volcan Almaterra est Ă©teint. » Almaterra Ă©tait effectivement bien Ă©teint L'Ăźle ayant dĂ©sormais perdu son Ăąme. Nouvelle 005 _ La passerelle Assis Ă la terrasse d'un cafĂ©, Nicolas observait tous ces zombies grimĂ©s, le regard vide ; ces passants le pas pressĂ© aux solitudes amĂšres. Dans la ville aux longues insomnies, les nĂ©ons clignotaient tels des spasmes jubilatoires du virtuel. Ils embrasaient les vitrines ternies par les pluies de novembre. La coulĂ©e saccadĂ©e des vĂ©hicules crachait sa fumĂ©e en volutes bleues. NoĂ«l approchait et les jardins des chimĂšres aliĂ©naient la foule monochrome, docile, mallĂ©able. _ Sur un banc, loin des spots et des palabres, il aperçut la silhouette d'un clochard. C'Ă©tait l'un de ces croquants que la misĂšre recrache sur les boulevards impassibles. Telle une pustule sur le visage du PĂšre NoĂ«l, l'homme sur le banc semblait profaner la pieuse image d'une sociĂ©tĂ© infaillible et fraternelle. _ Cette sĂ©quence lui rappela que le monde Ă©tait divisĂ© en deux sphĂšres l'une terre d'opulence et l'autre terre de pauvretĂ©. Au nord, on s'invitait au festin. Sous les tropiques, des mĂšres aux seins nus, dessĂ©chĂ©s, assistaient impuissantes Ă l'agonie de leurs enfants aux pupilles dilatĂ©es comme des trous noirs bĂ©ants. Il entendait leurs cris qui dĂ©chiraient le pisĂ© comme un appel dĂ©sespĂ©rĂ©. Des images surgissaient, se mĂȘlaient gamines prostituĂ©es, petits soldats automates, enfants rachitiques fouillant les dĂ©charges au souffle Ăącre, mĂ©phitique _ Comme un long trĂ©molo, elles illustraient la rĂ©alitĂ© d'un monde oĂč rĂ©gnaient l'injustice, l'Ă©goĂŻsme, l'indiffĂ©rence. _ Il aurait voulu agir, troquer son existence heureuse contre une vie au service des faibles, des opprimĂ©s. Mais comment faire ? _ Le lendemain Ă l'aube grĂšge, Nicolas contemplait les feuilles mortes, les roses fanĂ©es, le frileux pinson qui rĂȘvait d'ailleurs et soudain, il pensa Ă son ami de Bukavu. Il correspondait avec lui depuis presque dix ans, depuis les annĂ©es collĂšge. Dans ses derniĂšres lettres, Landry lui confiait son rĂȘve de l'accueillir un jour chez lui en RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo. Ce matin-lĂ , sa dĂ©cision fut prise cet Ă©tĂ©, il irait rejoindre son ami Landry. Elise, son Ă©pouse l'accompagnerait. Les dĂ©marches administratives furent longues, les visas difficiles Ă obtenir. Il fallait aussi convaincre les parents qui s'inquiĂ©taient. En effet, le Kivu, province Ă la frontiĂšre du Rwanda Ă©tait encore une zone instable, fragile, oĂč sĂ©vissaient des bandes de rebelles armĂ©s pillant les villages et violant les femmes. _ Huit mois plus tard, Landry accueillit ses amis Français Ă l'aĂ©roport de Kigali. Il leur servit de guide. Ensemble, ils allĂšrent Ă la rencontre des enfants de Bukavu et des environs. C'Ă©taient des petits ĂȘtres graciles, aux pupilles aurĂ©olĂ©es de blanc. Rire, vivre Ă©taient leurs seules ambitions. Le chemin de l'Ă©cole Ă©tait encore trop souvent celui des champs. Pourtant il aurait suffi de quelques craies, quelques crayons, quelques bancs pour leur ouvrir des horizons nouveaux. _ Un baraquement servait de salle de classe. Le toit Ă©tait percĂ© et le sol en terre battue. Une centaine d'Ă©coliers rĂ©pĂ©tait aprĂšs la maĂźtresse que la terre Ă©tait ronde. A la fin de l'annĂ©e, ils gommeraient les textes Ă©crits au crayon afin que le cahier servĂźt au frĂšre cadet l'annĂ©e suivante. A quelques kilomĂštres de lĂ , il y avait le village des orphelins. Dans leurs yeux, des Ă©toiles brillaient ou pleuraient. Quelle idĂ©ologie avait armĂ© la main des assassins ? _ Pour tous ces enfants, pas de jeux vidĂ©o, de tĂ©lĂ©phone mobile mais des cerceaux, des rondes et des chants. _ Le sĂ©jour dura un mois ! Qu'une famille ayant si peu de revenus pĂ»t leur offrir un tel accueil semblait incroyable ! Cousins, oncles, voisins, amis tous participĂšrent Ă l'hĂ©bergement des mzungus. Nicolas comprit alors que l'objectif premier de ses activitĂ©s ne serait jamais la recherche du confort matĂ©riel, l'individualisme mais la fraternitĂ©. _ Avec son ami Landry, ils envisagĂšrent de crĂ©er une association afin de dĂ©velopper la scolaritĂ© au Kivu. _ De retour en France, Nicolas entreprit de multiples dĂ©marches afin mettre en place le projet. Il obtint le soutien des collectivitĂ©s territoriales. SkolidaritĂ© » Ă©tait nĂ©e. _ Les actions se multipliĂšrent. Des professeurs sensibilisĂšrent leurs Ă©lĂšves aux relations nord/sud. Ainsi, chaque annĂ©e, plusieurs dizaines de kilos de matĂ©riel scolaire furent envoyĂ©es Ă Bukavu. L'association finança aussi la restauration de deux Ă©coles Ă Katana. Une petite passerelle reliait dĂ©sormais des enfants, des ĂȘtres qui Ă©taient nĂ©s quelque part, entre Paris et Kinshasa. _ Aujourd'hui, Nicolas rĂȘve qu'un jour son ami, son frĂšre puisse lui rendre visite. Mais, il semblerait que dans son pays qui fut jadis terre d'accueil la circulation des marchandises, des capitaux soit plus aisĂ©e que celle des hommes. Nouvelle 006 _ DĂ©sespoir postiche On ne peut plus atroce ! J'y crois toujours pas ma Carmen, et le pire, sais-tu ce que c'est ? » _ Les yeux de Carmen s'Ă©carquillent. Il faut absolument qu'elle sache. Catherina songe un moment puis poursuit le pire c'est qu'elle sâest enfuie ! EchappĂ©e la fille ! _ ? Mais il faut agir ! » reprend Carmen en proie Ă lâeffroi. Cinthia Ă©tait entrĂ©e voilĂ un mois dans la vie calme et routiniĂšre de Carmen et Catherina. _ Toutes deux femmes au foyer, ayant pour maris, la premiĂšre Michel un ouvrier, la seconde GrĂ©goire un menuisier, s'Ă©taient passionnĂ©es pour la vie de Cinthia. Lorsqu'elles apprirent que cette derniĂšre avait assassinĂ© son si aimĂ© Alfred, forcĂ©ment lâindignation les submergea aussitĂŽt. _ Cinthia recrue de palabre leur rĂ©pĂ©tait souvent son amour dĂ©roulant toutes les qualitĂ©s dâAlfred et prodiguant des pincements envieux et admiratifs Ă Carmen. Michel et GrĂ©goire nâĂ©taient pas des objets de rĂȘve, rien Ă voir avec un Julien Sorel ou un Werther, dĂ©pourvus de ces airs de rĂȘve ou de cet indĂ©finissable nimbe de mystĂšre irrĂ©sistible, ils avaient plutĂŽt une physionomie dĂ©finissable, vitreuse, on y voyait tout le mystĂšre d'une personne sans mystĂšre ! _ Carmen et Catherina leurs connaissaient d'autres qualitĂ©s qui ne cĂ©daient en rien aux autres quâelles pouvaient illustrer ainsi ils Ă©taient virils, protecteurs, la tĂȘte sur les Ă©paules, c'est vrai un peu trop sur les Ă©paules sans des fois un chancellement sentimental, mais Ă cĂŽtĂ© ils Ă©taient laborieux, sĂ©rieux, simples et fidĂšles. Elles ne les auraient troquĂ©s pour rien au monde. _ Alfred Ă©tait apparu tout Ă©lĂ©gant, dâune beautĂ© mĂąle et discrĂšte emmitouflĂ©e dans un port altier et il Ă©manait de lui une mine avenante capable dâaliĂ©ner le cÂur le plus rĂ©calcitrant. _ Catherina et Carmen avaient toute suite Ă©tĂ© saisies dâune Ă©motion jubilatoire. _ Le soir de la mortelle sĂ©quence, Cinthia parut aux deux amies radieuse. Rien ne laissait soupçonner le forfait qu'elle fomentait. Et dire qu'on avait tellement confiance en elle ! » chevrote Carmen en balançant de la tĂȘte tout en approchant de ses lĂšvres la tasse de thĂ©. Rien n'Ă©tait plus agrĂ©able Ă ces deux femmes que de sâaligner sur un cafĂ© ou un thĂ© et de rire ou de pleurer ensemble autour moment intense qui les dĂ©dommageait d'une vie parfois ennuyante en la lestant des dĂ©lices poĂ©tiques de l'amitiĂ©. _ Un inaltĂ©rable soutien, non mallĂ©able par lâadversitĂ©, singularisait leur amitiĂ©. Catherina revient de la cuisine avec un service de thĂ© Et veux-tu savoir de quelle façon elle l'a assassinĂ©e ? _ ? Mais oui ! Comment ? supplie Carmen Ă©cumant de curiositĂ©. Un coup de couteau ? du poison ? Et son mobile hein ? continue-t-elle ivre d'une inextinguible curiositĂ©. _ ? Mais c'est horrible ! ça a l'air de t'amuser on dirait ! s'exclame Catherina. Moi j'en ai pas dormi de la nuit ! _ ? Ah mais tu prends les choses trop Ă cÂur ! _ ? Mais on parle d'un meurtre Carmen ! se rĂ©crie immĂ©diatement Catherina. _ ? Un meurtre, un meurtre ça va, on sây est habituĂ© tout de mĂȘme ! ? Et l'habitude devrait les banaliser ? _ ? Ne me dis pas que son cas te touche autant ? s'inquiĂšte Carmen. _ ? Tu as peut-ĂȘtre raison, je mâemballe, jâemmĂȘle et mĂȘle tout soupire Catherina. _ ? Mais oui, c'est un meurtre et aprĂšs ? demande Carmen tout en sourcillant l'air de se demander s'il ne manque pas de sucre Ă son thĂ©. _ ? Mais comment fais-tu pour surmonter tout ça ? _ ? Je me dis que ce n'est pas rĂ©el et puis c'est rĂ©glĂ© ! _ ? Je devrais faire pareil » conclut Catherina affligĂ©e. _ Michel et GrĂ©goire qui rentraient du travail se croisent sur la passerelle de la ville. Lâappel de Michel arrĂȘte GrĂ©goire Comment tu vas GrĂ©goire ? _ ? Ah Michel ça peut aller ! La santĂ© va alors tout va et toi ? _ ? Pareil ! un peu de toux avec cette saison sournoise mais pas de quoi se plaindre ! _ ? En parlant de plaintes, j'ai ma Catherina qui me taraude la tĂȘte _ ? C'est Ă dire ? questionne Michel, le mari de Carmen. _ ? C'est qu'elle me paraĂźt affectĂ©e par ces histoires dâAlfred et de Cintala. _ ? Tu veux dire Cinthia ! s'exclame en riant Michel. J'ai la mienne aussi qui me serine avec ces sornettes. _ ? Ah mais c'est que la mienne elle y met du cÂur Ă pleine dose. Elle en souffre au point d'oublier que c'est⊠que c'est⊠_ ? Que c'est rien d'autre qu'une sĂ©rie tĂ©lĂ© ! finit tranchant Michel. _ ? Mais oui ! Rien qu'un maudit feuilleton qui en plus de la dĂ©concentrer de ses taches familiales me la toque au cerveau et mĂȘme lui cause une souffrance dont elle pourrait bien se passer. » _ Les deux guides du foyer rentrent retrouver leurs femmes. Mais avant ils sâarrĂȘtent dans un bar sur la proposition de Michel. Une tĂ©lĂ© y est allumĂ©e et le feuilleton de feu Alfred et de Cinthia apparaĂźt sur lâĂ©cran. GrĂ©goire fixe le poste avec un air de mĂ©pris et dâanimositĂ©. Michel, saisi dâun rire, tape dans lâĂ©paule de son ami. Ce qui a lâheur de le dĂ©rider. Nouvelle 007 _ Dix-huit mois, tous justes I â Alex, mois zĂ©ro _ AccusĂ©, levez-vous ! Alexis Delane, la cour a jugĂ© en son Ăąme et conscience que vous Ă©tiez coupable des faits retenus contre vous, sans la moindre circonstance attĂ©nuante, et en consĂ©quence et conformĂ©ment au droit, vous condamne Ă la peine requise par Madame le procureur de la RĂ©publique, Ă savoir dix-huit mois de prison ferme. AccusĂ©, avez-vous une dĂ©claration Ă formuler ? _ ? Eh bien, heu⊠son excellence, enfin, heu monsieur le juge et puis aussi son altesse le, enfin la, procureur ou la procureuse, je ne sais pas comment il faut dire je dois dire, que lĂ , comme ça, Ă chaud, je ne sais pas vraiment c'est-Ă -dire qu'en fait il ne me vient Ă l'esprit que des injures et ce n'est pas le moment que je rajoute de l'outrage Ă majestĂ© heu, je veux dire, Ă magistrat mais quand mĂȘme, monsieur le juge, madame la procureure, et aussi monsieur mon » avocat commis d'office, je dois dire que j'en ai assez gros sur le cÂur, car c'est un peu dur Ă avaler, et que si je m'autorisais Ă exprimer ma rancÂur, j'insulterai chacun de vous, personnellement, mais aussi vos mĂšres qui nous ont infligĂ© vos existences, vos pĂšres qui auraient mieux fait de se retenir, vos p vos propres maris et femmes, dont je ne comprends rĂ©solument pas les goĂ»ts, vos enfants, enfin, que vous allez formater selon vos prĂ©ceptes de m de m de militants de la bonne sociĂ©tĂ©. Mais, je crois que je vais me taire, j'ai trop de mal Ă respecter le respect que je vous dois respectueusement, comme dirait mon avocat connarmi, heu commis d'office, toutes mes excuses, l'Ă©motion me fait bafouiller. Je vous salue respectueusement, et j'espĂšre que nous nous reverrons aprĂšs que l'institution pĂ©nitentiaire m'aura remis dans le chemin de droite dans le droit chemin, comme ça je pourrais vous remercier comme il se doit, autant que vous le mĂ©ritez, bande d'en⊠d'enfants de la patrie rĂ©publicaine et dĂ©mocratique qui me condamne, forcĂ©ment justement puisque vous avez jugĂ© que c'Ă©tait juste. Mais je dois avouer que, pour le moment, avant l'effet bĂ©nĂ©fique que va avoir ma peine, j'ai encore juste un peu de peine Ă comprendre toute la justesse de cet acte de justice, mais, en dix-huit mois, rassurez-vous, cela viendra, je comprendrai que chacun de ces mois est juste, forcĂ©ment, comme vous le savez, vous qui avez constatĂ© l'effet rĂ©dempteur de la prison sur les autres, bien sĂ»r, ceux que vous avez condamnĂ©s, damnĂ©s cons damnĂ©s. Je m'embrouille. Bafouille. Mes excuses. C'est l'Ă©motion. Je ne m'y attendais pas. J'en suis interdit » _ Interdit de vivre. Oui. Sales cons ! Conspirateurs de l'ordre du plus fort. Juge payĂ© pour mutiler les vies. Procureur payĂ© pour dĂ©fendre la loi aux dĂ©pens des gens. Avocat minable payĂ© pour faire passer la condamnation pour un acte de justice, tout aussi convaincu de ma culpabilitĂ© que le procureur qui est payĂ© pour ça. Avocat sans cÂur. Son cÂur, c'est le code pĂ©nal. Il le connaĂźt par cÂur, il n'y a plus de place pour autre chose. La justice, l'institution, c'est la sclĂ©rose de la sociĂ©tĂ©. La justice, l'idĂ©e, ce serait formidable. VoilĂ ! On peut pas mettre une idĂ©e dans une institution sans que ça gĂąche tout. _ Bon ! J'ai fermĂ© ma gueule. Ils ont dĂ©jĂ gagnĂ© un point en me faisant taire. Je me dĂ©foule dans ma tĂȘte, mais il ne faut pas que ça sorte, pas donner l'occasion d'une augmentation. Dix-huit mois, merde ! Quelle galĂšre ! _ La prison, c'est Ă l'image de la sociĂ©tĂ©, en concentrĂ©. Le plus riche fait la loi, il achĂšte les matons, a des contacts avec l'extĂ©rieur, se fait servir par les autres, leur fout impunĂ©ment sur la gueule. Et les fout, aussi. C'est comme dehors, mais en plus physique, plus direct. Et il n'y a pas moyen d'esquiver, de se planquer. Pas assez grand, la taule, pas de niche oĂč se mettre Ă l'abri de la connerie dominante. La prison, c'est un concentrĂ© de civilisation. Qu'est-ce que je vais devenir dans ce bordel ? Ouais! Je sais. J'avais pris le risque. II  BĂ©a, mois moins deux _ J'espĂšre qu'il se fera prendre, ce salaud d'Alex. AprĂšs ce qu'il m'a fait. Salaud ! Je trime comme une malade, j'y passe des nuits entiĂšres, et lui, peinard dans son appart, il touche le gros lot Ă l'arrivĂ©e, sans rien faire. Et pas moyen de porter plainte, la justice, elle protĂšge pas les dealers. C'est trop injuste. Mais quand mĂȘme, me frapper, moi, sa meilleure vendeuse ! Et la seule qui ne lui fauche pas de fric. Me frapper parce que j'ai disparu deux jours. D'accord, j'avais un peu abusĂ©, mais ça ne lui retire rien. C'est pas pour quelques doses en moins qu'il doit me foutre sur la gueule. Salaud ! III  Alex, mois moins deux _ Ăa ne va plus BĂ©a, elle flanche, pourtant je ne la pousse pas. Je lui en pardonne plus qu'aux autres. C'est peut-ĂȘtre ça le problĂšme d'ailleurs, je croyais qu'elle piquait pour revendre Ă son compte, mais elle pique pour se piquer. Et elle se pique trop. Elle ne tient plus la route. Il faudrait que je la rationne. Pour ça il faut qu'elle n'en ait plus, donc qu'elle ne vende plus. Lui dire que je n'en ai plus ? Ce sera dur de lui faire croire que je ne suis plus approvisionnĂ©, les autres vont rigoler. Et ils vont lui en filer. Faudrait l'envoyer au vert, loin des autres. Sans tĂ©lĂ©phone. Idiot. ComplĂštement dĂ©bile. Il n'y a que la cure de dĂ©sintoxication qui peut me la calmer. _ Ou son frĂšre. _ VoilĂ l'idĂ©e. Il faut que je dise Ă son frĂšre de lui faire suivre une cure de dĂ©sintox. Pas jubilatoire pour BĂ©a, mais efficace. Et c'est bon pour sa santĂ©, en plus. Elle me reviendra en pleine possession de ses moyens et nous pourrons retravailler ensemble. Allez, on y va. Contactons le fou de Dieu. Mais discrĂštement, il serait capable de tous les excĂšs, celui-lĂ . IV  Rachid, mois moins un. _ Si j'avais su que ma sÂur se droguait ! Quelle imbĂ©cile ! Elle aurait pu m'en parler de son malaise existentiel, j'aurais su lui montrer la Voie de Dieu ! Mais, je sais ce qu'il faut faire. D'abord, la soigner, comme l'a dit ce cet inconnu. Bizarre, il n'a pas eu le courage de venir me voir. Il me tĂ©lĂ©phone pour me dire que ma sÂur est droguĂ©e. Quel manque de dĂ©licatesse ! Il aurait pu venir m'en parler. Et ma pauvre sÂur, moi qui la croyais un peu attardĂ©e mais innocente ! C'est vrai qu'elle a toujours Ă©tĂ© trop mallĂ©able. Il doit se sentir coupable, pour agir comme ça, en se cachant. Oui, c'est sans doute lui qui lui a fait goĂ»ter. Il a mĂȘme pu la forcer. Le monstre ! Et maintenant il essaie de se racheter. Ah, si je le trouve, si je le trouve ! _ Bon, ne nous emballons pas. AprĂšs tout, c'est peut-ĂȘtre quelqu'un qui ne veut que son bien, un admirateur qui n'a pas rĂ©ussi Ă la convaincre d'arrĂȘter. Rachelle lui aura parlĂ© de moi, de mon influence sur elle. Il faut que je m'en mĂȘle. Il va falloir qu'elle me raconte tout, Rachelle, comment elle est arrivĂ©e si bas. Se droguer ! Dieu Tout Puissant ! C'est vrai qu'avec les errements de nos parents, il est normal qu'elle ait du mal Ă trouver sa voie. C'est pourtant lumineux ! Enfin, ne jetons pas la pierre aux aveugles, c'est de soutien qu'ils ont besoin. Et puis, elle se fait appeler BĂ©atrice ! Un nom ChrĂ©tien ! C'est peut-ĂȘtre le dĂ©but de la rĂ©vĂ©lation. Un signe ! _ Mais bon, la drogue, ce n'est pas ChrĂ©tien. Il n'a pas prĂ©cisĂ© quelle drogue, l'inconnu, mais s'il lui faut une cure de dĂ©sintoxication pour s'en sortir, c'est qu'elle est fortement aliĂ©nĂ©e, c'est du sĂ©rieux. Je serai ton guide sur ton Chemin de Croix, ma chĂšre Rachelle, je t'aiderai Ă dĂ©couvrir la VĂ©ritĂ© Mais avant de te trouver une passerelle vers le salut, je te sors de lĂ . Une cure de dĂ©sintoxication et des vacances, disait l'inconnu; je ferai mieux, une retraite, dans un lieu de calme et de repos fait pour les Ă©garĂ©s qui ont besoin de mĂ©diter un peu. Le chĂąteau de Choupigny sera parfait. Ils offrent des sĂ©quences de remise en forme pour les droguĂ©s, ils savent les soigner, lĂ bas. V  BĂ©a, mois moins un _ Ah ! Mais quel con mon frĂšre ! Elle est pas possible cette famille ! J'aurais dĂ» me mĂ©fier de son invitation Ă passer un week-end Ă la campagne. Il sait bien que je ne supporte pas les calotins. J'avais acceptĂ© pour lui faire plaisir, et puis un week-end dans un chĂąteau, ce n'Ă©tait pas pour me dĂ©plaire. Il n'y a que des nases, mais ça peut ĂȘtre une occasion de refiler de la camelote Ă bon prix. Mais lĂ , c'Ă©tait le bouquet ! Un centre de dĂ©sintoxication pour pĂ©cheur repenti ! Putain, mais je ne me repends de rien ! Ăvidemment, ils ont commencĂ© par me chouraver mon stock. Et comme y en avait un paquet, ils ont appelĂ© les flics. Dealer ! Horreur ! Vous n'avez pas honte ! Heureusement, je sais apitoyer le bourgeois. J'ai jouĂ© le mĂ©lodrame de la pauvre fille dĂ©pendante qui ne peut obtenir sa dose qu'en revendant mais qui serait prĂȘte Ă troquer son stock contre du cafĂ©. Sont toujours prĂȘts Ă pardonner, les culs bĂ©nis, parce que si on pardonne, hein, c'est qu'on est supĂ©rieur. Sales cons ! Est-ce qu'on les empĂȘche de s'envoyer en l'air avec leurs hosties ! Y a qu'Ă regarder mon frangin pour voir qu'il est complĂštement allumĂ©, accroc de la transcendance, chtarbĂ© au missel, pĂ©tĂ© aux cantiques, shootĂ© au pĂ©chĂ© originel. La dĂ©sintox, ça existe pour les junkies, mais ça reste Ă inventer pour les roumis et pour les goyes, comme disaient les parents. _ Le seul truc positif, c'est qu'Alexis va payer ! Fallait que je dĂ©nonce mon fournisseur pour qu'ils passent l'Ă©ponge, eh bien, j'ai pas hĂ©sitĂ©, bien fait pour ça gueule ! Et avec les quantitĂ©s qu'il brasse, il pourra toujours essayer de raconter qu'il en a vraiment besoin, qu'il a tout un village Ă charge ou qu'il est trop noir pour trouver un autre boulot. Il Ă©copera ! Ce genre de mobile, ça braque le bourgeois, ça ne l'apitoie pas. _ L'ennui, c'est qu'il va falloir trouver un autre fournisseur, et il ne va certainement pas fermer les yeux si je m'illustre par des prĂ©lĂšvements, lui. VI  Ăpilogue  Alex, mois plus deux _ Bon, je ne m'en sors pas trop mal. SĂ»r, ce n'est pas Byzance, la taule, mais je suis solide, je rĂ©sisterai. Et surtout, j'ai rĂ©ussi Ă maintenir mon bizness Ă un niveau acceptable. Ils ne se sont rendu compte de rien au village. Sous l'arbre Ă palabres, ils disent que l'Ă©cole tourne bien et que l'instituteur est sĂ©rieux. Tant que je continue Ă le payer, c'est bon. Et le dispensaire va pouvoir ouvrir, avec une infirmiĂšre sur place Ă temps plein. Pas trĂšs nette, l'infirmiĂšre, le genre qu'aura BĂ©a dans quelques mois, aprĂšs sa cure, mais avec plus d'Ă©tudes. Et puis une interdiction de sĂ©jour en France, ça motive pour redĂ©marrer une nouvelle vie. SĂ»r qu'elle fera du bon boulot, si elle arrive Ă rĂ©sister Ă l'appel de sa pharmacie. Nouvelle 008 _ ? Cassette numĂ©ro huit cent soixante-treize tiret N trois soixante-huit. Jennifer Stenwick _ ? Je m'appelle Jenny Stenwick, je suis tĂ©moin dans une affaire de meurtre. _ Le mĂ©decin arrĂȘta l'appareil. Face Ă lui, un inspecteur de police griffonnait sur son calepin. _ ? Au tout dĂ©but, reprit le psychiatre, c'est le bureau du procureur qui nous l'a emmenĂ©e il y a six mois. Je devais Ă©couter son histoire et leur faire un bilan psychologique. J'ai d'abord conclut au mensonge son discours Ă©tait mĂȘlĂ© d'incertitudes et ses yeux Ă©taient sans cesse mobiles. _ ? C'est un tĂ©moin dans une affaire de meurtre, elle Ă©tait tout simplement apeurĂ©e , grogna l'inspecteur. _ ? C'est ce que m'a dit le procureur. A la suite de cela, la dĂ©fense a fait appel Ă moi. Elle voulait que je tĂ©moigne pour rĂ©futer mademoiselle Stenwick au tribunal. Avec le soutien de quelques amis de couleur, ils m'ont convaincus d'agir, continua le mĂ©decin, le regard cupide. _ ? Cessez donc vos palabres ! Vous avez Ă©tĂ© achetĂ© tout simplement, s'Ă©nerva l'inspecteur. Que vous ont-ils demandĂ© exactement ? _ ? De lui faire passer la passerelle entre la raison et la folie. _ ? Vos jolies tournures ne vous sont d'aucune utilitĂ©. Exprimez-vous clairement. _ ? Ils voulaient que je l'aliĂšne pour la rendre plus mallĂ©able. _ ? Et vous avez acceptĂ© ? Le psychiatre reprit une gorgĂ©e de cafĂ©. _ ? Vous ne savez pas comme il est jubilatoire d'avoir le contrĂŽle sur un ĂȘtre humain. J'ai Ă©tĂ© pour elle un guide. J'ai tout planifiĂ©. Ensemble, nous sommes descendus jusqu'aux trĂ©fonds de la folie. Et croyez-moi, Ă chaque sĂ©quence que vous entendrez sur cette cassette, vous ne pourrez que constater la dĂ©gradation progressive de son esprit. _ A mesure qu'il parlait, son visage Ă©tait dĂ©formĂ© par un sourire satisfait surĂ©levĂ© d'une pointe de machiavĂ©lisme. Afin d'illustrer ses propos, il avança la cassette et appuya sur le bouton play. _ Jenny avait troquĂ© sa voix fluette et dĂ©boussolĂ©e par une intonation vide d'expression. _ ? Mon nom est Jenny. Je vis dans un centre avec d'autres gens comme moi. Un jour, je serais guĂ©rie. En attendant, je lutte contre des souvenirs que je me suis fabriquĂ©. L'inspecteur arrĂȘta l'appareil hors de lui. Il se leva et fit signe Ă deux hommes derriĂšre lui qui emmenĂšrent le mĂ©decin. Il sortit de la piĂšce et alla dans la salle Ă manger. Toutes sortes d'individus Ă©taient attablĂ©es. Certains se faisaient donner la becquĂ©e. Il alla s'asseoir face Ă une femme qui ressemblait d'avantage Ă une enfant perdue. _ ? Jenny ? Tu vas venir avec nous, nous allons te soigner. Les souvenirs que tu as sont rĂ©els. Le docteur Bernard a Ă©tĂ© payĂ© pour que tu ne paraisses plus crĂ©dible au tribunal. _ ? Alors vous me croyez, demanda la jeune fille le sourire aux lĂšvres. L'inspecteur hocha la tĂȘte en souriant paternellement. Un policier se pencha Ă son oreille _ ? Chef, comment on va la rendre normale avant la semaine prochaine ? _ L'inspecteur entra dans un parloir. Il prit place face au psychiatre qu'il venait d'arrĂȘter. _ ? Combien vous a donnĂ© la dĂ©fense, interrogea-t-il. _ ? Trois mille cinq cent euros. _ ? Pour sept mille euros, vous serez capable de la faire redevenir normale ? Nouvelle 009 _ Riant Tu en penses quoi, toi, de cette histoire ? » me demanda, brusquement, ma femme alors que nous Ă©tions confortablement installĂ©s, ensemble devant la tĂ©lĂ©vision, prĂȘts Ă passer une de ses soirĂ©es, qui adoucissent le cÂur, lorsque les intempĂ©ries se dĂ©chaĂźnent Ă l'extĂ©rieur. _ La sĂ©quence publicitaire, qui dĂ©coupait le film du dimanche soir, commençait. J'ĂŽtais le son, laissant les images, s'agiter toutes seules. Pour rĂ©pondre Ă sa question, je me songeais de nouveau au dĂ©but du film, que nous venions de voir. Tu sais, pour l'instant, le rĂ©alisateur pose le dĂ©cor, met en place les personnages et installe l'intrigue », rĂ©pondis-je prudemment. Devant l'absence de rĂ©action de sa part, je me tournai vers elle. _ Assise, toute droite, Ă cĂŽtĂ© de moi, sur le bord du grand canapĂ©, elle semblait sur la dĂ©fensive. Je repris, conciliant Si ce film ne te plaĂźt pas, il y a un trĂšs beau documentaire sur l'Afrique du Sud, sur l'autre chaĂźne, si tu veux ». J'espĂ©rais que ledit film, mettrait l'accent toutefois, au delĂ , du cĂŽtĂ© Ă©vasion de ce pays, qui me fascinait depuis toujours, par ses envolĂ©es lyriques de paysages grandioses, sur la violence urbaine, les problĂšmes politiques et Ă©conomiques d'une grande nation, en pleine mutation. Non, non, laisse » reprit-elle d'une petite voix incertaine, qu'elle avait troquĂ©e, contre son expression habituelle, plus directe et volontaire. Tendrement, je passais mon bras, par-dessus son Ă©paule et la serrais contre moi. Elle ne rĂ©sista pas au soutien rassurant de mon corps contre le sien. _ Le film reprenait, je n'insistais pas. C'Ă©tait une comĂ©die douce amĂšre, pleine de quiproquos subtils, qui en faisait la saveur, mettant en scĂšne une rĂ©union de famille, tournant peu Ă peu, au pugilat verbal, que je trouvais jubilatoire. Vraiment excellent, ce X B , quel gĂ©nie, quel talent de conteur, ce rĂ©alisateur, tu ne trouves pas ? m'esclaffais-je, les yeux rivĂ©s sur l'Ă©cran, sans un regard pour la forme blottie contre moi. Il sait si bien crĂ©er cette passerelle entre hommes et femmes, qu'il crĂ©e un lien naturel entre eux. L'amour ou la haine deviennent incontournables, mais jamais lĂ oĂč on l'aurait pensĂ©. C'est tout l'intĂ©rĂȘt du film » analysais-je, un peu trop sĂ»r de moi. _ Devant le mutisme inhabituel de ma femme, je jetais un bref coup d'Âil Ă ma droite. Saisi, je vis alors des larmes muettes, couler en fontaine rĂ©guliĂšre, sur ses joues rebondies. L'ambiance plutĂŽt caustique du film et la rapiditĂ© des situations, ne justifiaient un tel cataclysme lacrymal. Mais enfin, Chouchou, que se passe-t-il ? » lançais-je, exaspĂ©rĂ© soudain, par cet air maussade, que je ne comprenais pas. Brandissant d'un geste rageur, la baguette magique de la tĂ©lĂ©commande, pour couper une nouvelle fois le son, en direction de la boite Ă histoires, comme je l'appelais quand j'Ă©tais petit, elle sursauta, devant une mauvaise humeur inattendue de ma part. _ Des hoquets entrecoupĂ©s de sanglots, la secouaient toute entiĂšre maintenant. Ils l'empĂȘchaient de m'expliquer, l'origine des sentiments, qui l'aliĂ©naient de la sorte. Il me fallait agir pour endiguer la marĂ©e, qui menaçait de faire sombrer le frĂȘle esquif, de celle qui faisait bien plus, que partager ma vie, depuis trente ans. Elle l'occupait toute entiĂšre, Ă vrai dire, tantĂŽt drĂŽle, tantĂŽt grave, toujours inventive. Elle Ă©tait Ă elle seule, toutes les facettes d'un diamant rare, passant de l'une Ă l'autre, dans un Ă©clat sans cesse renouvelĂ©, qui faisait d'elle une personne Ă©mouvante, irrĂ©sistible, mallĂ©able en apparence. Elle avait aussi de ces longs silences, dans lesquels, elle s'enfermait, inaccessible, perdue dans les vastes espaces, de son monde intĂ©rieur, peuplĂ©s d'ombres et d'histoires hĂ©ritĂ©es. De lĂ , il m'Ă©tait presque impossible d'entrer en contact, avec la partie animĂ©e de son ĂȘtre. _ Tout palabre Ă©tait inutile, ainsi au fil du temps, j'avais mis au point une tactique, qui rĂ©sidait en une grande patience, une fois les soins d'urgence prodiguĂ©s. Je me levais et passais rapidement dans la cuisine, puis la salle de bain, tout au bout du couloir. J'en revins successivement, chargĂ© d'un plateau, contenant un verre d'eau, oĂč j'avais prĂ©alablement comptĂ©, le nombre de gouttes prescrit, par le mĂ©decin, une tasse de cafĂ© restĂ© chaud, dans l'appareil Ă©lectrique, posĂ© sur le bar de la cuisine, une jolie boite de mouchoirs en papier doux et un flacon d'eau de rose. Je posais le tout sur la table basse du salon, en verre dĂ©poli et m'assis de nouveau Ă ses cĂŽtĂ©s, sans rien dire. _ Contre le coussin du canapĂ©, qui l'enveloppait, presqu'entiĂšre, elle demeurait silencieuse et figĂ©e. Reconnaissante, face au dĂ©ploiement discret de ma sollicitude, elle esquissa ce petit sourire tremblĂ©, qui me chavirait le cÂur chaque fois. Doucement, je pris sa main, en signe d'encouragement. Un moment plus tard, le verre but, le cafĂ© tiĂ©dissant, le visage rafraichit, elle leva enfin, ses yeux sombres, encore humides, vers moi. _ Puis se jetant Ă l'eau, comme on joue son va-tout, dans une grande inspiration, qui fit gonfler sa poitrine encore haute et ferme, elle dĂ©clara tout de go, Tu m'Ă©coutes mais tu te tais ! » Elle me lança encore un regard noir, bien appuyĂ©. Je souris Ă ces directives enfantines. Sa voix lĂ©gĂšre reprit sa course Je vais illustrer mon idĂ©e par une comptine, que voici C'Ă©tait un enfant perdu, C'Ă©tait un enfant tout nu, OubliĂ© dans une cage d'escalier, C'Ă©tait un enfant abandonnĂ©, Un trop mal aimĂ©, qui avait fuguĂ©, Parti cherchĂ©, le visage rĂȘvĂ© d'une maman, un compliment, Un geste envers un enfant, C'Ă©tait un enfant perdu, C'Ă©tait un enfant tout nu, TrouvĂ© noyĂ©, au fond d'un cours d'eau glacĂ©, Il a juste glissĂ©, a-t-on expliquĂ© » Elle s'est tu. _ Une fois de plus, cette femme, qui Ă©tait la mienne, me prenait au dĂ©pourvu. Les mots prĂ©cieux, qu'elle tirait du plus profond d'elle-mĂȘme, me dĂ©concertaient toujours autant. J'ignorais le mobile, qui la poussait Ă aborder le sujet, de ce qui n'Ă©tait qu'un malheureux fait divers. Je savais seulement, que pour elle, c'Ă©tait un fait d'hiver, l'hiver d'une enfance saccagĂ©e. Ces appels, ces guides intĂ©rieurs, insondables et puissants, qui n'appartenaient qu'Ă elle, j'avais appris Ă apprĂ©cier, avec le temps. La difficultĂ© Ă©tait qu'elle ne renonçait jamais, Ă ce que son intuition ou sa sensibilitĂ© lui dictait. _ Dans le cas prĂ©sent, sans pouvoir remĂ©dier Ă la mort de cet enfant, qui ne lui Ă©tait rien, elle me demandait rien moins que de l'accompagner, sur les lieux de la tragique disparition. Elle voulait rendre au petit garçon, un dernier hommage, lĂ oĂč il avait eu froid et peur du noir, si seul. Avec un sentiment d'impuissance, auquel se mĂȘlait une certaine perplexitĂ©, je la suivi nĂ©anmoins, lorsqu'elle se leva aussitĂŽt, sans attendre mon assentiment, en direction de la vĂ©randa. Tout en la regardant, enfiler impermĂ©able, chapeau de pluie, bottes en caoutchouc, nouer une grosse Ă©charpe de laine colorĂ©e Ă son cou fragile, je passais songeur, mon caban Ă mon tour. _ Une fois en voiture, sous la bourrasque aigre de novembre, je lui demandai » lĂ bas, que veux tu faire ? Rien, rĂ©pondit- elle, tranquille et sereine. Je veux lui parler, embrasser son souvenir, pour que s'efface le passĂ© et s'apaise son avenir. » C'est un peu tard, non ? » grognais-je, mĂ©content, d'avoir vu un bon film sacrifiĂ©, pour une promenade nocturne, dont le cĂŽtĂ© morbide m'angoissait dĂ©jĂ . _ ArrĂȘte toi, il est lĂ ! » entendis-je soudain. Une courte silhouette, un peu floue, Ă©tait apparue dans les phares. Je freinai, ma femme descendit de voiture. Elle s'avança doucement et pris par la main, de ce qui devait ĂȘtre un enfant. Sans y croire, je les regardais, s'Ă©loigner, au-delĂ de la lueur jaune dispensĂ©e par le vĂ©hicule et s'enfoncer dans les bois, le long de la riviĂšre, qui serpentait en fond de vallĂ©e, paisible et immuable. Nouvelle 010 _ Agir Toutes les lignes de votre correspondant sont actuellement occupĂ©es, nous vous invitons Ă renouveler ultĂ©rieurement votre appel. _ ? Salope ! _ ? Quoi ? _ ? Non, non je causais au robot. _ ? Ha ! Je me disais, pour une fois que t'as des couilles. Cette remarque lapidaire acheva d'attrister Tristan. Il laissa choir le combinĂ© comme le vaincu dĂ©pose les armes, rĂ©primant un soupir dans un sursaut d'orgueil, l'observant d'une moue lasse qui se voulait un Âil torve. Elle, quant Ă elle, s'Ă©tait un peu plus terrĂ©e dans la couette, une couette d'un blanc passĂ© ou douteux. De son corps, on ne voyait que la nuque replĂšte et une touffe de cheveux bruns. Il aurait pu dire ha ouais ? », mais il se retint. Il n'avait plus de suite que dans les dĂ©buts d'idĂ©es. _ D'ailleurs, le cafĂ© bouillait. _ ? Merde merde ! _ De la cuisine, il l'entendit grogner. _ ? Et tu comptes t'en occuper quand du coup ? _ ConsĂ©quent, il revint dans la chambre la casserole Ă la main, plic-plocant sur le sol. Elle, quant Ă elle, n'avait pas mĂȘme sorti la tĂȘte. _ ? Je sais pas, j'appellerai du boulot, de mon mobile. _ Elle rit Ă en glacer le cafĂ©. _ ? Tu peux pas t'empĂȘcher de parler comme une grand-mĂšre, ton mobile » ! _ Il ne trouva rien Ă balbutier. Il baissa les yeux. _ ? Merde ! _ C'est quand elle sentit l'humiditĂ© au niveau de son pied qu'elle se dĂ©cida Ă jaillir. _ ? Mais c'est pas vrai, quel boulet ! _ Tristan, Ă genoux sur la couette, avait troquĂ© sa casserole contre une Ă©ponge et tentait tant bien que mal de rĂ©parer ses erreurs, mĂȘlant au cafĂ© Ă©paissi de gĂ©nĂ©reuses gorgĂ©es d'eau malodorante. _ ? Pousse toi connard ! _ Lui ĂŽtant l'Ă©ponge des mains, elle le gicla contre le mur afin de fournir un soutien plus Ă©nergique. Tandis qu'il se massait l'Ă©paule en poussant un vague gĂ©missement, il se prit Ă l'observer. Haut le cÂur dans la gorge. Elle frottait, frottait comme une dĂ©ratĂ©e. Il prit la pleine mesure de son Ă©chec. _ Par quelque cruautĂ© de la mĂ©moire, il se rappela ses annĂ©es de gloire quand, looser fantastique, il alpaguait les jeunettes de 7 ans plus jeunes que lui en s'illustrant dans les bars, les volutes de la pipe pour Ă©paissir le mystĂšre de sa barbe, la palabre de l'illusionniste dans le clair obscur des photophores, il se rappela comment, brandissant le sobriquet de quelques autres poivrots qui posaient lĂ comme un sĂ©same maçonnique, de mallĂ©ables petites volontĂ©s dĂ©voilaient leur dĂ©colletĂ©s qu'enfin il fouaillait quasi sur quelque illustre passerelle au clair de lune, sans y dĂ©poser un catleya. _ Peut ĂȘtre mĂȘme certaines avaient dĂ» finir par enjamber la rambarde, ne put-il s'empĂȘcher de penser avec un soupçon de fiertĂ©, lui, le tĂ©nĂ©breux, l'indomptable, le beau fuyant. _ Puis elle arriva. _ Elle Ă©tait jeune, elle lui plu. Il se montra Ă la hauteur de sa lĂ©gende, brillant dans l'ombre, et elle fut convaincue de devoir le sauver. Il la prit sous son aile, elle le raccompagnait sur ses Ă©paules, et quand il n'Ă©tait pas encore dans le coma, en bon guide des tĂ©nĂšbres, il lui expliquait avec emphase les chemins tortueux de l'existence et leurs chausse-trappes solaires, quand, quant Ă elle, elle continuait vaillamment de grandir mine de rien en le traĂźnant dans le monde Si bien qu'un jour, il se surprit Ă refuser un verre de bourbon que lui tendait son beau pĂšre car il se sentait lĂ©gĂšrement ballonnĂ©. _ Il disparut pendant trois jours. _ Peut ĂȘtre en Bretagne humer quelques ruines, on ne le sut jamais, enfin pas trĂšs loin, elle finit par le retrouver sur le pas de sa porte, minable, lui jurant de s'amender. Lui, le tĂ©nĂ©breux, aliĂ©nĂ©. _ A partir de lĂ les sĂ©quences s'enchaĂźnent, l'arrĂȘt de l'alcool, la diminution du tabac, les ballades en vĂ©lo, la nouvelle coiffure, le rasage, les brocantes, l'emmĂ©nagement, la recherche d'un boulot, les conseils de belle-maman. Et croissant, l'Ă©vidence de son inanitĂ©. Aussi Ă l'aise dans la routine qu'un chat dans la flotte. MĂ©prisĂ© par une maniaque s'Ă©chinant comme une tarĂ©e Ă blanchir la couette jadis repeinte par leurs premiers Ă©bats. Etait-ce donc cela, ĂȘtre ensemble ? _ Leurs regards se rencontrĂšrent. _ ? Tu vas continuer encore longtemps Ă me fixer comme ça ? Mais regardes toi ! Tu peux pas bouger ton cul un peu ? Te comporter en homme pour changer ? Non ? Tu rĂ©ponds rien ? Mais agis bon sang, agis ! _ L'Ă©ponge fit ploc sur sa cravate. Ho putain, se dit Tristan. *** _ Dans la rue, en route vers le travail, chacun de ses pas comme un coup de tonnerre, Tristan ressassait en souriant sa jubilatoire vengeance. _ Dans la cuisine, tandis qu'elle prenait sa douche, il avait remis la casserole sur le feu. Nouvelle 011 _ La vie est plus belle dans les nouvelles Doucement, en faisant attention oĂč je mets les pieds, je m'extirpe de l'avion qui m'a emprisonnĂ©e pendant prĂšs de douze heures. La passerelle met du temps Ă arriver, puis, enfin, je touche le sol, le vrai. Un enfant montre du doigt l'un des bagagistes, oui il est noir, et alors ? C'est sans doute la premiĂšre fois que cet ĂȘtre innocent franchit le seuil de sa petite zone de confort. D'un coup de coude discret, la mĂšre lui fait baisser le bras, elle a honte et ça se voit. _ La sĂ©quence illustre parfaitement le manque d'ouverture de nos esprits, la rigiditĂ© de nos pensĂ©es, et c'est pour ça que je suis ici aujourd'hui, ou plutĂŽt contre ça. Je veux ĂȘtre mobile, permettre Ă ma personnalitĂ© de se former continuellement, de s'enrichir de toutes les images, les sons et les odeurs qu'elle peut absorber. Etre mallĂ©able, ce n'est pas ĂȘtre influençable dans le mauvais sens du terme, bien au contraire, c'est ĂȘtre ouvert au changement et Ă la nouveautĂ©, qui sont souvent synonymes de progrĂšs. Je suis fiĂšre de mon choix, fiĂšre d'avoir pris le large, bien que quelques jours seulement, pour fuir un mode de vie effrĂ©nĂ©, trop loin des choses essentielles que je m'apprĂȘte Ă connaĂźtre ici. _ En allant rĂ©cupĂ©rer mes bagages, d'un pas sĂ»r et dĂ©cidĂ©, je repense une derniĂšre fois au rythme de folie que je menais ces jours derniers et ferme une fois pour toute la petite case travail » de mon cerveau. Sur cette terre encore Ă dĂ©couvrir, j'ai bien l'intention de retrouver mon identitĂ©, jusqu'Ă prĂ©sent aliĂ©nĂ©e par des forces supĂ©rieures que je ne pouvais contrĂŽler, des horaires et des attitudes qui ne me correspondent pas. Aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie. Qu'il est bon de se retrouver loin de tout ce que l'on connaĂźt, loin de la frĂ©nĂ©sie ambiante de la ville, sans internet, sans tĂ©lĂ©phone portable ! Qu'il est bon de se dire qu'on est injoignable, qu'aucun appel ne viendra interrompre nos activitĂ©s passionnĂ©es, et que nous ne dĂ©pendons de rien ni de personne ! _ Libre, je suis libre d'agir comme bon me semble, de me lever et de me coucher avec le soleil, sans alarme, de dĂ©guster les fruits que j'aurai cueilli de l'arbre, de me laver nue dans la riviĂšre, de courir Ă ma guise, de chanter et de parler, autant que je veux, et quand je veux. Le moment est d'autant plus jubilatoire qu'un rayon de soleil vient me chauffer le visage. La tempĂ©rature est excellente, je sens la chaleur sur ma peau sans Ă©touffer, l'air passe dans mes cheveux et les emmĂȘle gentiment. _ Un homme s'avance vers moi et me propose un taxi, j'accepte. Il s'occupe de mon chargement sans broncher, la figure agrĂ©able. AprĂšs deux heures de route et deux autres de piste, j'arrive enfin Ă mon point de chute. Je n'ai pas dormi, tout juste somnolĂ©, la beautĂ© des paysages m'a maintenu alerte tout au long du trajet. Ce village du bord de mer, paisible et apaisant Ă la fois, reculĂ© et protĂ©gĂ© de la civilisation fourmillante, me semble alors parfait. Je m'empresse de dĂ©poser mes affaires Ă l'auberge et de courir Ă la plage. _ Sur le chemin, j'aperçois un homme Ă la peau couleur d'Ă©bĂšne, assis sur un rocher, il scrute l'horizon. Je me surprends Ă lui faire signe. Sa tĂȘte se tourne discrĂštement vers moi, et d'un geste de la main il me rĂ©pond. Nous pourrions en rester lĂ mais, comme d'un commun accord, nous nous avançons l'un vers l'autre, et marchons dĂ©jĂ ensemble, Ă la conquĂȘte de l'inconnu. Moi qui suis plutĂŽt timide d'habitude, je me trouve trĂšs Ă l'aise au moment de le saluer en lui serrant la main. Au contact de nos peaux je frissonne. Il me sourit et, l'espace d'un instant, il m'apporte un soutien moral inestimable, par sa simple prĂ©sence Ă mes cĂŽtĂ©s. Ma premiĂšre vĂ©ritable rencontre depuis que j'ai quittĂ© ma routine me ravit. Un bel homme, grand et fort, rassurant. Il porte une chemise bleu-ciel qui sublime la couleur de sa peau et laisse s'Ă©chapper une odeur forte de masculinitĂ©. Je lui demande qui il est, ce qu'il fait dans la vie, il me rĂ©pond qu'il est guide touristique, qu'il organise des virĂ©es jusqu'aux cascades, et me propose de l'accompagner. _ Nous troquons un regard complice puis, bercĂ©e par son accent rĂ©sonnant, je dĂ©cide de le suivre. Il me prend par la main et m'emmĂšne vers la colline. Me voilĂ au premier jour de mon sĂ©jour dĂ©jĂ envoutĂ©e par les couleurs locales. Nous marchons Ă©nergiquement vers le sommet, il nous fraie un chemin en Ă©cartant les branches sur son passage et me prĂ©vient dĂšs la moindre inclinaison de terrain, dĂšs le moindre obstacle, comme soucieux de mon confort et de mon bien ĂȘtre. Il paraĂźt surpris de me voir le suivre avec autant d'aisance. _ Il s'arrĂȘte et me montre du doigt une plante que je n'ai jamais vue. C'est en m'approchant que je reconnais les grains de cafĂ© encore verts qu'il me fait toucher et sentir, je ferme les yeux. Il ne parle pas, le temps s'est arrĂȘtĂ©. LĂ , je sens sa main lourde qui touche mon visage avec dĂ©licatesse. Puis, un baiser. J'ouvre les yeux. Il sourit. Ses dents blanches et alignĂ©es se veulent rassurantes. Il repart en avant, nous continuons Ă marcher, je languis le prochain arrĂȘt. Finalement, sous un arbre Ă©norme que je ne saurais identifier, il prĂ©pare le terrain. Je le vois qui se met Ă arracher d'une main les plantes Ă©pineuses, jeter les cailloux, Ă©loigner les bouts de bois et tout autre Ă©lĂ©ment naturel qu'il serait mal venu de sentir en bas du dos ou derriĂšre la nuque. Je comprends bien ce qu'il fait, et j'attends patiemment. Enfin, il dĂ©noue le parĂ©o que j'avais autour de la taille et l'Ă©tend Ă mĂȘme le sol, juste Ă l'endroit oĂč, innocemment, il a crĂ©e un nid d'amour pour la satisfaction simple d'un dĂ©sir charnel. Je regarde autour de moi. Pas un nuage dans le ciel, un soleil resplendissant, une nature luxuriante, et lui. C'est ici que, sans aucune hĂ©sitation, nos corps vont se mĂȘler Ă l'infini. Mes mains parcourent son corps lisse et tendu, serrĂ©e contre lui je sens la densitĂ© de son torse, son regard ne me quitte pas. Je lĂšve un instant les yeux, et je crois reconnaĂźtre l'image d'un arbre Ă palabres, celui que l'on voit dans les illustrations des contes pour enfants, autour duquel le sage du village rĂ©unit ses semblables pour soulever une problĂ©matique ou rĂ©soudre un conflit. C'est ici qu'il a choisi de prendre possession de moi. Sous cet arbre presque magique, ce sont tous les conflits du monde que nous avons l'impression de rĂ©soudre par notre acte d'amour. Nos sexes se rencontrent, nos substances s'Ă©changent, nos identitĂ©s fusionnent. _ Puisque je dois mourir un jour, que ce soit ici et maintenant. Nouvelle 012 _ Le rendez-vous de l'espace DĂ©cembre pluvieux, grisaille de fin d'automne. Une femme sort de la librairie Decitre. DĂ©jĂ la nuit descend, mais elle ne veut pas rentrer chez elle. Il est trop tĂŽt pour s'enfermer dans ce studio oĂč personne ne l'attend. L'enfant qui aurait 2 ans ce mois-ci n'a jamais vu le jour. Triste anniversaire d'un deuil programmĂ© oĂč elle perdit et ses derniĂšres illusions et l'enfant qu'elle aurait appelĂ© Philippe. Elle rĂȘvait d'un petit garçon pour prononcer ce prĂ©nom jubilatoire. _ Machinalement, elle s'allume une cigarette, comme on s'aliĂšne. La pluie mouille sa royale green, alors, sans mĂȘme y songer, elle entre Ă l'Espace, ce cafĂ© coincĂ© entre les deux Decitre et la dĂ©jĂ ancienne librairie des nouveautĂ©s. _ Elle se trouve une table, prĂšs de la fenĂȘtre. Elle a Ă©crasĂ©, comme il se doit, sa cigarette mentholĂ©e avant d'entrer. Elle se commande un verre de vin de paille du Jura, soutien Ă©phĂ©mĂšre Ă son vague Ă l'Ăąme chronique. Elle pose sur la table, ses lunettes Ă la monture extra-souple. La voilĂ dans son cocon, sĂ©parĂ©e des autres par les 5 dioptries protectrices de sa myopie. Il n'y a plus qu'elle et son vin de paille qui lui rappelle celui qu'elle ne peut oublier. Elle feint d'ignorer l'homme qui l'observe Ă l'autre bout de la salle. Elle ne peut distinguer ses traits, mais elle sent son regard sur elle. _ Il se lĂšve et vient Ă elle. Le voilĂ maintenant Ă portĂ©e de sa myopie. Remonte alors, un passĂ© vieux de cinq ans, une histoire toujours prĂ©sente, qu'elle ressuscite Ă chaque rĂ©veil, comme un enfant tĂ©moigne malgrĂ© lui de ses parents. Ils esquissent, l'une autant que l'autre, un sourire timide, quand leurs regards sont dĂ©jĂ ou encore complices. Les voilĂ assis l'un en face de l'autre et cette situation les dĂ©route. Avant, ils n'avaient pas besoin de se voir pour se savoir ensemble ». Un silence Ă©trange se tisse, qui les unit. Lentement, ils s'accordent dans la confusion des bruits qui les entourent, comme un orchestre avant le lever de rideau. _ Le temps d'un aller-retour Ă sa table, le revoilĂ avec son thĂ© froid et sa rondelle de citron qui boit la tasse. _ ? Vous dĂ©sirez autre chose ? _ ? La mĂȘme chose. _ ? Du vin de paille ? Vous ne devriez pas. Enfin c'est moins fort que le Macvin. » _ Ces vins, il les connaĂźt. MĂȘme si c'est Ă Lyon qu'il vit, il demeure originaire de Besançon. Il a gardĂ© la rigueur et la droiture des gens de lĂ -bas. » Un homme troisiĂšme rĂ©publique », comme elle se plaisait Ă nommer cet homme si peu mallĂ©able. _ ? Un thĂ© vert, ça vous convient ? demande-t-elle _ ? C'est surtout Ă vous que ça va mieux. » _ Une douce chaleur monte en eux. _ ? Ca va ? » demande-t-il entre deux gorgĂ©es de thĂ© chaud. _ Il l'observe par-dessus sa tasse. Elle le sait attentif Ă la rĂ©ponse qu'elle va donner. Elle cherche comment reprendre ses confidences dans lesquelles il n'y avait pas de place pour les palabres inutiles. _ ? Pas vraiment, en fait. » _ Cinq annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis sa rupture, si peu une sĂ©paration. _ ? Qu'avez-vous Ă me dire ? » demande-t-il, sans la moindre rancune pour celle qui agit sans rĂ©flĂ©chir et partit sur le coup d'un accĂšs de colĂšre. Il connaissait ses petites crises, il pensait que celle-ci passerait, que sa raison reprendrait le contrĂŽle. _ Il avait souri On en parlera Ă mon retour de vacances. On se revoit le 2 septembre. » _ Il voulait lui signifier qu'il demeurait son guide au-delĂ de ses trois semaines de repos bien mĂ©ritĂ©es. _ Elle ne revint pas, ni en septembre, ni en octobre, ni jamais et ne passa pas d'appel. _ ? J'aurais tellement Ă vous dire Pardon dĂ©jĂ . » _ Il sourit encore. Son sourire n'a pas vieilli, mĂȘme si quelques rides ont tracĂ© leur chemin sur son visage _ ? Cela vous me l'avez dĂ©jĂ dit. J'ai lu tous les romans que vous m'avez envoyĂ©s. » _ Leurs Ă©changes n'ont sans doute jamais cessĂ©. DĂšs qu'elle terminait un roman, elle le lui postait. Il demeurait son 1er lecteur, celui pour qui elle exigeait ce que, par faiblesse ou par paresse, elle se serait refusĂ©e. _ ? Vous ĂȘtes heureuse ? demande-t-il encore _ ? Non, je ne suis pas heureuse, mais j'ai appris Ă me passer du bonheur. C'est peut-ĂȘtre cela la sagesse. C'est du moins lĂ oĂč m'ont menĂ©e mes cogitations sur votre divan marine. » _ A-t-il toujours le mĂȘme ? Elle n'ose cette question de peur, de se sentir Ă©trangĂšre Ă un dĂ©cor qu'elle n'habite plus. Sans qu'elle comprenne encore pourquoi, la curiositĂ© se mĂȘle Ă la crainte. Ils retrouvent leurs habitudes. Tout semble tel qu'en leur souvenir. Pourtant, il suffirait d'un rien pour que basculent leurs Ă©changes contenus _ ? Vous avez prĂ©vu quelque chose pour ce soir ? _ ? Non et vous ? _ ? Si peu » _ Fiasco de leur vie privĂ©e Ă moitiĂ© avouĂ©, Ă demi- voilĂ©. Elle ne cherche pas Ă en savoir plus. Elle prĂ©fĂšre laisser du flou, une marge d'espoir Ă son fantasme. _ Ils seront bientĂŽt amants dans le regard du garçon qui prend la commande. Ils le devinent tous deux et peut-ĂȘtre en est-il plus troublĂ© qu'elle . Se serait-il montrĂ© plus indulgent avec celles qui ont traversĂ© sa vie, s'il ne l'avait pas rencontrĂ©e ? Leurs chemins solitaires sont sans doute similaires Peuvent-ils oublier le pacte de dĂ©part pour autant ? Ne perdrait-elle pas plus qu'elle ne gagnerait en troquant son psy contre un homme ? _ ? Et si on prenait quelques crevettes avec ça ? » _ C'est elle qui propose maintenant. Sans doute cherchent-ils l'une autant que l'autre, des mobiles pour prolonger ce tĂȘte Ă tĂȘte inespĂ©rĂ©. Peut-ĂȘtre tout Ă l'heure, bientĂŽt dĂ©jĂ , se sĂ©pareront-ils dans le brouillard des nuits lyonnaises. Une poignĂ©e de main Ă peine appuyĂ©e, un regard tout juste insistant. _ Fin de la sĂ©quence. _ Il partira en direction des quais de SaĂŽne pour rĂ©cupĂ©rer sa yaris au parking de la passerelle, elle prendra celle des quais du RhĂŽne et rentrera chez elle Ă pied par les berges. Ils continueront leur chemin, en se persuadant que c'Ă©tait mieux ainsi. Plus tard, elle lui enverra le livre qui illustrera leur rencontre, si elle l'Ă©crit _ La nuit est tombĂ©e sur Lyon lorsqu'ils sortent de l'Espace. Ils restent debout l'un faisant face Ă l'autre. C'est elle qui rompt ce silence maintenant pesant. _ ? Ce serait possible que je revienne, que je reprenne le travail lĂ oĂč je l'ai bĂȘtement arrĂȘtĂ©. _ ? Et bien, il vous en aura fallu du temps.. _ ? J'espĂ©rais que vous me le demanderiez _ ? Vous ĂȘtes gonflĂ©e ! C'est vous Miss Laigre qui ĂȘtes partie, hein .Ils sont contents l'un de l'autre et ne cherchent pas Ă se le cacher. _ ? Attention, plus de repas en tĂȘte Ă tĂȘte, crevettes champagne, sinon divorce, la prĂ©vient-il gaĂźment _ ? Vous savez ce n'est pas si important que ça les crevettes et le champagne ! » _ ? C'est bien ce que je pense aussi. » _ Ils se serrent la main, lĂ©gers _ Comme l'air leur semble doux, et comme cette pluie est lĂ©nifiante. C'est un beau mois de dĂ©cembre sur Lyon. Nouvelle 013 _ Loups La nuit commençait Ă tomber, et les loups s'approchaient de la voiture. Mais comment en Ă©tais-je arrivĂ©e lĂ ? D'abord, le panneau Route interdite ». Avec le 4Ă4 et les pneus neige, je m'Ă©tais dit que je ne craignais rien; ça devait passer. Effectivement, aucun problĂšme. Mais quand, aprĂšs au moins dix kilomĂštres, le panneau RĂ©serve protĂ©gĂ©e â Animaux dangereux » m'a avertie, le bon sens aurait du me dicter de faire demi-tour. J'aurais du rebrousser chemin, et en ce moment, je serais dans ma chambre d'hĂŽtel, ou avec les autres Ă bavarder autour d'un vin chaud ou un bon cafĂ© bien noir. Mais non, ma colĂšre m'a poussĂ©e Ă continuer. RĂ©sultat, je suis lĂ , dans la neige, dans une voiture en panne, le froid pĂ©nĂ©trant tout doucement dans l'habitacle, comme de l'eau glacĂ©e qui remplit une baignoire. C'est bizarre que je sois tombĂ©e en panne d'essence, je pense toujours Ă faire le plein, c'est bien la premiĂšre fois. Peut-ĂȘtre la derniĂšre, je vois une dizaine de loups qui tournent tout autour. Leur regard m'Ă©vite. Pas de rĂ©seau. Quelle conne ! Son coup de fil m'a Ă©nervĂ©e, toutes ces palabres inutiles, il fallait que je roule pour me calmer, il fallait que je m'isole ! C'est rĂ©ussi ! J'ai soif, et je ne peux pas sortir, dĂšs que je fais mine d'ouvrir la porte, ils s'approchent encore un peu. _ Il fait nuit. Je ne distingue qu'Ă peine leur ronde. Ah, non, ils sont tous immobiles, ils attendent, Ă plat ventre. J'ai peur⊠Les phares, le klaxon, ils ne bougent mĂȘme pas, ironiques, comme s'ils Ă©taient plus lucides que moi sur la situation. J'ai peur⊠_ Il fait froid, jâai faim, j'ai soif, et malgrĂ© la lune, toute cette neige blanche est trĂšs sombre; les loups ne bougent pas. Ils dorment, et moi je dois agir, alors, de temps en temps, je klaxonne. SĂ©quences de trois points, trois traits, trois points. Câest bizarre, ça mâest revenu tout de suite, et pourtant ça date de longtemps, quand je lui faisais rĂ©viser lâalphabet morse, pour son brevet de pilote, quand nous Ă©tions encore heureux, insouciants, lâavenir devant » comme disait ma grand-mĂšre, que des bonnes choses en perspective, avant la trahison, cette abjection aliĂ©nant notre avenir, qui nous fait tout le temps regarder en arriĂšre, comme si le plus important, maintenant dans notre vie se trouvait derriĂšre nous, dans notre passĂ© commun, et que rien dâautre dans le futur nâaurait une saveur assez forte pour pouvoir effacer un jour cette amertume. _ Je klaxonne des sĂ©ries de SOS rĂ©guliĂšrement, non seulement pour essayer de lancer un appel Ă lâaide, les sons portent plus loin la nuit, mais aussi, et de plus en plus je troque ma peur contre le plaisir de rĂ©veiller les loups, les dĂ©ranger, leur montrer que moi lâĂȘtre humain, je suis la plus forte, que je ne serai pas leur victime passive et mallĂ©able, quâils ne sont que des animaux, et que oui, bien sĂ»r je suis chez eux en quelque sorte, mais que je reprĂ©sente la culture contre la nature, lâintelligence, la rĂ©flexion contre lâinstinct, et que lâordre des choses ne peut ĂȘtre changĂ©, mĂȘme cette nuit de pleine lune. _ Effectivement, ils sursautent Ă chaque SOS, mais petit Ă petit, ils ne sâallongent plus, ils restent assis et ils se regardent, jâai lâimpression quâils sont surpris et amusĂ©s. Quelle prĂ©tention, quelle naĂŻvetĂ©, quel manque de luciditĂ© ! » semblent-ils me dire de leur Âil ironique. Eux aussi, de temps en temps se mettent Ă hurler. Alors, arrivent dâautres loups en soutien, et maintenant, ils sont trĂšs nombreux, tout autour de la voiture. _ Pourtant, un seul dort toujours, ou tout au moins reste allongĂ©, ne rĂ©agissant pas aux coups de klaxon, et ne mĂȘlant pas ses hurlements aux autres. Câest le plus grand, le plus vieux, sans doute, son pelage Ă©tant bien plus gris que celui des autres, Ă ce que je peux en voir dans cette lumiĂšre blafarde. Seules, ses oreilles, trĂšs mobiles, pivotent, Ă lâaffut. Je ne sais pas pourquoi, mais bientĂŽt je ne vois plus que lui. Il est le seul que je regarde. Je suis persuadĂ©e quâil va bouger, quâenfin il va me regarder, et jâattends tout de ce regard, la vie, le bonheur, la paix, comme une renaissance, comme si ce loup, cette louve peut-ĂȘtre, doit changer ma vie, comme si la dispute de ce soir, la colĂšre qui sâen est suivie, ma fuite au hasard, ma panne dâessence, tout cela a Ă©tĂ© prĂ©vu, calculĂ©, dĂ©cidĂ© par une sorte de puissance invisible, et Ă lâinstant, je sais dans mon for intĂ©rieur que je nâai vĂ©cu jusquâĂ prĂ©sent que pour ce moment, oĂč cet animal allongĂ©, aux aguets, nâattendant quâun signe du destin, me regardera enfin. _ Comme Jean Marais dans La belle et la bĂȘte », par la magie du film projetĂ© en marche arriĂšre, de bĂȘte couchĂ©e, abattue, se redresse jeune homme vaillant et charmant â Mes parents ne croyaient pas aux fĂ©es⊠» â le loup, le grand loup, sous mes yeux ahuris se transforma, en un instant qui semblait ne jamais vouloir finir, en un beau jeune homme, la moustache brune bien taillĂ©e, portant chapeau de feutre, dont le regard bleu, si clair, me fit fondre immĂ©diatement. Mon pĂšre Ă©tait devant moi, me tendant la main, comme jamais de son vivant. Ce qui mâĂ©tonnait le plus, me stupĂ©fiait, câĂ©tait son regard si doux, posĂ© sur moi, avec cette pointe dâironie que je lui voyais souvent, mais aujourdâhui, le regard Ă©tait bienveillant, affectueux, il ne me menaçait pas, je nâavais pas peur. Jâaccrochai ma main dans la sienne, et tous les deux, nous nous enfonçùmes dans la forĂȘt. Rien nâexistait plus que mon Papa, me servant de guide, ma main dans la sienne, et ce pas lourd et rassurant Ă cĂŽtĂ© du mien. Jamais je ne lâavais intĂ©ressĂ©, les seules fois oĂč jâavais semblĂ© compter pour lui, câĂ©tait quand je le dĂ©rangeais, quand il me disait dâaller ailleurs. Dans cette forĂȘt, jâexistais enfin Ă ses yeux. Bien quâil ne mâeĂ»t point parlĂ©, il mâavait regardĂ©e, il tenait ma main, et il mâemmenait avec lui. Combien de fois, enfant, je lâavais vu partir seul ou avec un de mes frĂšres. Papa jâai envie dâaller avec toi, Papa ! » Il ne se retournait mĂȘme pas. _ Ensemble, nous traversĂąmes une passerelle au-dessus dâun ruisseau, et au bout de quelques minutes, une cabane, fumante, Ă©clairĂ©e, entourĂ©e de loups assis nous ouvrit sa porte. LĂ , un grand lit, comme dans le Chaperon rouge. Mon pĂšre me regarda, et, enfin, me parla. Mon Dieu, ces paroles, cette voix, aprĂšs tant dâannĂ©es. Il me dit gentiment, que je devais mâallonger sur ce lit, et quâil allait me lire une histoire. Moi, telle la petite fille que jâĂ©tais redevenue, jubilatoire Ă lâidĂ©e de cette lecture, je me suis couchĂ©e, mon pĂšre amena une chaise prĂšs du lit, ouvrit un livre illustrĂ© et commença Ă lire. Il ne fallut que quelques pages pour que le sommeil arrive, et je mâendormis, heureuse comme jamais, pour toujours. Nouvelle 014 _ Les rĂ©fugiĂ©s climatiques Bonjour chez vous, _ nous sommes tous des rĂ©fugiĂ©s climatiques⊠_ L'action de cette nouvelle se dĂ©roule Ă l'issue de l'un des conseils des ministres sous-marin », sur l'un des petits atolls du Pacifique, condamnĂ© Ă disparaĂźtre, sous l'effet de l'Ă©lĂ©vation du niveau des mers en raison des changements climatiques. Dans la Grande Salle des Pattes PalmĂ©es, le ministre d 'Ătat, chargĂ© des ĂvĂ©nements Climatiques ExtrĂȘmes ECE Ă©tait absolument dĂ©bordĂ© et n'avait vraiment plus un orage Ă lui , il lui fallait dĂ©sormais agir au plus vite, efficacement, sans recourir une nouvelle fois Ă d' interminables palabres. _ L'urgence Ă©tait Ă son comble urgence climatique en premier lieu, bien entendu les tempĂȘtes Ă©taient devenues plus frĂ©quentes et terriblement violentes ; urgence mĂ©dicale les Ă©pidĂ©mies se succĂ©daient les unes aux autres et le paludisme faisait actuellement rage sur l'Ăźle, urgence sociale la rĂ©volte populaire grondait ainsi que l'urgence politique d'interminables conflits Ă©clataient rĂ©guliĂšrement. Toutes les urgences Ă©taient finalement entremĂȘlĂ©es les unes aux autres. _ Le PrĂ©sident de l'atoll ,qui leur servait nĂ©anmoins de guide avait bien tentĂ© d'exprimer son point de vue, avant d'ĂȘtre lui mĂȘme, Ă son tour, englouti, sous des torrents d'eaux . Il s'exprima ainsi avant _ ? Mes chers concitoyens, la situation est grave et insoluble ! la montĂ©e du niveau de la mer aura raison de nous si nous n'agissons pas de concert, tous ensemble, nous sommes condamnĂ©s Ă disparaĂźtre irrĂ©mĂ©diablement, sous les flots⊠_ En effet, ne l'oublions surtout pas les flancs de nĂŽtre jolie petite Ăźle culminent , dans le meilleur des cas, Ă cinquante centimĂštres au dessus du niveau de la mer ; vulgairement parlant, si l'eau monte, nous coulons avec elle ! Nous n'aurons aucune sĂ©quence de rattrapage, aucune passerelle nous permettant d'embarquer vers un quelconque refuge, nous assurant un avenir plus radieux ne pourra ĂȘtre Ă©chafaudĂ©e. Le constat est sans appel, c''est du soutien de l'ensemble des iliens dont nous avons dĂ©sormais impĂ©rativement besoin. _ Les habitants ne sont ni mobiles , ni mallĂ©ables ou corvĂ©ables , Ă merci. _ Avant que d'ĂȘtre moi-mĂȘme, englouti par les eaux, le peuple doit s'exprimer librement, il a toutefois le droit et l'ultime devoir d'exprimer une derniĂšre fois, son ressentiment, vis-Ă -vis d'une situation qui , hĂ©las, ne dĂ©pend pas du tout de lui. _ Il nous faut impĂ©rativement trouver une solution de repli. » _ Il eut un petit rictus jubilatoire en prononçant ce discours, oh combien rĂ©aliste et vraisemblable, mais, pour le moins, alarmiste. La gravitĂ© de la situation rĂ©elle expliquait certainement qu'un politique », habituĂ© d'ordinaire, de par sa fonction et son rĂŽle au sein de la sociĂ©tĂ© ilienne, Ă plus d'optimisme et de clĂ©mence, commenta la situation d'un ton volontairement dramatique et alarmiste. _ Pour illustrer son propos, assis tranquillement, derriĂšre son petit cafĂ© â commerce Ă©quitable- , et comme s'il se parlait Ă lui-mĂȘme, Ă grand renfort de moulinets de bras, le PrĂ©sident s'Ă©cria, Ă court d'arguments intelligents _ ? Il me faudrait trouver une solution miracle, avant que la population ne finisse pas par m'enfermer dans un asile d'aliĂ©nĂ©s⊠Ai-je besoin une fois encore, d'illustrer mon propos, Ă coup de mĂ©taphores oiseuses ??? rajouta  t' il, perplexe. _ Une seule chose m'amuse, s'Ă©cria alors le PrĂ©sident Rodolphe si nous sommes amenĂ©s Ă disparaĂźtre sous les eaux, je n'aurais enfin plus besoin de mobile !!! Je le troquerais alors volontiers contre une paire de palmes !!!! _ Le peuple savait pourtant parfaitement qu'une autre solution alternative s'offrait Ă lui trouver enfin un l'endroit totalement isolĂ©, oubliĂ© oĂč bĂątir son propre jardin planĂ©taire, ni trop en dessous, ni trop au dessus du sol. Un autre monde, juste Ă cotĂ© du nĂŽtre,sans cave, ni tours, juste Ă la mĂȘme hauteur⊠Presque le mĂȘme, en moins souillé⊠La terre n'est pas extensive et elle est tellement plus forte que nous, il appartient donc Ă l homme de continuer Ă prospecter afin de vĂ©rifier si un minuscule bout de terre n'a, au hasard, pas Ă©tĂ© oubliĂ© , Ă mille lieux de toutes terres habitĂ©es, un endroit oĂč l'homme pourrait, sans revenir Ă l'age de pierre, rĂ©apprendre Ă vivre plus sainement, plus sĂ»rement et plus joyeusement. Le monde des rĂȘves n'est qu'un refuge, mais rien n'y est interdit⊠» poursuivit l'ExĂ©cutif Rodolphe. _ Du fond de la salle des Pattes palmĂ©es, se fit alors entendre une petite voix fluette, toute droit sortie d'un dessin animĂ© de Tex Avery, la voix magique des songes⊠_ ? Il nous faudrait trouver une, LA solution efficace. » _ Une voix nouvelle , la voie providentielle celle qui s'Ă©tait toujours fait attendre, il nous faut la trouver, tenter de l'esquisser⊠Mais finalement, au bout du compte, que voulez-vous ? _ Monsieur le PrĂ©sident, s'Ă©cria alors le reprĂ©sentant des insulaires, finalement nous ne sommes mĂȘme pas trop exigeants, le mĂȘme espace nous suffirait, avec cependant certains changements d'habitude fondamentaux moins de dĂ©chets et ce trop plein de gaspillage Ă©vitĂ© , ce ne serait dĂ©jĂ pas si mal !! Vous ne trouvez pas ? _ ? Retroussons-nous les manches, nous ne sommes pas des benĂȘts, et tous ensemble, nous finirons bien par trouver le remĂšde. L'espoir ne pourra plus venir de l'Ăźle, elle a coulĂ©. Nous faudra-t -il maintenant tout recommencer ? Il nous reste encore les hommes qui ont, en grande partie, tout dĂ©truit, pour tout rĂ©parer. Bon courage ! Nouvelle 015 _ Opre Rrromas Esmeralda On aurait pu croire, dans la lueur blafarde du soir, Ă un cortĂšge funĂšbre, fantasmagorique, composĂ© de grandes silhouettes aux contours indistincts. _ Elle observait Ă la fenĂȘtre du cafĂ©, Ă©treinte par une sourde angoisse, l'Ă©trange dĂ©filĂ© aux ombres inquiĂ©tantes pendant que d'interminables palabres dans l'arriĂšre-salle envoyaient leurs Ă©chos s'entrechoquer dans sa tĂȘte. L'extrĂȘme fatigue aidant, elle se figurait les images, les bruits et les odeurs faisant partie du mĂȘme spectacle et se laissait aller Ă une douce torpeur comme Ă l'orĂ©e d'un sommeilâŠelle rĂȘvait donc et, bien qu'il l'eut fallu, n'avait plus envie d'agir⊠_ Partie l'angoisse ! Elle fut petit Ă petit envahie d'un sentiment jubilatoire qui la ramenait des annĂ©es en arriĂšre, un soir peu avant NoĂ«l oĂč il lui avait Ă©tĂ© permis de se promener dans le village et oĂč les lumiĂšres enjouĂ©es, floutĂ©es par la nuit descendante, et l'atmosphĂšre fĂ©erique lui avaient procurĂ© une telle sensation de bonheur et de libertĂ© qu'elle n'avait eu de cesse depuis de la retrouver. Enfin, elle y Ă©tait parvenue !⊠Elle fut de nouveau la petite fille Ă©blouie. _ RĂ©pondant Ă un appel dont elle ne comprenait ni le sens ni l'origine, elle franchit la petite passerelle rouge du jardin japonais. _ Ătaient lĂ , allongĂ©s sur la pelouse ou assis sur le muret bordant le jardin, les garçons du village, ceux qu'on voyait chaque soir sur la place entourĂ©s de leur mobylettes et reluquant sournoisement le moindre jupon qui passait. Elle marqua un temps d'arrĂȘt, soudain inquiĂšte, elle se sentit trĂšs seule et leur en voulut de casser ainsi sa joie toute nouvelle. Puis, rassemblant courage et volontĂ©, passa trĂšs fiĂšre parmi leurs rangs, sautillant quelque peu dans ses pauvres sandales, comme dans une sĂ©quence de cinĂ©ma, ce qui lui rendit joie et bienveillance. Elle en fut toute Ă©tourdie et alla mĂȘme jusqu'Ă se retourner vers les garçons, un peu aguichante, un peu starlette. Ils n'Ă©taient pas si terribles, mĂȘme un peu paumĂ©s, comme elle en fin de compte. Son cÂur se gonflait et s'envolait dans une bouffĂ©e de bonheur sauvage, elle eut l'impression de virevolter, de danser parmi eux, ensemble et heureux. _ Ce fut de courte durĂ©e car sa famille arrivait comme il Ă©tait prĂ©vu pour la ramener au camp mais cette nuit lĂ , elle fut comblĂ©e, Ă©panouie⊠_ Dans le cafĂ©, les bruits se firent tout Ă coup plus proches, plus clairs, perforant son cerveau. Ils s'Ă©taient rendu compte qu'il se passait quelque chose dehors. Encore dans son rĂȘve, elle ne comprit pas de suite qu'ils l'apostrophaient, haineux. Ils commencĂšrent Ă la secouer, d'abord avec un peu de tact, puis trĂšs brutalement. _ Mais qu'est-ce que tu fais encore lĂ ? T'es pas avec eux ? Vas donc les rejoindre, c'est ta tribu, non ? » _ HĂ©bĂ©tĂ©e, elle regarda Jean-Claude qui la secouait plus fort que les autresâŠmais, n'Ă©taient-ils pas ensemble, l'instant d'avant, dans le jardin japonais. Il l'avait approchĂ©e doucement pendant qu'elle dansait dans leur cercle, lui avait relevĂ© sa mĂšche pour l'embrasser furtivement avant que sa famille ne fut trop procheâŠMaintenant, il avait un sourire torve et mĂ©chant, il lui serrait le bras en lui faisant trĂšs mal et l'obligeait Ă se lever du siĂšgeâŠMais que se passe-t-il ?âŠElle voulait retourner dans sa torpeur, sous son baiser, dans les lumiĂšres colorĂ©es, dans la fĂȘte, elle voulaitâŠLaissez-moi, laissez-moi !âŠJe ne veux pas, je ne veux pas !âŠElle avait envie de se blottir dans ses bras, de son soutien, qu'il fĂ»t son guide⊠_ Mais tout se brisait, tout explosait dans sa tĂȘte, il y eut un grand fracas, comme une rupture hĂ©morragique⊠_ Il y avait maintenant beaucoup plus de lumiĂšre dans le petit cafĂ©, la pĂ©nombre ne la protĂ©geait plus, ne l'isolait plusâŠElle devait se rĂ©veiller, sortir et rejoindre le cortĂšge dehors maintenant agglutinĂ© devant la porte, elle le savait. Son peuple s'Ă©tait enfin rĂ©veillĂ©, elle se devait d'ĂȘtre Ă leur cotĂ©, elle se devait d'ĂȘtre fiĂšre et droite⊠Opre Rrroma !* »⊠_ Comme elle s'Ă©tait redressĂ©e, les hommes du cafĂ© ne la bousculaient plus. Ils attendaient, avec encore la lueur vindicative dans leurs yeux, simplement aux aguets, chasseursâŠIl fallait qu'elle s'en aille, qu'elle aille rejoindre sa famille, son peuple qui s'Ă©tait remis en marche. Comme cette fois, au jardin japonais, oĂč ils Ă©taient arrivĂ©s pour interrompre son rĂȘve si doux, mĂ©contents de la trouver parmi les gadjĂ©s⊠_ AprĂšs leur baiser volĂ© ce soir lĂ , Jean-Claude s'Ă©tait montrĂ© distant, la fuyait mĂȘme. Jusqu'Ă ce jour oĂč ils s'Ă©tait frĂŽlĂ©s dans un couloir du collĂšge et oĂč il avait rĂ©pĂ©tĂ© ce geste relever sa mĂšche pour l'embrasser. Mais cette fois il l'avait serrĂ©e et embrassĂ©e Ă pleine bouche, avec sa langue, et elle avait retrouvĂ© cette fougue dans son cÂur et dans tout son ĂȘtre. Elle s'Ă©tait dit qu'elle ne voulait plus vivre que dans ce bonheur là ⊠Ăa avait durĂ© un an ou deux, le temps avait passĂ© vite. Jean-Claude n'Ă©tait pas bavard, pas trĂšs disponible, leurs rencontres avaient gardĂ© leur caractĂšre furtif, leurs Ă©changes se limitaient Ă ces baisers fougueux, quelques attouchements timides, quelques tentatives pour aller plus loin» de sa part, difficilement rĂ©primĂ©s de son cotĂ© Ă elleâŠElle se doutait bien de la raison de ce manque de chaleur et de communication, de ce cotĂ© clandestin de leur relation, mais elle restait sur son nuage, vaporeuse, douce, belle. Il lui arrivait de l'appeler son Esmeralda » et cela lui suffisait pour des jours et des jours de rĂȘve heureux. Puis il s'Ă©tait Ă©loignĂ© doucement, sans qu'elle s'en rende compte au dĂ©but. Un jour, il lui dĂźt qu'il en aimait une autre, une blonde, toute en blancheur et bon teint. Elle avait voulu mourir, elle s'Ă©tait sentie aliĂ©nĂ©e, complĂštement dĂ©boussolĂ©e. Les annĂ©es qui suivirent ne furent que comme une longue peine. _ Le groupe dehors lui faisait signe de les rejoindre. Ils ne voulaient pas entrer, ne voulaient pas se mĂȘler aux gadgĂ©s. Ils Ă©taient venus nombreux, de toute la rĂ©gion. Elle se sentit fiĂšre de leur appartenir, elle reprenait ses esprits. Aujourd'hui Ă©tait un grand jour pour eux, aprĂšs les rĂ©centes expulsions, aprĂšs toutes ces persĂ©cutions au cours des siĂšcles, aprĂšs les camps de concentration, les exterminations, ils s'Ă©taient levĂ©s !⊠»Opre Rrroma !* ». _ Elle ne pouvait pourtant se rĂ©soudre Ă laisser tomber son rĂȘve retrouvé⊠Mais Jean-Claude n'Ă©tait plus le mĂȘme, si jamais il avait Ă©tĂ© celui de ses rĂȘves. Et, comme pour illustrer ce qu'elle pensait, il se remit Ă l'invectiver Alors, Esmeralda, vas donc les retrouver, tes gitans, ta putain de race de crasseux ! Va falloir encore vous supporter, pas moyen de se dĂ©barrasser de vous, alors qu'y a des lois pour ça maintenant ! Fous le camp !». Sur le moment, elle aurait bien troquĂ© sa place contre celle de la petite blondeur qui Ă©tait sa femme, pouvoir entendre des mots doux de sa bouche, sentir ses lĂšvresâŠelle trĂ©bucha sous le coup de la douleur, prenant conscience que cela ne serait jamais, si ça l'avait jamais Ă©té⊠Et elle se redressa face Ă lui Mon pauvre petit gadjo, tu ne sauras jamais la joie d'ĂȘtre libre, mobile, toi qui est encroĂ»tĂ© dans ce bistrot de pochtrons, dans ce village d'arriĂ©rĂ©s, dans cette vie Ă©triquĂ©e, sans avenir, sans rĂȘve, sans voyage ! Ce n'est pas de partir qui nous met en colĂšre, c'est votre immense bĂȘtise, votre pauvretĂ© d'esprit ! Tu aurais pu avoir Esmeralda comme compagne, belle, libre, heureuse, et tu n'as qu'une petite blondasse boulotte, fadasse et mallĂ©able que tu fuis tous les jours dans ce bistrot ! Je te plains ! Ă moi la libertĂ© ! Opre Rrroma ! » Et elle alla rejoindre les gĂ©ants debout. _ -Motho, manqe, Rrome ! a _ Kaj si amari phuv, _ Amare plaja, amare lena _ Amare umala thaj amare vesa _ Kaj si amare limora ? _ -Ande lava tale, _ ande lava amare chibaqere ! » _ -Dis-moi, _ Dis-moi, le Rrom, _ OĂč est notre terre, _ Nos montagnes, nos fleuves, _ nos champs et nos forĂȘts ? _ -Ils sont dans les mots, _ dans les mots de notre langue ! » _ Eslam DRUDAK Dardanie _ *En langue rromani Debout les Rroms ! Nouvelle 016 Cela faisait tout au plus une semaine que je travaillai comme archiviste adjoint, deuxiĂšme Ă©chelon, Ă la bibliothĂšque Saint-Simon, rue de Grenelle, quand Monsieur LĂ©ventail, mon responsable, m'appela dans son bureau. _ ? Ah ! Monsieur Moignon. J'ai un petit travail pour vous, m'annonça-t-il rayonnant, comme si cela avait Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement extraordinaire. Il exhiba sous mon nez une feuille manuscrite. _ ? Voici une liste de seize mots et pas un de plus. Vous voyez ! Ce n'est pas bien compliquĂ© ! Pour vous faciliter la tĂąche, je vous les ai mĂȘme classĂ©s par ordre alphabĂ©tique. Je lui pris la liste des mains et la lut Ă voix basse Agir, AliĂ©ner, Appel, CafĂ©, Ensemble, Guide, Illustrer, Jubilatoire, MallĂ©able, MĂȘler, Mobile, Palabre, Passerelle, SĂ©quence, Soutien, Troquer. Aucun lien apparent ne semblait les rĂ©unir quelques verbes du premier et du second groupe ; quelques substantifs ; un adverbe ; deux adjectifs. On n'allait pas loin avec ça ! Monsieur LĂ©vantail s'enfonça confortablement dans son fauteuil de skaĂŻ noir. Je crus percevoir comme un lĂ©ger sourire voleter sur ses lĂšvres minces. De sa voix de fausset, voici ce qu'il m'annonça. _ ? Ă partir de ces seize mots, mon cher Moignon, vous allez chercher dans le fond de notre belle bibliothĂšque tous les livres qui les contiennent. Je dis bien tous ! Je me pensais ĂȘtre dans un mauvais rĂȘve. J'allais me rĂ©veiller et me retrouver assis derriĂšre mon petit bureau, en pleine digestion des tagliatelles au pesto que j'avais mangĂ©es Ă la cantine ce midi-lĂ . _ ? VoilĂ ! C'est tout ! conclut mon responsable en se replongeant dans le dĂ©chiffrage d'un incunable merveilleusement enluminĂ©. Avez-vous des questions ? _ ? Euh Mais qu'est-ce Et si Ăąnonnais-je, littĂ©ralement sonnĂ©. _ ? Au fait ! m'interrompit-il. J'ai omis de vous prĂ©ciser un dĂ©tail le ministre de la Culture en personne attend le rĂ©sultat de votre travail pour demain soir. Au plus tard. _ ? Au plus tard ! Ah ! bien parvins-je Ă articuler. _ ? Et il va sans dire que votre notation de fin d'annĂ©e en dĂ©pend. Je travaillai d'arrache-pied pendant les douze heures suivantes. Je ne mangeai ni ne dormis. A bout de forces, je parvins Ă sĂ©lectionner deux livres seulement Les choses » de Georges Perec et Paroles » de Jacques PrĂ©vert. Dans ce dernier livre, Ă mon grand dĂ©sespoir, je ne trouvai pas un des seize mots imposĂ©s AliĂ©ner. Le lendemain, je dĂ©missionnai. Nouvelle 017 _ Histoire d'Imad le Peul Je le vis pour la premiĂšre fois Ă Paris sur le quai de la gare d'Austerlitz. Difficile de ne pas le remarquer. Il m'observait du haut de ses deux mĂštres silhouette svelte, visage noir comme l'Ă©bĂšne, Ă©clairĂ© par un regard plein de malice qui semblait lancer un appel Ă©coute-moi. J'ai des choses Ă te dire. » _ Excusez-moi, madame. Je cherche un train pour Toulouse. » _ J'y vais aussi Suivez le guide ! » lui rĂ©pondis-je _ Nous nous installĂąmes ensemble l'un face Ă l'autre dans le silence d'un compartiment vide. Ca ne valait pas l'ombre de l'arbre Ă palabre, mais nous nous sentĂźmes vite complices. En effet, une passerelle nous rĂ©unit, lui, le Peul et moi la Basque, quand nous Ă©changeĂąmes tous les deux des Ă©pisodes de notre passĂ©, relatifs au mĂ©pris de ceux qui considĂ©raient nos langues minoritaires comme des signes de retard culturel et intellectuel _ Je m'appelle Imad. Je viens du Mali. TrĂšs tĂŽt, ma famille me confia la garde de notre petit troupeau de chĂšvres et de brebis. Depuis l'Ăąge de dix ans, j'allai de pĂąturage en pĂąturage, berger sans terre, nomade et heureux de l'ĂȘtre. Mes bĂȘtes fertilisaient les sols des propriĂ©taires d'alentour, mĂȘlant leurs excrĂ©ments Ă la terre de leurs champs. En retour, elles avaient le droit de brouter l'herbe des jachĂšres. RassasiĂ©s, nous dormions au clair de lune, observant les Ă©toiles filantes et leur course jubilatoire, le cÂur dĂ©bordant de paix et d'allĂ©gresse. » _ Pourquoi avoir abandonnĂ© ce paradis? » lui rĂ©torquai- je, surprise. _ Un jour des Ă©trangers dĂ©barquĂšrent chez nous. Ils confisquĂšrent toutes les terres, chassĂšrent les paysans et plantĂšrent des milliers d'hectares de riz et de soja destinĂ©s Ă l'exportation. Je pensais d'oĂč viennent-ils ces voleurs ? Je veux en avoir le cÂur net. Mon sang de nomade me poussa Ă marcher, les pieds nus, le ventre creux, sur nos chemins de latĂ©rite. Ma peau prit la couleur rouge de notre terre, striĂ©e de lignes plus claires tracĂ©es par la sueur qui dĂ©goulinait de mon front. Je calmai ma faim en mĂąchant des bulbes et des racines, ainsi que quelques fruits chapardĂ©s au passage, Ă la faveur de l'obscuritĂ©. Parfois des chauffeurs de camion m'acceptaient dans leur cabine et m'offraient un cafĂ©, mĂȘlĂ© avec du lait. On m'avait dit que ces Ă©trangers avaient traversĂ© le grand lac qui baigne Bamako notre capitale et qu'on l'appelait ocĂ©an ». Je demeurai longtemps stupĂ©fait devant cette masse d'eau bleue toujours en mouvement, comme nous les nomades ! Ce lac avançait, reculait, revenait pour repartir encore. Il me dit Viens ; je te prends avec moi ; je peux t'amener loin, trĂšs loin » Je lui rĂ©pondis OcĂ©an, tu es l'ami des voyageurs et des nomades. Un jour je partirai avec toi. » _ Un missionnaire blanc me trouva endormi sous le porche de son Ă©glise. Il me donna du travail. Quand ma bourse fut assez pleine, j'embarquai pour l'Europe. Et me voilĂ devant vous ! On m'a dit que le soleil brille plus longtemps et plus fort Ă Toulouse. J'ai besoin de sa lumiĂšre et de son rĂ©confort » _ Avez-vous un visa ? » demandai-je avec indiscrĂ©tion. _ J'en ai un pour trois mois ; mais je resterai chez vous peut-ĂȘtre pour toujours » _ Je le regardai avec compassion. Je pensai il ne sait pas ce qui l'attend. Il perdra vite ses illusions ! Il aura besoin de soutien ! » Il me quitta pour un foyer du Centre-Ville. Une fois par semaine, on se retrouvait dans un bar. Il me parlait des emplois prĂ©caires qu'il dĂ©nichait, des patrons profiteurs qui le croyaient mallĂ©able Ă souhait , qui agissaient avec sĂ©vĂ©ritĂ© pour pouvoir l'aliĂ©ner, des policiers qui semblaient l'Ă©pier et qu'il Ă©vitait en changeant de rue s'il le fallait, car son visa avait expirĂ©. Quelle sera la prochaine sĂ©quence du film de sa vie tourmentĂ©e ? me disais-je chaque fois que je le quittais. _ Il ne vint plus Ă notre rendez-vous hebdomadaire. Je soupçonnai le mobile de cette infidĂ©litĂ©. Je pris contact avec la Cimade qui, hĂ©las, me confirma son internement au camp de rĂ©tention de Cornebarrieu. _ Je le vis un jour qui marchait dans la cour de sa prison, surveillĂ© par des gardiens en uniforme qui scrutaient ses moindres mouvements. Il marchait en traĂźnant les pieds, courbĂ© en deux, un illustrĂ© entre les mains. Son beau regard dĂ©sormais Ă©teint parcourait des pages de dessins, des croquis rappelant sa lointaine patrie qu'il avait dĂ» troquer contre des barbelĂ©s. On m'interdit de lui parler. _ L'association ne put empĂȘcher l'arrĂȘtĂ© d'expulsion. Le matin prĂ©vu pour le dĂ©part, le garde le trouva pendu dans sa cellule. Imad, le nomade, partit une nuit d'Ă©tĂ© pour un dernier voyage, vers le pays d'oĂč l'on ne revient plus. Nouvelle 018 _ Braquage Ă l'italienne _ ? On va encore rester lĂ longtemps Ă poireauter ? demanda petit boucher en faisant couler de sa thermos un cafĂ© tiĂ©dasse. _ ? On vĂ©rifie une derniĂšre fois les dĂ©placements de la cible » et on rentre rĂ©pondit VĂ©lib d'un ton fatiguĂ©. Depuis quinze jours que durait cette filature, les membres de l'Ă©quipe avaient pris pour habitude de ne plus s'appeler que par des surnoms. DiscrĂ©tion oblige ! Outre les deux protagonistes actuellement en planque, il y avait Ă©galement dans la bande Gibson, Doc, Gri-gri, La bĂ»che, Cowboy et Renard. Chacun avait choisi son pseudo en fonction d'une caractĂ©ristique physique, d'un mĂ©tier exercĂ© Ă un moment de sa vie ou d'une passion dĂ©vorante. Rien de bien original, juste du prĂ©visible ! _ Lorsque Le Guide avait fait appel Ă eux, il n'avait pas eu besoin de tenir des palabres pour les convaincre d'accepter car chacun avait une dette envers lui. Depuis, Ă cause de la pression qu'il faisait peser, il s'Ă©tait aliĂ©nĂ© toute sympathie de leur part mais ce qui comptait avant tout c'Ă©tait qu'ils reconnaissent en lui un vĂ©ritable chef. Ensemble ils l'avaient assurĂ© de leur soutien inconditionnel. Maintenant ils s'en mordaient les doigts car il les faisait vivre sur un rythme dĂ©mentiel auquel ils n'Ă©taient pas habituĂ©s. _ Il avait fallu tout d'abord constituer des Ă©quipes mobiles, chargĂ©es du repĂ©rage. Puis les positionner aux divers points stratĂ©giques du parcours utilisĂ© par la cible ». Pour cela, ils avaient troquĂ© leur costume de ville contre des tenues moins seyantes, plus dans le style camouflage urbain et ainsi se mĂȘler Ă la foule. Chaque tronçon du parcours Ă©tait quadrillĂ© de telle sorte que les moindres faits et gestes de la cible » Ă©taient filmĂ©s, chronomĂ©trĂ©s, dissĂ©quĂ©s. Chaque sĂ©quence Ă©tait analysĂ©e pour identifier et prĂ©venir le moindre alĂ©a. _ Trois fois par jour, ils devaient fournir un rapport dĂ©taillĂ©, illustrer et commenter chaque situation sur la carte murale affichĂ©e au fond du local louĂ© pour l'occasion et, opĂ©ration la plus dĂ©licate de cet exercice, proposer des solutions quand un problĂšme apparaissait. Chaque nouvelle idĂ©e Ă©tait prĂ©sentĂ©e et discutĂ©e. Celles retenues par Le Guide dĂ©clenchaient un sourire jubilatoire sur le visage de son auteur. Mais c'Ă©tait plutĂŽt rare car il avait l'art de trouver la faille dans chaque proposition et de la dĂ©monter point par point jusqu'Ă ce que son dĂ©fendeur se sente ridicule et abandonne. _ Il leur faisait vivre un tel enfer que plus personne n'osait faire de suggestion. Chacun se rangeait aux idĂ©es du Guide. Il avait rĂ©ussi Ă en en faire une Ă©quipe mallĂ©able Ă souhait. _ Enfin, tout Ă©tait bouclĂ©. Le moindre dĂ©tail Ă©tait ancrĂ© au plus profond de la mĂ©moire de chacun des membres du gang. _ DĂšs que la cible quitterait son Ă©tablissement, elle serait prise en chasse par l'Ă©quipe numĂ©ro un, chargĂ©e de la suivre jusqu'au rond point de la CitĂ© des fleurs. LĂ , l'Ă©quipe numĂ©ro deux prendrait le relais afin de ne pas attirer l'attention. Pendant ce temps, l'Ă©quipe numĂ©ro trois bloquerait la rue du petit ruisseau avec la fourgonnette dĂ©robĂ©e la veille afin de contraindre la proie Ă se diriger vers la rue du Quai pour enfin dĂ©boucher sur l'avenue Soussa oĂč l'attendait le reste de l'Ă©quipe. A cet endroit, ils bloqueraient la cible » contre le trottoir, l'obligerait Ă ouvrir le coffre arriĂšre du vĂ©hicule et s'emparerait de prĂ©cieux chargement. Il convenait d'agir vite, car le secteur Ă©tait particuliĂšrement surveillĂ©. _ Le Guide s'Ă©tait montrĂ© intraitable sans arme, sans haine et surtout sans violence » _ Ce n'Ă©tait plus maintenant qu'une question de secondes. _ Soudain, au niveau de la passerelle du RER au bout de l'avenue Soussa, surgit l'objet de toutes leurs convoitises, sur sa mobylette rouge le livreur de pizzas. Nouvelle 019 _ Hasardeux Avançant dans la nuit prodigieusement sombre, son regard cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment une lueur. Comme Ă son habitude, Simon a besoin que le Destin lui fasse un signe. Le Destin est son guide, il se sent incapable de vivre, dâagir sans son aide, il est insatiable des coĂŻncidences de la vie quâil interprĂšte comme des paroles cĂ©lestes. _ Du haut de la passerelle il aperçoit un groupe dans une lumiĂšre festive. Les fĂȘtes ne sont pas lâendroit oĂč Simon se sent le plus Ă lâaise, il est gĂ©nĂ©ralement inhibĂ© en compagnie de ses congĂ©nĂšres. NĂ©anmoins Ă cet instant, il se sent irrĂ©sistiblement attirĂ© par lâambiance. Il descend Ă toute allure, portĂ© par le souffle du Destin. Il se mĂȘle Ă la soirĂ©e et observe les participants, se joint Ă leur discussion, rit avec eux, Ă©coute avec langueur leurs palabres. Il attend un Ă©vĂ©nement, il ne sait pas encore lequel, mais sâil sâest retrouvĂ© prĂšs de cette fĂȘte ce nâest pas par hasard, rien nâarrive jamais par hasard, quelque chose va se produire, quelque chose doit se produire. Lâattente semble interminable, elle le rend terriblement nerveux, lâidĂ©e de ne pas recevoir sa dose dâaventure apportĂ©e par le Destin le fait suer Ă grosses gouttes et trembler de tous ses membres. _ Seul au sein de cette masse dâinconnus, personne ne le remarque, rien ne se passe ; la dĂ©livrance nâarrive pas, il se sent flĂ©chir. _ Le lendemain, il se rĂ©veille difficilement, sa tĂȘte lui semble prise dans un Ă©tau, lui-mĂȘme entourĂ© dâun brouillard Ă©pais. Lâappel du cafĂ© est irrĂ©sistible, il dĂ©ambule de sa silencieuse chambre pour atteindre sa silencieuse cuisine, dans laquelle sa cafetiĂšre avait pris soin de lui garder du cafĂ© fait la veille. Alors quâil tente de se remĂ©morer les pĂ©ripĂ©ties de la nuit, il se sent trahi par son cher ami, sur qui il comptait grandement. Et cela depuis ce jour dâautomne qui a marquĂ© sa vie pour toujours, il y a six ans, au cours duquel le Destin lâa mis nez Ă nez avec Juliette, une camarade dâĂ©cole quâil nâavait pas vu depuis 20 ans, alors quâils Ă©taient tout deux en voyage Ă New York. Ce jour a marquĂ© le dĂ©but de leur histoire. Cette rencontre fortuite, Ă presque 6000 km de leurs rĂ©sidences respectives, puisquâils vivaient Ă Paris, dans le mĂȘme quartier qui plus est, sâen est suivie de sĂ©quences dâĂ©vĂ©nements imprĂ©visiblement Ă©tonnants, qui ont rendu Simon dĂ©pendant de ses sensations jubilatoires. Ensemble ils ont vĂ©cu des Ă©motions intenses, comme jamais le solitaire Simon nâen avait ressenties. Mais aprĂšs trois ans dâamour invraisemblable, la magie a cessĂ© dâopĂ©rer. Le Destin se faisait de plus en plus avare de ses cadeaux et Juliette voulait apporter seule les Ă©motions Ă Simon. La place occupĂ©e par le complice de Simon fut trop importante et Juliette se sentit rejetĂ©e. La servitude de Simon lâaliĂ©na de lâamour de Juliette. _ MalgrĂ© tout, Simon ne troquerait son don contre aucun autre trĂ©sor ; le soutien de son cher ami, son seul ami, Ă©tait tout ce dont il semblait avoir besoin dĂ©sormais. Cet ami qui pourtant lâutilisait comme lâĂȘtre mallĂ©able quâil Ă©tait. _ Ce soir, comme Ă chaque fois que le ciel est noir, Simon dĂ©cide de sortir et espĂšre rejoindre son ami. Cela fait bien longtemps quâil ne sâest pas montrĂ© ; Simon se sent de plus en plus seul. Il dĂ©cide de marcher. Il nâerre pas car il marche avec un but. Toujours le mĂȘme but depuis tant de semaines, de mois, dâannĂ©es. Celui de retrouver les sensations quâil vĂ©cut avec Juliette. Lâespoir de connaitre Ă nouveau les palpitations, celles prĂ©cisĂ©ment, quâengendre lâamour mĂȘlĂ© au hasard. Sa marche semble sans fin, la nervositĂ© augmente. Simon refuse dâaccepter que son ami tire les ficelles, quâil nâest jamais lĂ oĂč on lâattend, et encore moins quand on lâattend, il a Ă cÂur de dĂ©montrer que le Destin est digne de confiance. Il sâavance dans un bois. Son vide intĂ©rieur lâassaille. Il sait que cette soirĂ©e lĂ sera spĂ©ciale, câest une nĂ©cessitĂ©, le manque lui est insoutenable. Un ultime dĂ©sir se faufile en lui, il sort son mobile et compose le numĂ©ro de Juliette. Il tenait Ă ce que Juliette vive avec lui le dernier message de son ami comme elle a vĂ©cu avec lui le premier. Elle dĂ©croche au moment oĂč le train arrive Ă toute allure alors que la marche hasardeuse de Simon lâavait menĂ© au milieu des rails. Le tĂ©lĂ©phone est projetĂ©, pourtant Juliette, pĂ©trifiĂ©e, comprend la scĂšne sans quâon ait besoin de la lui illustrer lorsquâelle sent la main glaciale du Destin remonter le long de son dos. Nouvelle 020 _ La fĂ©e des fleurs Elle Ă©tait nĂ©e FĂ©e des fleurs » pour son parfum et sa fraĂźcheur. Elle s'ajustait aux saisons sur le modĂšle de la lumiĂšre et la pĂ©nombre s'entremĂȘlant. _ Sa palabre Ă©tait aromatique et tempĂ©rĂ©e, offrant Ă l'un la rosĂ©e du matin, Ă l'autre la belle de nuit. _ Mobile au grĂ© des vents, des temps, des gens, elle traquait la viduitĂ© pour doucement l'embaumer. Ainsi du dĂ©but Ă la fin et l'inverse, des jours et des vies, elle s'aliĂ©nait le temps, pour qu'il la guide vers son encens l'Ă©ternitĂ©. Elle troquait Ă la vitesse de la lumiĂšre, Ă tire d'aile, d'elle, passant, effleurant, courant, se faufilant, cherchant, elle passerelle, du temps, des senteurs, pour d'autres. _ Pas de sĂ©quence, pas de cĂ©sure, plus d'accident. Seul ce fil volatil tissĂ© par son passage, une tige, une baguette, une mesure, pour qu'ensemble  magie ?  soient orchestrĂ©es les paroles d'un cafĂ© non littĂ©raire celui de la vie mĂȘlĂ©e de vies Ă l'infini, odeurs perturbĂ©es de tous les Ă©tages, puis son pas sage silence. _ Ruche incessante, imaginaire ? Effluve couronnĂ©e ? IllustrĂ©e de pĂ©tales ? Eloges ? Courant flammes ? Fleurs ? Non. Juste une histoire un soutien quotidien pour se rendre plus mallĂ©able aux feux multicolores citadins. _ De la fĂ©e se souvenir, de la fleur  que reste-t-il ?  sinon leurs commencements leurs F », celui du Firmament l'appel Ă la lumiĂšre. _ Ainsi elle agissait jubilatoire. Nouvelle 021 _ Six-Pions l'africain Le guide nous fit signe d'avancer. C'Ă©tait en fait un encouragement Ă franchir ensemble la passerelle de cordes qui nous sĂ©parait du village. La sĂ©quence se dĂ©roula sans encombre. Il suffisait de ne pas trop regarder le torrent tumultueux qui grondait en contrebas. _ Avec le soutien de Six-Pions, je savais que rien ne pouvait m'arriver. Nos expĂ©riences de vie Ă©taient tellement mĂȘlĂ©es depuis quelque temps qu'il devenait incontournable. Six-Pions l'africain ! Ce surnom illustrait Ă lui seul l'emprise que Paul avait prise sur nous depuis le lycĂ©e. AprĂšs avoir notamment poussĂ© Ă bout pas moins de six surveillants ! MĂ©lange de pouvoir et de puissance, de libertĂ© et d'exotisme. La couleur de sa peau n'Ă©tait pas un handicap ici, bien au contraire _ Les cases se faisaient face de part et d'autre de la piste et j'avançais en tĂȘte du groupe. Personne pour nous accueillir. Les habitants Ă©taient massĂ©s Ă proximitĂ© d'un contrefort rocheux, prĂšs de ce qui ressemblait Ă un arbre Ă palabre. Je me devais d'agir au plus vite pour entrer en contact avec les autochtones. Mon premier appel en direction du groupe d'hommes, de femmes et d'enfants se dispersa avec le vent chaud qui soulevait la poussiĂšre ocre de la terre dessĂ©chĂ©e. Que faire ? _ Paul comprit trĂšs vite que la population n'Ă©tait pas aussi mallĂ©able que cela, et qu'un simple cri de notre part ne suffirait pas Ă les faire s'intĂ©resser Ă nous. Un groupe de touristes en pleine savane, quel intĂ©rĂȘt ? FauchĂ©s, en plus ! Soucieux de ne vouloir en aucun cas les aliĂ©ner par un quelconque rapport de pouvoir, ce fameux rapport qu'engendre l'usage de l'argent, il fit preuve de plus de subtilitĂ©. _ S'approchant d'un homme ĂągĂ© qui devait ĂȘtre le sage du village, il lui fit don de son tĂ©lĂ©phone mobile. Plusieurs paires d'yeux s'intĂ©ressaient vivement Ă l'appareil qui eut alors la bonne idĂ©e de sonner. Message publicitaire de l'opĂ©rateur, SMS jubilatoire qui annonçait sur ce continent une promotion exceptionnelle, l'usage illimitĂ© du tĂ©lĂ©phone pendant les prochaines vingt-quatre heures ! Je mesurais l'Ă©cart culturel qui nous sĂ©parait les uns des autres _ Le vieil homme enfonça lentement la main dans un sac de jute posĂ© Ă ses pieds et en sortit une poignĂ©e de grains de cafĂ© qu'il tendit Ă Paul. Celui-ci la recueillit dans le creux de ses mains, ouvertes en forme de coupe, et salua avec respect le vĂ©nĂ©rable donateur. _ Nous venions sans le savoir de troquer ce qui ressemblait assez bien Ă nos cultures respectives. La technologie d'un cĂŽtĂ©, l'Ă©phĂ©mĂšre et le bruit. Le fruit de la terre de l'autre, avec son caractĂšre, son parfum et sa couleur trĂšs locale ! Aucun triomphe dans cet Ă©change silencieux, l'Ă©ventualitĂ© tout au plus qu'un premier contact venait de se nouer. _ Entre un groupe de touristes Ă la peau Ă©carlate et quelques villageois Ă peine intriguĂ©s par notre prĂ©sence auprĂšs d'eux, ce n'Ă©tait dĂ©jĂ pas si mal ! Nouvelle 022 _ Pas de cadavre dans la BibliothĂšque Quand Nicole Villier reprit sa fonction de responsable de la BibliothĂšque de Lyon, un mardi matin, Ă l'issue de son congĂ© maternitĂ©, elle constata avec satisfaction que le nombre d'Ă©tudiants, venus lĂ pour rĂ©viser, avait augmentĂ© de façon significative. _ Assise Ă son bureau, elle consulta la fiche des acquisitions rĂ©centes, surtout des ouvrages illustrĂ©s, consacrĂ©s au Moyen-Ăąge et Ă l'archĂ©ologie. Sa remplaçante, CĂ©line, une jeune diplĂŽmĂ©e de l'Ecole des Chartes, pensa t-elle, Ă©tait probablement Ă l'origine de la sĂ©lection de ces bouquins. Avant d'ouvrir l'ordinateur et d'enregistrer demandes et appels, elle se leva et se prĂ©para un cafĂ©. _ Le lendemain, Nicole se sentit fatiguĂ©e et mit cela sur sa nouvelle activitĂ© de mĂšre. Les jours suivants, elle se plaignit de maux de tĂȘte rĂ©currents que ni l'aspirine ni le paracĂ©tamol ne parvinrent Ă aliĂ©ner. Le repos du week-end lui fit du bien mais dĂšs le mardi, les cĂ©phalĂ©es recommencĂšrent, assorties de douleurs stomacales si bien que le jeudi soir, elle Ă©tait hospitalisĂ©e en urgence, pour un dĂ©but d'empoisonnement par l'arsenic. _ PrĂ©venus discrĂštement, le maire et les gendarmes crurent d'abord Ă une mauvaise farce car personne ne pouvait en vouloir Ă Nicole, une femme dĂ©vouĂ©e et compĂ©tente, ayant le soutien de l'ensemble des Lyonnais pour ses quinze annĂ©es de bons et loyaux services Ă la BibliothĂšque. _ Le commissaire divisionnaire Eloi fut chargĂ©e de l'affaire et se mit aussitĂŽt au travail. En vieil habituĂ© des enquĂȘtes prĂ©liminaires, il savait tout de l'affaire jubilatoire de la Bonne Dame de Loudun et du lent empoisonnement de NapolĂ©on. _ L'Ă©poux de Nicole confirma que sa femme ne se droguait pas et n'avait point utilisĂ© de lotion arsenicale pour combattre une acnĂ© Ă©ventuelle, durant sa grossesse. _ Eloi dĂ©cidĂ© Ă agir, se mit alors Ă Ă©tudier les menus du couple Villier durant la semaine prĂ©cĂ©dent l'hospitalisation et n'y put trouver aucune information significative. L'Ă©tude approfondie de l'entourage de la victime, famille, voisins et relations de travail n'apporta pas davantage d'Ă©lĂ©ment ou d'indice pouvant servir de guide Ă l'enquĂȘte. D'oĂč pouvait donc venir l'arsenic ingĂ©rĂ© ? _ Si les symptĂŽmes de l'empoisonnement s'Ă©taient d'abord manifestĂ©s Ă la BibliothĂšque, il convenait de chercher de ce cĂŽtĂ©-lĂ . Le lieu Ă©tant exceptionnellement fermĂ© ce samedi, le commissaire rĂ©cupĂ©ra la clef de la BibliothĂšque auprĂšs de la femme de mĂ©nage puis tĂ©lĂ©phona au Maire pour lui demander de convoquer CĂ©line Dites lui de se rendre, aujourd'hui Ă quatorze heures, Ă la BibliothĂšque, au titre d'invitĂ©e Ă une manifestation culturelle, par exemple ! . _ Eloi pĂ©nĂ©tra alors dans la salle de lecture oĂč il se promena pensif, entre les tables et les rayons de livres. Avisant le bureau de Nicole, il s'assit sur la chaise de cuir puis dĂ©tailla le contenu du tiroir du bureau deux crayons, de la colle mallĂ©able, un tĂ©lĂ©phone mobile, deux tasses Ă cafĂ© et un paquet entamĂ© d'arabica moulu du commerce Ă©quitable. _ Cherchant la cafetiĂšre, il la dĂ©nicha derriĂšre le bureau, sur une petite Ă©tagĂšre, entre une boĂźte de filtres et une clochette que la bibliothĂ©caire devait agiter pour rĂ©clamer le silence. NettoyĂ©e, la cafetiĂšre Ă©lectrique d'un modĂšle ancien ne rĂ©vĂ©lait rien de suspect. NĂ©anmoins, par routine, Eloi emporta le paquet de cafĂ© aux fins d'analyse et quitta la salle. _ AprĂšs avoir dĂ©jeunĂ© avec le Maire, il prit la passerelle enjambant la voie ferrĂ©e, et rejoignit la BibliothĂšque. Il allait pousser la porte d'entrĂ©e, lorsqu'un bruit de talons le fit se retourner. Il vit alors une jeune femme, aux cheveux roux, vĂȘtu d'un ensemble vert comme ses yeux, qui s'avançait vers lui. Vous ĂȘtes CĂ©line, n'est ce pas ? » murmura Eloi, impressionnĂ© par le charme de cette apparition soudaine. Je suis le Commissaire Eloi, veuillez me suivre Ă l'intĂ©rieur, s'il vous plaĂźt . _ Le commissaire qui avait troquĂ© sa gabardine usagĂ©e contre un Burbery's tout neuf, dĂ©tailla la sĂ©quence des faits connus Ă ce jour, devant CĂ©line, au comble de la stupeur. A la question de savoir si des Ă©tudiants avaient eu un comportement particulier Ă son Ă©gard, elle dĂ©clara que l'un d'entre eux, Philippe, lui avait adressĂ©, par deux fois, un petit mot gentil au milieu d'un livre Ă rendre mais elle avait feint de ne rien apercevoir. Un autre, prĂ©nommĂ© RenĂ©, plutĂŽt collant, lui demandait frĂ©quemment de contrĂŽler sur l'ordinateur l'existence de livres qu'elle savait ne pas possĂ©der. Il lui avait mĂȘme offert des fleurs. Ce n'Ă©tait qu'enfantillage, pensa le Commissaire qui imaginait cependant que cette beautĂ© rousse Ă©tait de nature Ă perturber voire enflammer l'un de ces jeunes coqs. _ Lorsque quarante huit heures plus tard, l'analyse du paquet de cafĂ© moulu rĂ©vĂ©la la prĂ©sence d'arsenic sous forme d'une fine poudre brune, Eloi, persuadĂ© que le coupable devait faire partie des admirateurs de CĂ©line, se fit remettre la liste des Ă©tudiants inscrits Ă la BibliothĂšque pour Ă©tudier le cursus et les motivations de chacun d'eux. Pour Philippe, attirĂ© par l'Histoire grecque et les Beaux Arts, CĂ©line pouvait reprĂ©senter une attirante Junon moderne. Quant Ă RenĂ©, Ă©tudiant en gĂ©ologie, il sortait d'une semaine de stage de minĂ©ralogie Ă Salsigne, dans l'Aude. Cherchant, sur Internet, oĂč se trouvait Salsigne, Eloi dĂ©couvrit que la mine d'or allait fermer et que le minerai exploitĂ©, le mispickel, Ă©tait un sulfure complexe de fer, de cuivre, de bismuth mĂȘlĂ© Ă de l'arsenic. _ DĂšs lors, il ne fut pas difficile de confondre RenĂ© qui, sans palabre inutile, expliqua qu'il avait prĂ©levĂ©, incognito, de l'arsenic sur le site de stockage, comme souvenir original. TraumatisĂ© par le prochain dĂ©part de CĂ©line, il avait cru bon, la veille du retour de la bibliothĂ©caire titulaire, d'ajouter une pincĂ©e d'arsenic au cafĂ© moulu pour hĂąter ainsi le retour de la remplaçante, CĂ©line, son idole. Nouvelle 023 _ Tom le bit Le bit est une unitĂ© de mesure informatique dĂ©signant la quantitĂ© Ă©lĂ©mentaire d'information reprĂ©sentĂ©e par un chiffre du systĂšme binaire. Il ne peut prendre que deux valeurs 0 ou 1 _ ? Eh, dit Tom, regarde, c'est ouvert ! Il se dresse derriĂšre l'Ă©cran, qui vient d'ĂȘtre allumĂ©. Kim Ă©merge lentement de sa torpeur. Il a du mal Ă rĂ©pondre Ă l'appel de son ami. Trois jours sans sortir, des heures et des heures dans le noir, Ă ne rien faire. Le retour Ă la lumiĂšre est plutĂŽt rude. _ ? Quoi, grogne-t-il, il est lĂ ? _ ? Ecoute, dit Tom, un doigt sur la bouche, pour l'empĂȘcher d'entrer dans des palabres inutiles. _ On entend le cliquetis du clavier, le PC ronronne doucement. Tom s'avance au bord de l'Ă©cran. Il a juste le temps de comprendre la raison de ce rĂ©veil intempestif. Les fenĂȘtres s'ouvrent Ă toute volĂ©e. Internet Explorer tourne Ă plein rĂ©gime la mĂ©tĂ©o, Facebook, les pubs et les infos dĂ©boulent. La messagerie dĂ©charge des dizaines de mails, les fichiers attachĂ©s passent en rafale, aussitĂŽt jetĂ©s Ă la poubelle ou rigoureusement classĂ©s dans les dossiers du disque dur _ ? Ăa y est ! dit Tom, sans se retourner, il est rentrĂ© ! PrĂ©pare-toi, Kim. _ Les deux compĂšres sont ancrĂ©s dans la note de synthĂšse, que leur hĂŽte avait enregistrĂ©e sous Word, juste avant de partir en week-end. A deux clics de l'icĂŽne W », dans la barre des tĂąches. Une position pas forcĂ©ment facile Ă conserver, mais un endroit idĂ©al pour apercevoir ce qui se passe dehors. _ Kim rĂ©prime un bĂąillement. Il aurait volontiers pris un cafĂ©, mais il n'en aura pas le temps. Il s'accroche, lui aussi, Ă la barre des tĂąches. Pas question de rater l'Ă©vĂ©nement ! Pas question surtout d'ĂȘtre sĂ©parĂ©s. Deux petits bits, un 0 » et un 1 », ça ne va pas l'un sans l'autre, ça vit ensemble. Ils appartiennent Ă cette espĂšce bizarre qu'on appelle des Binary digit . On dit bit . Ăa va plus vite, et ça permet de ne pas se mĂȘler les pinceaux dans le jargon informatique. Tom, c'est un zĂ©ro ». Une bonne tĂȘte brune. Des yeux noirs qui roulent dans tous les sens. Il est toujours le premier Ă savoir ce qui se passe. Il connaĂźt toutes les passerelles des disques durs, il ne rate jamais une occasion de partir Ă l'aventure. Par contre, Kim, c'est un 1 . Un gentil petit 1 », bien blond, bien droit, toujours souriant. Il ouvre de grands yeux bleus. Pas vraiment rapide, plutĂŽt nonchalant, mallĂ©able aussi. Il ne se prĂ©cipite pas, il se laisse aller sur la toile. _ Mais la loi de la sĂ©quence informatique est ce qu'elle est. Sans Kim, pas de Tom. Sans Tom, pas de Kim. En Ă©lectronique, on dit aussi que le 0 » est ouvert, et que le 1 » est fermĂ©. En magnĂ©tique, on trouve que le 0 est un pĂŽle positif, et que le 1 » est nĂ©gatif. Par contre, en logique le 0 » a toujours faux ! Ce qui ne veut pas dire que Tom est un menteur. Et le 1 » dit toujours vrai. Ce qui ne veut pas dire que Kim a toujours raison. On s'y perd. Mais pour nos deux amis, c'est une confusion jubilatoire ! Ils Ă©clatent de rire, et ils en remettent une louche ils se racontent l'histoire du Ying et du Yang. En chinois, dans le texte. Ils parlent d'ailleurs toutes les langues. Ils sont toujours Ă l'aise, que ce soit Ă Paris, Ă ShangaĂŻ ou Ă Rio de Janeiro. _ Tiens, Rio, justement Le carnaval. Tom s'y verrait bien tout de suite, mais il va devoir attendre. C'est au mois de mars. Il l'a dĂ©jĂ fait, il adore ça. La samba, ça le connait. On lui a mĂȘme demandĂ© un jour de servir de guide Ă Copacabana pour un car entier de touristes des bits » du Danemark ! Mais, pour le moment, ce n'est pas du tout lĂ qu'ils se rĂ©veillent. Ils sont Ă Paris. Au 4° Ă©tage dans bel immeuble de la rue de Vaugirard. Il est dix heures du soir, et le propriĂ©taire de l'ordinateur qui les hĂ©berge vient de rentrer. _ ? Kim, dĂ©pĂȘche-toi, enfin ! _ Comme toujours, Tom est excitĂ©, et Kim est Ă la traĂźne. Il se passe la main dans les cheveux, il rassemble son bric-Ă -brac, son mobile et ses crayons, il fourre le tout dans son mini sac Ă dos. La note oĂč ils sont fixĂ©s, ligne 8, douziĂšme mot, est destinĂ©e Ă un supĂ©rieur hiĂ©rarchique. C'est Ă©crit en haut Ă gauche Ă Herbert Spandauer, 138, Karl Liebknecht-strasse, Berlin » _ ? Vite, Kim, vite ! _ Tom insiste. Il voit le regard tendu du jeune cadre en chemise, qui vient d'allumer le PC. Les messages surgissent toujours les uns derriĂšre les autres. Il y a bien eu une courte pause, pour envoyer de la musique dans les baffles. Mais, cette fois, ça ne va pas tarder. Un mot gentil, une brĂšve explication pour illustrer son propos nous avons le soutien des associations de consommateur , un salut laconique en fin de message. Il va transfĂ©rer la note Ă Berlin ! _ Kim arrive enfin au bord de l'Ă©cran. Il a voulu troquer son petit gilet gris, contre un grand pull bariolĂ©. C'est du plus bel effet. Sauf que, maintenant, c'est tout sauf une valeur binaire c'est un arlequin Ă tĂȘte blonde ! _ ? Tu exagĂšres, dit Tom. Ăa va faire classe, Ă Berlin, tiens ! _ Mais il n'insiste pas. Pas question d'aliĂ©ner leur solide amitiĂ©, pour une querelle de bouts de ficelle. Le cliquetis du clavier est de plus en plus rapide. Pas de souris. C'est le frĂŽlement de l'index qui guide le pointeur. L'homme est concentrĂ©, c'est le type mĂȘme du cadre dynamique, impatient d'agir. DerriĂšre lui, un immense tableau d'art moderne lance des lignes bleues et rouges sur fond blanc. ColorĂ©, mais incomprĂ©hensible. Le plateau du bureau, lui, est quasiment vide, soigneusement dĂ©poussiĂ©rĂ©. Pas de crayons, ni de stylos. Le blackberry est Ă portĂ©e de main. On est en wi-fi. Tout va trĂšs vite. _ ? Ăa y est, dit Tom ! _ Ils s'agrippent l'un l'autre, ils s'arc-boutent Ă leur ligne 8, dans la note de synthĂšse. Une jeune femme appelle dans la piĂšce voisine Tu viens, chĂ©ri ? » Un clic, l'adresse mail est posĂ©e. Un autre clic la note est attachĂ©e. _ ? Waaaooouuuuhhh ! lance Tom, c'est parti ! _ Kim regarde autour de lui. Il observe les lettres, les mots, qui les prĂ©cĂšdent. _ ? Tout est en ordre, pense-t-il, pas de bug, pas de bizarrerie dans le message. C'est bon. _ Il se crispe sur le dos de Tom. Un dernier clic, ils sont basculĂ©s. _ Le web dĂ©file Ă la vitesse de la lumiĂšre. Pas le temps de regarder le paysage. _ Un grand choc. Ils sont arrivĂ©s. _ ? Ăa va Tom ? _ Ils sont un peu sonnĂ©s. Pour le coup, c'est Kim qui prend l'initiative. C'est qu'il l'aime bien, son Tom. Il ne voudrait pas le perdre. Il scrute son visage. _ ? Ăa va, rĂ©pond Tom, le regard brusquement tendu. Mais c'est quoi, ce bazar ? _ Il a repris ses esprits, il voit les autres bits » se mettre en place dans le nouveau disque dur. L'espace est ici bien plus grand. Mais quel capharnaĂŒm ! Il y a des lustres que la dĂ©fragmentation n'a pas Ă©tĂ© lancĂ©e. Ils cĂŽtoient des morceaux de dessin, des bouts de vidĂ©os mal enregistrĂ©s, des photos de plage, des programmes esquintĂ©s qui ne servent plus Ă rien. Leur note reste pendue au message, elle risque bien de ne pas ĂȘtre ouverte de sitĂŽt. Ils s'approchent de l'Ă©cran. Et tous les deux ouvrent des grands yeux, ronds comme des soucoupes Du diable si ce qu'ils voient ressemble Ă Berlin _ La suite au prochain concours Nouvelle 024 _ Maladie contagieuse MalgrĂ© les rĂ©ticences de mes parents, j'avais obtenu, de haute lutte, la permission de partir avec les guides de France, en camp de vacances, l'Ă©tĂ© de mes seize ans. _ HĂ©las, le matin du jour J, je me rĂ©veillai fiĂ©vreuse. Un bouton bizarre, au sommet nacrĂ©, pointait dans mon cou. Il fut bientĂŽt rejoint par quelques autres sur mes bras et mes jambes Le diagnostic fut rapidement portĂ© par ma mĂšre j'avais attrapĂ© la varicelle ! A son appel le mĂ©decin se dĂ©plaça jusqu'Ă chez nous, il confirma ses dires et ajouta mĂȘme, d'un air admiratif, que c'Ă©tait une belle » varicelle. Ma vie s'Ă©croulait, j'allais ĂȘtre dĂ©figurĂ©e Ă tout jamais et cet homme osait prononcer ce qualificatif avec une sorte de jouissance! Je crus un instant qu'il allait me prendre en photo pour illustrer un prochain livre de mĂ©decine ! _ Naturellement, cela entraĂźna immĂ©diatement l'annulation de mon dĂ©part. Certaines de mes amies me plaignirent sincĂšrement mais je n'obtins aucun soutien psychologique de la plupart d'entre elles. M'imaginer couverte de boutons colorĂ©s en rouge par l'Ă©osine provoqua chez plusieurs dĂ©testables filles une vision jubilatoire! Heureusement pour elles, je ne sus que plus tard qu'elles s'Ă©taient amusĂ©es ensemble et sans retenue de mon malheur ! _ J'avais seize ans, mon Ă©tĂ© Ă©tait gĂąchĂ©, je sombrai donc dans le dĂ©sespoir le plus profond. J'infligeai Ă ma pauvre mĂšre quelques sĂ©quences mĂ©lo dramatiques mĂ©morables ! _ Je portais sur mes Ă©paules toute la tristesse du monde. Maman qui endurait jusque lĂ mes Ă©tats d'Ăąme pensa, au bout de quelques jours, qu'il convenait d'agir. Une adolescente grincheuse plĂ©onasme ? qui s'ennuie et tourne en rond cela devient rapidement insupportable. MalgrĂ© mon caractĂšre difficile et peu mallĂ©able elle me proposa assez fermement une solution Ă mes problĂšmes. _ ? Lis et cela ira mieux, tu verras, m'affirma-t-elle. _ ? Bof ! fut la seule rĂ©ponse qu'elle obtint. _ De quoi se mĂȘlait-elle, me rĂ©voltai-je intĂ©rieurement. _ La lecture, si elle ne me rebutait pas totalement, Ă©tait, dans mon esprit, davantage synonyme de travail scolaire que de plaisir. Lire » et Ă©tĂ© » me semblaient deux termes totalement antinomiques. Cependant, je vivais Ă une Ă©poque oĂč la tĂ©lĂ©vision ne fonctionnait pas vingt quatre heures sur vingt quatre, oĂč Internet n'existait pas et oĂč les jeunes ne s'envoyaient pas des SMS Ă longueur de journĂ©e, faute de tĂ©lĂ©phone mobile Le choix des distractions Ă©tant limitĂ© je m'inclinai et aprĂšs maints palabres j'acceptai de mauvaise grĂące cette idĂ©e. _ ? Mais c'est toi qui va me chercher des livres Ă la bibliothĂšque car il est hors de question que je sorte avec une tĂȘte pareille, lui demandai-je d'une voix geignarde. _ ? D'accord, me rĂ©pondit-elle, certainement soulagĂ©e par mon consentement. Qu'est-ce qui te fait envie? _ ? Je ne sais pas, ce que tu veux _ Maman partit donc Ă la recherche de romans susceptibles de redonner un peu de joie de vivre Ă une pauvre dĂ©primĂ©e. Elle me rapporta La gloire de mon pĂšre » et Le chĂąteau de ma mĂšre » de Marcel Pagnol. Toujours aussi aimable, je ronchonnai en marmonnant que c'Ă©tait des livres pour gamins et que cela ne me plairait pas. Elle me planta lĂ sans autre commentaire. Je feuilletai les bouquins nonchalamment puis commençai sans mĂȘme m'en apercevoir la lecture du premier. _ Quatre heures plus tard, j'entendis mes parents m'appeler pour le dĂźner. Je n'avais pas vu le temps passer. Le roman Ă©tait quasiment achevĂ© et je n'avais plus qu'une idĂ©e en tĂȘte entamer le suivant. Je quittai la table sans attendre qu'ils aient bu leur cafĂ©, trop impatiente de retrouver les aventures du jeune Marcel ! _ Le lendemain, je terminai le deuxiĂšme livre vers quinze heures. _ Or, durant les vacances, la bibliothĂšque n'ouvrait que le jeudi et le samedi. Nous Ă©tions dimanche, il me faudrait attendre quatre jours pour avoir le plaisir de troquer ces livres contre de nouveaux. Cela me parut impossible ! Heureusement, ma mĂšre Ă©tait une grande lectrice. Elle m'ouvrit un placard oĂč je dĂ©couvris des richesses insoupçonnĂ©es et abondantes. Sur ses conseils j'emportai finalement VipĂšre au poing » d'HervĂ© Bazin et je m'installai dans le jardin, un verre de grenadine Ă portĂ©e de main. J'attaquai la premiĂšre page .. _ A partir de ce jour, la passerelle surplombant la voie ferrĂ©e, raccourci vers la bibliothĂšque, me vit dĂ©ambuler frĂ©quemment, le sac Ă dos rempli de trĂ©sors vite dĂ©vorĂ©s. _ Je passai toutes ces semaines sur un petit nuage. Je ne vivais plus que pour lire. J'Ă©tais tellement insatiable qu'il m'arriva de m'Ă©tonner de l'absence du personnage principal du roman, dans le chapitre en cours, pour m'apercevoir soudain que celui-ci appartenait au livre prĂ©cĂ©dent !! _ Finalement, Ă aucun prix, je n'aurais aliĂ©nĂ© ce mois de lecture contre le camp de vacances initialement prĂ©vu! _ A tel point que, sur l'agenda de 1966, dans la case notes de juillet » j'ai Ă©crit ces quelques mots Mois extra beaucoup lu ! Nouvelle 025 _ Inspiration _ Un cafĂ© noir fumait devant moi. Les volutes odorantes du moka flattaient mes narines avant d'aller s'enrouler langoureusement autour de reproductions de mobiles de Calder suspendues au plafond. L'une d'elles reprĂ©sentait un poisson multicolore, Ă©trange, mais amusant dont j'enviais Ă son auteur la fantaisiste crĂ©ativitĂ©. En tout cas, ça mettait de la couleur dans le gris de mes pensĂ©es. J'Ă©tais donc lĂ , assis depuis un bien long moment et j'en Ă©tais Ă ma troisiĂšme tasse. DĂ©jĂ . _ J'Ă©tais sorti de l'appartement quelques heures auparavant. Je n'en pouvais plus de courir en rond aprĂšs des idĂ©es qui ne voulaient pas montrer le bout de leur nez. Il fallait que j'agisse, que je bouge, que je fasse quelque chose et vite. _ Alors, j'avais enfilĂ© la veste de mon vieil ensemble de tweed Ă©limĂ© que j'affectionnais tout particuliĂšrement lorsque l'arriĂšre-saison estivale et ses premiĂšres brises fraĂźches commençaient Ă faire tomber des feuilles jaunies annonçant la proximitĂ© de l'automne. Je m'Ă©tais mis Ă divaguer au hasard, Ă me mĂȘler dans la foule des gens, Ă la recherche d'un graal hypothĂ©tique. J'avais toujours cru que ma matiĂšre grise Ă©tait suffisamment prolixe pour me sortir de situations de dĂ©sespĂ©rante bĂ©ance. Puis de guerre lasse, je m'Ă©tais rĂ©fugiĂ© dans ce cafĂ© de la rue Blanche en espĂ©rant m'Ă©claircir les idĂ©es lors d'un tĂȘte Ă tĂȘte avec un petit noir. _ J'en Ă©tais donc Ă mon troisiĂšme et rien ne venait. J'avais l'impression que la doucereuse fumĂ©e pĂ©nĂ©trait mon esprit pour mieux l'aliĂ©ner. Moi qui espĂ©rais trouver un soutien rĂ©confortant dans ce breuvage chaud et fort, j'en Ă©tais pour mes frais. J'aurais troquĂ© n'importe quoi contre un dĂ©clic salvateur qui aurait enfin dĂ©congestionnĂ© mon imagination. Mais rien, dĂ©sespĂ©rĂ©ment rien. Je n'Ă©tais pas Faust et MĂ©phisto n'Ă©tait pas au rendez-vous. Diable ! _ Pourtant, Ă la table d'Ă cĂŽtĂ©, un groupe s'Ă©talait en palabres jubilatoires. Je les Ă©coutais en espĂ©rant qu'une de leurs anecdotes dĂ©coincerait mes synapses ankylosĂ©s. L'histoire de cette pauvre demoiselle qui s'Ă©tait retrouvĂ©e coincĂ©e au beau milieu d'une passerelle aux planches vermoulues parce qu'un guide Ă moitiĂ© fou leur avait fait prendre un chemin de traverse lors d'un trek dans les Andes m'avait un temps sĂ©duit. Mais je restais inexplicablement sec. Et aucun appel Ă un ami possible. Quant Ă mon dernier mot Il eĂ»t d'abord fallu que je trouve le premier. _ Pour couronner le tout, la radio diffusait une chanson de circonstance illustrant bien mon Ă©tat d'esprit du moment. C'Ă©tait la derniĂšre sĂ©quence, c'Ă©tait la derniĂšre sĂ©ance, et le rideau sur l'Ă©cran est tombĂ© . J'Ă©tais au dĂ©sespoir. J'avais le moral au fond de mes chaussettes noires et Monsieur Eddy m'y enfonçait un peu plus. Oui. J'avais dĂ©cidĂ©ment l'impression que le rideau s'Ă©tait dĂ©finitivement abattu sur ma pauvre imagination. Et je demeurais immobile, attablĂ© devant ce vaste dĂ©sert blanc au format A4 posĂ© Ă cĂŽtĂ© de ma tasse. ImmensitĂ© vierge d'une platitude infranchissable Et les mots que je trouvais habituellement si dĂ©licieusement mallĂ©ables sous la plume de mon stylo ne voulaient pas venir. _ Et puis, soudain ! Elle me vint, limpide, Ă©vidente ! Pourquoi n'y avais-je pas pensĂ© plus tĂŽt. Mon sujet Ă©tait lĂ depuis le dĂ©but. Il me tendait les bras de son infini nĂ©ant la terrible angoisse de l'Ă©crivain face Ă sa page blanche ! Nouvelle 026 _ A vouloir entrer dans le monde du net A vouloir entrer dans le monde du net, forcĂ©ment on doit franchir la passerelle d'une certaine rĂ©alitĂ© pour en rejoindre une autre. On agit ainsi dans une sorte de brouillard Ă©trange oĂč l'on se perd trĂšs vite sans un guide aguerri dans l'art de vous perdre plus vite encore _ Me voila donc ce matin lĂ avec la boite miracle qui allait me permettre de prendre toute la mesure des nouvelles dimensions du virtuel, virtuel dites-vous ? Je la regarde perplexe, elle est toute blanche et porte le nom de tout est possible » oui Ă©videmment, quel autre nom aurait on pu lui donner ? _ Je sors trĂšs lentement le mode d'emploi et tout un tas de chiffres, de codes, d'adresses Ă©tranges me sautent a la figure, l'air de dire  Ah tu l'as voulu et bien sers toi maintenant, si tu l'oses, surtout si tu peux ! _ DĂ©cidĂ©e Ă agir contre cette sensation de dĂ©sespoir qui nous saisit parfois devant l'infinie complexitĂ© de cette simplicitĂ© dĂ©routante vous me suivez toujours la ? je rĂ©torque  Yes I can ! et je feuillette une a une les pages auxquelles bien sur je ne comprends rien _ C'est lĂ qu'on imagine le plaisir jubilatoire des auteurs de ces notices, en pensant aux visages dĂ©composĂ©s des postulants au net. _ Vous me direz bien sur que je suis particuliĂšrement nulle dans le domaine, ce Ă quoi je vous rĂ©pondrai  Je le sais, mais ne suis-je pas ici pour apprendre ? Comme quoi on a beau avoir l'intention on n'en a pas forcĂ©ment les moyens _ Le temps me parut bien long ce jour lĂ L'appel que je lançai via l'opĂ©rateur dont je dĂ©pendais me parut comme une descente aux enfers, nouvelle version. _ ? Vous branchez la fiche XY et vĂ©rifiez que le routeur est bien dans position axiale correspondant Ă l'alignement de votre rĂ©fĂ©rence premiĂšre _ ? Oui mais comment savoir si cela correspond Ă l'interface dont vous me parliez tout Ă l'heure ? _ Nous en sommes au stade oĂč je griffonne tout et n'importe quoi, dans une sorte de frĂ©nĂ©sie mĂȘlant, mots, dessins pour illustrer du mieux que je peux les explications incantatoires de ce monsieur rĂ©pondant au doux prĂ©nom de Mathieu _ ? Avez-vous compris madame, ce n'est vraiment pas compliquĂ©, il suffit de suivre le mode d'emploi, je sais que cela peut paraĂźtre un peu rĂ©barbatif au premier abord, mais je vous assure, ensemble nous parviendrons sans nul doute Ă dĂ©passer l'apprĂ©hension bien comprĂ©hensible gĂ©nĂ©rĂ©e par ce nouveau mode de communication. _ J'avalai d'un trait la quatriĂšme tasse de cafĂ© de la matinĂ©e, le dĂ©nommĂ© Mathieu continuait de me dĂ©livrer ses directives, prĂ©cises certes, mais totalement mystĂ©rieuses pour moi. _ Dites moi pourquoi quand on cherche quelque chose on ne le trouve jamais, des cĂąbles jonchaient mon bureau, je lorgnai d'un Âil noir la magnifique boite blanche qui restait stoĂŻque dans son refus d'allumer les bonnes couleurs je suis sure que vous comprenez ce dont je parle _ ? Ăa clignote rouge ! Dis-je un rien Ă©nervĂ©e aprĂšs plus d'une demi-heure de palabres insensĂ©es _ ? Ăa devrait marcher, si vous avez suivi mes indications _ ? Vous devriez vous adresser directement a la boite miracle, elle saurait surement comment faire les branchements elle ! _ Bon c'est vrai je dois reconnaitre que je commençais lĂ©gĂšrement Ă perdre le contrĂŽle. J'aurais fait n'importe Ă ce moment pour troquer mon ordinateur et toutes mes ambitions pour le mode d'emploi, mĂȘme en chinois d'un four micro ondes _ Mais bon j'avais voulu tenter l'aventure, alors foi de femme moderne dussĂ©-je aliĂ©ner les derniĂšres pensĂ©es lucides que mon cerveau contenait encore, j'irai sur la toile, je l'aurai ma connexion, je l'aurai ! _ Heureusement l'heure de midi arriva et le technicien en question me dit gentiment de le recontacter dans l'aprĂšs midi, me recommandant de reprendre du dĂ©but, tout en m'aidant du livret. _ Et je m'acharnais Ă lire, a relire, encore et encore les instructions, mĂȘlĂ©es a celle de la feuille qui a cette heure ressemblait a un monstre de lettres furieuses galopant en tous sens _ Je dĂ©branchai, vĂ©rifiai la sĂ©quence de la fameuse interface dont le mot seul restera a jamais gravĂ©e dans ma mĂ©moire quand a 13h49 malgrĂ© tous mes efforts le clignotant resta rouge et mon Ă©cran afficha  Cette connexion, a une connectivitĂ© limitĂ©e ou inexistante, je crus vraiment entendre dans mon crĂąne la phrase suivante _ ? Le compte a rebours est lancĂ©, dans 3 minutes le systĂšme interne de cet humain connaitra une implosion impliquant la destruction instantanĂ©e de toutes les connections neurales permettant un fonctionnement normal de l'organisme. _ Une vision fulgurante s'imposa Ă moi, je vous jure je le vis, lĂ devant moi, Ă©cran ironique qui en plus parlait anglais. Mon moi virtuel alors se leva, prit l'Ă©cran dans ses mains et le pressa, jusqu'Ă le rendre mallĂ©able comme une pĂąte Ă modeler, lui donna la forme d'un visage humain. J'entendis une voix sortie de ce monde que je venais Ă peine d'aborder et qui dĂ©jĂ me dĂ©doublait _ ? Connecte toi ou je t'explose la tronche » jusqu'Ă ce que tu ne connaisses plus ton nom !! _ Quand je recouvrai un peu mon calme l'Ă©cran Ă©tait toujours lĂ La boite aussi, mais elle je ne la regardai pas . Beaucoup trop dangereux, le rouge peut avoir des effets nĂ©fastes sur la santĂ© _ 14 heures pile je rappelle. Cette fois une certaine Lydie me rĂ©pond _ ? Je suis dĂ©solĂ©e madame mais Mathieu est en dĂ©placement a l'extĂ©rieur _ ? Passez moi quelqu'un d'autre dans ce cas, j'ai besoin d'un soutien logistique immĂ©diatement, question de survie comprenez vous ? _ Vous vous rendez bien compte, que j'avais largement dĂ©passĂ© les limites de la courtoisie, j'Ă©tais comme une enragĂ©e qui veut manger une glace Ă 4h du matin et qui ne trouve rien d'ouvert, je suis sure que vous connaissez cette sensation. _ Finalement on me mit en contact avec un certain Patrick, d'une politesse exemplaire, d'un calme non moins remarquable compte tenu de l'Ă©tat dans lequel je me trouvais. _ AprĂšs avoir revu tout du dĂ©but Ă la fin il s'exclama soudain  Mais avez-vous branchĂ© la fiche N2AT dans l'interstice prĂ©vu Ă cet effet ? _ ? Ah pour brancher oui j'ai branchĂ©, mais on ne m'a pas parlĂ© de ça⊠_ ? Regardez dans le quit d'accompagnement, elle y est surement⊠_ Ce que je fis, et elle Ă©tait bien la, encore emballĂ©es dans son film plastique J'entendis comme un grand soupir Ă l'autre bout du fil.  Branchez le et attendez, je pense que ca devrait marcher Ă prĂ©sent⊠_ J'exĂ©cutais religieusement ses instructions et posai mes yeux sur la boite blanche d'un coup tout s'alluma vert avec juste un point bleu en bout de ligne puis tout s'Ă©teignit⊠un point vert apparu, puis un autre, vint le moment ou le point rouge abhorrĂ© entra en scĂšne, clignotant comme un phare destinĂ© a couler les bateaux en perdition, en l'occurrence moi, puis d'un coup il devient orange, clignotant toujours comme un clin d'Âil sournois. Et lĂ ce fut miraculeux, il devint vert et fixe. _ ? Voila madame, vous ĂȘtes connectĂ©e Ă internet. _ Je restais Ă fixer mon Ă©cran qui dĂ©sormais m'ouvrait la porte du monde, Ă©puisĂ©e. _ Ce jour lĂ fut un grand jour, j'installai Messenger, je vous Ă©pargnerai les dĂ©tails et mon premier mail fut pour mon mari, en dĂ©placement professionnel. Je terminai celui-ci en concluant _ ? Je t'envoie un sms sur le mobile pour savoir si tu as reçu mon mail, bisous. Nouvelle 027 _ Elle et Lui Ils se sont reconnus longtemps avant les maĂźtres. Bien Ă©levĂ©s, rĂ©pondant facilement aux injonctions, ils ont le privilĂšge des promenades libres de laisse. Aujourd'hui, le hasard du vagabondage les a amenĂ©s sur le mĂȘme trottoir. _ Alors que Venga, labrador femelle au poil noir ras et luisant, fuit l'Ă©troitesse du trottoir de la rue Fouchet et pointe son museau dans la rue Jack London, Nemo, berger allemand mĂąle, pelisse aux tons dĂ©gradĂ©s du cafĂ© au cafĂ© crĂšme, quitte avec nonchalance la rue Tristan et Yseult. Son objectif, le lampadaire prĂšs de lâabribus de la rue Jack London et ses effluves toujours renouvelĂ©s. Une bonne centaine de mĂštres les sĂ©pare. Sur cette portion, le trottoir est large, divisĂ© en une bande bitumĂ©e et une allĂ©e de sable et de graviers. Tous les dix mĂštres, un buisson de chĂšvrefeuille Ă lâodeur envahissante, quâun canevas de fils mĂ©talliques protĂšge. _ Dans un ensemble parfait, Nemo et Venga lĂšvent la tĂȘte et la tournent dans la direction de l'autre. Le croisement des regards claque comme le pistolet au dĂ©part d'une course. Une course toute en muscles qui les jette l'un vers l'autre. »Venga ! » »Nemo ! »Appels parallĂšles, semonces dĂ©risoires. Un dernier saut pour le freinage, lâarrĂȘt instantanĂ© arc-boute leurs pattes de devant. Corps parallĂšles, tĂȘte bĂȘche, les narines se dilatent pour une vĂ©rification superflue. Il y a des odeurs qui ne trompent pas ! Puis ils se font face, les haleines se mĂȘlent, les respirations s'accĂ©lĂšrent, les joues se frĂŽlent et les pattes tremblent. _ Florence et Arnaud n'ont pas bougĂ© depuis que Nemo et Venga les ont quittĂ©s. PassĂ© l'effet de surprise â Nemo, Venga d'ordinaire si mallĂ©ables, si obĂ©issants â ils ont identifiĂ© le camp d'en face et mesurĂ© l'embarras de la situation. Feignant l'indiffĂ©rence, ils demeurent un instant Ă©trangers Ă la scĂšne avant de renoncer Ă l'espoir d'un retour spontanĂ©. Ils concentrent alors leur regard sur la danse. »Venga, viens, dĂ©pĂȘche-toi ! » Nemo, vite, on rentre ! » Les danseurs restent sourds, enlacĂ©s comme jadis dans lâallĂ©e du jardin de la maison de banlieue. Ils nâont pas oubliĂ©. Trois ans dâexil, trois ans dĂ©jĂ ! Ils projettent leurs pattes de devant, se maintiennent en position debout sur les pattes arriĂšre. Ils prennent appui chacun sur la poitrine de l'autre, la soumettent Ă un dĂ©luge de caresses rapides. Balancement jubilatoire du sur-place de la danse. A intervalles rĂ©guliers, comme rĂ©pondant Ă un signal connu d'eux seuls, les deux corps s'immobilisent, tendus, solides. FraĂźcheur des coups de langue comme Ă©tait fraĂźche la pelouse d'avant les palabres, dâavant la peur dâaliĂ©ner sa libertĂ©, dâavant la sĂ©paration et le dĂ©mĂ©nagement loin de la maison de banlieue Florence et Nemo Ă©taient partis d'un cĂŽtĂ©, Arnaud et Venga de l'autre. _ Les mentons se relĂšvent. Par des coups d'oeil Ă la dĂ©robĂ©e, Arnaud et Florence exercent cette autre maniĂšre de mesurer le temps qui illustre lâabsence. »Il a minci ! » Elle se maquille maintenant ! » Nemo tourne sur lui-mĂȘme en reculant devant Venga qui avance. Puis ils troquent les rĂŽles et c'est son tour Ă elle de pirouetter devant Nemo, dont les pattes mobiles semblent applaudir. Florence tape dans ses mains »Nemo, je m'en vais, viens ! ». Lâannonce du dĂ©part tire Arnaud de sa torpeur. Il tourne brusquement la tĂȘte et regarde Florence droit dans les yeux. »Reviens ! »Il frissonne dans la douceur des paroles simples, croit percevoir un mouvement de tĂȘte. Serait-ce le signe d'une oreille attentive ? Et ce bouquet de rides, sâagit-il de lâĂ©closion dâun sourire ? Il baisse les yeux puis chuchote comme pour lui seul »Reviens, Venga, reviens ! » _ Florence pivote, tourne le dos Ă la scĂšne, seul son regard s'attarde pour juger de l'effet produit par les appels. »Non ! C'est pas vrai ! »Elle nâen revient pas. Câest Venga qui, en quelques enjambĂ©es, l'a rejointe et se colle Ă ses jambes. Nemo, son soutien des jours difficiles, a optĂ© pour le chemin inverse. Elle pense aux sĂ©quences risibles des feuilletons de SĂ©rie B auxquels elle succombe certaines fins d'aprĂšs-midi frileuses. Elle se rappelle Nemo, Ă©tendu Ă ses pieds sur le tapis, des ondes de chaleur traversent son corps. Florence se penche sur Venga, lui caresse doucement le museau, le cou, le flanc. Venga, dâun mouvement de la tĂȘte, lui signifie quâil est temps de partir. Florence se redresse, embrasse des yeux la rue Tristan et Yseult, son asphalte Ă©corchĂ©, son dos dâĂąne, sa passerelle pour piĂ©tons et le virage en Ă©pingle Ă cheveux. Sans se retourner, elle se remet en marche. Venga, son nouveau guide, n'en a pas oubliĂ© le rythme. Nouvelle 028 _ Invitation Bonjour Madame, _ Monsieur, _ Le temps des palabres est rĂ©volu, rejoignez-nous; il ne manque plus que vous. Il est maintenant temps d'agir, nous avons besoin de vous pour la construction d'un monde juste. Troquez votre ancienne vie dans laquelle vous Ă©tiez mallĂ©able contre une vie oĂč vous serez proactif. _ Nous ne vous illustrerons pas l'Ă©tat du monde, vous le connaissez trĂšs bien. La sociĂ©tĂ© dans laquelle vous vivez est aliĂ©nante, ressaisissez-vous! MĂȘlez-vous au monde, vous en faites partie tout de mĂȘme! _ Vous ĂȘtes votre propre guide, n'attendez pas qu'on vous dise quoi faire. _ Nous sommes une passerelle, servez-vous de nous pour crĂ©er un monde dans lequel la justice rĂšgnera. N'oubliez pas que tout est en constant mouvement, et soyez mobiles, puisque lorsque les changements se feront sentir, vous devrez ĂȘtre prĂȘt. Vous verrez, ce Nouveau Monde sera littĂ©ralement jubilatoire. Il sera Ă©quitable pour chacun d'entre nous. _ La sĂ©quence des Ă©vĂšnements qui s'ensuivront, une fois que vous aurez fait votre choix ou non, est imprĂ©cise. Sachez simplement que cette lettre est un appel Ă changer le monde dans lequel vous vivez. Ensemble, nous rĂ©ussirons. _ Merci pour votre soutien. _ Je dĂ©posai mon cafĂ© et la lettre dont je venais de terminer la lecture. MalgrĂ© le peu de mots de la lettre, j'avais Ă©tĂ© sĂ©duit par le message. Par contre, je me demandais qui avait bien pu me l'envoyer. C'est alors que je remarquai la prĂ©sence d'un petit logo sur le coin supĂ©rieur droit de la page. Un tout petit logo sur lequel je lis six lettres Oxfam. Nouvelle 029 _ Balade nature Sur les pas du guide ensemble nous partirent, le cÂur vaillant certes, _ mais non trop point au courant du parfum sublime de cette aventure. _ L'ascension ne comportait pas de difficultĂ©s particuliĂšres _ certains d'entre nous avaient dĂ©jĂ troquĂ© le short au pantalon. _ Le soleil Ă©tait au rendez vous, qui mĂȘlait ses rayons aux sous bois _ encore de brume matinale emplis. _ Grandiose impression presque jubilatoire que de nous sentir _ nous enfonçant dans ce matelas de coton transpercĂ© nous entourant. _ La colonne avançait aux dĂ©tours de lacets mallĂ©ables _ tronquĂ©s de raccourcis abrupts imprĂ©vus. _ A la sortie de la forĂȘt nous apparurent les rochers Ă©lancĂ©s nus. _ Envoutant Ă©tait le buste accueillant de cette sirĂšne naturelle. _ Au fur et Ă mesure de notre progression le grondement d'un torrent se faisait insistant ; _ je me sentais aliĂ©nĂ© par l'appel de cette beautĂ© ainsi dĂ©nudĂ©e. _ Comme pour mieux en apprĂ©cier d'en haut la splendeur _ une passerelle de bois ajustĂ©e avait Ă©tĂ© posĂ©e. _ Il m'arrive d'imaginer cette sĂ©quence et je voudrai pouvoir l'illustrer ; _ seule comparaison possible que le galbe de votre poitrine _ n'ayant pour seul soutien Ă titre de passerelle _ que ce bustier de dentelle brodĂ©e qui vous sied Ă merveille _ Cet artifice mobile nous permit d'avancer pour suivre _ dĂ©sormais cette courbe de niveau tant attendue. _ Nos pieds endoloris par quatre heures de marche s'aventurĂšrent dĂ©sormais _ pour un doux massage dans le creux de vos reins. _ Point de palabre ; il fallait nous aventurer plus avant _ tandis qu'au loin, d'ensoleillĂ©e, je ne distinguais plus qu'une silhouette _ sublimĂ©e par les tourments de l'orage grandissant. _ Le cafĂ© nous attendait Ă vos pieds ; nous devions agir _ et quitter votre douce peau pour nous enfoncer _ dans votre jupe pourpre de feuillage frĂ©missant dĂ©jĂ au souffle du vent. Nouvelle 030 _ La passerelle C'est quand elle fut sur la passerelle que le doute l'assaillit de nouveau. _ DerriĂšre elle le boutre qu'elle quittait, les cargos rouillĂ©s, la mer rouge, les Ăźles Dahlak, leurs fonds sous-marins et ces quelques jours de camping avec des connaissances d'Asmara, des expatriĂ©s comme elle. Une pause jubilatoire. La premiĂšre depuis bien longtemps. _ Devant elle le quai, la ville de Massawa, la montagne et tout lĂ -haut le plateau, Asmara, Afabet, le regard encourageant des femmes, le cĂ©rĂ©monial des trois jus de cafĂ©, les palabres sous le manguier, la fraicheur du centre de santĂ©, mais aussi l'insalubritĂ©, les cris, les accouchements dans le couloir, la mĂ©chancetĂ© parfois mĂȘme le racisme entre ethnies. _ Elle Ă©tait venue en ErythrĂ©e pour agir ; les horreurs que Massimo lui avait contĂ©es de cette dictature oubliĂ©e avaient rĂ©sonnĂ© comme un appel. Elle Ă©tait de ceux qui croient que chaque geste compte, que l'accumulation des petits cailloux forme une montagne et que chaque vie est importante. Et plus que tout, elle Ă©tait rĂ©voltĂ©e par l'injustice et l'arbitraire. Ce premier poste en ErythrĂ©e lui permettrait de s'illustrer, enfin. De troquer sa vie insignifiante et routiniĂšre contre une vie pleine d'action et d'imprĂ©vus. _ Massimo avait Ă©tĂ© bien plus qu'un guide. DĂšs le dĂ©but, il l'avait prise sous son aile, lui avait dĂ©cryptĂ© les rouages du centre de santĂ©, les personnes ressources, les non-dits, les rĂ©actions des patients qui semblaient si singuliĂšres pour qui vit en dĂ©mocratie. Il Ă©tait Ă ses cĂŽtĂ©s dans les coups de bourre comme de blues ; ensemble, ils Ă©taient une Ă©quipe, une vraie. Mais maintenant qu'il Ă©tait parti au bout du globe, elle n'avait plus de soutien personne pour dĂ©compresser le soir, pour partager les petits plats et refaire le monde sous les Ă©toiles. _ Elle s'en rendait bien compte maintenant, depuis qu'il n'Ă©tait plus lĂ , elle s'Ă©tait acharnĂ©e Ă son travail, quitte Ă s'y aliĂ©ner. Elle avait perdu ce recul si prĂ©cieux pour une infirmiĂšre humanitaire. Il faut dire que l'agonie de Maria avait Ă©tĂ© particuliĂšrement Ă©prouvante. Savoir qu'elle aurait pu ĂȘtre en vie si l'ErythrĂ©e n'avait pas Ă©tĂ© une dictature. Cette sĂ©quence restait gravĂ©e dans sa mĂ©moire. DĂšs qu'elle fermait les yeux, elle voyait le regard implorant de Maria, un regard doux auquel se mĂȘlait une force, un courage. Maria. La belle Maria. La tĂȘte haute, les traits fins, le nez droit, une taille de guĂȘpe, un sourire Ă©tincelant et le regard fier de la vĂ©ritable tigrinyane. Maria, son amie. Maria qui avait dĂ©jĂ connu l'inacceptable son mari retrouvĂ© mort en plein dĂ©sert dans un container pour avoir voulu quitter ce pays, puis la prison et son lot d'horreurs oĂč elle avait croupi en guise de reprĂ©sailles. Maria ne lui avait pas tout racontĂ©, elle n'en avait pas eu la force et puis c'Ă©tait sĂ»rement trop dangereux. Ils sont partout, ils t'espionnent, ils savent. Ne pas trop parler, ne pas trop se montrer, ne pas se faire connaĂźtre. C'est pour ça que je ne viendrai pas accoucher dans ton centre pas de recensement du bĂ©bĂ© donc pas d'existence lĂ©gale et pas d'enrĂŽlement. Mon enfant ne sera jamais rĂ©quisitionnĂ©, ni pour mourir au front, ni pour nourrir le systĂšme de la dictature pendant 50 ans. Il ne sera pas de la chair Ă canon, mallĂ©able Ă la moindre dĂ©cision de ce gouvernement. Il restera avec moi et mon lopin de terre. » Complications Ă l'accouchement. Sa rĂ©sistance lui avait coutĂ© la vie. _ La sonnerie de son mobile la sortit brutalement de ses souvenirs. Paul, le responsable de mĂ©decin du monde Ă Asmara. SĂ»rement Ă propos de la rĂ©union sur les bilans, se dit-elle. _ Elle fit un pas vers le quai. Devant elle des containers de toutes les couleurs, des grues marrons, des cuves de gaz, des remorqueurs, un navire militaire, des baraques de bois, bric, broc et tĂŽles, des hangars rouillĂ©s, quelques hĂŽtels en construction et au fond, comme une trame bleutĂ©e, la montagne. Tout lĂ -haut, elle y devinait Asmara et ses jacarandas, sa cathĂ©drale et ses glaces italiennes, Afabet et ses acacias, ses cases et son centre de santĂ©, l'ErythrĂ©e et son cafĂ©, ses peuples fiers et sa dictature. Elle sentit qu'elle n'avait plus la foi, qu'elle n'avait plus l'Ă©nergie suffisante pour retourner travailler au centre de santĂ©. Il Ă©tait peut-ĂȘtre temps de changer. Paul comprendrait bien. _ Elle prit une grande inspiration et dĂ©crocha. Nouvelle 031 _ Myco-rĂȘve _ Enfin ! L'heure de la grande migration avait sonnĂ© ! Tous les champignons marins devaient se rendre dans la mer du Plaisir pour s'y reproduire. Les champignons mĂąles vivaient dans l'hĂ©misphĂšre nord, tandis que les femelles prĂ©fĂ©raient regagner l'hĂ©misphĂšre sud aprĂšs la ponte. La mer du Plaisir, vĂ©ritable passerelle jetĂ©e entre les deux sexes, restait donc le seul endroit de la planĂšte oĂč la reproduction des champignons Ă©tait possible. Cependant, le pĂ©riple Ă©tait parsemĂ© d'embĂ»ches les champignons devaient parcourir plusieurs milliers de kilopieds, chasser un gibier souvent trop rare, Ă©chapper Ă toutes sortes de prĂ©dateurs fĂ©roces avant de pouvoir s'Ă©battre ensemble dans la mer du Plaisir. _ Ce jour-lĂ , la larve champignon Bob ressentit l'Appel dans toutes les fibres de son pied. Bien sĂ»r, les champignons ne se donnent pas d'autres noms que Moi, Elle, ou l'Autre. Comme nous n'arriverons pas Ă les distinguer ainsi, pour la bonne cause, nous les baptiserons de noms bien humains. Mais reprenons _ Ce jour-lĂ , la larve champignon Bob ressentit l'Appel dans toutes les fibres de son pied. Il freina immĂ©diatement, au grand soulagement de la feuille de laurier qu'il poursuivait. Un instant, il s'interrogea sur la nature de ce message que ses mycormones lui envoyaient, puis comprit. Bob se laissa envahir par l'excitation, qui se traduisit aussitĂŽt par une nage circulaire et jubilatoire. Le Grand Voyage allait enfin commencer ! Ă lui les vastes ocĂ©ans, Ă lui les tomates papillons bien juteuses, les grains de cafĂ© sauvages et surtout, Ă lui les petites femelles champignons. Mais, Ă quoi pouvaient bien ressembler ces derniĂšres ? Lors de la palabre d'automne, un Ancien lui avait racontĂ© que les femelles ressemblaient assez aux mĂąles, hormis un long voile translucide qu'elles traĂźnaient derriĂšre elles Ă la saison des amours. Cette description relevait, de l'avis de Bob, de la pure affabulation, mais les Anciens Ă©taient quelque peu connus pour leur sĂ©nilitĂ©. Bob, lui, voyait plutĂŽt les femelles petites, gracieuses, avec un long pied recourbĂ©, ondulant lascivement dans l'eau. Mais entre lui et ces derniĂšres se trouvait tout un hĂ©misphĂšre. _ D'ailleurs, pourquoi attendre ? Autant agir tout de suite ! De son pied mobile, Bob se propulsa vers le sud, choisissant un mĂ©ridien comme guide. Direction, la mer du Plaisir. _ Bob progressait Ă bonne allure et entrevoyait parfois au loin d'autres larves champignons qui voyageaient en groupe. Il lĂącha un petit nuage de mycormones dĂ©daigneuses il n'avait pas besoin de leur soutien. DĂ©tendu et sĂ»r de lui, il ne vit pas la courgette tueuse fondre sur lui, toutes pĂ©pins acĂ©rĂ©s dehors. Inconscient du danger, Bob contourna une bulle inopportune et les pĂ©pins claquĂšrent dans le vide. AlertĂ© par les remous soudains, le champignon marin accĂ©lĂ©ra brutalement, au risque de mĂȘler son mycĂ©lium aux rĂ©cifs de poireaux voisins et laissa le prĂ©dateur sur place. _ ĂchaudĂ© par cette expĂ©rience, Bob jugea qu'il avait eu tort de s'illustrer en voyageant en solitaire. Mieux valait troquer le prestige qu'il aurait gagnĂ© aux yeux des femelles en parvenant, seul, dans la mer du Plaisir contre l'assurance d'arriver en un seul morceau. Ătait-ce la peur Ă©prouvĂ©e devant la courgette tueuse ou l'eau se rĂ©chauffait-elle graduellement ? _ Bob rejoignit le premier banc de champignons qu'il rencontra. Celui-ci Ă©tait organisĂ© selon une sĂ©quence bien particuliĂšre les larves se dĂ©plaçaient en un triangle compact qui, soudain, Ă©clatait pour se reformer un peu plus loin, avec de nouveaux champignons Ă sa tĂȘte. Bob se lia rapidement d'amitiĂ© avec l'autre Bob qui avait un chapeau mallĂ©able qu'il façonnait Ă volontĂ© pour imiter les fraises carnivores ou tomates bedonnantes qui Ă©talaient dignement leur grand Ăąge. Mais ils s'aliĂ©nĂšrent bien vite les autres champignons par leurs facĂ©ties et furent priĂ©s de dĂ©guerpir sĂ©ance tenante. _ Nageant dans une eau de plus en plus chaude, les deux Bob en prirent leur parti et dĂ©cidĂšrent de gagner les premiers la mer du Plaisir. Ils imaginaient dĂ©jĂ le chapeau dĂ©confit des autres lorsqu'ils verraient que les deux Bob avaient sĂ©duit les plus belles femelles. _ Ne s'accordant que le minimum de repos, grignotant un peu de persil par-ci ou un peu de curcuma par-lĂ , ils se hĂątĂšrent vers le sud. _ Alors que la chaleur devenait insoutenable, la mer du Plaisir se profila, Ă©tendant ses eaux foisonnantes de verdure dans toutes les directions. Et lĂ -bas ! N'Ă©tait-ce pas une femelle ? L'Ancien avait raison, un long voile translucide flottait derriĂšre elle et exhalait des mycormones dĂ©licieuses. Rendu fou par l'odeur, Bob se prĂ©cipita vers la femelle et entama une danse de sĂ©duction, jouant de son mycĂ©lium avec virtuositĂ©. La femelle, faussement farouche, rĂ©tracta son voile avant de se laisser timidement effleurer. Bob, au comble de la bĂ©atitude, se prĂ©para Ă vider sa gonade sur le filet ainsi tendu _ ? Ă la soupe ! cria une voix lointaine. Nouvelle 032 _ AdversitĂ© A cette Ă©poque de ma vie, il me manquait un guide. Je n'avais pas fait les bons choix, et je le savais. En attendant, j'Ă©tais en contrat de qualification dans une parapharmacie parisienne, aliĂ©nĂ©e par mon travail. Heureusement, mon boulot aurait une fin. Je le considĂ©rais donc comme une passerelle vers un poste que j'imaginais jubilatoire. J'aurais troquĂ© ma modeste blouse blanche contre un tailleur Ă©lĂ©gant et provoquant. Ainsi vĂȘtue, je me pavanerais dans les couloirs de ma luxueuse entreprise oĂč je partagerais des moments inoubliables Ă glousser prĂšs de la machine Ă cafĂ© avec mes collĂšgues dĂ©lirants. Cependant, cet avenir qui m'apparaissait idyllique n'Ă©tais pas encore pour moi. Pour l'instant, j'arpentais les sous-sol de la maudite boutique, sautillant au-dessus des cadavres de cafards. Tout en hissant les cartons de canettes protĂ©inĂ©es sur les Ă©tagĂšres, j'Ă©chafaudais des plans, j'essayais de mettre en place une stratĂ©gie pour me sortir de cet enfer Ă©pidermique. Je refusais de me rĂ©signer, et, tel un soldat attendant l'appel de son GĂ©nĂ©ral, je me prĂ©parais en silence Ă l'affrontement. En effet, j'avais enfin la possibilitĂ© d'agir, mais il ne fallait pas compter sur le soutien de mon Ă©cole de dermo-cosmĂ©tiques. Pour tout dire, la directrice de mon Ă©tablissement me proposait bien un poste mĂ©diocre d'animatrice mobile en pharmacie sur la France entiĂšre, mais, pour accepter cette remarquable promotion, je devais me dĂ©patouiller moi-mĂȘme avec ma patronne hargneuse pour rompre mon contrat actuel. Cette tĂąche s'annonçait dĂ©licate. Il allait falloir que j'use de palabres face Ă cette vieille femme acariĂątre qui me menait la vie dure mais pour qui j'Ă©prouvais des sentiments mĂȘlĂ©s. Je me souviens de sĂ©quences assez Ă©vocatrices qui illustrent magnifiquement son personnage. Elle guettait les clientes derriĂšre la porte entrebĂąillĂ©e de son bureau en marmonnant Qu'est-ce qu'elle fait celle-lĂ ? Elle va finir par l'acheter cette crĂšme?⊠Depuis le temps qu'elle la regarde! ». Puis, elle finissait par s'Ă©lancer dans le magasin Ă l'assaut de sa proie. Alors, de son meilleur argumentaire enrobĂ© d'un ton mielleux, elle commençait Oui, alors, cette crĂšme de jour, elle est trĂšs trĂšs trĂšs bien. ». De toute Ă©vidence, sa voix doucereuse ne pouvait couvrir son regard teigneux et agressif. Toutefois, le plus surprenant, Ă©tait que, mis Ă part quelques femmes braves et courageuses, l'ensemble de la clientĂšle finissait, comme un petit enfant Ă©pouvantĂ©, par acheter sa camelote. Pourtant, ma patronne avait quelque chose d'attachant ou plutĂŽt de pitoyable. Ce sentiment s'associe dans ma mĂ©moire au souvenir de ses 4 enfants, maintenant adultes, qui la traitaient avec mĂ©pris. J'avais l'occasion de temps de temps de travailler avec l'une de ses filles, DĂ©borah, et donc de connaĂźtre des journĂ©es placĂ©es sous le signe de la terreur et de l'humour glacĂ© mais pas sophistiquĂ© !. Celle-ci s'aperçut bien vite que je n'Ă©tais pas aussi mallĂ©able qu'elle le supposait et qu'au contact de sa mĂšre, je m'Ă©tais dĂ©jĂ endurcie. De ce fait, elle dĂ©cida, Ă ma grande surprise, de me considĂ©rer comme son amie⊠mais moi, je dĂ©cidais de fuir ! Nouvelle 033 _ La raison de vivre Chienne de vie ! » _ Bougonne Luce en s'extirpant de son profond fauteuil. _ Fichues douleurs, fichue vieillesse, fichu hiver ! » _ Marmonne t-elle en se tenant le dos. Elle allonge le bras et Ă©claire le lampadaire du salon. Il n'est que dix sept heures et il fait dĂ©jĂ si sombre. Luce a envie d'un cafĂ©. Elle se sert, puis, sa tasse Ă la main, vient se regarder dans le miroir, offert jadis par son fils. L'image qui lui est renvoyĂ©e est celle d'une vieille dame, Ă la frimousse toute ridĂ©e, dont les grands yeux noirs dĂ©vorent le visage. Elle troquerait bien ses soixante quinze ans contre vingt de moins. Mais, elle a beau invoquer les fĂ©es du rajeunissement, son appel reste sans rĂ©ponse. A propos d'appel, il y a bien longtemps, qu'elle n'a plus eu de nouvelles de son fils unique Mathieu, parti vivre en AmĂ©rique, au pays de Walt Dysney. IL voulait mettre en scĂšne des films d'animation ou illustrer des livres pour enfants et souhaitait en faire sa profession. Il a rencontrĂ© lĂ bas une charmante jeune femme et ensemble ils ont fondĂ© une famille. Luce est grand-mĂšre mais ne connaĂźt pas ses petits enfants. C'est si loin l'AmĂ©rique ! _ Elle rĂȘve parfois d'une longue passerelle qui enjamberait les continents et les mers, pour lui permettre de retrouver les siens. Peter Pan et la fĂ©e Clochette seraient ses guides. Mais, hĂ©las, ce n'est qu'un songe. _ La rĂ©alitĂ© est toute autre. Elle est trĂšs seule, surtout depuis la mort de Charles, son Ă©poux. Au dĂ©but de la maladie de celui-ci, des amis, des voisins lui ont apportĂ© leur soutien et un peu de rĂ©confort. Toutefois, petit Ă petit, elle a fait le vide autour d'elle. C'est que, bien qu'elle soit sociable, son caractĂšre n'est pas trĂšs mallĂ©able. Elle ne souhaite pas que l'on vienne se mĂȘler de ses affaires ! Elle s'est refermĂ©e comme une huĂźtre et Ă prĂ©sent ne voit que peu de monde. _ Elle a bien essayĂ© au dĂ©but de son veuvage de s'inscrire Ă un club. Cependant, elle s'est vite lassĂ©e de ces contacts rituels, de ces discussions qui lui ont semblĂ© futiles et dĂ©nuĂ©es d'intĂ©rĂȘt. Que de palabres pour avoir l'illusion d'un peu de chaleur et d'amitiĂ© ! Son univers s'est donc rĂ©duit Ă son modeste trois piĂšces, au facteur qui lui apporte son courrier, Ă sa voisine de palier qu'elle salue bien poliment lorsqu'elle la rencontre mais qu'elle n'invite jamais chez elle et aux quelques commerçants chez lesquels elle s'approvisionne. _ Elle reprend du cafĂ©, se rassoit dans son fauteuil et laisse son esprit divaguer. Elle revoit sa vie, le dĂ©filĂ© des souvenirs, sĂ©quences heureuses ou douloureuses, tout est lĂ , bien classĂ© dans sa mĂ©moire. _ C'Ă©tait hier, sa rencontre avec Charles. Il Ă©tait Ă l'Ă©poque dans les Gardes Mobiles. Le magnifique bouquet de roses rouges qu'il lui avait offert lors de leur premier rendez-vous, la naissance de Mathieu, tout ce grand bonheur Ă trois. Puis l'adolescence de Mathieu, ses Ă©tudes, le spectacle jubilatoire qu'il offrait Ă ses parents lorsque avec ses amis il organisait des soirĂ©es costumĂ©es. C'est que c'Ă©tait un joyeux drille son Mathieu ! Il aimait la fĂȘte et savait s'entourer de jeunes fous comme lui. _ Puis, le dĂ©part de ce fils adorĂ©, le premier choc, la premiĂšre dĂ©chirure dans ce qui semblait ĂȘtre une longue destinĂ©e finement tissĂ©e. _ Enfin, bien des annĂ©es aprĂšs, le dĂ©cĂšs de Charles. LĂ , encore, elle a dĂ» lutter contre son dĂ©sespoir, ne pas se laisser aliĂ©ner l'esprit par ce nouveau coup du sort. _ Et sa solitude ! Aujourd'hui, c'est la grande dĂ©prime. Elle n'a plus aucune raison de vivre ! Elle songe parfois Ă la mort, ce grand sommeil qui la dĂ©livrera. Elle pense aussi Ă la provoquer. Ce soir, en particulier Il faut agir, ne pas flĂ©chir. Elle a dans sa table de nuit les petits comprimĂ©s qu'il lui suffira d'avaler, d'un seul coup, sans rĂ©flĂ©chir davantage. Elle est dĂ©cidĂ©e. _ Soudain, un lĂ©ger bruit sur le palier attire son attention et la sort de ses sombres pensĂ©es. Elle se lĂšve, entrebĂąille la porte. Il n'y a personne mais elle dĂ©couvre sur son paillasson une boĂźte Ă chaussures sans couvercle et dans la boĂźte une petite boule de poils roux dont les yeux verts la fixent avec attention. C'est un chaton. Elle se saisit du tout et rentre prĂ©cipitamment. _ Elle prend avec prĂ©cautions dans sa main la soyeuse boule de poils et se met Ă la caresser. VoilĂ le chaton qui ronronne. Elle caresse, caresse. Une petite langue rĂąpeuse lui lĂšche la main et deux petites dents s'emparent de son doigt et le mordillent. Dieu que c'est bon ! Elle fond de tendresse. _ Qui, mais qui, a eu l'idĂ©e de me faire ce merveilleux cadeau ? » _ Elle se pose tout haut une question Ă laquelle elle n'aura pas de rĂ©ponse. _ Puis, le chaton se met Ă miauler trĂšs fort. _ C'est qu'il a faim, le chĂ©ri ! » s'exclame t-elle. _ Elle repose l'affamĂ© dans son lit de fortune et se prĂ©cipite vers le buffet dans lequel elle farfouille avec frĂ©nĂ©sie. Toute Ă son occupation, elle a oubliĂ© ses douleurs. _ Elle a trouvĂ© ! Victorieuse, elle brandit un biberon de poupĂ©e qu'elle s'empresse de remplir de lait. _ Demain, il faudra que j'aille chez le vĂ©tĂ©rinaire. Ce lait pourrait ne pas convenir Ă un si petit animal. » _ Tenant le chaton d'une seule main, elle lui glisse la tĂ©tine du biberon entre les dents. _ Ce geste lui rappelle une chanson de son Georges bien aimĂ© _ Quand Margot dĂ©grafait son corsaage _ Pour donner la gougoutte Ă son chat » _ Cela l'amuse beaucoup. _ Vieille Margot, que je suis ! Vieille bĂȘte ! Je divague complĂštement. Si Mathieu Ă©tait lĂ , il me dirait que je pĂšte les plombs ! » _ Un grand sourire illumine son visage. L'enfant s'est mis Ă tĂ©ter. Nouvelle 034 _ Retraite anticipĂ©e Lundi, une annonce typiquement A-haiNePĂ©istE, noire sur fond blanc, me saute aux yeux. Cet aveuglant incident s'est produit au petit matin, alors qu'une Ă©paisse Ă©charpe de neige enveloppait les cols savoyards. _ Feignant ardemment l'intĂ©ressement, je flĂąnai sans fainĂ©antise dans les lugubres locaux allouĂ©s aux demandeurs d'emploi alpinois, lorsque je fus violemment attaquĂ©e par la 055014C l'Ă©motion m'a fait oublier le code ROM. _ Le choc Ă©tait irrĂ©versible, je ne me contrĂŽlais plus. En transe, sueurs froides, genoux tremblant, un mobile Ă l'oreille, un crayon dans la main, la corde au cou J'Ă©tais foutue, le sort avait Ă©tĂ© lancĂ©, plus rien ne pouvait l'arrĂȘter, il fallait agir. _ Bonjour je suis Julie Voughtyroi, je vous appelle au sujet de l'annonce que vous avez posĂ© Ă l'ANPE pour le poste de serveuse et j'aurai voulu savoir si il Ă©tait toujours disponible » _ Ouf, inspiration, expiration, j'avais dit la phrase d'une traite, sans point ni virgule, en insistant la suspension sur la fin. Se ressaisir, demeurer aimable, mallĂ©able, ne pas Ă©courter l'appel, ne pas l'envoyer chier, rester souriante Le reste de la conversation se dĂ©roula sans encombre grĂące Ă mon inimitable sourire blond et ma capacitĂ© essentielle Ă conserver la positivitĂ©. _ J'avais dit oui Ă tout, y compris au rendez-vous. _ 12h17, -3C°, indiquaient les cristaux liquides verts fluo. 13 minutes en poudreuse blanche Ă attendre, tremblotante, devant les portes en bois sombres de l'hĂŽtel. Je rentre, j'avais trop froid. A l'intĂ©rieur, dans un silence macabre, une douzaine d'autres supposĂ©s candidats se trĂ©moussaient sans palabre. _ On nous amena dans une salle de confĂ©rence sans fioriture ni couverture zut. Treize chaises Ă©taient disposĂ©es en cercle isocĂšle. Vous pouvez vous assoir. » nous annonça une voix SNCF. Je pris l'hypotĂ©nuse, ma passerelle vers la rĂ©ussite, trĂšs inconfortable mais stratĂ©gique dans un entretien de la sorte. _ L'heure qui suivit se dĂ©roula en anglais. Je soupçonnais la plupart de mes adversaires d'ĂȘtre nĂ© dans une monarchie parlementaire. J'espĂ©rais secrĂštement leur incapacitĂ© Ă communiquer en français. _ On nous guida ensuite vers une salle de classe oĂč les chaises, bureaux et tableau noir firent rejaillir les tendres souvenirs de mon enfance. PĂ©riode de vie oĂč les questions sans rĂ©ponse n'Ă©taient pas les plus importantes. _ Notre guide au tailleur strict distribua les copies avec sa voix halle-de-gare en prĂ©cisant les consignes habituelles. Le sujet Ă©tait en Chinois _ En quoi la mĂ©thode HACCP est un systĂšme qui identifie, Ă©value et maĂźtrise les dangers significatifs au regard de la sĂ©curitĂ© des aliments ? Vous prĂ©ciserez ainsi les 7 principes sur laquelle est basĂ©e la mise en place de la mĂ©thode HACCP en suivant une sĂ©quence logique de 12 Ă©tapes et en illustrant vos propos de schĂ©mas explicatifs. » _ J'avais deux heures pour raconter comment Hors Accalmie, Chacun Compare le PrĂ©sent en 12 Ă©tapes et 7 principes. _ A la fin de la premiĂšre heure et des 19 machins Ă rĂ©diger, j'avais bien mĂ©ritĂ© un petit soutien moral en cafĂ©-clop. Pour ne pas m'aliĂ©ner toutes les sympathies avec d'Ă©ventuels partenaires, je simulai une conversation avec une petite anglaise. OrnĂ©e d'un mini sac Ă main en chaussures pointues, elle me chuchota HACCP = Hazard Analysis Critical Control Point » comme on offre un cadeau emballĂ© dans un accent jubilatoire en satin rose. Oups je me suis un peu mĂȘlĂ©e. _ L'Ă©tape suivante se dĂ©roulait entassĂ©s dans le hall d'accueil. Nous Ă©coutions ensemble la femme, dont la voix avait dĂ©cidemment ratĂ© sa vocation, qui Ă©grainai les noms des candidats dans l'ordre alphabĂ©tique. S'assurant que j'Ă©tais bien la derniĂšre dans la salle d'attente interminable, le tailleur pervenche s'exclama sans jingle Melle Voughtyroi est attendue d'urgence pour le check in, voie 1 ». Au moins une bonne nouvelle, elle ne m'avait pas envoyĂ© aux objets perdus. _ Le bureau ressemblait aux salles d'interrogation russes pendant la guerre froide. Une chaise droite posĂ©e sur un ciment froid m'attendait en face de deux espions de la CIA infiltrĂ©es. La lumiĂšre nĂ©on clignotait par intermittence Ă la mode tectonik. _ Il faisait une chaleur insoutenable. Je m'excusai et enlevai mon joli manteau rouge dont le poids avait doublĂ© aprĂšs la pause cigarette et la fonte des neiges. Je portais pour l'occasion une chemise blanche troquĂ©e contre quelques cookies au gros voisin du dessus. _ La piĂšce, malgrĂ© le miroir sans teint dans le fond, semblait petite, Ă©troite, je suffoquais. Je profitai nĂ©anmoins de l'opportunitĂ© pour vĂ©rifier mon apparence. _ C'est alors que j'eu une vision terrible, horrible, cauchemardesque Mon col de chemise pour homme avait dĂ©teint, sans doute Ă cause du manteau et du rĂ©chauffement climatique, il Ă©tait rose ! _ Le chamboulement esthĂ©tique de mes pensĂ©es vestimentaires avait Ă©vincĂ© de mon esprit perturbĂ© la premiĂšre question de mes assaillants. Dans le coup, je ne savais plus s'il fallait parler anglais, français, japonais ou russe Heu Sorry, pardonnez-moi, ??????, dhzjeidh ?? ». _ Ils me rĂ©pondirent en français, je me dĂ©tendis. _ Pourquoi voudrais-je travailler pour cette entreprise ?âŠHeu L'argent, la sĂ©curitĂ©, le bonheur, les droits Assedic ? Je ne savais que rĂ©pondre. Je n'avais mĂȘme pas envie de travailler, surtout en temps de crise Ă©conomiquement conflictuelle. _ Le conflit s'Ă©talait jusque dans mon ventre oĂč certains de mes organes avaient dĂ©clarĂ© la guerre Ă d'autre, moins vitaux. Une armĂ©e s'Ă©tait dĂ©jĂ constituĂ©e et commençait une marche sur l'intestin grĂȘle. _ Plus les bruits incontrĂŽlĂ©s du combat imminent courraient, plus l'odeur des hostilitĂ©s se ressentait. J'entendais mes examinateurs-agresseurs se racler secrĂštement la gorge, rĂ©action discrĂšte probablement liĂ©e au vacarme olfactif de mes entrailles. _ J'Ă©tais pĂ©trifiĂ©e, mortifiĂ©e, horrifiĂ©e et surtout trĂšs gĂȘnĂ©e. Une partie de mon petit bataillon stomacal s'Ă©tait fait la malle Les tireurs d'Ă©lite cachĂ©s dans les boyaux avaient littĂ©ralement Ă©jectĂ© leurs adversaires de la zone de bataille. Sans un mot, empourprĂ©e par l'effort de guerre et la mobilisation sociale et industrielle visant Ă subvenir aux besoins militaires de mon Ă©tat, je me levai et quittai cette salle malodorante et tortueuse en serrant mon postĂ©rieur sali. Nouvelle 035 _ Le Zombi Le Zombi », c'Ă©tait lui Sans doute Ă cause de ses grosses lunettes rondes, retenues par un large Ă©lastique rouge vif lui passant au dessus des oreilles. Peut-ĂȘtre aussi pour son teint pĂąle, son air Ă©garĂ©, sa dĂ©marche pataude, et son manque de vivacitĂ© qui n'arrangeait rien Ă l'affaire. Pourtant sa maman l'avait prĂ©nommĂ© ÂThĂ©ophile'. En souvenir de son grand-pĂšre Ă elle, ou de son oncle, il ne se rappelait plus exactement l'histoire. Elle lui avait aussi expliquĂ© ThĂ©o-Phile; ThĂ©o, c'Ă©tait Dieu. Phile, c'Ă©tait aimĂ© ». Il devait bien aimer Dieu, ou alors c'Ă©tait Dieu qui devait l'aimer ? Il faudrait qu'il lui redemande. _ Mais pour l'instant, il avait des affaires plus importantes Ă rĂ©gler. Ce matin, encore, en classe, ils avaient bourdonnĂ© ThĂ©o, tu dors » sur l'air bien connu du Meunier, et Mademoiselle Clavet avait Ă©tĂ© obligĂ©e de crier. Cela se produisait presque tous les jours maintenant. DĂšs que son attention se relĂąchait et qu'il repartait dans ses rĂȘveries, Steed le repĂ©rait, et ça dĂ©marrait. L'autre chantait l'air du Meunier, tu dors, ton moulin ton moulin va trop vite ». Il en changeait les paroles. Si cela se passait en cour de rĂ©crĂ©ation, Steed lui hurlait dans les oreilles, adaptant Ă chaque fois les mots ; ça pouvait ĂȘtre » ton ballon va trop vite, ou ton crayon, ton bonnet » et ThĂ©o, sous les quolibets, rentrait la tĂȘte dans les Ă©paules, s'Ă©loignait du tyran en courbant le dos, essayant de se faire oublier. _ Ce matin, c'est son cahier, qui allait trop vite. Il Ă©tait tombĂ©. ThĂ©o l'avait ramassĂ© par terre dans l'allĂ©e, au milieu des gloussements de toute la rangĂ©e. Mais ça commençait Ă bien faire. Surtout qu'il ne s'Ă©tait plus senti tout seul face aux autres, ce matin. Devant lui, au premier rang, c'Ă©tait le bureau de Sofia, et elle s'Ă©tait baissĂ©e en mĂȘme temps que lui, elle avait pris le cahier, et lui avait tendu. Ce soutien inattendu avait provoquĂ© une bouffĂ©e d'Ă©motion et il s'Ă©tait senti devenir tout rouge, mais comme mademoiselle Clavet criait, personne n'avait remarquĂ©. Seulement depuis ce moment-lĂ , il restait un petit noyau jubilatoire au creux de son ventre, qui irradiait. _ A l'entrĂ©e de la cantine, il s'Ă©tait mĂȘlĂ© au groupe des filles, mine de rien, et elles n'avaient pas eu l'air de le remarquer. Le dĂ©jeuner s'Ă©tait passĂ© normalement. Quand les dames, leur service fini, commençaient Ă se regrouper au fond de la salle avec leur cafĂ©, et Ă faire des palabres en les regardant de cĂŽtĂ©, il avait entendu un appel, derriĂšre lui C'Ă©tait Sofia. Elle lui demandait s'il avait apportĂ© sa pĂąte Ă modeler pour faire un pot de glu » Ă la rĂ©crĂ©. C'Ă©tait le jeu Ă la mode. On faisait une boule avec la pĂąte, et on la posait par terre. On se plaçait Ă quelques mĂštres, et il fallait lancer ses billes le plus fort possible, de façon Ă se qu'elles se collent dans la pĂąte. Le gagnant, le premier Ă rĂ©ussir Ă coller sa bille, remportait toutes celles qui avaient Ă©tĂ© jouĂ©es depuis le dĂ©but de la manche. _ Le soleil faisait des taches luisantes dans la cour, la pluie s'Ă©tait arrĂȘtĂ©e, le jeu Ă©tait possible. ThĂ©o avait sa boule de pĂąte au fond de la poche, elle Ă©tait chaude, bien mallĂ©able, et prĂȘte Ă l'emploi. Il sortit la pĂąte Ă modeler de sa poche, et l'agita en direction des filles pour leur faire signe de le rejoindre. Plus tard, dans la cour, lui, Sofia, deux de ses copines, et un garçon de la classe des petits qui voulait jouer, ils s'Ă©taient mis ensemble le long du muret. Sa pĂąte Ă modeler Ă©tait toute neuve, et il avait mĂ©langĂ© toutes les couleurs de la boĂźte. Il l'avait placĂ©e au pied du muret. Elle ressemblait Ă un petit arc-en-ciel et les filles l'avaient fĂ©licitĂ©. Alors un large sourire avait Ă©clairĂ© son visage, pour la premiĂšre fois de la journĂ©e. _ Tous s'Ă©taient reculĂ©s, Ă prĂ©sent ils jouaient, chacun Ă leur tour. Les billes partaient comme des fusĂ©es. Il avait dĂ©jĂ gagnĂ© une fois, et troquĂ© trois poils de chat » contre une sanguine » avec le petit. C'Ă©tait Ă Sofia maintenant Elle ne jouait pas trĂšs bien, et une de ses copines lui montrait comment fermer un Âil et se servir du pouce de l'autre main comme guide pour viser. Pendant quelle se prĂ©parait, recommençant plusieurs fois le geste avant de tirer, Steeed avait surgi. Il courait, poursuivi par Robin et Marvis. Il fonçait en direction de leur petit groupe. En voyant ThĂ©o, il avait fait un bond de cĂŽtĂ©, et aprĂšs l'avoir regardĂ© droit dans les yeux, il avait dirigĂ© sa course de façon Ă pouvoir lancer son pied droit au dessus de la boule de pĂąte multicolore, et l'avait laissĂ© retomber dessus. Elle Ă©tait restĂ©e collĂ©e sous sa semelle, il avait continuĂ© de courir, agitant comiquement son pied et faisant des petits bonds Ă travers toute la cour. Et quand la boule, aplatie, s'Ă©tait dĂ©tachĂ©e, ThĂ©o avait couru, couru pour la rĂ©cupĂ©rer avant les autres, elle Ă©tait sale, pleine de graviers, de brindilles et de morceaux de feuilles, inutilisable _ Puis, peu aprĂšs, l'appel de la maĂźtresse, le retour en classe, la sĂ©quence de mathĂ©matiques, ensuite l'EPS. Le sport, son cauchemar. Dans les jeux collectifs, le volley ou le foot, il n'Ă©tait pas assez mobile et personne ne voulait de lui dans les Ă©quipes. Et ça n'avait pas ratĂ©, il Ă©tait restĂ© le dernier de la file, sous les lazzis des enfants. Pour la seconde fois de la journĂ©e, la chanson du meunier avait retenti, avant que la maĂźtresse ne rĂ©agisse ThĂ©o, tu dors, ton ballon ton ballon va trop vite, ThĂ©o, tu dors, ton ballon ton ballon » _ Et le pire, c'est que Steed habitait le mĂȘme immeuble que lui. Le matin et le soir, pour aller Ă l'Ă©cole et en revenir, ils suivaient le mĂȘme chemin. Il fallait passer au dessus de la voie de chemin de fer, tourner au coin de la clinique, le long du bĂątiment des aliĂ©nĂ©s, l'asile, comme on l'appelait dans le quartier. LĂ , il ne fallait pas traĂźner des fois, des objets passaient par les fenĂȘtres et venaient s'Ă©craser sur le trottoir, Parfois jaillissaient des cris longs et stridents que ThĂ©o ne supportait pas, il en avait les cheveux tout hĂ©rissĂ©s. _ Les enfants qui suivaient cet itinĂ©raire pour regagner leur immeuble couraient dĂšs le bas de la passerelle du chemin de fer, prenant les virages le plus vite possible. Ils arrivaient ensuite au passage piĂ©ton du square en bas de leur immeuble, et si le feu Ă©tait au vert ils ne ralentissaient pas, car au passage de la grille d'entrĂ©e du square se trouvait un poteau. Il fallait l'attraper tout en courant, et sur sa lancĂ©e, dĂ©coller les deux pieds du sol, monter les jambes le plus haut possible pour tournoyer en l'air presque Ă l'horizontale, et franchir ainsi la rambarde, avant de retomber de l'autre cĂŽtĂ© sur l'allĂ©e sablonneuse entre les deux pelouses. LĂ , les arrivĂ©es brutales des enfants avaient peu Ă peu dĂ©gagĂ© le sable, creusĂ© un creux, une lĂ©gĂšre cavitĂ© emplie de feuilles mortes depuis quelques jours. Steed Ă©tait trĂšs fort Ă ce jeu lĂ . Il s'illustrait par des dĂ©collages foudroyants suivis de longs vols planĂ©s accompagnĂ©s de cris victorieux Ă la Tarzan, croyant impressionner tout le quartier. _ A l'Ă©cole, ThĂ©o faisait tout pour partir le premier, et rentrer seul, le plus vite possible. Il Ă©chappait ainsi aux insultes et aux moqueries, inĂ©vitables lorsqu'il avait le malheur de faire la route en mĂȘme temps que Steed. Et ce soir-lĂ , sans avoir pris le temps de se changer aprĂšs le sport pour ĂȘtre sĂ»r de partir le premier. Il trottinait, la tĂȘte basse, la tĂȘte encombrĂ©e de pensĂ©es tristes et confuses ; ça ne pouvait plus durer, il n'allait pas laisser ce Steed de malheur lui gĂącher la vie, lui pourrir ses meilleurs moments, aliĂ©ner sa libertĂ©, peser sur lui comme un gros nuage toujours menaçant, qui pouvait lĂącher ses grosses gouttes d'eau glacĂ©es Ă tout moment et le laisser transi, Ă sa merci Il devait faire quelque chose, agir! _ Il arriva devant le poteau du square, mais aujourd'hui il n'avait pas le cÂur Ă s'Ă©lancer dans les airs. Il passa normalement entre la rambarde et le portillon. Et lĂ , sur le bord de la pelouse, le chien de Monsieur Gaspar, le concierge, Ă©tait accroupi, en train de faire ses besoins c'Ă©tait un molosse, Ă©norme et baveux, mais pacifique. La crotte qu'il posa lĂ avant de repartir en trottinant tranquillement, accrocha le regard de ThĂ©o, et soudain l'idĂ©e jaillit avec la nettetĂ© d'un Ă©clair avant l'orage. Il vit que la chose, monumentale, Ă©tait posĂ©e sur quelques feuilles mortes. Il saisit dĂ©licatement le pĂ©doncule de la plus grande, qui se trouvait dessous. Il fit glisser lentement le tout vers le milieu du sentier, lĂ ou les atterrissages des enfants avaient formĂ© une dĂ©pression. Il rajouta quelques dĂ©bris de feuilles dessus, puis il rejoignit l'espace des jeux un peu plus loin, s'assit sur la balançoire, et attendit, oscillant doucement, la tĂȘte penchĂ©e, les yeux fermĂ©s. _ Lorsque le calme du square vola en Ă©clat, pulvĂ©risĂ© par d'affreux hurlements, suivi de vocifĂ©rations dĂ©goĂ»tĂ©es et larmoyantes, sur la face lunaire aux yeux toujours clos du petit garçon qui se balançait, on vit, pour la deuxiĂšme fois de la journĂ©e, Ă©clore un sourire. Il s'Ă©loigna du portique de sa dĂ©marche rĂȘveuse, son sourire s'Ă©largissant petit Ă petit jusqu'Ă se transformer en un grand, irrĂ©pressible et bienfaisant Ă©clat de rire. Nouvelle 036 _ La boussole _ I am the best in the world ! » _ Ce sont les mots que je me rĂ©pĂ©tais de façon jubilatoire en dĂ©valant une ruelle d'un vieux quartier de Caen. Je venais de quitter quelques amis aprĂšs une sacrĂ©e palabre dans un cafĂ© du quartier de Vaucelles. Nous avions refait le monde et j'en Ă©tais trĂšs fiĂšre dĂ©sormais, je n'Ă©tais plus une femme mallĂ©able ni aliĂ©nĂ©e par la sociĂ©tĂ© de consommation. De surcroit, je n'Ă©tais plus seule pour agir et transformer ce monde dominĂ© par les multinationales et les lobbys financiers nous Ă©tions ensemble et chacun de nous serait pour l'autre un guide dans la voie de la Justice et de la SolidaritĂ©. De bien grands mots, mais j'y croyais! _ A toute allure, je grimpai la passerelle qui enjambe les voies ferrĂ©es proches de la gare. De l'autre cĂŽtĂ© des voies, j'aperçus un pauvre homme passablement sale et avinĂ©. J'Ă©tais vaguement inquiĂšte quand j'entendis son appel _ Une petite piĂšce s'il-vous-plait ? » _ C'Ă©tait un homme jeune au visage Ă©trange dĂ©jĂ marquĂ© par la misĂšre. AttachĂ© Ă la sacoche qu'il portait, un petit ours en peluche attira mon attention⊠_ » C'est mon fils, articula-t-il avec Ă©motion, c'est Gaspard. » _ Un fils, un jouet de son fils, un symbole de son fils ! Que voulait dire cet homme dans son errance , dans sa folie ? Et moi, que devais-je faire ? Cet homme n'avait pas besoin uniquement d'argent mais davantage d'un soutien, d'une oreille attentive⊠Je lui demandai son prĂ©nom. _ Bruno mais on m'appelle le BoboâŠrapport Ă ce que j'Ă©tais avant. » _ » Moi, c'est Florence. » _ J'avais un peu de temps et dĂ©cidai d'illustrer mes bonnes rĂ©solutions en l'invitant au troquet pour qu'il me confie ses problĂšmes. Bruno s'emporta _ Quoi ! Vous vous payez ma tĂȘte ! Une nouvelle sĂ©quence de bibine et je suis dans le caniveau. Et pourquoi vous mĂȘlez-vous de mes affaires ? Ce que je veux, moi, c'est une piĂšce pour dormir ce soir Ă La Boussole et aussi⊠un sourire, c'est ça, un sourire, ça m'ira⊠» _ Ce sourire que je lui fis, jamais je ne m'en remis⊠_ Le lendemain, je prenais contact avec La Boussole, centre d'hĂ©bergement oĂč bien sĂ»r, on demandait des personnes pour assurer chaque soir l'accueil des gens de la rue, des SDF comme on dit. L'Ă©quipe me plu ; j'y rencontrais des hommes et des femmes vraisâŠMalgrĂ© la difficultĂ© des rencontres avec les sans-abris, je me sentais utile, je n'avais plus peur. _ Quels furent mes mobiles ? Bruno m'avait attirĂ©e,c'est sĂ»râŠavec son petit Gaspard. A vrai dire je n'ai pas encore tout compris⊠Ma vie est devenue lĂ©gĂšre et colorĂ©e. Les amis de Vaucelles passent parfois me dire bonjour Ă la Boussole; je n'aime pas quand ils se bouchent le nez⊠J'ai troquĂ© ma personnalitĂ© de bourgeoise compliquĂ©e contre celle d'une femme plus simple, plus vivante peut-ĂȘtre⊠et c'est bien. Nouvelle 037 _ L'ancienne _ LĂ©a ! Attends-moi ! _ La jeune enfant Ă©clata de rire et s'engouffra dans la rue principale sans Ă©couter l'injonction de son frĂšre. Celui-ci s'Ă©lança derriĂšre elle, dans le dĂ©dale des ruelles endormies. L'aube se levait Ă peine que la ville commençaient Ă s'Ă©veiller. Le silence ayant rĂ©gnĂ© toute la nuit, laissait enfin sa place au doux tintement des cloches, annonçant le dĂ©but d'une rude journĂ©e. Les lumiĂšres s'allumaient peu Ă peu, le bruit se faisait grandissant, et la ville reprenait vie doucement. Le cafĂ© de la place ouvrait ses portes, les employĂ©s s'appliquaient Ă nettoyer les tables, en vue d'accueillir les foules de touristes, attirĂ©s par la tour des Anges. _ ? Aujourd'hui il va faire beau ! s'exclama Maryse Boineau. _ La vieille femme aux cheveux grisonnant pressa son visage sillonnĂ© de rides, contre les carreaux, pour mieux apercevoir les quelques nuages qui parsemaient le ciel. -Oui ! Une belle journĂ©e ! rĂ©pĂ©ta-t'elle . _ Maryse se dĂ©tourna de la fenĂȘtre, condamnĂ©e, pour allumer le feu sous la bouilloire. Que ferait-elle aujourd'hui ? Comme d'habitude. Elle s'assiĂ©rait Ă cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre, sa tasse de thĂ© brĂ»lante Ă la main, seulement aprĂšs avoir accompli son petit rituel nourrir Delorto, le chat, prononcer sa priĂšre et sa sĂ©quence avant de manger un peu, prendre son traitement, et surtout, bien vĂ©rifier que le feu est Ă©teint sous la bouilloire. _ De petites habitudes qu'elle ne devait pas oublier pour ne pas perdre la tĂȘte » comme elle disait. _ Maryse observait la fenĂȘtre. La fumĂ©e s'Ă©chappait de sa tasse pour se raccrocher Ă la vitre, formant une fine buĂ©e. Il Ă©tait neuf heures sur le clocher de la tour des anges et le soleil apparaissait dĂ©jĂ entre les diffĂ©rentes villas. Les premiers prospectus illustrant le spectacle qui devait se passer Ă la tour des anges, voletaient dans les airs, emportĂ©s par le vent qui s'engouffrait doucement dans les rues. _ ? Hum ! Encore de la publicitĂ© ! Quelle idĂ©e ! Comme si les gens en avaient besoin pour se pointer ici ! continua-t'elle. _ Une heure passa et Maryse ne changea pas de place. Le premier guide, suivi de prĂšs par ses touristes mobiles, entamait ses palabres sur la construction de la tour, si bien que les enfants les moins mallĂ©ables commençaient Ă perdre patience et Ă s'agiter. _ La vielle femme essaya de leur faire signe de la main, mais ils ne relevaient pas la tĂȘte. Ils lui faisaient tellement penser Ă ses petits enfants. Elle voulu attirer leur attention en tapotant sur la vitre, mais aucun d'eux ne redressaient la tĂȘte, tous concentrĂ©s sur les mouettes qui envahissaient la place, attirĂ©es par les odeurs des poissons exposĂ©s sur les nombreux Ă©talages. _ Le regard de l'octogĂ©naire se posa sur un jeune homme en train de troquer une veste contre un parapluie. Bien que l'affaire fĂ»t mal engagĂ©e, l'adolescent qu'elle avait vu Ă plusieurs reprises, rĂ©ussit tout de mĂȘme Ă s'emparer de la jaquette, non sans avoir cĂ©dĂ© quelques biens en supplĂ©ments. Il se dirigeait en direction de Maryse, quand son regard s'attarda sur une affiche placardĂ©e sur le mur voisin. Les yeux de l'adolescent se remplirent de tristesse et il passa son chemin le plus rapidement possible, son visage tournĂ© vers la vieille dame. Il s'enfonça dans le ventre de la citĂ©, se mĂȘla Ă la foule, et disparut. _ De quelle information s'agissait-il ? se demanda Maryse. Elle Ă©tira le plus possible son cou vallonnĂ©, sans pouvoir pour autant entrapercevoir le moindre mot. Vaincue par la vitre, elle se rassit en buvant quelques gorgĂ©s encore tiĂšdes de son breuvage. Elle vit passer deux amants si serrĂ©s l'un contre l'autre que leur amour irradiait la place. Mais cette image jubilatoire aliĂ©nait Ă©galement certains esprits, simplement parce qu'un tel amour leur semblait irrĂ©el. Ou encore que leurs diffĂ©rentes et douloureuses histoires avaient ancrĂ© cette souffrance au plus profond d'eux, faisant ressurgir des souvenirs intolĂ©rables. Le couple d'adulte regarda dans sa direction et sourit tristement. _ Quelle Ă©tait la raison de cette tourmente envers elle ? Etait-elle si repoussante ? Les caprices du temps l'avaient-ils tant changĂ©e que mĂȘme un miroir prĂ©fĂšrerait devenir une simple vitre, pour ne avoir Ă lui montrer un reflet net de son visage ? Eux mĂȘme savaient-ils qu'ils ne resteraient pas ensemble Ă tout jamais ? Qu'ils vieilliraient, et que leurs Ăąmes si Ă©troitement liĂ©es, finiraient un jour par se dĂ©tacher. Certes, la mort ne devait pas forcĂ©ment ĂȘtre terrible. Le paradis ou rien selon les croyances. Une nouvelle vie, ou simplement le fait de cesser d'exister. Rien de bien terrifiant finalement. _ Maryse ressenti un lĂ©ger pincement au niveau du cÂur, une Ă©trange sensation. Le couple avait dĂ©tournĂ© les yeux. La vielle dame chercha Ă les interpeller en tapant contre la fenĂȘtre, et les appela. Ne sentaient-ils pas cet impĂ©rieux appel ? Ne voyaient-ils pas cette ancienne qui se dĂ©menait pour attirer leur attention. ? _ Ce n'est que lorsque le couple disparut qu'elle se mit pleurer. Si peu d'attention Si peu d'Ă©coute et de soutien Seulement de la pitiĂ©. Elle ressentit de nouveau ce pincement, comme si son corps ne lui rĂ©pondait plus. _ Elena et Marc Ă©taient tous les deux enlacĂ©s au centre de la place des anges. La tour qui leur faisait de l'ombre ne semblait pas les dĂ©ranger dans leur intense relation. Ils dĂ©tachĂšrent leur regard l'un de l'autre et se tournĂšrent face Ă une masse sombre. Devant eux s'Ă©tendaient les ruines d'une maison qui avait brulĂ© il y a quelques jours. Si l'endroit ne semblait pas dangereux, le bois imprĂ©gnait encore cette odeur de souffrance qui avait ravagĂ© les lieux. A l'arriĂšre des dĂ©combres, une silhouette immobile semblait s'effacer peu Ă peu, prenant enfin conscience de l'incroyable vĂ©ritĂ©. Elle disparut. _ Sur la poutre qui tenait encore debout sans ĂȘtre bancale, Ă©tait suspendu un Ă©criteau _ Hommage Ă Madame Boineau qui a pĂ©rit le 19 octobre 1996, dans cet incendie » _ Douleur immense de la perte d'un ĂȘtre cher _ Qui emporte la joie sur son passage _ Hommage _ Seul ce panneau maintenait la passerelle entre ces deux mondes si diffĂ©rents. Nouvelle 038 _ Le tourbillon de la vie Elle se tient sur le bord du trottoir, prĂȘte Ă s'Ă©lancer au signal d'appel. Devant elle, le long passage Ă piĂ©tons, mire rayĂ©e de noir et de blanc, se dĂ©roule comme une sĂ©quence nouvelle. _ Il tombe des cordes sur la ville. Des rideaux de pluie battent la vitrine du cafĂ©, crĂ©pitent sur les capots des voitures. Les caniveaux s'emplissent d'une eau grasse et lourde qui hĂ©risse de bulles Ă©phĂ©mĂšres les flaques. Les bourrasques plaquent les vĂȘtements des passants arc-boutĂ©s sous leurs parapluies luisants, affinent les jambes de ces corps en mouvement, tels les bronzes de Giacometti. _ La jeune femme, elle, ne marche pas. Elle est enfermĂ©e dans ses pensĂ©es. Elle ressasse la mauvaise nouvelle arrivĂ©e hier au soir. _ ? Ta grand-mĂšre, Paula. C'est fini. » _ Et voilĂ qu'elle n'est plus qu'une grosse boule de chagrin. La mĂ©tĂ©o illustre sa peine, force le trait. Le col relevĂ© haut de son trench gris ne la protĂ©ge plus, mais Ă quoi bon ? Elle secoue ses boucles blondes qui dĂ©goulinent, mĂȘlant les gouttes d'eau aux larmes de son visage. _ Une longue silhouette en impermĂ©able s'est placĂ©e Ă cĂŽtĂ© d'elle. La buĂ©e du rĂ©troviseur d'un vĂ©hicule en stationnement renvoie l'image d'un visage carrĂ© aux yeux bruns en amande. Paula est songeuse. Elle sursaute en quittant le reflet un peu flou quand il s'adresse Ă elle _ ? Acceptez-vous de partager un petit coin de parapluie ? » _ Le jeune homme l'observe avec un regard pĂ©nĂ©trant en souriant. Et comme elle ne rĂ©agit pas, c'est lui qui agit, comme un guide, lui saisissant le bras joyeusement. _ ? Allons, vous avez l'air d'un chien mouillĂ© ! » _ Ils s'Ă©lancent ensemble sur la chaussĂ©e, pataugent en cadence. Le bitume noir est une tranche de temps noyĂ© dans la peine, le temps s'y ralentit. Le jeune homme a enroulĂ© son bras autour des Ă©paules de Paula comme un tendre soutien sur la passerelle de la vie. _ Les nuages s'effilochent peu Ă peu. Une trouĂ©e illumine les visages. Un rayon de lumiĂšre ranime les couleurs. Le dĂ©gradĂ© des ocres dĂ©trempĂ©es des façades vibre sous la chaleur qui revient. _ GuidĂ©s par les rayons du soleil qui joue avec les rayures diagonales, ils atteignent la premiĂšre bande blanche du passage Ă piĂ©tons. C'est lui qui s'arrĂȘte, lui prenant doucement les mains _ ? C'est le passĂ©, Paula, nous devons penser Ă nous maintenant. » _ Paula s'abandonne, toute mallĂ©able Ă ce tendre contact _ ? » ProtĂšge-moi toujours, Antoine ! » _ Comme le font les enfants, par jeu, ils allongent leurs pas pour franchir d'un coup le vide sombre d'asphalte jusqu'Ă la bande blanche suivante. On dirait que le temps s'Ă©tire encore. _ Devant et derriĂšre eux, les autos, mobiles, bondissent en les frĂŽlant et ils se maintiennent en Ă©quilibre sur un pied en riant malgrĂ© leur effroi. _ LĂ -haut, tantĂŽt d'une blancheur de nacre, tantĂŽt noirs, les nuages glissent, galopent, pommelĂ©s comme la robe d'un cheval. Antoine et Paula, blottis l'un contre l'autre, tournoient sous le ciel changeant qui s'Ă©claircit et s'opacifie Ă toute allure. C'est le temps du rĂȘve, celui des mille projets, celui de la dĂ©couverte du monde et de l'autre. _ Tout s'accĂ©lĂšre soudain. Une musique remplit l'espace, la valse n°2 de Chostakovitch, sol mi rĂ© do, do rĂ© mi La nostalgique romance rythme les pas des passants. La vie tourbillonne. _ Comme un refuge de caoutchouc blanc, la troisiĂšme zĂ©brure les accueille, penchĂ©s sur le landau du bĂ©bĂ©. Il faut de la place pour un petit d'homme ! Les nuits deviennent plus courtes et les journĂ©es trĂ©pidantes. Comment ne pas s'Ă©merveiller devant cette petite vie fraĂźche, joyeuse et bruyante ? _ Poussons les murs, la famille s'est agrandie. La benjamine sautille jusqu'Ă la ligne rayĂ©e suivante. Elle grandit Ă vue d'Âil, en accĂ©lĂ©rĂ©. Les enfants courent de la maison Ă l'Ă©cole, au lycĂ©e. C'est l'Ăąge de l'adolescence, des palabres pour s'aliĂ©ner leur libertĂ©. Antoine et Paula les regardent, attendris et fiers, tiraillĂ©s entre la confiance en l'avenir et l'angoisse de la fuite du temps. _ Un coup de vent balaie les cheveux de Paula. Dans un long travelling, on voit son visage, les rides fines sur ses tempes, les cernes mauves sous les yeux rougis. Immobile sur la ligne sombre de la voie, elle sourit Ă ses enfants qui partent, la main crispĂ©e sur un mouchoir. Encore un pas, entre noir et blanc, entre bitume et peinture. _ Depuis quelques temps, Antoine n'est plus si fringant, il se voĂ»te, s'affaiblit. Une mĂ©chante maladie a envahi son univers. Jours sombres, jours de goudron, suspendus Ă l'espoir qui s'amenuise. Son visage fiĂ©vreux, Ă©maciĂ©, semble se dissoudre dans l'asphalte. Paula est lĂ , qui le soutient, rĂ©siste, les femmes sont souvent fortes quand ça tangue. Mais il n'en peut plus de cette longue traversĂ©e et lĂąche prise. Une longue voiture noire l'emporte un matin d'automne. _ A petits pas usĂ©s, Paula chemine du noir au blanc lors des visites de ses enfants, du blanc au noir lorsqu'ils repartent. Le bonheur revient avec l'arrivĂ©e des tout-petits. _ Paula recouvre un peu de sĂ©rĂ©nitĂ© dans ce nouvel Ăąge de la maternitĂ©, celui d'ĂȘtre grand-mĂšre. _ Ils sont si beaux ! Les yeux de leur grand-pĂšre, la blondeur de l'enfance, leur innocence pleine de gaietĂ© ! Parvenue sur la derniĂšre bande blanche de la chaussĂ©e, Paula respire, s'apaise. _ La traversĂ©e s'achĂšve pour elle aussi, elle le sait, elle le sent. Elle a troquĂ© son petit sac contre une canne au pommeau d'argent et se retourne. L'autre bord est si loin ! Sa main ridĂ©e tremble un peu dans les boucles grises de ses cheveux. Le temps est si vite passĂ© ! _ Une jeune fille blonde et bouclĂ©e est apparue sur le trottoir d'en face. _ Elle aperçoit Paula. Leurs regards se croisent, se reconnaissent et s'allument d'un doux sourire. La rue se fige. La musique s'est arrĂȘtĂ©e. Le silence s'installe _ Coupez ! » crie le rĂ©alisateur d'un ton jubilatoire. C'est la meilleure prise, on ne la refait pas ». Nouvelle 039 _ Une semaine pour vivre LUNDI J'ouvre mes yeux de nouveau-nĂ© et j'affronte la lumiĂšre. C'est au prix de ce difficile effort que je vais m'habituer Ă cette clartĂ© qui, dĂ©sormais, va rythmer mon existence. Si j'ai la chance de naĂźtre dans une famille accueillante et aimante, je ne vais pas tarder Ă apercevoir le sourire et les yeux d'un gĂ©ant » qui se penche sur moi avec ravissement. Quelques heures plus tard, une autre expĂ©rience Ă©prouvante m'attend il me faut lĂącher la main protectrice qui m'accompagne lors de mes premiers pas, pour m'Ă©lancer bravement vers les bras tendus. J'ai dĂ©jĂ essayĂ© Ă plusieurs reprises, mais cette aventure me parait vraiment trĂšs pĂ©rilleuse Ă entreprendre seul et sans soutien. Enfin, jÂai rĂ©ussi et on m'a applaudi, alors, j'ai recommencĂ©. Ouf ! GrĂące Ă ma tĂ©mĂ©ritĂ©, je suis devenu un petit bonhomme indĂ©pendant. _ MARDI Aujourd'hui encore, il me faudra prendre des risques, si je veux grandir tout d'abord, quitter la main rassurante de maman qui d'habitude me sert de guide, pour entrer dans la cour de l'Ă©cole oĂč d'autres petits attendent comme moiâŠ. Oui, me sĂ©parer d'un visage connu, pour faire confiance Ă une tĂȘte inconnue qui me sourit et qui m'appelle par mon prĂ©nom. Je dois serrer les dents et retenir mes larmes, car maman est partie, mais, c'est promis, elle reviendra. Elle me l'a ditâŠ. Jouer avec d'autres sans me bagarrer, partager mes jeux, cela n'est pas toujours si facile, et j'ai pleurĂ© plus d'une fois, mais heureusement je suis un enfant au caractĂšre mallĂ©able. Plus tard dans la journĂ©e, les difficultĂ©s vont s'accroĂźtre apprendre Ă lire pour accĂ©der tout seul comme un grand, aux belles histoires que maman me racontait, avant de m'endormir, lorsque c'Ă©tait encore lundiâŠ. Que d'efforts pour y parvenir! L'Ă©cole, c'est donc mon univers du mardi, et lorsque j'y suis entrĂ© le matin, je n'imaginais pas que j'y resterais jusqu'au soir. Heureusement, les copains et aussi les vacances y apportent la fantaisie et la diversitĂ©! Mais, en y rĂ©flĂ©chissant bien, je m'y suis prĂ©parĂ© Ă entrer avec plus d'assurance dans la journĂ©e de mercredi. _ MERCREDI Je suis tout excitĂ© en m'Ă©veillant, car je dois prendre un sacrĂ© tournant, je dois troquer mes habits d'adolescent pour endosser ceux du monde des adultes. Et oui, c'est l'heure de choisir un mĂ©tier, de fonder une famille, et cela demande une bonne dose de patience, de courage et de tĂ©nacitĂ©. Mais c'est tellement passionnant! Bien sĂ»r, il y a des minutes oĂč je suis dĂ©couragĂ©, tant d'Ă©cueils sont placĂ©s sur ma route, et j'ignore comment les contourner; alors, je suis heureux de trouver sur mon chemin mes copains rencontrĂ©s mardi et mes parents qui me soutiennent depuis lundi. _ JEUDI Je me lĂšve de trĂšs bonne humeur mon premier petit homme a, lui aussi, ouvert les yeux et quittĂ© le nid douillet du ventre maternel, et je me sens empli de fiertĂ© et de joie mĂȘme si j'aliĂšne un peu de ma libertĂ©. Mais trĂšs vite, il pleure, ce petit, et je ne comprends pas toujours l'origine de ces pleurs, cela me laisse un peu dĂ©semparé⊠Dur, dur, d'ĂȘtre parents! _ Je prends conscience que durant les deux jours qui viennent, j'ai mille chantiers Ă entreprendre, mille passerelles Ă crĂ©er avant qu'il ne soit trop tard, car le temps passe vite nous sommes dĂ©jĂ jeudi ». C'est vrai, je dois encore dĂ©couvrir de nouveaux horizons, me soucier de mes proches, rĂ©pondre Ă leurs appels, leur faire plaisir ou prendre part Ă leurs peines. De plus, les journaux, la radio, la tĂ©lĂ©vision dĂ©versent leurs flots d'informations oĂč se mĂȘlent ensemble le bien et le mal que puis-je faire, pour que chacun se sente mieux Ă sa place, pour que ce beau texte de la DĂ©claration des Droits de l'Homme dont on m'avait parlĂ© mardi, devienne une rĂ©alitĂ©, et non un idĂ©al qui Ă©chappe encore Ă beaucoup d'hommes sur la planĂšteâŠ? Que faire pour que le monde soit plus paisible, plus harmonieuxâŠ? La rĂ©ponse est difficile Ă trouver, mais je dĂ©cide de verser ma petite goutte de bonne volontĂ© dans ce grand ocĂ©an⊠Je dois aussi me distraire et m'amuser c'est si bon de rire! Je dois aussi flĂąner, humer les senteurs et les parfums du jardin, admirer les ciels changeants au grĂ© du jour et des saisons, contempler les couchers de soleil sur l'horizon infini de la mer. Je suis vraiment dĂ©bordĂ©, je cours, je cours et la journĂ©e de jeudi s'achĂšve dĂ©jĂ , et j'ai l'impression qu'il me reste tant Ă faire pour vendredi⊠_ VENDREDI Je m'aperçois que j'ai besoin de plus de sommeil, que mes pas sont moins rapides, mais que je suis parfois encore trĂšs performant dans de nombreux domaines je peux encore piquer un sprint, plonger dans une piscine, me concentrer sur un rapport urgent Ă rendre Ă mon directeur. De temps en temps, une petite douleur dans le dos, une autre aux articulations me rappellent que nous sommes dĂ©jĂ vendredi, et je regarde ma montre avec affolement j'ai envie d'arrĂȘter un peu les aiguilles du temps, mais, hĂ©las, c'est impossible. Je regrette alors d'avoir Ă©tĂ© trop timide les jours prĂ©cĂ©dents, de ne pas avoir assez agi. _ SAMEDI Je n'ai plus besoin de me presser, je peux flĂąner au lit, puisque je suis en retraite, je n'ai plus de contraintes. Je me sens Ă la fois libre et un peu inutile ». Mais je rĂ©alise que ce temps libre, je peux l'employer autrement une multitude de moins privilĂ©giĂ©s que moi, m'attendent⊠_ SAMEDI MIDI je commence Ă trouver le temps long, Ă soupirer, Ă espĂ©rer la visite ou le coup de tĂ©lĂ©phone d'un enfant, des petits enfants ou d'un ami hĂ©las, ils ne sont plus trĂšs nombreux, car certains n'ont pas achevĂ© leur semaine. Mon emploi du temps est maintenant trĂšs rythmĂ© le cafĂ© du matin, les repas que l'on m'apporte Ă domicile, le passage du facteur, la sieste aprĂšs le dĂ©jeuner car mes yeux sont si lourds, mon Ă©mission prĂ©fĂ©rĂ©e de jeu Ă la tĂ©lĂ©vision. Les souvenirs envahissent mon esprit et quand je suis dans mon fauteuil, puisque je ne suis presque plus mobile, je fais le compte Ă rebours des heures qui restent avant d'atteindre dimanche, et, selon le moral du moment, soit je savoure Ă l'avance le bon goĂ»t de celles qui ne se sont pas encore Ă©coulĂ©es, soit j'ai hĂąte d'arriver au dimanche. _ DIMANCHE Pas un nuage, grand soleil, un bulletin mĂ©tĂ©o qui vous donne chaud au coeur. C'est le repos complet, celui qui ne finira jamais. LibĂ©rĂ© de tout souci matĂ©riel, je vis en plĂ©nitude, un peu comme avant ma naissance, quand ce n'Ă©tait pas encore lundi, et, je contemple avec un sourire jubilatoire toute cette foule qui s'agite et qui court sur la Terre d'oĂč je viens et je me coule dans un bien-ĂȘtre indĂ©finissable et je goĂ»te Ă l'ultime bonheur de l'EternitĂ©. _ Ami lecteur, si vous m'avez suivi tout au long de mes palabres durant cette semaine quelque peu particuliĂšre dĂ©coupĂ©e en sĂ©quences, vous avez, bien sĂ»r, compris qu'elle illustre cette aventure formidable qu'est la Vie. Nouvelle 040 _ L'oiseau du dĂ©sert C'Ă©tait au dĂ©but du mois d'avril. Nous avions rĂ©pondu tous les trois avec enthousiasme Ă l'appel du dĂ©sert, non pour illustrer une thĂ©orie quelconque sur la survie dans un milieu hostile, ni pour une sĂ©quence de bravoure, mais pour dĂ©couvrir des sensations inconnues, Ă©prouver des sentiments nouveaux, avant tout vivre une aventure intĂ©rieure. AprĂšs plusieurs palabres avec un guide soufi pas trĂšs mallĂ©able, chez lui autour d'un cafĂ© serrĂ©, nous Ă©tions convenus que ses deux dromadaires porteraient bagages et provisions et que nous irions Ă pied, comme lui, Ă travers les dunes pour un circuit de huit jours. Contre une rĂ©munĂ©ration qui a paru Ă©quitable aux deux parties, nous nous en Ă©tions remis Ă lui en aliĂ©nant totalement notre libertĂ© pour ce trajet qui aurait Ă©tĂ© pĂ©rilleux sans un accompagnateur averti. Il serait notre passeur entre deux oasis, il Ă©tablirait pour nous une passerelle sĂ©curisĂ©e d'un rivage Ă l'autre de cette mer de sable dans laquelle Ă©taient plongĂ©s ces Ăźlots de verdure. _ Et nous Ă©tions partis ensemble directement Ă travers l'Erg, habillĂ©s d'une gandourah blanche lĂ©gĂšre et coiffĂ©s d'un chĂšche pour nous prĂ©server du soleil et Ă©ventuellement du sable. Notre guide avançait avec assurance, droit devant lui, en tenant un dromadaire par la bride, l'autre Ă©tant reliĂ© au premier par une longe. Il avait ses propres repĂšres, des repĂšres qui nous Ă©chappaient totalement dans ce qui nous apparaissait comme une ondulation infinie de vagues immobiles quasiment toutes semblables et dont l'aspect changeait aux diffĂ©rentes heures de la journĂ©e dans le jeu imperceptible mais continu des ombres avec la lumiĂšre. Chaque jour, nous faisions plusieurs haltes soit pour nous reposer, soit pour nous restaurer. Bien avant la nuit qui, elle, tombait trĂšs vite, notre guide choisissait un emplacement pour bivouaquer et nous l'aidions Ă rĂ©colter pour ses bĂȘtes un peu de ces plantes herbacĂ©es qui poussent on ne sait comment parmi les dunes, ainsi que des brindilles qui gisaient par ci par lĂ . Ensuite, il prĂ©parait la galette de semoule qu'il faisait cuire, aprĂšs avoir creusĂ© le sable, sur les braises des brindilles et que nous mangions sans que le moindre grain ne vienne se glisser entre nos dents. A la fin du repas, toujours frugal, il nous offrait non plus un cafĂ© mais un thĂ© bien chaud et sucrĂ©. Enfin, nous allions nous allonger dans nos sacs de couchage pour assister, avant de nous endormir, au spectacle statique de la nuit saharienne oĂč chaque Ă©toile vous semble si proche que vous voudriez la cueillir. _ C'est le troisiĂšme jour que l'Ă©vĂšnement est arrivĂ©. Au milieu de la matinĂ©e, nous avions fait une courte halte au pied d'une dune, en plein soleil, pour nous dĂ©saltĂ©rer. Nous avons soudain tendu l'oreille. Non, nous ne rĂȘvions pas, il s'agissait bien d'un chant d'oiseau ! Comment Ă©tait-ce possible dans cette immensitĂ© dĂ©sertique ? Nous avons cherchĂ© d'oĂč il venait, un long moment. Nous avons enfin remarquĂ©, posĂ© sur la crĂȘte d'une dune, Ă une distance qui ne nous permettait pas de bien l'observer, un oiseau pas plus gros qu'une tourterelle, dont le plumage jaunĂątre se confondait plus ou moins avec le sable. Sans beautĂ© particuliĂšre, il n'avait rien pour attirer le regard. Son chant, intermittent, Ă©tait fait de deux notes sur le mĂȘme ton puis d'une autre un peu plus Ă©levĂ©e. Fa fa sol, fa fa sol. » C'Ă©tait comme une plainte versĂ©e sur ce royaume de la mort. _ Quand nous sommes repartis, il nous a suivis, seul Ă©lĂ©ment mobile, Ă part nous et les mouches, dans ce monde minĂ©ral figĂ© oĂč il ne se passait rien. Sans doute le faisait-il depuis le dĂ©but. Mais sa prĂ©sence Ă©tait si discrĂšte que nous ne l'avions pas remarquĂ©e. Chaque matin, ensuite, notre premiĂšre prĂ©occupation Ă©tait de vĂ©rifier s'il Ă©tait bien au rendez-vous. Son chant, triste comme son corps, devenait un chant jubilatoire nous n'Ă©tions pas seuls ! Il Ă©tait pour nous comme un soutien dans cette Ă©preuve initiatique, il agissait comme un talisman, et jamais, contre tout l'or du monde, nous n'aurions troquĂ© notre place. _ Mais lui, il Ă©tait toujours seul. PlutĂŽt farouche, ou simplement timide peut-ĂȘtre, car peu habituĂ© Ă une compagnie comme la nĂŽtre, il se tenait Ă distance. Jamais il ne s'approchait. Quand nous arrivions Ă une oasis, il disparaissait. Quand nous Ă©tions de nouveau loin de toute vie, inondĂ©s de sable, de lumiĂšre et de silence, il rĂ©apparaissait. Il ne servait Ă rien, ne se mĂȘlait de rien. Il n'indiquait pas la route. Il ne soulageait pas les gorges assoiffĂ©es ni les pieds meurtris. Il ne demandait rien pour lui. Il accompagnait la caravane. Seulement. Nouvelle 041 _ Absolution Il croisa son regard dans le brouhaha d'un cafĂ© oĂč ses pas l'avaient guidĂ© pour oublier cette rupture et insupportable trahison. Il l'observa sans y prĂȘter rĂ©ellement attention, tant il avait peine Ă Ă©merger de ce brouillard qui avait pris d'assaut son esprit et rendu prisonniĂšre toute forme de pensĂ©e cartĂ©sienne. La dĂ©marche fĂ©line, provenant du fond de la salle, elle prit place non loin de lui devant le comptoir oĂč le barman lui apportait un cafĂ©. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Comment Ă©tait-ce possible ? Ăa n'avait aucun sens ! Il prit conscience, quelque peu gĂȘnĂ©, qu'elle soutenait avec douceur son regard arborant un sourire dĂ©tachĂ©. Il plongea son regard dans son verre de whisky qu'il but d'un trait. Son malaise Ă©tait-il si palpable pour qu'une inconnue en Ă©prouve une telle compassion Ă son encontre ? Il dĂ©testait l'idĂ©e qu'on lise en lui comme dans un livre ouvert. Pour cette raison, il Ă©vitait scrupuleusement de se mĂȘler Ă toute rĂ©union et discussion nonobstant le fait que les interminables palabres de ses contemporains lui Ă©taient insupportables. Il rageait Ă l'idĂ©e de ne pas avoir su anticiper les Ă©vĂšnements. Il pensait pourtant diriger sa vie toute entiĂšre vouĂ©e Ă sa passion. Une passion jubilatoire oĂč il excellait, oĂč il Ă©tait le meilleur et oĂč il se sentait libre. Il se refusait d'ĂȘtre un citoyen mallĂ©able, il ne voulait pas subir sa vie, il voulait agir sur sa vie ». Ce qu'il avait parfaitement rĂ©ussi jusqu'Ă ce jour. Quel Ă©tait donc ce maudit grain de sable qui avait tout dĂ©traquĂ© ? Il se surprit Ă observer avec plus d'attention cette belle inconnue s'emparer de son mobile qui la prĂ©venait d'un appel par le truchement d'une mĂ©lodie contemporaine. Il fronça lĂ©gĂšrement les sourcils puis la fixa avec intensitĂ© comme pour zoomer au plus prĂšs de son visage. Il constata avec Ă©moi la finesse de son grain de peau sans aspĂ©ritĂ© aucune. Son regard se porta sur le mouvement de ses lĂšvres, parfaitement dessinĂ©es, comparable Ă un battement d'ailes de papillon laissant paraĂźtre par intermittence l'Ă©mail de ses dents immaculĂ©es. Lentement, il continua son exploration jusqu'Ă son petit nez dessinĂ© en trompette qui lui donnait, pour sĂ»r, un petit air coquin. Quant Ă ses yeux quelque peu amende dans leur forme, ils l'Ă©taient pleinement dans leur couleur. L'arrondi de son visage aux courbes parfaites, comme si Michel-Ange lui-mĂȘme les avait dessinĂ©es, lui donnait un air angĂ©lique. Il percevait cependant chez elle une dualitĂ© douce amer. Elle raccrocha et le surprit dans sa contemplation. TroublĂ© plus que de raison, ses joues semblant s'ĂȘtre transformĂ©es en plaque de cuisson tellement elles lui chauffaient, il commanda dans un rĂ©flexe puĂ©ril un double whisky et se surprit Ă observer, d'un regard distant, l'ensemble de ses congĂ©nĂšres prĂ©sents qui ne lui inspiraient aucune sympathie. Ils Ă©taient pour lui tous coupables de quelque chose, hormis, peut-ĂȘtre, cette femme, dont il devait bien admettre qu'elle le troublait. Il ressentit une bouffĂ©e de tristesse en constatant sa disparition. Il aurait aimĂ© faire sa connaissance, Ă©changer quelques mots. Il refoula, non sans regret, cette Ă©motion. Ce n'Ă©tait pas d'une aventure dont il avait besoin mais d'un soutien. Le barman le servit. Les yeux rivĂ©s sur le liquide brunĂątre de son breuvage, il se remĂ©morait cette funeste sĂ©quence oĂč il devait retrouver son contact. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer. EntourĂ©e d'une forĂȘt de buildings dont les sommets touchaient presque les cieux, la place bondĂ©e de monde ressemblait Ă une fourmiliĂšre. Il scannait ce dĂ©ferlement humain illustrant Ă ses yeux l'acceptation de son espĂšce Ă aliĂ©ner son intelligence au service de toute croyance ou ordre Ă©tabli reconnu comme tel. C'est alors qu'il l'aperçût traversant la passerelle surplombant un rĂ©seau routier plongeant telles des racines sous cette vĂ©gĂ©tation de bĂ©ton. Il but une gorgĂ©e, le regard perdu dans ses pensĂ©es. Il s'en voulait d'avoir troquĂ© le guide de ses convictions et certitudes tranchĂ©es sur le genre humain pour celui d'une approche plus empathique. Ătait-ce l'Ăąge qui avait semĂ© en lui cette enzyme destructrice. Il ne se reconnaissait plus. Il fallait Ă tout prix qu'il se reprenne avant qu'il ne soit trop tard. D'un geste vif, il finit son verre, paya et se dirigea vers la sortie. Alors qu'il marchait d'un pas mesurĂ©, la dĂ©sagrĂ©able sensation de se sentir vulnĂ©rable dĂ©ferla tel un tsunami dans son esprit pour ensuite parcourir son corps. Il s'arrĂȘta et scruta la rue. Tout semblait normal. C'Ă©tait bien lĂ le problĂšme ! Car ce qui semble n'a toujours Ă©tĂ© Ă ses yeux que le contraire de ce qui est. Il fit demi-tour et se dirigea vers les toilettes. La chance lui souriait. Une porte donnait sur une arriĂšre cour. Il la traversa et s'engouffra dans un couloir d'immeuble d'habitations donnant sur la rue. Il se figea ! Immobile sur le trottoir d'en face, elle le dĂ©fiait de son regard envoĂ»tant. Tout devenait clair. Ce contrat, le dernier qu'il s'Ă©tait promis d'exĂ©cuter, n'Ă©tait rien d'autre que sa propre condamnation. Les bruits discrets qui lui parvenaient dans son dos, ne laissaient aucun doute quant Ă son sort. Maintenant, il se souvenait ! Il se souvenait parfaitement de cette lĂ©gĂšre inflexion dans la voix de son interlocuteur quand il lui annonça qu'il prenait sa retraite. D'un coup d'Âil circulaire, il dĂ©termina le nombre de barbouzes, comme il aimait Ă les nommer, dont il Ă©tait la cible avant de plonger Ă nouveau son regard dans celui de cette inconnue. Il n'Ă©prouvait aucune colĂšre Ă son encontre. Personne ne l'avait jamais Ă ce point troublĂ©. Ătait-ce celle qu'il espĂ©rait depuis toujours. Si tel Ă©tait le cas, la vie n'Ă©tait Ă l'Ă©vidence qu'une indomptable garce. Il lui sourit. Elle dĂ©tourna fugacement son regard comme pour dissimuler son Ă©motion. Il dĂ©gaina son arme qu'il braqua sur elle. Il ne perçut aucune peur dans ses yeux, uniquement cette compassion qu'il dĂ©testait par dessus tout, mais qu'il accepta telle une absolution. L'image de ses parents lui souriant avant de s'Ă©crouler Ă terre sous les tirs d'un dĂ©ment venu au hasard dans ce centre commercial, fut sa derniĂšre vision de ce monde de bruits et de fureur. Nouvelle 042 _ Un jour d'automne d'entre les mondes. Comme chaque annĂ©e depuis sa conversion Ă l'Islam, Hamed s'Ă©tait rendu Ă la mosquĂ©e pour la priĂšre du matin. Volontiers mallĂ©able aux rĂšgles de la tradition pourvu qu'elles n'entravent pas le sens profond de la rencontre, il s'Ă©tait attardĂ© chez les parents de son Ă©pouse pour leur souhaiter une trĂšs bonne fĂȘte. Au volant de sa voiture, soulagĂ© de s'ĂȘtre dĂ©robĂ© aux rites familiaux qui l'auraient obligĂ© Ă dĂ©jeuner, il se dirigeait vers Saint-Ouen, ville ouvriĂšre aux abords de Paris, quand son tĂ©lĂ©phone mobile sonna. Une de ses amies lui apprenait que la sĂ©ance de cinĂ©ma, qu'elle avait organisĂ©e pour l'aprĂšs-midi avec quelques militants de lutte contre l'exclusion, venait d'ĂȘtre annulĂ©e en raison de l'AĂŻd El Kebir. _ A l'idĂ©e d'ĂȘtre libĂ©rĂ© quelques heures, Hamed abandonna toute vellĂ©itĂ© d'irritation malgrĂ© qu'il se souvĂźnt lui avoir exprimĂ© sa surprise quant au choix de la date en terre d'immigration musulmane. Quelques mots de regret plus tard, il engagea son vĂ©hicule vers le pĂ©riphĂ©rique intĂ©rieur sans dĂ©finir sa destination. Le plus souvent, ce vagabondage automobile sans but prĂ©cis lui donnait le temps de contempler les multiples visages de la ville et l'horizon changeant des toits qui variaient sous les couleurs du ciel. Les gris surtout, dont la flamboyance quelques fois jubilatoire des tons sur ton le tenait si bien Ă distance de la passion dĂ©vorante de ses engagements envers les plus exclus. _ Porte de Vincennes, il s'Ă©chappa du pĂ©riphĂ©rique et pĂ©nĂ©tra dans Paris. A la vue des quelques rares arbres qui bordaient sa route, il s'aperçut que l'automne Ă©tait bien lĂ avec ses jaunes et ses rouges dans tout leur Ă©clat. A l'Ă©vocation des saisons, sa pensĂ©e dĂ©riva vers son enfance oĂč pendant de nombreuses annĂ©es, la nature avait Ă©tĂ© son seul refuge. Instinctivement il recala son dos sur le siĂšge de conduite comme si, au seul souvenir des nombreux affĂ»ts sylvestres, il devait Ă nouveau lover son corps entre l'humus et le feuillage d'un des nombreux taillis de la forĂȘt de Bondy. Cela faisait longtemps qu'une sĂ©quence de son passĂ© ne vĂźnt plus Ă©clairer son prĂ©sent. Il voulut s'en rĂ©jouir mais d'autres arbres aux couleurs plus sombres, des ocres et dĂ©jĂ des bruns, lui rappelĂšrent avec tristesse que sa mĂšre avait Ă©tĂ© hospitalisĂ©e en urgence voici plusieurs jours pour un dĂ©but de dĂ©mence sĂ©nile. _ AprĂšs avoir garĂ© sa voiture dans une des rues qui dĂ©bouche sur la place de la Nation, il s'installa au Dalou, la grande brasserie Ă l'angle de l'avenue du TrĂŽne, se roula une cigarette et commanda un cafĂ©. Pour Simon, c'est ainsi que sa mĂšre avait chargĂ© son pĂšre de le prĂ©nommer Ă l'Ă©tat civil, lire, Ă©crire, Ă©couter, voir Ă la terrasse d'un bistrot agissaient en lui comme un puissant sĂ©datif qui l'isolait de la fureur du monde. La terrasse du Dalou Ă©tait clairsemĂ©e. Ce jour-lĂ , aucun voisin de table n'engagerait avec lui ces interminables palabres oĂč la politique, l'Ă©conomie et le changement climatique se disputaient la paternitĂ© de l'incertitude des temps. Il sourit. PrĂ©occupĂ© par l'Ă©tat de santĂ© de sa mĂšre, il ne prendrait pas ce malin plaisir Ă provoquer ces hypothĂ©tiques voisins en leur lançant la faute Ă qui, je vous le demande ! ». Il sortit son tĂ©lĂ©phone, alla sur le net et s'arrĂȘta aux actualitĂ©s. Il lu qu'une Ă©quipe de chercheurs avaient pu crĂ©er un peu d'anti-matiĂšre, des atomes d'anti-hydrogĂšne, tandis qu'une autre avait dĂ©couvert une nouvelle galaxie qui baignait dans la matiĂšre noire. Il ferma les yeux et se pris Ă rĂȘver qu'aux confins de l'univers, qui continuait de s'Ă©tendre, existait un autre monde qui avait Ă©tĂ© mĂȘlĂ© au notre avant le big-bang, parallĂšle et identique d'oĂč Ă©taient bannies Ă jamais toute guerre, toute haine et toute souffrance. _ A l'heure de la sortie des bureaux, calĂ©s devant leur ballon de blanc ou de rouge, les vieux de la terrasse n'en finissaient pas d'observer ces trĂšs jeunes femmes qui arboraient des pantalons moulants ou des collants sans pantalons qu'elles avaient glissĂ©s dans des bottes ou des bottines. La mode conviait Ă la surenchĂšre de la sĂ©duction en une exposition et une explosion des corps qui s'affranchissaient ainsi des saisons. Il sembla Ă Simon que les vieux, devenus impassibles devant tant d'ostentation, avaient rejoint l'autre monde du bout de l'univers. Un homme longea le premier rang de tables de la terrasse. Il vendait le Journal des Sans-Logis. A l'appel de Simon, il se retourna. Voulez-vous boire un cafĂ© », lui dit-il. L'homme acquiesça et s'assit prĂšs de lui. Le garçon du Dalou, furieux, pesta d'arriver trop tard pour refouler celui qu'il considĂ©rait comme un intrus. Il est avec moi », dit Simon. Ce n'est pas trĂšs sympa », poursuivit-il Ă l'adresse de son invitĂ©. Ils ne sont pas tous comme lui. Certains garçons m'apportent leur soutien en me laissant vendre mon journal parmi les tables ou en me glissant un sandwich dans la poche ». Il s'appelait Hamid et venait d'un monde au-delĂ de la MĂ©diterranĂ©e, oĂč disait-il, tous les guides politiques, militaires et religieux avaient fait main basse sur les richesses. Dans son pays, il avait Ă©tĂ© professeur d'universitĂ© et depuis qu'il l'avait quittĂ©, la rue Ă©tait devenue sa nouvelle patrie. Les regards s'Ă©changĂšrent ensuite sans un mot. Simon-Hamed entrevit la bĂ©ance du mal-ĂȘtre. Hamid sourit, comme pour lui signifier qu'il voyait aussi sa profonde tristesse. Si vous voulez jeter une passerelle entre deux mondes, lui murmura-t-il, ne vous laissez pas envahir par votre souffrance battez-vous pour la repousser. Moi, je n'ai pas pu aprĂšs l'assassinat de mon Ă©pouse ». Il avala d'un coup le verre de vin qu'il avait troquĂ© contre le cafĂ©, remercia Simon et disparut. Le garçon du Dalou, prĂ©textant un changement de service, vint rĂ©clamer l'addition. Il est complĂštement aliĂ©nĂ©, fou Ă lier », lança-t-il comme pour illustrer l'excuse qu'il ne parvenait pas Ă exprimer pour justifier sa conduite. _ Non, il n'est pas fou, bien au contraire », pensa Simon qui, apercevant l'horloge de l'avenue du TrĂŽne, trouva qu'il Ă©tait temps de rendre visite Ă sa mĂšre. Ce soir, ensemble, elle et lui affronteraient les dĂ©mons en les priant de bien vouloir rester dans leur monde ! Nouvelle 043 _ Matin de brouillard Un matin de brouillard, me promenant sur les bords de l'Orne, aprĂšs avoir traversĂ© la passerelle, je rencontrai un vieil homme. Il portait de fines lunettes Ă montures d'acier. Son regard accrocha le mien comme un appel. _ Au niveau de sa taille, un chat se pelotonnait, blotti au chaud entre chemise et veste, boule noire dont les yeux verts et mobiles m'intriguĂšrent. Cette sĂ©quence de vie s'installa en moi et agit sur le dĂ©roulement de mes pensĂ©s tout au long de cette journĂ©e. L'ensemble de cette apparition mobilisa mon Ă©nergie au point d'aliĂ©ner mon cerveau. Quand je fermais les paupiĂšres, j'Ă©tais Ă©blouie par l'Ă©clat Ă©meraude des yeux du fĂ©lin. _ Le lendemain, au cÂur de la vieille ville je revis l'homme et son chat, rue Froide, derriĂšre l'Abbaye aux Hommes, juste en face du bar-tabac. Il mendiait sous un porche. Aucun guide n'avait conduit mes pas, il me reconnut. En me voyant, l'homme rangea prĂ©cipitamment dans sa poche la main qu'il tendait Ă ceux qui voudraient y dĂ©poser une piĂšce. _ Allez savoir pourquoi, je lui proposai de boire un cafĂ©, il accepta d'un air jubilatoire Avec plaisir  me dit-il  assis Ă cĂŽtĂ© de vous, une femme, je me sens redevenir un homme. Merci. Dans la rue, est un mot neutre. » En retirant son bonnet de marin, il libĂ©ra une masse de cheveux gris qui se mĂȘla Ă sa barbe. Ses lĂšvres Ă©taient fines, ses pommettes rosies par le froid et l'alcool. _ Il me raconta sa vie, Ă la façon des Africains sous l'arbre Ă palabres comme si il avait troquĂ© sa panoplie de pauvre pour le boubou du grillot. J'appris qu'il venait du Canada oĂč il avait enseignĂ©. Puis, perte de compagne, abandon de maison, ses pas l'avaient conduit jusqu'Ă cette ville matraquĂ©e par la guerre et mal reconstruite, tout comme lui. Il m'avoua J'aime les chats car ils ne font que ce qu'ils veulent, dans l'instant, animĂ©s par le seul dĂ©sir de se faire plaisir, ils s'accouplent uniquement pour prolonger l'espĂšce, ils illustrent l'insouciance, presque la sagesse. Nous, nous avons besoin de rĂȘves, de sentiments, si nous gagnons un peu de bonheur, nous rĂ©coltons tellement de douleur Ă ce jeu. Schopenhauer, vous connaissez ? D'aprĂšs lui, la vie fonctionne comme un balancier de droite Ă gauche, de la souffrance Ă l'ennui. GrĂące au soutien de ses propos, la souffrance m'a quittĂ© en devenant mon habitude, l'ennui demeure encore, quoique, je reste mallĂ©able J'ai l'impression que depuis notre rencontre, aprĂšs la souffrance, l'ennui serait lui aussi en train de me lĂącher. » Nouvelle 044 _ Le malentendu Le recueil ornĂ© d'un bandeau rouge Ă©tait posĂ© sur la table et semblait attendre depuis toujours. _ Elsa avait choisi cet endroit calme plutĂŽt que son petit studio sur le port oĂč les odeurs de fritures se mĂȘlaient Ă celles de mazout des bateaux et les cris des mouettes aux interminables palabres des commerçants ambulants. Ici c'Ă©tait tout Ă la fois paisible et chic. Elle avait longuement cherchĂ© le lieu adĂ©quat pour cette rencontre tant attendue et finalement optĂ© pour cet ancien entrepĂŽt devenu bar branchĂ©, trĂšs prisĂ© des trentenaires. Le dĂ©cor Ă©tait sobre mais original, les poutres de fer et la passerelle mĂ©tallique qui entourait l'espace en hauteur avaient Ă©tĂ© peintes en rouge. Sur les murs de briques blanchis Ă la chaux, l'histoire du lieu Ă©tait retracĂ©e en quelques phrases Ă©crites au pinceau, illustrĂ©es de photos anciennes. Un astucieux systĂšme de cloisons mobiles garnies de plantes offrait des coins plus intimes et propices Ă la conversation. _ MalgrĂ© la sĂ©rĂ©nitĂ© de l'endroit encore peu frĂ©quentĂ© en cette fin d'aprĂšs-midi et l'ambiance musicale apaisante, Elsa commençait Ă se sentir fĂ©brile, sa sÂur Ă©tait en retard. Elle commanda un troisiĂšme cafĂ© pour se donner une contenance et l'aider Ă patienter. _ Elle avait troquĂ© aujourd'hui son vieux blouson contre une petite veste neuve plus fĂ©minine. Chaque dĂ©tail comptait pour ces retrouvailles avec Louise qu'elle n'avait pas vue depuis si longtemps. _ Cette sÂur, de huit ans son aĂźnĂ©e, n'avait pas Ă©tĂ© d'un grand soutien durant ces difficiles derniĂšres annĂ©es. Pourtant, Ă la mort de leurs parents, Louise aurait bien voulu devenir son guide sur le chemin de l'adolescence, la former Ă son image, mais, n'ayant pas grandi ensemble, elles se connaissaient mal et Elsa n'avait pas un caractĂšre mallĂ©able. Louise lui reprochait de rĂȘver au lieu d'agir, et Elsa refusait de se laisser aliĂ©ner par son conformisme bien pensant. Elles avaient ainsi fini pas s'Ă©loigner vraiment l'une de l'autre, Elsa le regrettait car elle sentait l'indiffĂ©rence et mĂȘme le mĂ©pris de sa sÂur qui ne lui faisait pas confiance. _ Enfin, cette fois, Louise avait rĂ©pondu Ă son appel quand Elsa avait Ă©voquĂ© une nouvelle importante et mĂȘme annoncĂ©, avec une intonation mystĂ©rieuse, la prĂ©sentation de Jehan ». Elle allait enfin pouvoir prouver Ă son aĂźnĂ©e qu'elle avait Ă©tĂ© capable de rĂ©ussir quelque chose dans sa vie. _ Elsa fixait les carreaux de verre colorĂ©s de la porte d'entrĂ©e lorsque celle-ci s'ouvrit brusquement. En voyant enfin apparaĂźtre sa sÂur, elle sentit aussitĂŽt monter en elle une fiertĂ© jubilatoire qu'elle n'avait jamais imaginĂ©e, elle en tremblait d'Ă©motion. _ Louise entra rapidement, essoufflĂ©e. Elle regarda Elsa en Ă©bauchant Ă peine un sourire, et chercha aussitĂŽt du regard autour d'elle une autre personne. Visiblement, elle avait couru et semblait dĂ©jĂ regretter sa prĂ©cipitation. Constatant l'unique chaise vide Ă cĂŽtĂ© d'Elsa, elle cachait mal sa dĂ©ception et son agacement. Elle s'assit en soupirant tout en vĂ©rifiant les messages de son tĂ©lĂ©phone, et posa nĂ©gligemment son sac sur la table. _ D'un seul coup, Elsa compris qu'elle ne pourrait jamais lui prĂ©senter Jehan ». Sa fĂ©brilitĂ© joyeuse se transforma en angoissante solitude. Elle se sentit prise au piĂšge d'un trĂšs mauvais film, et se mit Ă souhaiter de toutes ses forces la fin de cette sĂ©quence. _ Elle rangea discrĂštement le livre dans le grand sac posĂ© Ă ses pieds. Nouvelle 045 _ une passerelle en forĂȘt Je l'ai amenĂ©e dans ce lieu qui offre un magnifique point de vue et oĂč son amour des arbres aurait pu la conduire. J'ai Ă©tĂ© une guide parfaite. Nous sommes ensemble, nous les deux sÂurs, Ă quelques pas l'une de l'autre, sur la passerelle, au cÂur de la forĂȘt de feuillus. Nous admirons les branches, les Ă©corces, les verts infinis des feuillages. Elle est en confiance. Je suis sĂ»re qu'elle goĂ»te chaque seconde qui s'Ă©coule comme elle goĂ»terait un vin rare ou un cafĂ© serrĂ©. Je parie qu'elle me remerciera d'un baiser ou d'un sourire, si je lui en laisse le temps. _ Je la regarde. Elle reste bouche bĂ©e, admirative de cette nature luxuriante Ă laquelle elle aliĂšne sa rĂ©serve et sa pudeur. Elle semble s'Ă©tourdir des senteurs vĂ©gĂ©tales. Je suis certaine qu'elle a oubliĂ© le mauvais tour qu'elle m'a jouĂ©, il y a plus de vingt ans. Moi, je n'ai pas oubliĂ©, mĂȘme si ma vie semble avoir suivi un cours plutĂŽt heureux. Je n'ai pas l'esprit mallĂ©able ni le pardon facile. Je ne me suis jamais illustrĂ©e par une tendance naturelle Ă excuser les fautes. Mon mobile est la vengeance. J'ai rĂ©pondu Ă l'appel de la rancune. Il me fallait agir et je m'apprĂȘte Ă le faire une nouvelle fois. _ Je la regarde. Femme bĂ©ate devant des merveilles naturelles. Femme vieillissante et fragile. J'entends sa voix aigrelette, ses 'oh', ses 'ah', ses 'fantastique, Mimie'. Je vois son index trembler en dĂ©signant un Ă©cureuil qui grimpe sur un tronc. J'ai froid, je frissonne. Combien de fois faudra-t-il que je lui dise encore que j'ai horreur de ce surnom de 'Mimie' que je trouve tellement ordinaire ? _ N'est-ce pas fantastique, Mimie ? Aussi fantastique que les marmottes dans la montagne ? » J'acquiesce d'un petit oui », assorti d'un hochement de tĂȘte. J'attends mon heure pour passer Ă la sĂ©quence suivante de mon scĂ©nario. Je considĂšre la patience comme le plus grand trĂ©sor qui m'appartienne et je ne la troquerais contre aucune autre qualitĂ©. Je la regarde encore, je ne m'en lasse pas. J'essaye de m'imprĂ©gner au mieux des dĂ©tails de cet instant. Mon cÂur bat plus vite, ma bouche est plus sĂšche. Elle lĂšve la main. Elle montre un tronc dĂ©formĂ©. On dirait un ours » Elle ajoute Approche-toi. Viens voir d'ici, Mimie » _ Je n'ai rien oubliĂ©. Pendant toutes ces annĂ©es, j'ai pris des acomptes sur ma revanche, sans jamais me dĂ©courager. J'ai omis de l'informer du poste qui s'ouvrait Ă la banque, j'ai rĂ©pĂ©tĂ© Ă une amie commune toutes les calomnies qu'elle propageait Ă son propos. C'Ă©taient lĂ des effets de ma rancune et non de mon Ă©tourderie. Jamais, pourtant, je n'ai voulu m'engager dans des palabres ! Je ne bronche pas. J'Ă©value. Je pĂšse mes mots. Je parle enfin Quel est le prix d'un moment comme celui-ci ? » Interrogation perfide et jubilatoire. _ Mais qu'est-ce que tu me chantes lĂ ? » _ Je rĂ©plique Oui, quel est le prix Ă payer pour de tels instants ? Dans la vie, tout a un prix » Il y a un silence. Un silence d'insectes bourdonnant, de vent lĂ©ger. Je redis Quel est le prix de ces instants ? » Elle sourit. Elle n'a pas saisi oĂč je voulais en venir. Nous sommes deux, seules avec les arbres, les insectes, les Ă©cureuils. Je m'approche d'elle comme elle me l'a demandĂ©. Je fais ce que j'ai pensĂ© faire. Je feins de trĂ©bucher, je la pousse violemment et elle bascule dans l'escalier. Une scĂšne que j'ai imaginĂ©e des dizaines de fois depuis que je connais cet endroit ! Ăa a juste fait plok » _ Durant quelques secondes, je prends le temps de savourer le spectacle. Je la vois remuer comme une souris qui tenterait d'Ă©chapper Ă un chat, trembler de tous ses membres, puis au bout d'un temps interminable s'immobiliser. Elle a payĂ© ! Je suis apaisĂ©e comme je peux l'ĂȘtre aprĂšs un bain tiĂšde. Je vais vers elle. Je la prends sous les bras pour tenter de l'asseoir contre la rambarde. Elle ne bouge plus ! Je la regarde. Elle est pĂąle et son visage est fermĂ©. Je lui masse le bras. Je murmure Françoise, Françoise ! » Aucune rĂ©action, mĂȘme pas un soupir ou un petit mouvement des paupiĂšres. Au bout de quelques minutes, je dis Reste lĂ Françoise. Ne bouge surtout pas. J'appelle les secours ». Une voix posĂ©e de mĂšre bienveillante qui offre un soutien Ă son enfant. Je mĂȘle l'apparence de la bontĂ© Ă ce fond de mĂ©chancetĂ© qui m'a poussĂ©e Ă l'action. _ Je descends en courant vers le parking. On n'arrĂȘte pas une femme meurtrie dans ses sentiments. Françoise, ma grande sÂur, me viennent alors plein d'images de toi, de mauvais souvenirs de nous deux. En l'absence de Papa et de Maman, tu n'avais pas le droit d'exiger que je recopie mes devoirs, que je mange mes repas jusqu'Ă la derniĂšre bouchĂ©e ! Puis, vient seulement une pointe de regret faute de pouvoir pardonner, j'aurais dĂ» couper tout contact avec toi ! _ Mon regard fixe un point lointain, la clairiĂšre oĂč j'ai laissĂ© la voiture et passage obligĂ© pour l'ambulance. Pour moi, l'important est d'ĂȘtre allĂ©e jusqu'au bout de ma vengeance, de l'avoir fait souffrir comme elle m'a fait souffrir quand elle a prĂ©sentĂ© GĂ©rard, le prince charmant de mes vingt-cinq ans, Ă sa trop jolie copine. Pas un jour de ma vie, en effet, sans que je ne vive avec des si », sans que je ne m'y cramponne Ă la moindre querelle avec Claude, mon Ă©poux. Si j'avais Ă©pousĂ© GĂ©rard, ma vie ne serait-elle pas plus passionnĂ©e, plus amoureuse, plus douce ? _ Ă bout de souffle, j'arrive Ă l'entrĂ©e de la clairiĂšre. Je reste un bon moment Ă haleter, appuyĂ©e contre un vieux chĂȘne. Lorsque l'ambulance apparaĂźt, je reprends contact avec la rĂ©alitĂ© et me mets Ă espĂ©rer que Françoise survive. J'agite les bras pour montrer que c'est bien moi qui ai appelĂ©, je monte Ă bord et j'indique aux ambulanciers la direction Ă prendre. J'imagine qu'ainsi les apparences seront sauves ! AprĂšs quelques minutes, quand je croise le regard des ambulanciers, je comprends que mon jugement a Ă©tĂ© juste et que leur intervention a Ă©tĂ© inutile. C'est fini. Elle est dĂ©cĂ©dĂ©e sur le coup. » _ Ce jour-lĂ , pour la premiĂšre fois, je suis allĂ©e trop loin dans l'assouvissement de ma vengeance et j'en Ă©prouve une sorte de remords obsĂ©dant. Nouvelle 046 _ C'que j'aime C'que j'aime? Mon p'tit cafĂ© qui n'paye pas de mine, coincĂ© entre la passerelle du marchĂ© et la rue du grand Charles. On s'y retrouve avec les poteaux, Ă jouer au TiercĂ© et qu'ça cause et qu'ça palabre tout azimut les cotes des canassons, le PSG qui sombre ou le JT du 13h. Nous, qu'on prĂ©fĂšre la Ferrari au Pernaud car comme dit Toine Mieux vaut un bon rouge clinquant qu'un p'tit jaune diluĂ©! » Oh le Toine, un vrai personnage, Ă raconter les anecdotes comme personne, avec son phrasĂ© des grandes Ă©coles, il rĂ©pĂšte Ă tout-va Jubilatoire! Jubilatoire! » pour se faire mousser. Agaçant! Avec Toine, on n'est pas des lumiĂšres mais on sait d'quel bled on s'cause. On est parti ensemble Ă la guerre des Yougo. J'n'y ai pas gagnĂ© grand chose mais le Toine, il y a laissĂ© sa main gauche. D'ailleurs qu'le toubib, il lui a troquĂ© contre un crochet mobile. Pauv' Toine, deux semaines durant, il n'imprimait pas qu'sa main c'Ă©tait du vent! Il souffrait le martyre. Et le Doc qui jacassait C'est le syndrome des membres fantĂŽmes, mais ne vous bilez pas les gars, le cerveau est plastique et mallĂ©able. » Pff, j'lui en foutrais du mallĂ©able, c'est son grappin qu'est devenu plastique! _ Ah! Les barres de rire avec les copains quand il harponne son demi et qu'ça bling-bling dans tout le troquet Bah Toine! tu nous mĂȘles le glas et l'angĂ©lus? Ou p't-ĂȘtre ben qu'c'est les Ă©pousailles⊠T'es avec la rousse ou la blonde? ». Et puis Fred qui y rajoute Jubilatoire! Jubilatoire ! » juste pour l'faire rager. Alors, pour n'pas paraĂźtre misĂ©rable, il la raconte la sĂ©quence. Agir ou pĂ©rir » qu'il commence toujours. J'nichais au quatriĂšme Ă©tage d'un immeuble Ă Dobrinja, les balles sifflaient dans les esgourdes, piĂ©gĂ© comme un rat dans l'embuscade. Le temps Ă©tait salement lourd, mon guide avait dĂ©guerpi et j'Ă©touffais sĂ©vĂšre. Mais Ă rester trop longtemps r'nifler l'air pur, c'est un plomb assurĂ© en pleine caboche, canardĂ©e par un coyote slave. Alors, j'faisais l'essuie-glace entre les lucarnes et les senteurs putrides des arriĂšre-salles, quand je vis le gosse ou p't-ĂȘtre ben d'abord la grenade. J'allais pour prendre le mĂŽme mais j'ai saisi la bombe. Et Boum! J'ai illustrĂ© rouge cramoisi toute la bicoque. Fausse donne! Le gamin Ă©tait sauf et j'ai perdu la main ». _ Brav' Toine, il l'mĂ©rite son quart d'heure d'exploit, j'sais bien que c'est foutaise mais quoi? C'est mon pote, j'n'vais tout de mĂȘme pas dĂ©baller qu'le Toine y s'est broyĂ© la main tout seul pour s'esquiver de cette saloperie de conflit. Et quoi encore? Qu'la gangrĂšne a pris dedans et qu'on lui a coupĂ© la paluche! T'inquiĂšte Toine, soutien sans faille! Moi, j'l'entends ton appel au silence et j'sais qu'Ă chaque fois qu'tu choppes trop la pinte, c'est pour la fois oĂč t'as cisaillĂ© ta pogne. Tu n'voulais pas t'aliĂ©ner Ă la boucherie, t'voila accoutumĂ© Ă la picole. Mais comme tu l'jases si bien J'm'aime mieux 'Ă croc' que canĂ© chez les Yougo. » Jubilatoire! Jubilatoire! Nouvelle 047 _ Maman dĂ©raille A tous les enfants du monde entier. NoĂ«l approche, Sophie, 13 ans, se fait offenser par sa mĂšre pour avoir rĂ©clamĂ© son cadeau. La scĂšne se passe tĂŽt le matin Ă la table du petit-dĂ©jeuner. _ ? BientĂŽt c'est NoĂ«l maman, que vas-tu m'offrir cette annĂ©e ? _ ? Quoi ? _ ? C'est bientĂŽt NoĂ«l ! _ ? Et ? Et ben il fait encore trĂšs tĂŽt pour aborder des palabres Sophie. Mange. Il y a aussi du lait si tu en veux pour ton cafĂ© ; aprĂšs le repas je vais mettre un peu d'ordre dans cet appartement. Tu sais, tes grands parents doivent nous rendre visite demain dimanche ; hier ils avaient plusieurs tĂ©lĂ©phonĂ© fois Ă notre absence sans laisser aucun message, mais par coup de chance je suis tombĂ©e sur leur dernier appel quand je rentrais du parking. C'Ă©tait ta mamie qui Ă©tait Ă l'autre bout du fil » et elle voulait me prĂ©venir de leur visite. Tu vois bien que mes deux parents m'adorent encore ! Et tu disais quoi du noĂ«l, si c'est Ă propos des cadeaux je te jure que tu n'en auras pas cette annĂ©e. _ ? Et pourquoi maman ? _ ? Il n'y a pas de pourquoi Sophie. A l'Ăąge de 13 ans tu agis encore comme une enfant de 5 ans. N'es-tu pas encore consciente de notre condition de vie dĂ©sastreuse. L'Ă©lectricitĂ©, le gaz, le loyer, tes Ă©tudes et ton habillement, c'est moi seule qui les paie tous en tant que simple gĂ©rante de parking. Tu ne sais pas que toutes ces dĂ©penses aliĂšnent l'Ă©conomie. Tout allait mieux encore en harmonie quand ton pĂšre et moi vivions ensemble sous le mĂȘme toit, car c'Ă©tait lui qui prenait tout en charge, les plages, les piscines et mĂȘme les restaurants. Mais un beau matin cette sĂ©quence a pris fin. Il s'est enfui quand tu avais encore deux ans, et personne ne sait oĂč il est parti, il ne tĂ©lĂ©phone pas et n'envoie pas de lettres non plus. Et dĂšs ce jour j'ai bien su que j'allais ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă de telles difficultĂ©s tĂŽt ou tard. C'est pourquoi je voulais t'envoyer Ă©tudier la musique Ă l'institut des arts, car je voyais en toi une future vedette dont le talent allait illustrer le monde entier mais finalement j'ai Ă©tĂ© trĂšs convaincue que tu n'as ni le courage ni cet esprit aussi mallĂ©able pour conquĂ©rir la cĂ©lĂ©britĂ© _ ? Ăa va maman. Ăa ne vaut pas le coĂ»t d'exhumer vos sinistres histoires Ă toi et Ă papa. Ce n'est pas de ma faute que tu n'as pas de soutien pour nourrir la famille, c'est la faute Ă papa, lui qui nous a abandonnĂ©es dans cette merde ; lui qui devait nous servir d'exemple et surtout de guide pour fonder le plus beau foyer du monde _ ? Voila que tu commence Ă comprendre ma fille. Si tu veux vraiment avoir un cadeau Sophie tu vas devoir troquer un de tes anciens jouets avec une amie pour en avoir un nouveau, tu n'as pas encore ton truc mobile, je ne sais pas comment vous l'appelez entre enfants, ce que je t'ai achetĂ© le PĂąques dernier. Ou il n'y a pas encore ton ancienne marionnette, celle qui ressemble Ă un vieil humoriste au visage plein de sourire jubilatoire. Elle me plaĂźt celle-lĂ , surtout quand tu la mettais en marche, on dirait un vieillard courbĂ© le long d'une passerelle _ ? Oui je comprends maman. On n'en parlera plus ! Nouvelle 048 _ Shorts Messages SĂ©quence SMS Clem, je garde en mĂ©moire joyeux souvenirs, _ Dans l'avion retour vers le vieux continent. _ De palabres futiles en dĂ©bats passionnants _ Ne trouvez-vous pas au monde un bel avenir ? » _ Monsieur William, mercis de ce mignon MMS. Mon mobile et ma mobilitĂ© mallĂ©ables m'amĂšnent Ă imaginer mille moments mĂȘlĂ©s sur le mĂȘme moule. » _ Agissons Belle Camarguaise. Disons En Face Galerie Hector Ivry. Jean Kaki, Le Monde, Nouvel Observateur Pour Que Reprennent Souvenirs du Temps d'Un Voyage. William. Xxx » _ Troquez ce rendez-vous imaginaire et votre jean kaki, _ Reprenez vos esprits et votre agenda _ Et illustrez-moi un plan Mappy et vous dans un acte de bravoure _ Que diriez-vous de partager de nouveau l'actualitĂ© et un cafĂ© ? » _ Non. Comme les passerelles de Minneapolis Ă un ensemble de gratte-ciel, je suis juste aliĂ©nĂ© Ă vos deux messages et Ă mes nombreux souvenirs de vous. Je veux rester au septiĂšme Ă©tage et au ciel du mĂȘme nombre. » _ Consulte ta raison ; prends sa clartĂ© pour guide. MoliĂšre » _ Dois-je considĂ©rer mon cÂur vaincu ? Soit pour un rendez-vous ClĂ©mentine ; je vous laisse le choix dans la date. » _ Galabiat, j'ose espĂ©rer encor ceans que votre missive contra pesteries d'Hui n'est qu'une farcerie lacrimable, une estourderie fumeuse ou une coquardie maldisante. Si non, vous n'ĂȘtes qu'un valdenier et un sottard. A la revĂ«oire. Ou A-Dieu. » _ DĂ©placĂ©es excuses pour ces mille messages. _ RĂ©sister avec les mots est pour moi longtemps douteux que je n'aie su jouer tellement Ă cette plaisanterie d'un goĂ»t jubilatoire. » _ William, Assez ras le bol marre basta c'est fini trop c'est trop je jette l'Ă©ponge j'arrĂȘte je n'en peux plus j'arrive Ă satiĂ©tĂ© Ă saturation totale je suis gavĂ©e de vos EXERCICES DE STYLE . Vou ne pouvĂ© pa envoyĂ© un texto bourĂ© de fĂŽte ou en françé parlĂ© com tou le monde ? Ou me tĂ©lĂ©phoner tout simplement ? » _ Clem DĂ©solĂ©. Je vais avoir besoin de soutien. Je me cache sans cesse derriĂšre ces messages car dans toutes nos conversations, nos Ă©changes, nos Ă©clats de rire, il y a une chose que je n'ai encore jamais osĂ© vous dire ou Ă©crire. Je vous aime. » _ Mais moi aussi imbĂ©cile !! J'attends ton appel. ClĂ©mentine. » Nouvelle 049 _ InfĂąme une femme Mon mec devra aimer Godard. Enfin, quand je dis ça, je veux plutĂŽt dire qu'il devra envisager la vie comme un enchaĂźnement de sĂ©quences godardiennes. Style, on sera posĂ©s ensemble au cafĂ©, il me prendra la main, on ira danser le madison avec pour bande-son celle d'un vieux jukebox sixties, sous le soleil exactement. Ou alors, toujours au cafĂ©, il aura le goĂ»t des palabres et moi je l'Ă©couterai, je poserai des questions et il rĂ©pondra, et puis clac, silenzio, on aura troquĂ© la rĂ©alitĂ© pour un moment de cinĂ©ma. _ J'aime me perdre dans des considĂ©rations idĂ©alistes. Au moins, je corresponds Ă mes propres attentes, Moi s'en trouve flattĂ©. L'appel de la rĂ©alitĂ© ne tarde jamais. Le matin je me lĂšve, je prends le mĂ©tro, le ciel est grimaussade, plaisir de mon pied qui s'Ă©crase sur la feuille morte, tout est cyclique et je me fais chier, je me mĂ©prise de coller parfaitement Ă l'image de la prose adolescente. Mais je continue, tout est mobile alors il doit y avoir du sens, m'enfin comme dit Camille, j'ai remarquĂ© que plus on est envahi par le doute, plus on s'attache Ă une fausse luciditĂ© d'esprit, avec l'espoir d'Ă©claircir par le raisonnement ce que le sentiment a rendu trouble et obscur. » A bon entendeur, quoi. _ Aujourd'hui j'ai abordĂ© un mec dans la rue, j'aime le faire parfois. Physiquement, il correspondait Ă mon genre, quoi qu'un peu trop lippu. On est allĂ©s boire un verre, c'est lui qui m'a emmenĂ©e dans un endroit ; j'aime quand c'est pas moi qui choisis, c'est bien d'avoir un guide. On a traversĂ© une passerelle. C'est pas juste un dĂ©tail, parce que quand on s'imagine la scĂšne, on a juste Ă penser au long travelling oĂč j'aurais les cheveux au vent et la moue de profil de la fille qui sait pas oĂč elle va. L'inconvĂ©nient de l'Ă©criture, et lĂ je me pose dĂ©jĂ en vieille conne pontifiante, c'est que quand on exprime sa pensĂ©e en mots, mĂȘme si l'idĂ©e est belle, le mot tombe difficilement juste. Je prĂ©fĂšre le cinĂ©ma. Bref. C'Ă©tait jubilatoire de voir ce mec en face de moi, l'anxiĂ©tĂ© et le verbe gicler de son corps de maniĂšre plĂ©thorique pour contrer l'Ă©ventuel blanc. J'ai pas de problĂšme avec ça. Je me sens assez confortable avec les blancs. Je regarde la personne intensĂ©ment, elle croit que je pense Ă quelque chose en particulier alors que j'ai cette grande facultĂ© de pouvoir agir sans penser. C'est pas donnĂ© Ă tout le monde. Et donc, alors qu'il commençait Ă s'empourprer de ne rien trouver Ă dire, je lui ai demandĂ© _ Pourquoi est ce qu'il faut toujours parler », _ il a rien dit, c'Ă©tait une bonne rĂ©ponse. _ Alors, Ă ce moment prĂ©cis, je me suis dit qu'il n'y avait encore une fois aucune cohĂ©rence Ă ce qui Ă©tait en train de se passer. J'ai eu envie de faire pause, freeze, de regarder autour, lĂ oĂč on Ă©tait, voir si les gens pensaient comme moi. J'ai du les regarder pendant une minute, sans les juger parce qu'il faut pas, boire leur coca et se draguer, se contant fleurette/s'Ă©changeant leurs 06 barrer la mention inutile, le sourire prĂ©dateur et le corps puant le dĂ©sir alĂ©atoire, tous aliĂ©nĂ©s qu'ils Ă©taient, et puis j'ai essayĂ© d'en revenir Ă lui. C'Ă©tait mĂȘme pas une rencontre, juste un agrĂ©gat de solitudes. Le mec avait l'air de plus en plus mal Ă l'aise mais sous le charme, aussi. Enfin je dis ça, j'en sais rien. Il m'a fait penser Ă un vieux bout de patafix, je l'ai senti mallĂ©able, capable de se coller, random poster, Ă n'importe quel mur. Lui aussi a besoin d'un soutien, parce qu'il est dans le doute comme moi, alors Ă quoi bon. _ On est sortis et il pleuvait. Non, en vrai, il ne pleuvait pas. Il a cherchĂ©, et objectivement c'Ă©tait touchant, Ă me prendre la main. J'ai pas voulu donc ; il a pas Ă se mĂȘler de ma vie plus que ça. Je lui ai demandĂ© quelle ambition il avait dans la vie, illustrer des albums pour enfants, j'ai trouvĂ© ça nul. Il m'aurait dit, devenir immortel et mourir », je l'aurais embrassĂ©, mais lĂ je me suis juste dirigĂ©e vers la passerelle. Il a du rester plantĂ©, _ fondu enchaĂźnĂ©. Nouvelle 050 _ Rencontres Elle gisait lĂ avec l'Ăąme en peine _ Elle, c'Ă©tait Marine. Elle Ă©tait partie de bon matin pour aller boire un cafĂ© avec Sarah, une amie. Elle avait essayĂ© en vain de troquer ses pantoufles de femme enceinte pour des bottines Ă talons. Mais elle avait dĂ» se rĂ©signer Ă sortir avec des vieilles chaussures de sport. AprĂšs tout, cela illustrait bien sa condition de femme en fin de grossesse ! Elle se rassura. Il lui restait moins de trois semaines Ă tenir. AprĂšs neuf longs mois passĂ©s ensembles, ils se sĂ©pareraient bientĂŽt pour vivre une toute autre relation. Pendant la grossesse elle Ă©tait Ă la fois si proche et si loin de son bĂ©bĂ©. Elle avait hĂąte de le rencontrer pour de vrai ». _ Son amie Sarah revenait d'un voyage d'un an en Australie et ne l'avait donc pas encore vu enceinte. Ces retrouvailles allaient ĂȘtre jubilatoires et mĂȘme plus que cela. Leur euphorie allait sĂ»rement atteindre des sommets ! Cette annĂ©e fut longue pour les deux femmes qui ne s'Ă©taient presque pas quittĂ©es depuis l'enfance. Marine se remĂ©morait leur derniĂšre soirĂ©e, transformĂ©e en palabre, oĂč l'une essayait de retenir l'autre et l'autre argumentait sur son besoin de partir. _ Marine marchait aussi vite que son gros ventre le lui permettait. Elle venait de traverser la passerelle piĂ©tonne, quand elle la vit de l'autre cotĂ© de la route. Elle lui fit signe puis traversa, faisant confiance au feu piĂ©ton vert. Elle Ă©tait trop impatiente et oublia de regarder Ă droite puis Ă gauche. Elle entendit le crissement des pneus, vit son amie se pĂ©trifier, senti le choc de la voiture contre elle et perdit connaissance. _ Elle gisait lĂ avec l'Ăąme en peine, reprenant connaissance. Son ventre Ă©tait vide. Elle ne ressentait pas grand-chose tant son corps Ă©tait douloureux. Mais, ça, elle le savait. Son bĂ©bĂ© n'Ă©tait plus dans son ventre. Elle en Ă©tait sĂ»re. On lui avait enlevĂ©. Son corps et sa facultĂ© Ă mettre au monde son bĂ©bĂ© venait d'ĂȘtre aliĂ©nĂ©s par un J'aurais envie de dire » par un monstre », mais ce n'Ă©tait pas du tout le cas. C'Ă©tait une personne banale se croyant invincible. Un homme, comme vous et moi, persuadĂ© que rien de grave ne pouvait lui arriver. Il avait dĂ©crochĂ© son tĂ©lĂ©phone mobile et n'avait pas fait attention au feu qui lui indiquait de s'arrĂȘter. Il n'avait pas vu Marine qui traversait la route. _ Elle gisait lĂ et personne n'avait encore vu qu'elle se rĂ©veillait. Elle n'avait pas entendu l'appel de son bĂ©bĂ©. Ce petit ĂȘtre dont elle ne connaissait pas encore le sexe. Elle et son mari, Olivier, avaient voulu garder la surprise. Elle n'avait pas entendu cet appel. Ce cri qui dit Je suis en vie ! Prends-moi contre toi. » OĂč Ă©tait son bĂ©bĂ© ? Etait-il vivant ? _ Soudain un visage se pencha au dessus de sien. _ ? Bonjour, je suis Catherine, une sage-femme. Vous m'entendez ? _ ? Oui. _ ? Vous ĂȘtes en salle de rĂ©veil. Nous avons dĂ» vous faire une cĂ©sarienne d'urgence. Vous aviez une hĂ©morragie au niveau du ventre. L'Ă©quipe mĂ©dicale a dĂ» agir. Vu que vous Ă©tiez dans le neuviĂšme mois, le bĂ©bĂ© ne risquait presque rien. _ ? Il va bien ? _ ? Oui. Il n'a rien eu pendant l'accident. C'est un petit miracle. Vous aussi, vu les circonstances, vous vous en sortez bien. En ce moment, il est avec son papa. _ ? Je veux le voir. » _ Catherine parti. Elle revint quelques minutes plus tard accompagnĂ©e d'Olivier. Il avait d'immenses cernes, le visage humide de larmes et tenait un bĂ©bĂ© dans les bras. _ ? C'est une petite fille » dit-il avec Ă©motion. _ Il lui tendit sa fille, mais Marine eu un mouvement de recul. Tout Ă©tait si irrĂ©el. La naissance qu'on lui avait volĂ©e et l'accident se mĂȘlaient. Cette premiĂšre aurait du ĂȘtre heureuse et mĂ©morable ; hors il n'en restait rien, exceptĂ© peur et souffrance. Quant Ă ce dernier, il lui revenait par flashs, comme des sĂ©quences d'un film oubliĂ© qui resurgiraient brusquement. Elle ne pouvait pas prendre ce bĂ©bĂ©. Elle n'arrivait pas Ă se rendre compte que c'Ă©tait le sien. Catherine lui attrapa les mains et lui dit _ ? C'est dur. Je sais. Mais elle a besoin de vous et vous avez besoin d'elle. » _ Marine la regarda droit dans les yeux et se mis Ă pleurer. La sage-femme la prit dans les bras. Marine avait l'impression d'ĂȘtre une petite chose fragile et mallĂ©able. A cet instant, quiconque aurait pu finir de la dĂ©truire irrĂ©mĂ©diablement. Mais Catherine ne lui voulait aucun mal. Elle Ă©tait comme un guide bienveillant qui ramenait les Ăąmes Ă©garĂ©es chez elles. GrĂące Ă son soutien, elle pouvait laisser partir ses peurs, sa douleur et sa colĂšre. GrĂące Ă son soutien, elle sĂ©cha ses larmes et tendit les bras vers son bĂ©bĂ©. Olivier lui dĂ©posa contre son torse. _ Catherine proposa Ă Marine de prendre sa fille en contact peau contre peau. Elle lui expliqua que cela serait bĂ©nĂ©fique pour tisser des liens avec elle. Marine hĂ©sita puis fini par accepter. _ La petite se rĂ©veilla et s'agita. Elle vint se coller contre le cou de sa mĂšre. Puis, animĂ© par son instinct, elle essaya de ramper sur le corps de sa mĂšre. Marine entendit Catherine lui murmurer Quelle force de vie ! Laissez-la faire ! On voit souvent ça chez les bĂ©bĂ©s nĂ©s naturellement, mais rarement dans de telles conditions. Laissez-la faire ! Elle cherche votre sein. » _ Et elle le trouva. Elle ouvrit la bouche et se mit Ă tĂ©ter. A ce moment prĂ©cis, Marine comprit que personne ne pourrait plus lui voler d'instant avec sa fille. Nouvelle 051 _ L'avenir, c'est maintenant ? FrigorifiĂ© mais obstinĂ©, il est emmitouflĂ© dans une Ă©paisse parka rĂąpĂ©e qu'il a dĂ» troquer contre une corvĂ©e. Le printemps dĂ©bourre des bourgeons d'avril, on est dĂ©jĂ loin des fortes gelĂ©es, mais t'as froid quand t'as faim. On ne voit que lui sur la dune. Il ausculte le ciel et intĂ©riorise le vol en saint esprit » de la sterne criarde suspendue dans le vent. Drones de l'imaginaire, les oiseaux considĂšrent la dĂ©tresse de plus haut. _ Devant lui, l'Angleterre, cicatrice calcaire sur l'horizon. Si prĂšs. Si loin. Il ira. Il doit y aller. Ou mourir. De temps Ă autres, par sĂ©quences machinales, il dĂ©clame des bribes de conversation pĂȘchĂ©es dans son guide kabĂŽli-anglais une vingtaine de feuillets, pliĂ©s, dĂ©pliĂ©s, mĂąchĂ©s par une fiĂšvre quotidienne. Son tailleur n'est pas riche mais, lui, tient son passeport pour la fortune Full-time job ? Yes ? » Des expressions vitales ont traversĂ© les frontiĂšres dans sa poche. Elles ont parcouru combien ? dix mille kilomĂštres au bas mot si tu comptes les ratĂ©s, les hĂ©sitations, les erreurs de road-book sur les sentiers de l'errance. Et les kilomĂštres de surplace, les passeurs indĂ©licats, les polices zĂ©lĂ©es, les bakchichs, les palabres interminables. Les dĂ©trousseurs. _ Il s'exclame dans le vent. Slow but sure ⊠des formules toutes faites qui l'amusent. Sure ! » Les goĂ©lands n'y pigent rien. L'anglais ne les fait pas rire⊠Contrairement Ă ce que pensent les gens heureux, les goĂ©lands ne rient pas. Ils hurlent, menacent, dĂ©noncent. On leur a volĂ© quoi ? Ils crient leur frĂ©nĂ©sie. Le ballet agressif de ces rapaces palmĂ©s, hautains, moqueurs et sans pitiĂ©, illustre le combat perpĂ©tuel pour la pitance. _ J'aurais pu me payer une retraite pĂ©pĂšre sur la cĂŽte », au bord de toute la bleue, bordĂ©e de sable dorĂ© lavĂ© Ă la main tous les matins ; comparer les yachts dĂ©daigneux des nababs du pĂ©trole et chercher l'ombre exotique des palmiers de la baie. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© les galets, les dunes, le vent qui te transperce les abattis, les chars Ă voile, les cerfs-volants. Et les mouettes avides qui se balancent, assises sur la bosse des vagues. Et les Ă©pagneuls bretons qui puent le chien mouillĂ© Ă l'eau de mer. Et les gros popotins de la boulonnaise  la race  qui galopent Ă marĂ©e basse. Et la chaleur au charbon des bistrots du nord oĂč t'as toujours l'impression d'avoir une famille en rab' et un cafĂ© qui t'attend. _ J'ai choisi les furies du Pas-de-Calais et le sable grossier qui roule sous le pied du malin les jours d'intempĂ©ries. C'est lĂ que je l'ai trouvĂ©, essayant de conjuguer son futur en anglais. Il a pris peur. J'Ă©tais l'inquiĂ©tude. Un peu gĂȘnĂ©, je lui ai fait un signe complice, genre coucou, j'suis pas flic. » Ă peine rassĂ©rĂ©nĂ©, le sourire hĂ©sitant, il s'est rassis. Moi aussi. J'ai sorti un sandwich que j'ai dĂ©chirĂ© Ă pleines dents, puis je l'ai partagĂ©. C'est tellement mieux Ă deux. On est restĂ©s une heure Ă rien  à tout  se dire. En silence. Il nous manquait les mots et on s'en passait⊠à quoi ça sert les mots ? Ă se taper dessus ? On n'a pas les bons verbes mais je crois qu'on s'entendait fort, lui et moi, dans le ressac roulant de la mer qui soĂ»le. _ Elle commençait Ă grossir, d'ailleurs. _ Il s'est mis Ă pleuvoir Ă gros grains mouillants. D'une bourrade dans le dos, je lui ai indiquĂ© la direction. Il est allĂ© chercher son sac Ă dos camouflĂ© dans le sable. On a longĂ© la plage ensemble, cĂŽte Ă cĂŽte, longtemps.  _ Si la marĂ©e haute s'Ă©nerve, on sera pile poil devant l'aquarium en officier de quart averti, il s'est installĂ© d'autoritĂ© Ă la passerelle, derriĂšre la grande vitre, chez Marinette. Les paquets sautent la digue. Il boit la mer furieuse avec la soif jubilatoire des gosses qui s'Ă©crasent le nez sur la vitrine du Bhv Ă NoĂ«l. L'Angleterre disparaĂźt au-delĂ d'un brise-bise de buĂ©e et de herses cafardeuses qui transpercent les nuages. Il y a la queue sur le rail. Ma parole, si tu traverses, tu te fais Ă©craser par le train des tankers. C'est pas aujourd'hui qu'il la verra la reine d'Angleterre, ni la garde poilue de Buckingham, mais tu sais, elle s'en fout, la Queen au lait fraise avec son chapeau vert guimauve⊠elle s'en fout que tu claques du bec. C'est pas pour rien qu'elle campe sur une Ăźle, l'Angleterre, c'est justement pour ne pas se laisser arraisonner par des flibustiers de ton espĂšce. T'as pas compris ça ? _ Indexe pointĂ©, je lui fais le coup du moi Tarzan, toi⊠? » Moi Rahim !⊠ Moi Paris, et toi ?  Moi Kaboul.  Kaboul ?  Yes, Kaboul, but no Taliban... » _ On mĂȘle nos rires sans paroles et ça vaut un bifteck⊠quoique⊠Sur son dico rachitique je cherche un mot en anglais que je reconnaĂźtrais par hasard⊠Ah voilĂ ! Hungry⊠Are you hungry ? » je lui montre du doigt. Il riboule des prunelles ; me jauge d'un regard mobile et incrĂ©dule. Rahim secoue la tĂȘte No⊠thank you . No ? Mon Âil ! Marinette, tu peux nous faire deux moules frites ? Oui, mariniĂšre, s'te plait, bien servies, Marinette, et deux ambrĂ©es sans faux-col...» _ Ăa me rend flou de penser Ă ces clandestins ». Ils viennent de ce moyen-orient lointain s'aliĂ©ner dans la brĂ»lure de l'espoir. Ils s'imaginent qu'ils vont pouvoir vivre ce qu'ils connaissent de notre vie. Si j'avais les mots, je lui expliquerais que l'avenir n'est pas aussi mallĂ©able qu'il croit. Qu'il serait Ă©videmment mieux chez lui, avec les siens. Il a une femme ?⊠De quoi je me mĂȘle ? Il m'objecterait, bien sĂ»r, que sans doute mais qu'il s'en fout, avec l'Ă©tonnante et vorace vivacitĂ© de l'homme qui joue son histoire Ă la roulette. Il ne sait pas qu'il fuit ; il est Ă la conquĂȘte de la survie, pour lui, pour sa famille qui a financĂ© son voyage ». Il tente de s'emparer de son existence et s'invente des lendemains au ketchup. Rahim prĂ©fĂšre dĂ©jĂ les fish and chips. _ Il n'avait pas faim mais il est musclĂ© des mandibules ; elles n'ont pas eu le temps de respirer, les moules. Thank you, thank you ! very nice ! » Rahim se suce les doigts, Ă©ponge son fond de biĂšre, s'essuie les moustaches dans la manche, me catapulte un sourire Ă©toilĂ© et revient dare-dare Ă son poste d'obsession. Si prĂšs. Il ira. Il doit y aller. Il va tenter cette nuit, j'en suis persuadĂ©. Il n'a pas acceptĂ© le lit que je lui ai offert. Thank you, but⊠» Pas grave, Rahim. Good luck .  _ Ce matin Ă l'aube, je suis allĂ© sur le parking poids lourds. Il n'y Ă©tait pas. Ou plus. _ Au fond, ça ne me regarde pas ; il a probablement traversĂ©. J'arpente la dune. Il pleut. Il fait froid. S'il est lĂ , il va attraper la crĂšve. Je ne suis pas du genre pĂšre adoptif ou soutien de famille, pourtant ça me ferait mal qu'il lui arrive quelq ue chose. Un besoin viscĂ©ral d'agir me submerge. Je le sens en danger. J'ai la certitude lancinante et coupable que sa carcasse est mise Ă prix par l'inhumaine connerie des hommes. Et puis⊠s'il restait un moment, je me mettrais Ă l'anglais pour lui dire tu peux compter sur moi. » Pas plus il n'a peut-ĂȘtre pas envie. _ Le vent a tournĂ© ! Je n'entends plus la mer. Ni les goĂ©lands. Une musique sournoise me harcĂšle les tympans. Je presse le pas et j'arrive essoufflĂ© au sommet de la dune. Ah⊠il est lĂ ! adossĂ© au talus. Je respire. Il bachote son lexique ? De ce temps-lĂ ? il est dingue ou quoi ? Rahim ! » Je hurle mais la bourrasque m'emporte la voix qui s'arrache comme un parapluie. Il n'entend pas mes appels. Je lui fais des grands signes. Et j'accours. _ Oh, merde ! Merde ! Il a la bouche ouverte. Son regard est rivĂ© sur l'Angleterre et dĂ©chiffre, dans l'imaginaire du ciel sombre, quelques mots de lumiĂšre Future is now » peut-ĂȘtre⊠SaletĂ© de misĂšre ! Je m'agenouille et lui ferme les yeux. Rahim est encore tiĂšde. Un terrible coup sur la tĂȘte. Du sang poisseux diluĂ© par la pluie lui coule de l'oreille sur une joue bleue mal rasĂ©e. Son poing serre les prĂ©cieux feuillets. Son sac Ă dos Ă©ventrĂ© gonfle au vent. Nouvelle 052 La main fĂ©brile de Jacques se posa sur le papier  ses doigts nerveux se mĂȘlaient et se tordaient. Il reprit un instant le porte-plume⊠le reposa, et essuya la larme qui venait poindre Ă la commissure de ses paupiĂšres. Il appuya ses coudes sur le bureau, et son visage s'effaça entre ses paumes. _ Comment faire ? Comment faire de ces quelques phrases l'esquisse d'une vie  l'esquisse d'une vie perdue  l'Ă©pitaphe d'une vie aimĂ©e les mots, ces beaux et chers mots qui, jadis, lui Ă©taient si familiers, Ă lui, l'Ă©crivain ! aujourd'hui fuyaient vers d'autres lieux, d'autres temps ; les premiers jours lui venaient Ă la mĂ©moire, ces premiers jours simples et tendres comme la joue de la femme chĂ©rie. Le tictac de la pendule se penchait sur minuit, Ă la fenĂȘtre le vent agitait les feuillages qui frappaient le carreau. _ Jacques troqua sa vieille veste de velours contre un pardessus bleu, verrouilla la porte et s'Ă©lança d'un pas rapide sur l'avenue. Au premier croisement il tourna Ă gauche et suivit le boulevard sur quelques centaines de mĂštres. Il entra au Bistrot rouge et l'aperçut dans le fond de la salle obscure. Elle lui sourit. Il s'assit en face d'elle, commanda un verre de vin blanc. AppuyĂ©e sur la banquette, bras croisĂ©s, la tĂȘte lĂ©gĂšrement inclinĂ©e, elle le fascinait, et il tentait de saisir son regard mobile qui sans cesse le fuyait. Ce n'Ă©tait pas la premiĂšre soirĂ©e qu'ils passeraient ensemble, mais jamais jusqu'alors elle ne s'Ă©tait osĂ©e Ă quitter sa rĂ©serve ; parlant avec finesse, des gestes dĂ©licats lorsqu'elle soulevait sa tasse de cafĂ© ou qu'elle passait ses doigts dans ses cheveux sombres, elle gardait cette distance tacite qui, sans frĂ©mir, illustrait la fragilitĂ© de la nature sauvage de cette femme intĂšgre. _ Ce soir-lĂ , elle lui parla de Rome. Elle lui dit le souvenir de son pĂšre italien, qui dans le silence de sa casa de la vieille ville lui racontait Ă voix basse comment il luttait, dans le temps, contre les Chemises noires, comment ils se rĂ©unissaient, Ă la nuit, en palabres secrĂštes ou comment l'on ferait sauter un pont, surinerait un ennemi, dĂ©livrerait un camarade. Il fallait agir ! disait-il alors Ă sa fille, qui voyait dans sa face parcheminĂ©e la sourde et jubilatoire fiertĂ© d'avoir perdu les jambes, mais gagnĂ© la guerre. _ Elle racontait son pĂšre en sĂ©quences successives qui illuminaient ses yeux. Toutefois ses traits s'Ă©taient durcis lorsqu'elle avait parlĂ© de sa mort  durant quelques annĂ©es elle avait Ă©tĂ© le soutien journalier de sa vie, l'aidant dans ses tĂąches, causant avec lui ; sur la fin il disait, je suis remis Ă celui qui me guide, et cet athĂ©e de toujours prenait dans son discours des Ă©lans mystiques. _ Les mĂ©decins le croyaient aliĂ©nĂ©, et dans ses derniĂšres semaines on lui avait administrĂ© des sĂ©datifs qui, disait-il, rendaient mallĂ©able le pain rassis de l'existence. _ Elle ne voulait pas pleurer, et ils avaient convenu de marcher vers le centre-ville. Ă ses cĂŽtĂ©s, elle semblait affectĂ©e, et se raccrochait au bras de Jacques comme Ă cette bouĂ©e que l'on tient farouchement pour Ă©viter de sombrer. _ C'est alors qu'ils flĂąnaient qu'il avait ressenti la premiĂšre occurrence de ce sentiment nouveau. Il voyait en elle cette exhortation suprĂȘme, cet appel de la vie Ă se consacrer Ă une tĂąche,  à un but,  à une ambition. Elle Ă©tait la rĂ©ification de ce dĂ©sir ancien qui le voulait placĂ© dans le monde ; elle Ă©tait cette place et la passerelle vers cet Ă©quilibre qu'il convoitait. IntĂ©rieurement il Ă©laborait ces projets d'une vie nouvelle, lui le misanthrope, le seul, le dĂ©solĂ©. _ La pendule, depuis plusieurs minutes, avait dĂ©passĂ© minuit ; Jacques se renversa sur sa chaise, leva ses yeux mouillĂ©s au plafond et gĂ©mit amĂšrement. Nouvelle 053 _ AprĂšs Il habitait rue de la sĂ©quence mobile, juste Ă cĂŽtĂ© du cafĂ© des palabres. _ Nous avions rendez-vous le mardi et le jeudi Ă 19 heures sur les tatamis du quartier latin. _ C'Ă©tait mon guide, ma passerelle vers le ciel. _ Quand il arrivait au cours de kung-fu, un sentiment jubilatoire m'envahissait. Je me sentais voler et rire, danser et chanter depuis le bout des orteils ! _ Quand il est mort, j'ai basculĂ© dans le vide et la chute a Ă©tĂ© vertigineuse. _ Lorsque nous Ă©tions ensemble, rien ne pouvait m'arriver. Je marchais, les yeux fermĂ©s, heureuse et libre. GrĂące Ă lui, j'ai dĂ©couvert l'univers de la conscience. Le cerveau a des capacitĂ©s immenses et Ă©tranges qui se mĂȘlent et s'entremĂȘlent. Leur exploration est une quĂȘte de toute la vie. Il m'avait dit nous nous connaissons dĂ©jà » et aussi je vais bientĂŽt partir », telles des Ă©nigmes Ă rĂ©soudre. _ ArrivĂ©e au fond du trou, il m'a fallu agir rĂ©pondre Ă l'appel de la vie, troquer mon costume de pleureuse pour celui de survivante et remonter la pente, petit Ă petit. _ Mais comment ne pas rester aliĂ©nĂ©e Ă son fantĂŽme, dĂ©mĂȘler les sentiments qui durent de ceux qui passent ? _ J'ai cherchĂ© dans les histoires des autres, lu des livres, Ă©coutĂ© des histoires, encore et encore. La plupart s'arrĂȘte lĂ ils s'aiment, partagent une tranche de vie et patatras, il ou elle meure. Et aprĂšs ? _ AprĂšs, la vie continue, c'est vrai. _ La souffrance Ă hurler s'arrĂȘte aussi. L'unitĂ© de souffrance passe de la journĂ©e, Ă la semaine, puis doucement au mois et enfin Ă l'annĂ©e. J'en suis lĂ aujourd'hui. _ Mais il faut aussi retrouver une protection et s'appuyer sur des soutiens pour se reconstruire, sans rester cette boule mallĂ©able de douleur Ă vif. _ Je ne suis pas morte et pourtant je suis re-nĂ©e. Il reste la toile de fond sur laquelle s'illustrent les Ă©pisodes de ma nouvelle vie. _ Tous les jours, un Ă©vĂ©nement, un clin d'Âil, petit ou grand, renvoie Ă ces souvenirs, Ă cette histoire. Comment cela se serait-il passĂ© avec lui ? J'aurais aimĂ© partager ce moment avec lui. Je revois son visage en surimpression, je remarque une silhouette ou une dĂ©marche qui lui ressemble. RĂ©guliĂšrement, en voiture, j'entends les sirĂšnes des pompiers qui sont intervenus suite Ă notre accident. _ Cela me rappelle qu'il faut profiter des petits bonheurs de chaque jour. _ Retrouver dans un sourire, une gentille attention, un regard mĂȘme la jubilation de le voir arriver sur le tatami, il y a tant d'annĂ©es. Nouvelle 054 _ La chaleur des livres Marguerite, bĂ©nĂ©vole de la premiĂšre heure Ă la bouquinerie de la ville, avait une tendresse particuliĂšre pour le jeudi ; c'est que ce jour-lĂ lui ramenait son protĂ©gĂ©. Quand il poussait la porte, elle dĂ©laissait les autres clients, mĂȘme au milieu d'une des ces palabres oiseuses et interminables que les solitaires se plaisent Ă infliger Ă tout ce qui tient boutique, et pour qui c'est une rĂšgle d'or de ne jamais montrer au chaland qu'il vous ennuie. Marguerite commençait par offrir un cafĂ© puis ils passaient un peu de temps ensemble. _ Elle lui donnait des nouvelles de son immeuble. Avec force dĂ©tails. _ ? Ma vieille voisine est encore tombĂ©e Les petits jeunes qui habitent sur mon palier vont divorcer Mon pauvre Fifi a Ă©tĂ© malade _ Il lĂąchait quelques mots sur la mĂ©tĂ©o. Avec parcimonie. _ ? Pas bon pour les livres, l'humiditĂ© ! _ Les autres bĂ©nĂ©voles les observaient de loin. Ils n'aimaient pas la prĂ©sence du sans-abri dans la boutique. Quand il entrait, son apparence et surtout son odeur chassaient les autres acheteurs. _ Il avait bien Ă©tĂ© dit, lors de la rĂ©union mensuelle, mais avant l'arrivĂ©e de Marguerite, qu'il fallait agir mais personne n'avait osĂ© l'affronter. Un autre soir, Jean, professeur Ă la retraite, dont la sage expertise en matiĂšre de littĂ©rature leur servait de guide lorsque qu'arrivaient en magasin de nouveaux livres, avait bien fait une tentative _ ? Marguerite, votre protĂ©gĂ© nous aliĂšne une bonne partie de notre clientĂšle ! _ ? Il nous quoi ? s'Ă©tait-elle insurgĂ©e. _ Et de raconter, une fois de plus, comment elle avait rencontrĂ© le vagabond. La scĂšne avait eu lieu deux mois auparavant, un lundi ; il faisait dĂ©jĂ trĂšs froid. Elle et quelques autres avaient passĂ© le week-end Ă sortir des rayons les livres invendables, ceux qui empĂȘchaient les nouvelles acquisitions de trouver leur place sur les Ă©tagĂšres. Ils les avaient dĂ©posĂ©s sur le trottoir en attendant que le peintre qui habitait la mĂȘme rue passe avec sa camionnette pour les dĂ©poser Ă la dĂ©chetterie. C'Ă©tait sa façon Ă lui d'apporter son soutien Ă l'association. Marguerite arrivait au cÂur de la sĂ©quence Ă©motion qu'elle se plaisait Ă revivre _ ? Je vois un gars qui ne fouille pas dans la poubelle comme les autres, mais dans la cagette de livres Ă cĂŽtĂ© ! Il est reparti avec le plus grand, je m'en souviens bien, un livre cartonnĂ© sur les mobiles de Calder, trop abĂźmĂ© pour qu'on puisse espĂ©rer le vendre. La semaine suivante, il est revenu devant la boutique mais, forcĂ©ment, il n'y avait plus de livres sur le trottoir⊠Je l'ai fait entrer et je lui ai dit qu'il pouvait choisir l'ouvrage qu'il voulait et que je le lui offrirais. Il a ouvert de grands yeux et j'ai dĂ» lui rĂ©pĂ©ter ce que je venais de lui proposer. Il a pris son temps ; son choix s'est portĂ© sur un grand format, trĂšs bien illustrĂ©, sur la construction des moulins en Hollande au XVIII° siĂšcle. Nul doute que nous avons affaire Ă un connaisseur ! _ LĂ , elle prenait invariablement le mĂȘme ton jubilatoire quand elle parlait du bonheur qu'elle avait Ă©prouvĂ© de pouvoir apaiser la faim de culture de cet homme affamĂ©. Un homme, transi de froid et de faim, Ă©tait reparti avec un livre qui lui avait procurĂ© autant de chaleur que le cafĂ© qu'elle lui avait servi Et de lancer une fois de plus son vibrant appel Qui, Ă part la bouquinerie, pouvait offrir des livres aux SDF ? D'ailleurs, ce n'Ă©tait pas la bouquinerie qui offrait de temps en temps un livre, mais elle, Marguerite, et qui plus est, de sa poche ! D'ailleurs, il ne s'agissait pas d'en donner Ă tous, mais juste au sien, le seul qui venait en chercher. _ Jean n'avait pas insistĂ© et personne d'autre n'avait osĂ© s'en mĂȘler. Marguerite n'Ă©tait pas quelqu'un de mallĂ©able et ce n'est pas elle qui aurait troquĂ© ses convictions Ă elle contre le prĂȘt-Ă -penser de tous les autres, juste pour profiter de la tiĂ©deur rassurante du troupeau. Les choses en Ă©taient restĂ©es lĂ et, jeudi aprĂšs jeudi, il revenait. _ Une fois le cafĂ© sirotĂ© et la conversation Ă©puisĂ©e, Marguerite lui tendit un petit livre â Cette fois-ci, c'est moi qui _ Sa phrase ne trouva pas assez d'espace pour se dĂ©ployer. _ ? Trop petit çui-lĂ ! On voit bien qu' vous logez pas sous la passerelle ! Fait froid par terre ! Peux pas m'asseoir lĂ -d'ssus quand j'fais la manche ! Nouvelle 055 _ Agir ? Agir, agir se dit-il  aux limites de mes forces  jusqu'Ă l'impossible qui me sortira de l'horreur, me sortira de l'Ă©preuve. Si seulement j'Ă©tais mobile au lieu d'ĂȘtre aussi stupidement couchĂ©, la jambe et l'Ă©paule brisĂ©es, sans nul soutien ! Si de la vallĂ©e j'avais entrepris une tout autre aventure que celle-ci qui vient illustrer mon habituelle pĂ©danterie, l'orgueil que je mets dans la plupart des dĂ©fis que je me lance ; je ne serais pas lĂ seul guide d'une folie qui m'a rompu et m'aveugle Ă mesure que neige et froid rendent la matiĂšre aussi peu mallĂ©able que peut l'ĂȘtre mon ressentiment. Stupide, idiot, crĂ©tin ; c'est ce que je suis et le verdict, hĂ©las est sans appel. Autour de moi, plus rien qu'une luminositĂ© sur le dĂ©clin, qu'une nuit qui trĂšs vite, en un sinistre plan-sĂ©quence, effacera de moi toute prĂ©sence et en moi la plus minime espĂ©rance. Aurais-je soudainement peur ? M'en irais-je troquer les inutiles oripeaux du blessĂ© que la douleur tĂ©tanise Ă peine et que la folie envahit au contraire avec rapiditĂ©, trouvant la passerelle juste  et stable celle-ci -pour atteindre Ă ma conscience du dĂ©sespĂ©rĂ© de la situation contre la jubilatoire ivresse du hĂ©ros inconnu que charrieront les Ă©lĂ©ments et transformeront les fureurs du ciel, tout comme Otzi ? _ Oui j'ai peur, la vallĂ©e ne sait pas que je suis Ă proximitĂ© du ciel ; que je m'en vais dans quelques heures Ă peine mĂȘler mon fragile souvenir Ă la cohorte de ceux qui au fur et Ă mesure des modes et des dĂ©fis, des paris et besoins de se dĂ©couvrir et trouver se sont frottĂ©s Ă elle la montagne ! Et dire qu'hier encore, assis face Ă ma planche Ă dessin, ma tasse de mauvais cafĂ© froid abandonnĂ©e dans un fatras de papiers froissĂ©s  dans un bordel diraient certains qui ne me connaissent pas  je lisais les derniĂšres Ă©preuves du long travail que mes amis de Tombouctou et moi devions publier grĂące au soutien de la Fondation Palabre et Culture. Que n'aurions nous fait ensemble pour que soit promue la richesse de l'oralitĂ© qui Ă©duque sans aliĂ©ner et vĂ©hicule cette force extraordinaire et magnifique du souffle crĂ©ateur  le son est le miroir du mot et l'oral est la chaleur du verbe, avancions nous en introduction de notre Ă©tude  du souffle qui m'abandonne et que je ne peux mĂȘme plus pleurer tant mes yeux sont secs et brulĂ©s par le froid. _ Agir, agir songea t'il ; mais quelle utopie que ceci. Agir comment ; je n'ai pratiquement plus de luciditĂ© ? C'est facile de vouloir et si complexe de rĂ©aliser, et rĂ©aliser quoi ? RĂ©aliser que je me meurs sans secours, sans soutiens, sans regrets et sans amertume. Pourquoi en aurais-je, la Passerelle lĂ -bas esquissĂ© par l'effacement des arbres, de l'horizon, de la vie, de la chaleur et du gris de la vallĂ©e, je vais l'atteindre dans le dĂ©doublement hallucinatoire de l'agonie ; j'y suis dĂ©jĂ , elle est Ă prĂ©sent douce et je suis immobile, les membres gelĂ©s, le cerveau embrumĂ©. Ca y est Otzi, mon vieux, je suis comme toi l'enveloppe figĂ©e, cristallisĂ©e et inerte d'un esprit qui Ă©migre. Je vais Ă mon tour illustrer que l'intrĂ©piditĂ© a d'implacables limites quand de l'horloge du temps le rĂ©el s'en vient aliĂ©ner le conscient. Et inconscient je l'ai Ă©tĂ©. Gravir ainsi les sommets mystĂ©rieux et fĂ©roces Ă peine couvert, mal chaussĂ©, sans un ami, un guide, un raisonneur, qui m'aurait assistĂ©, qui m'aurait aidĂ© Ă agir avec prudence. Mais, que tout cela est loin. Je meurs de froid, d'une immobilitĂ© que j'ai sollicitĂ©e, voulant je le rĂ©alise maintenant troquer le banal d'un quotidien banal contre l'appel du large, Ă jamais pour moi censĂ© illustrer la belle, la juste, la noble mort. J'y suis parvenu, amis de l'Arbre aux Palabres ; votre soutien me manque mais, j'y suis. J'y reste ! Nouvelle 56 _ De la maĂźtrise des codes Depuis plusieurs jours, il faisait trĂšs chaud Ă Paris. Et lĂ , nous Ă©tions surpris par le froid. Avant mĂȘme que les matelots ne relĂšvent la passerelle du ferry, nous nous Ă©tions rĂ©fugiĂ©s au cafĂ© du pont supĂ©rieur. Il y avait un Ă©pais brouillard comme c'est parfois le cas Ă Calais, mĂȘme en juillet, et les mugissements des sirĂšnes des bateaux rentrant au port se mĂȘlaient aux piaillements aigus des goĂ©lands. DĂšs que nous avions embarquĂ©, Bernard avait troquĂ© le pantalon de toile et la chemisette qu'il portait au dĂ©part de Paris pour une tenue dĂ©contractĂ©e plus chaude et confortable. J'essayais de me concentrer sur la lecture du guide du Routard, mais son air maussade me prĂ©occupait. J'essayais sur un ton volontairement jubilatoire Alors, tu n'es pas content que nous partions ensemble en week-end ? Ce n'est pas si frĂ©quent ! ». Il murmura un Oui, bien sĂ»r » peu convaincant. _ A notre arrivĂ©e Ă Londres, vers 15 heures, il faisait encore plus froid. Le soir mĂȘme, nous Ă©tions invitĂ©s au Royal Opera House par James, le boss de Bernard. On y donnait Don Giovanni ». C'Ă©tait une soirĂ©e habillĂ©e » comme les Anglais en raffolent. J'avais emportĂ© une robe longue bien trop lĂ©gĂšre, il allait falloir me trouver une Ă©tole chaude et Ă©lĂ©gante, et rapidement car les magasins ferment tĂŽt ici. Bernard, comme chaque fois qu'il devait assister Ă une cĂ©rĂ©monie protocolaire Ă Londres, avait rĂ©servĂ© son smoking chez le loueur habituel. La premiĂšre fois, le tailleur lui avait envoyĂ© une fiche Ă remplir avec 38 mesures Ă prendre Il avait consenti de mauvaise grĂące Ă se laisser calibrer par mon mĂštre ruban, mais nous avions bien ri ensuite devant la sĂ©quence des rĂ©sultats qu'il avait fallu convertir en inches ! _ SitĂŽt les valises dĂ©posĂ©es, nous sommes donc partis Ă la recherche d'un vĂȘtement pour moi ; la chance Ă©tait avec nous, j'ai trouvĂ© dĂšs le second magasin une veste de demi-saison dont la couleur se mariait Ă celle de ma robe ! Le smoking de Bernard devait ĂȘtre livrĂ© Ă l'hĂŽtel Ă 17 heures. Mais Ă 17h15, toujours rien. Coup de fil au loueur personne. Coup de fil Ă la rĂ©ception pour demander l'adresse d'un autre loueur impossible, Ă cette heure, ils sont tous fermĂ©s ». C'Ă©tait une catastrophe. James Ă©tait du genre psychorigide, peu mallĂ©able, il serait impossible de lui faire l'affront de venir en tenue de week-end. Impossible aussi d'invoquer un retard dans les transports et de ne pas nous rendre Ă cette invitation Bernard et lui s'Ă©taient tĂ©lĂ©phonĂ©s dans la journĂ©e, et il savait que nous Ă©tions Ă Londres. _ C'est alors que nous recevons un appel du rĂ©ceptionniste il a peut-ĂȘtre une solution. Il demande Ă Bernard de le rejoindre dans le hall d'accueil. Une demi-heure plus tard, le voilĂ de retour, portant triomphalement un smoking sur un gros cintre en bois, et une paire de souliers vernis ! Il me raconte qu'aprĂšs de longues palabres avec le maĂźtre d'hĂŽtel, ils Ă©taient tous les trois descendus dans les sous-sols de l'Ă©tablissement. LĂ se trouvait une quantitĂ© inimaginable de smokings suspendus Ă des portants les tenues des serveurs pour les repas de gala ! Le maĂźtre d'hĂŽtel avait le coup d'Âil, et il eut vite fait de trouver un vĂȘtement de bonne taille pour Bernard. Quant aux chaussures, c'Ă©tait encore plus simple car elles Ă©taient rangĂ©es dans des boĂźtes avec une Ă©tiquette mentionnant la pointure. _ Nous arrivons Ă l'OpĂ©ra Ă 18h45 et James me prĂ©sente sa femme, Maggy, que je ne connaissais pas. A peine quelques Ă©changes polis, et la reprĂ©sentation commence. Les paroles des chanteurs dĂ©filent dans une traduction anglaise au-dessus de la scĂšne. Comme nous sommes dans les premiers rangs de l'orchestre, je dois rejeter la tĂȘte loin en arriĂšre pour pouvoir lire et cela devient vite douloureux. La mise en scĂšne est terriblement traditionnelle, et les chanteurs figĂ©s ; je les aurais voulus plus mobiles. Ils donnent l'impression d'illustrer les pĂ©ripĂ©ties de l'action, et non de les vivre. Je lutte pour ne pas m'endormir. _ A la fin du premier acte, les lumiĂšres fusent et tous les spectateurs se prĂ©cipitent en courant vers la sortie. C'est la bousculade, nous sommes sĂ©parĂ©s de nos hĂŽtes, ahuris. Mais arrivĂ©s dans le corridor qui fait le tour de la salle, nous comprenons la raison qui avait poussĂ© les spectateurs Ă agir de la sorte le long des murs, sur de petites Ă©tagĂšres, des bouteilles de vin blanc frais avec des verres attendent ceux qui les avaient commandĂ©es. Chacun s'Ă©tait prĂ©cipitĂ© Ă la recherche du bristol portant son nom. Nous rejoignons enfin James et Maggy. Le vin blanc est servi sec, sans rien Ă manger. Dur, dur quand on s'est levĂ© Ă 5h du matin et qu'on n'a pris qu'un petit dĂ©jeuner rapide, puis un en-cas sur le bateau J'ai du mal Ă saisir les propos dans le brouhaha des conversations et la tĂȘte me tourne. Bernard sourit bĂ©atement. Au moins est-il de meilleur humeur que lors du voyage ! _ Nous reprenons place pour le second acte. Le temps s'Ă©tire lentement. Soudain, je perçois un changement dans la respiration de Bernard plus profonde, plus rĂ©guliĂšre. Dort-il ? Je me tourne vers lui pour voir. Et avant que j'aie pu faire un geste, dans un silence de l'orchestre, un ronflement Ă©norme sort de sa bouche !!! J'ai l'impression que le silence se prolonge anormalement. Personne ne se tourne vers nous. Chacun regarde droit devant soi, moi comprise. Je donne un discret coup de coude dans les cĂŽtes de Bernard pour le rĂ©veiller, et passe toute la fin du spectacle Ă le surveiller. _ Aucune allusion Ă l'incident ne fut faite, ni pendant le dĂźner qui fit suite au spectacle, ni les jours suivants. Mais quelques semaines plus tard, la sociĂ©tĂ© oĂč travaillait Bernard a Ă©tĂ© restructurĂ©e, et il a appris qu'il Ă©tait virĂ© en constatant qu'il ne figurait pas dans le nouvel organigramme de la direction ! Je me suis toujours demandĂ©e si lors de cette soirĂ©e, Bernard ne s'Ă©tait pas aliĂ©nĂ© le soutien de James. Nouvelle 057 _ Féérie Ce matin-lĂ une brume jubilatoire flottait au-dessus de la passerelle. J'attendais en regardant la citĂ©, mon ancienne citĂ©, cachĂ©e par le brouillard comme un rĂȘve d'enfant. Sous mes pieds grouillait le fleuve des bagnoles en partance pour la ville, la vraie, la city », loin de ces tours dĂ©labrĂ©es oĂč nous avons grandi plus ou moins droitement. Rachid est arrivĂ© et m'a traitĂ© de bourge. Il ne comprend pas pourquoi je continue Ă aller au lycĂ©e Gabriel PĂ©ri avec eux. Pour lui je devrais profiter du fric de mon nouveau beau-pĂšre, troquer mon vieux sweet gris contre un duffle-coat bleu marine et suivre les petites blondes des cours privĂ©s. Moi, les petites blondes, ça ne m'avait jamais vraiment intĂ©ressĂ©. Jusqu'Ă ce matin-lĂ , sur la passerelle. _ On allait bientĂŽt ĂȘtre en retard, et Monsieur Guillois nous aurait encore menacĂ© de ses heures de colle qu'il ne nous met jamais, quand deux ombres ont surgi, pas vraiment ensemble, mais avec la brume on n'Ă©tait sĂ»r de rien. C'Ă©tait Abdou, cachĂ© entre une chapka noire et une Ă©charpe de laine. Lui et moi on est comme deux frĂšres, mĂȘme couleur cafĂ© serrĂ©, mĂȘme sourire sans appel, mais pas pour tout le monde, mĂȘmes poings au fond des poches, mĂȘmes silences, sans commentaires, fin du plan sĂ©quence. _ Ce matin-lĂ , juste derriĂšre Abdou, une fĂ©e. Tout ce que je peux dire c'est que ce fut comme une apparition ». Je sais, c'est pas de moi, mais les mots il paraĂźt qu'on peut les emprunter, que c'est pas du vol et qu'il sont Ă tout le monde, que c'est de la vie. Et c'est vrai qu'elle avait l'air sortie de nulle-part cette fille. Ses cheveux clairs mĂȘlĂ©s d'or et de cuivre disparaissaient dans le gris du dĂ©cor, ses yeux brillaient comme deux Ă©meraudes, et alors j'ai compris c'Ă©tait elle. Elle serait Ă la fois ma faiblesse et mon espoir, elle aurait le pouvoir, celui de m'attacher, de m'envoler, de m'aliĂ©ner. _ Rachid n'a pas pu s'empĂȘcher de jouer au petit con. Alors on s'est perdue Princesse ? Faut pas traĂźner dans la citĂ© sans son body guard, ça pourrait ĂȘtre dangereux », il a commencĂ©. Je l'avais dĂ©jĂ vu Ă l'Âuvre avec les filles et j'aimais pas trop ça. Quand il s'est approchĂ©, la fĂ©e a tressailli imperceptiblement. J'ai vu les Ă©meraudes sauter la rambarde et disparaĂźtre sous la passerelle entre les pneus sales ; et j'ai eu peur. J'ai grommelĂ© Allez, fous-lui la paix. Magnez-vous, on va ĂȘtre en retard. » Mais Ă l'intĂ©rieur je flippais grave. C'est sĂ»r, j'allais la perdre pour toujours. Je ne l'avais jamais vue, ni dans la citĂ©, ni dans ces beaux quartiers auxquels j'appartenais dĂ©sormais. Elle n'Ă©tait pas d'ici, oui, elle avait dĂ» se perdre. Elle est passĂ©e devant nous et m'a jetĂ© un coup d'Âil. J'ai vu les Ă©toiles sur sa peau. Elle avait l'air d'une Anglaise, peut-ĂȘtre une Irlandaise. Il paraĂźt qu'il y a beaucoup de fĂ©es dans ces pays-lĂ . J'aurais dĂ» lui sourire, la prendre par la main et me mettre Ă courir. On aurait sĂ©chĂ© les cours, on aurait bu des biĂšres dans les brasseries de la city, elle se serait appelĂ©e Ashley ou Wendy, on aurait rigolĂ©, on aurait Ă©tĂ© heureux. J'ai baissĂ© la tĂȘte et suivi les copains. Pas fier. InfortunĂ©. J'Ă©tais certain de ne jamais la revoir. Deux mondes que tout sĂ©pare, on ne peut pas lutter. _ Ce soir-lĂ , la brume avait laissĂ© place Ă un large foulard bleu nuit parsemĂ© de broderies jaunes et rouges. J'Ă©tais restĂ© au cours de soutien, les maths c'est pas mon truc. Sous la passerelle, la bande molle des autos klaxonneuses formait une parade animĂ©e. BientĂŽt ce serait NoĂ«l, les vacances avec ma pauvre mĂšre trop mallĂ©able et ce type que je n'appellerais jamais papa. J'ai levĂ© le visage et c'est lĂ que j'ai vu l'ombre, une ombre libre, Ă©chappĂ©e, comme dans le Peter Pan illustrĂ© que je lisais petit. Je l'ai tout de suite reconnue. C'Ă©tait celle de la fĂ©e, ma fĂ©e irlandaise. Elle Ă©tait Ă cheval sur la rambarde, en Ă©quilibre prĂ©caire, son sac Ă dos jetĂ© sur le bitume. Le moment n'Ă©tait pas aux palabres, il fallait agir, vite. Mais comment on attrape une ombre, Peter ? J'ai oubliĂ©. A peine le temps de courir vers elle, de jeter un cri ArrĂȘte ! » Il est trop tard. Ma fĂ©e s'est envolĂ©e. Les voitures redoublent de bruit, les portiĂšres claquent, l'incomprĂ©hension, le journal du soir prĂ©pare son accroche, quelqu'un sort un tĂ©lĂ©phone mobile, une ambulance hurle au loin. _ Aujourd'hui il n'y a personne prĂšs de la passerelle. C'est les vacances flocons blancs et cache-nez. Ma fĂ©e n'est pas anglaise. Elle s'appelle Fatiha. Elle vient de sortir du coma. A l'hĂŽpital, sa mĂšre m'a expliquĂ© qu'ils sont originaires d'un petit village du nord du Maroc, colonisĂ© par les Vandales au moyen-Ăąge. Une fĂ©e berbero-scandinave, c'est drĂŽle, les apparences sont parfois joueuses, l'histoire aussi. La famille vient d'arriver dans la citĂ©. Un premier hiver en France, c'est toujours difficile. Ăa et deux trois autres choses. _ DĂ©sormais je suis lĂ pour ma fĂ©e, je serai son guide et elle sera ma foi. Elle ne savait pas que la vie, c'est comme les mots, faut pas avoir peur de prendre, c'est pas du vol. On peut la saisir par les cheveux et ne plus la lĂącher, la vie, elle rue et se cabre parfois, mais c'est du cinĂ©ma, elle veut avoir le denier mot, la vie. _ Le dernier OK, mais pas les autres. Nouvelle 058 _ Ma bonne Ă©toile Jubilatoire. C'est jubilatoire ! VoilĂ ce que j'ai ressenti tout de suite. _ Le jour oĂč je suis devenu propriĂ©taire du soleil, je me suis dit que plus rien de mal ne pouvait m'arriver. Nous allions vieillir ensemble, quoi qu'il arrive. J'Ă©tais dĂ©sormais son maĂźtre, son guide, il m'appartenait. _ C'Ă©tait si simple finalement, personne n'y avait pensĂ© avant moi, personne pendant ces 4,6 milliards d'annĂ©es. Je me suis prĂ©sentĂ© chez mon notaire, je me suis dĂ©clarĂ© l'unique possesseur de l'astre, et comme ça, d'un trait de stylo, je l'ai aliĂ©nĂ©. Je suis propriĂ©taire du soleil, Ă©toile de type spectral G2, qui se trouve au centre du systĂšme solaire, Ă une distance moyenne de la Terre d'environ 149,6 millions de kilomĂštres. » _ JE SUIS PROPRIETAIRE DU SOLEIL. J'ai encore du mal Ă y croire. _ Il existe bien une convention internationale qui interdit Ă un pays d'ĂȘtre propriĂ©taire des planĂštes, mais je ne suis pas un pays, je m'appelle Ange Durand. Ange, c'est pour le cĂŽtĂ© cĂ©leste. Durand, c'est pour le cĂŽtĂ© chĂŽmeur en fin de droit. Et me voilĂ dĂ©sormais le glandeur le plus en vue de l'univers, le seul demandeur d'emploi nanti d'une passerelle vers le Divin, le sans domicile vraiment fixe qui possĂšde un balcon sur la voie lactĂ©e, pas plus grand Ă l'Âil qu'un grain de cafĂ©, mais source de richesse sans commune mesure. _ ? Je suis votre notaire, » me rappelle la moustache Ă complet veston que j'ai honorĂ©e d'un gros chĂšque pris sur mes indemnitĂ©s de licenciement, Ă ce titre je vais me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas. Je ne connais pas le mobile qui vous pousse Ă agir de la sorte, mais sachez que vous allez vers de terribles dĂ©convenues. Cette propriĂ©tĂ© est incommensurable, et les droits que vous aurez Ă payer le seront tout autant. _ ? Vous n'ĂȘtes qu'un jaloux, je n'ai pas besoin de votre soutien. Contentez-vous de rĂ©diger l'acte, et mettez-y les formes. » _ Je n'ai pas tardĂ© Ă comprendre le sens de ses palabres. _ Les services fiscaux ne se sont jamais illustrĂ©s par leur patience et leur gĂ©nĂ©rositĂ©. Avant mĂȘme que j'aie pu tirer le premier bĂ©nĂ©fice de ma divine entreprise, j'ai reçu un appel de mon trĂ©sorier gĂ©nĂ©ral, m'indiquant que, sur la base de l'acte notariĂ© rĂ©fĂ©rencĂ© ci-dessous, je devais m'acquitter auprĂšs de l'administration fiscale de l'impĂŽt sur le foncier non bĂąti correspondant Ă une surface de 6,09 fois 10 puissance 12 kilomĂštres carrĂ©s. _ La sĂ©quence de chiffres qui gravitaient autour de la virgule m'a englouti dans son trou noir. C'Ă©tait tout simplement un montant astronomique. _ J'ai alors entrepris de faire valoir mes droits, auprĂšs de tous les fabricants de panneaux solaires et cellules photovoltaĂŻques, auprĂšs de la tour solaire de Manzanares et de la centrale de Miami, auprĂšs des utilisateurs aussi, les particuliers, les entreprises, tous ceux qui avaient fait installer des capteurs, mais Ă©galement tous les pays qui appĂątaient les touristes en leur vendant des jours d'ensoleillement bref, j'ai contactĂ© tous ces usurpateurs, ces voleurs qui tiraient un profit illicite de MA propriĂ©tĂ©. J'ai menacĂ© de tarir la source, j'ai attaquĂ© en justice, j'ai taxĂ© les photographes adeptes de couchers de soleil, j'ai mĂȘme fait dresser des procĂšs-verbaux sur les plages contre des vacanciers en maillot. J'aurais voulu mettre un compteur pour facturer ma lumiĂšre naturelle, un thermostat pour mesurer la chaleur que je distribuais au monde depuis des millĂ©naires, j'aurais aimĂ© crĂ©er un impĂŽt sur la photosynthĂšse. _ Quelques-uns ont payĂ©, les plus craintifs ou les plus mallĂ©ables. Mais la grande majoritĂ© de l'humanitĂ© a prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre hors-la-loi. Certains extrĂ©mistes ont mĂȘme mis ma tĂȘte Ă prix. La SĂ©cu m'a prĂ©sentĂ© la facture de tous les cancers cutanĂ©s dus Ă l'irradiation. Je suis devenu responsable des cataractes et du vieillissement de la peau, redevable pour les mauvaises rĂ©coltes de sĂ©cheresse, coupable des morts de la canicule. _ Je suis retournĂ© voir mon notaire. _ ? Je n'ai jamais voulu cela Comment aurais-je pu deviner que cette propriĂ©tĂ© contenait tant de vices cachĂ©s ? Est-il possible aujourd'hui, Monsieur le Notaire, de renoncer Ă mes droits, d'annuler, de revendre, de troquer peut-ĂȘtre cette planĂšte contre une autre moins exposĂ©e _ ? Je ne vois qu'une solution le legs. Vous devez lĂ©guer le soleil. Le donner Ă quelqu'un. _ ? Mais qui voudrait aujourd'hui d'un truc pareil ? Qui pourrait ĂȘtre aussi sot et cupide que moi _ ? Rendez-le simplement Ă ceux Ă qui vous l'avez pris. » _ Et j'ai vu la grosse moustache sourire en rĂ©digeant le nouvel acte. _ Je lĂ©guais le soleil aux arbres et aux fleurs, aux poissons, aux forĂȘts, aux ocĂ©ans, aux oiseaux, aux marĂ©es, aux vents, Ă la pluie, aux nuages, aux insectes, aux champignons, aux rĂ©coltes, aux vendanges, au plaisir, Ă l'ivresse, Ă la poĂ©sie, Ă l'amour Je n'omis rien de ce que le soleil faisait vivre gratuitement depuis des milliards d'annĂ©es. Mais je ne citais personne. Nouvelle 059 _ PrĂȘte Ă tout _ C'Ă©tait au cafĂ© du coin enfin ce qu'il en restait de ruines, Ă 8 heures 03 exactement, qu'ils avaient reçu l'appel, et connaissant ma situation, l'avaient renvoyĂ© sur mon implant. _ J'avais rĂ©pondu Ă l'offre sans aucun espoir, comme ça, pour m'occuper, pour dĂ©conner. Quand on est chĂŽmeur ou chĂŽmeuse, on se trouve des choses Ă faire, on s'invente des activitĂ©s. Il convient d'agir chaque jour pour continuer Ă vivre sans tomber dans la dĂ©prime. AprĂšs cinquante annĂ©es, aliĂ©nĂ©e de travail, c'Ă©tait naturel. Et ça avait marchĂ©, incroyable, j'Ă©tais convoquĂ©e pour un entretien ! J'allais troquer mes allures d'acheteuse de multinationale en perdition contre celles d'employĂ©e mobile, efficace, mallĂ©able et plaisante de surcroĂźt. _ Pas besoin de palabres, j'Ă©tais dĂ©jĂ en mon for intĂ©rieur prĂȘte pour le job, intimement convaincue du soutien que je pourrais apporter Ă leur public. J'en rajoutai une couche en pensĂ©e avec la sĂ©quence suivante Pour mieux les convaincre de travailler ensemble, eux et moi, pour illustrer ma motivation sans faille, je serai disposĂ©e comme dans les anciens rituels d'acceptation mafieuse Ă mĂȘler mon sang au leur. _ Et peu importe la couleur de la peau, la mienne blanche au service de la leur, glauque. Je serai attendue par un guide au pied de la passerelle de la navette, qui me conduirait vers mon nouveau parc de travail, jubilatoire, n'est-ce pas ? _ Peu importe puisqu'enfin, j'aurais trouvĂ© du taf jusqu'Ă la retraite en correspondant parfaitement Ă l'annonce _ La planĂšte Osiris 2952 recherche vieilles femelles qualifiĂ©es en culture et alimentation terrestres pour gardiennage en zoo de faune humaine » Nouvelle 60 _ Agir, Guide, Appel, Passerelle, Ensemble, Jubilatoire, AliĂ©ner, Palabre, CafĂ©, MallĂ©able, Soutien, SĂ©quence, Illustrer, MĂȘler, Mobile, Troquer. Les lĂącher, s'en dĂ©barrasser de suite. Peut-ĂȘtre qu'il rĂ©ussira Ă replacer ces mots une seconde fois mais il n'en est pas convaincu. Ce serait trop facile de les laisser ainsi et de ne pas y revenir. Tout de mĂȘme. _ Notre hĂ©ros aurait voulu ĂȘtre Ă©crivain mais ne s'est pas acharnĂ© pour le devenir. Alors il s'est rĂ©signĂ©. Ce n'est peut-ĂȘtre pas exactement cela. Il n'a pas cherchĂ© plus que ça Ă l'ĂȘtre, soyons honnĂȘte. Il aurait pu acheter un guide L'Ă©criture pour les Nuls » mais il ne l'a pas trouvĂ© Ă la FNAC. Il aurait aimĂ© ĂȘtre Ă©crivain se dit-il, et ça, il n'en doute pas trop. Vivre une vie dans les cafĂ©s, se mĂȘler aux piliers de bars et discuter de la modernitĂ© ou de ces gens aliĂ©nĂ©s par leur argent et qui ont troquĂ©s leur Ăąme pour un confort superficiel. Et puis Ă©crire tout cela, pendant quelques heures de la nuit. Peut-ĂȘtre réécrirait-il une version moderne la NausĂ©e. Ou pas. _ Il. Lui. Cet homme qui serait incapable de se dĂ©crire. Il a bien un prĂ©nom mais ce ne sont que des lettres sur une carte d'identitĂ© et le son par lequel ses proches l'appellent. Quelle valeur peut-on accorder Ă cela ? Il serait exactement le mĂȘme s'il s'appelait Maxime, JĂ©rĂ©my, Alban ou Thibault. Mais disons, puisque cela nous permettra de l'identifier, qu'il s'appelle Hans. _ Il ne servirait Ă rien d'en savoir beaucoup plus sur notre hĂ©ros et puis ce serait difficile, nous n'avons que deux pages pour Ă©crire la nouvelle. Nous pouvons dire que Hans parle peu. Il considĂšre qu'il vaut toujours mieux Ă©couter les autres pour apprendre et la parole n'est Ă ses yeux que pour exprimer ses nĂ©cessitĂ©s. Ou presque. Il ne se limite heureusement pas aux phrases J'ai faim » ou J'ai soif ». La parole est spontanĂ©e lĂ ou l'Ă©criture est rĂ©flĂ©chie. Bien sĂ»re, pour des entretiens d'embauches ou des oraux, notre hĂ©ros a Ă©tĂ© capable de s'illustrer avec des phrases prĂ©mĂąchĂ©es du meilleur effet. Il a compris ce qu'il faisait un jour en dĂ©couvrant ce mot anglais, bullshit, qui n'a pas d'Ă©quivalent en français. Hans est un bullshiter nĂ©. Il aurait Ă©tĂ© un trĂšs bon footballeur l'essentiel, c'est les trois points ». Notre vie sociale est le fruit de nos paroles et non de nos Ă©crits a-t-il toujours pensĂ©. Pour ça, Hans a son catalogue de bullshit et sait s'en servir. Heureusement, les sons disparaissent aussitĂŽt qu'ils sortent de notre bouche. La vitesse du son propulse nos paroles dans le vide. Pour ĂȘtre propulsĂ© dans le vide, qu'importe que ses mots sonnent creux. Les mots Ă©crits, eux, ont cet avantage de ne disparaĂźtre que quand l'autre le veut. _Hans est trop jeune pour savoir s'il gardera ses lettres d'amours et ses bulletins scolaires mais rien ne l'en empĂȘche se dit-il. Quant Ă ce qu'ont pu lui dire tout ses proches, il aura presque tout oubliĂ©. Des milliers d'heures Ă Ă©couter ces palabres pour si peu. Pour maintenir sa vie sociale. Quoi qu'il en pense, notre hĂ©ros ne supporterait pas la solitude et a besoin du soutien de ses amis, parfois. Amis sur lesquels, souvent, il a Ă©crit. _ Parce qu'il garde un bon souvenir de ces moments oĂč il Ă©crivait, Hans voudrait Ă©crire cette nouvelle pour ce concours. Il n'aime pas la direction qu'on voudrait lui imposer par ces trop nombreux mots mais reconnaĂźt quand mĂȘme qu'il faut des rĂšgles. Il pourrait dire qu'il s'en fiche, qu'il est libre et qu'il n'Ă©crira pas sur le commerce Ă©quitable. Mais c'Ă©tait cela ou le concours de discours du ministĂšre de l'IntĂ©rieur oĂč il fallait placer les mots sĂ©curitĂ©, violence, roms, charter, identitĂ©, Hortefeux. Bon grĂ©, mal grĂ©, il a choisi le concours d'Oxfam. _ Pour Ă©viter un discours altermondialiste, il a trouvĂ© une passerelle ; comme une sorte d'Ă©chappatoire. Il n'est pas un rebelle, seulement impertinent et ne veut pas ĂȘtre dĂ©classifiĂ©. _ Il n'a pas peur de la feuille blanche, ce mythe. Il a pris son crayon et Ă©crit facilement ses premiĂšres phrases. Facilement, trop facilement. Il se demande s'il ne devrait pas faire plus d'efforts pour ce concours. Il pourra toujours retoucher son texte des centaines de fois. Il en a l'habitude. Oter, remplacer, replacer, dĂ©placer, réécrire. Comme si le texte Ă©tait un Ă©quilibre et qu'Ă chaque changement de mots, la structure Ă©tait sans dessus dessous et qu'il fallait lui trouver un nouvel Ă©quilibre. Tout est mallĂ©able in fine, se dit-il, et c'est un ensemble, n'est ce pas ? Pas une addition d'idĂ©es ou une addition de belles phrases. D'ailleurs ça l'arrange, aucune de ses phrases ne sont belles. _ Hans serait le pire des contremaitres. Il commencerait les travaux de construction d'une maison sans plan, sur une intuition et ferait tout modifier une fois celle-ci construite. Agir avant de rĂ©flĂ©chir serait sa devise. Peut-ĂȘtre simplement oublie-t-il que le plan et la sĂ©quence sont dans sa tĂȘte et qu'il n'a jamais commencĂ© Ă Ă©crire sans avoir imaginĂ© les premiĂšres phrases et les Ă©lĂ©ments clĂ©s de son texte, au calme dans le noir et le silence, blotti sous sa couverture, prĂȘt Ă se coucher. _ Hans s'est souvent questionnĂ© sur l'analogie entre un texte et une maison. Les plans lui rappellent trop l'Ă©cole, ses dissertations en histoire oĂč il ne restait plus de place Ă une quelconque libertĂ© aprĂšs l'Ă©criture de son plan. Mais comme on ne pouvait pas réécrire l'histoire, c'Ă©tait peut-ĂȘtre mieux ainsi. Ce n'est pas l'Ă©cole qui lui a donnĂ© le goĂ»t de l'Ă©criture. Cela ne vient pas non plus d'un quelconque appel. Hans a entendu des milliers d'histoires de ces personnes qui avaient reçu un appel avant de devenir prĂȘtre, bonne sÂur ou mauvais pĂšre. Mais non, il n'y a pas de place au doute quand il regarde sur son mobile, Dieu ne l'a pas appelĂ© et n'a pas non plus envoyĂ© de texto Ta voKtion Ă© dĂȘtr Ă©kriv1 ». Et comme il ne sait que peu de choses sur lui, il ne saurait pas dire d'oĂč lui vient ce goĂ»t pour l'Ă©criture. _ Hans va donc commencer Ă Ă©crire et Ă cet instant jubilatoire, tout est dĂ©jĂ Ă©crit. Il voit dĂ©jĂ les autres lui dire que son histoire n'a pas commencĂ©. Nouvelle 061 _ Concours Le rĂšglement du concours lui a Ă©tĂ© donnĂ© il y a deux jours Ă peine par son ami Albe. Kirx qui aime particuliĂšrement Ă©crire s'est jetĂ© dessus comme la misĂšre sur le peuple. Non qu'il soit en panne d'idĂ©es novatrices, mais cette opportunitĂ© propice Ă crĂ©er encore une autre histoire, ne peut que lui plaire. Albe en son temps, lui aussi Ă©crivait puis, pris par le tourbillon de sa vie si intense et fourmillante, a peu Ă peu abandonnĂ© ce divertissement qui reste Ă dire vrai plus un Ă©tat qu'une simple occupation. _ De temps en temps, Kirx lui envoie quelques textes Ă lire et Albe lui donne son avis, reconnaissant Ă juste titre son talent Ă manier les mots, la subtilitĂ© du dĂ©roulement inattendu des intrigues ainsi que son imaginaire parfois dĂ©bridĂ© amenant une spontanĂ©itĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment maitrisĂ©e. _ Cette fois-ci, le concours Ă rendre d'ici une huitaine de jours comporte non pas un thĂšme Ă respecter mais, outre des astreintes typographiques, des mots Ă insĂ©rer dans le texte. Un vrai dĂ©fi pour Kirx qui a pour habitude d'Ă©crire librement sans s'imposer quoi que ce soit. _ Il se met Ă la tĂąche immĂ©diatement et commence Ă jongler avec les contraintes. _ Il fait plusieurs essais, aussi hasardeux que loufoques mais aucun ne lui sied pour commencer une histoire dont il n'a pas la moindre idĂ©e du sujet qu'il pourrait traiter. Finalement il se lance Ă l'eau sans trop rĂ©flĂ©chir. Le lĂącher-prise est encore le mieux. _ L'appel de la Passerelle Ă l'angle du CafĂ© le guide en un Ă©lan jubilatoire. Sans palabre ni prĂ©ambule aussi mallĂ©able qu'incertain, il s'Ă©lance un peu comme le bĂ©lier qu'il est. Agir reste l'essentiel. Sans soutien ni mobile apparent, il troque ses sĂ©quences intĂ©rieures aussi secrĂštes qu'Ă©tranges contre une bonne introduction qui tient la route s'appuyant sur ses acquis d'Ă©cole primaire. Le personnage, Kadrouss, nĂ© de ces contraintes illustre un aliĂ©nĂ© de premiĂšre classe qui se mĂȘle sans trop savoir pourquoi Ă des passants pressĂ©s d'emprunter Ă©galement la Passerelle. Ensemble, ils iront revendiquer leurs droits d'hommes bafouĂ©s⊠» _ Le reste va de soi. Kirx achĂšve sa nouvelle de deux pages, relit, peaufine, enregistre, laisse son clavier et sa souris. Il s'habille chaudement, s'en va faire un tour, histoire de se changer les idĂ©es. _ Kirx maintenant marche vers la Passerelle Ă l'angle du CafĂ©, l'emprunte. Elle est dĂ©serte Ă cette heure tardive et juste Ă©clairĂ©e par quelques lampadaires diffusant un Ă©clairage plutĂŽt orangĂ©. Il poursuit, solitaire, sa balade vers la rue des Embranchements qui donne sur le Grand Boulevard des GĂ©nĂ©raux. Au loin, le Pont Mireau traverse le fleuve. Il aime ce cĂŽtĂ© de la ville qui donne un air d'ailleurs. Il parcourt le Pont quand il voit arriver en face de lui un personnage en manteau noir avec un chapeau rond et une longue Ă©charpe flottant au vent du soir. _ Ils se croisent sans mot mais se regardent intensĂ©ment. Kirx a la drĂŽle impression de le connaĂźtre sans toutefois pouvoir l'identifier. Il se retourne mais le quidam a dĂ©jĂ disparu comme une ombre s'Ă©vanouissant dans la nuit. _ Il fait demi-tour et rentre Ă son logis. Il est las, dĂ©cide d'aller se coucher. Rien de tel qu'une bonne nuit. Il rĂȘve du personnage rencontrĂ© sur le Pont, de cette tĂȘte Ă peine visible emmitouflĂ©e dans sa longue Ă©charpe qui flotte au vent. L'homme lui crie quelque chose comme s'il lui en voulait mais Kirx ne peut comprendre tant les mots restent inaudibles. _ Il s'Ă©veille de fort mauvaise humeur, repense Ă ce rĂȘve absurde. _ Il ouvre son ordinateur, cherche parmi ses fichiers, la nouvelle Ă©crite la veille. Enfin, au bout d'un certain temps, elle s'affiche Ă l'Ă©cran. Il la relit attentivement. _ Kadrouss, ce fou, avait disparu. Nouvelle 062 _ Fait divers insolite Par une douce soirĂ©e d'Ă©tĂ©, Ninon terminait de dresser la table pour un petit dĂźner entre amis. Ceux-ci allaient arriver d'une minute Ă l'autre. La jeune femme, Corinne et Louis profitaient tous trois de leur rĂ©union mensuelle pour jouer des scĂ©nettes et rĂ©citer quelques poĂšmes aprĂšs avoir pris leur repas ensemble dans une ambiance amicale et souvent animĂ©e. _ Soudain, Ninon fut interrompue par un appel au secours. En face de chez elle, une femme secouait un homme brutalement. Elle ne resta pas figĂ©e bien longtemps. Il fallait agir. Attrapant au vol son mobile et ses clefs, elle se rua sur la passerelle qui enjambe la route sĂ©parant la citĂ© en deux blocs de bĂątiments. La jeune femme se mĂȘla au groupe de badauds qui observaient la scĂšne, glana quelques informations. Elle apprit ainsi qu'il s'agissait d'un couple mariĂ©, dont les scĂšnes de mĂ©nage se rĂ©pĂ©taient Ă une frĂ©quence de plus en plus rapprochĂ©e. La femme avait frappĂ© son homme Ă coups de poings dans le ventre et au visage. _ Qu'il est rĂ©voltant de voir de quelle maniĂšre certaines femmes peuvent amener un homme Ă aliĂ©ner son indĂ©pendance ! Ce constat lui Ă©tait insupportable. Inacceptable aussi l'hilaritĂ© gĂ©nĂ©rale des tĂ©moins qui trouvaient la situation de l'homme battu dĂ©sopilante ! Ninon se sentit immĂ©diatement solidaire. Il lui fallait apporter son soutien Ă la victime, et vite ! Mais seule, qu'allait-elle pouvoir faire face Ă cette furie ? Une nana taillĂ©e comme un boxeur, toute en muscles ! _ Scrutant l'autre cĂŽtĂ© de la rue, elle vit que Louis arrivait Ă leur rendez-vous et lui envoya un message sur son portable. Il regarda autour de lui, hĂ©sitant. Ninon l'appela au tĂ©lĂ©phone pour lui servir de guide car, manifestement, il ne connaissait pas le passage. Sur ses indications, il s'engagea sur la passerelle. Quand il comprit la situation, il accĂ©lĂ©ra le pas et finit le trajet en courant. Louis intervint sur le champ pour stopper les coups et neutraliser la violence de cette femme. DĂšs qu'Yvon fut libĂ©rĂ© des griffes de sa tortionnaire, Ninon troqua sa position de badaud pour celle de secouriste-amateur et s'occupa de lui. La police, appelĂ©e par un tĂ©moin de la rixe emmena la coupable, aprĂšs d'interminables palabres. Cette situation leur paraissait tellement invraisemblable que les policiers voulaient embarquer la victime, la prenant pour le coupable. _ Dans l'action, Louis avait reçu des coups de pied. Il se frottait la jambe droite. Sur le tibia, une enflure apparaissait dĂ©jĂ et il en garderait le souvenir pendant un certain temps ; un bel hĂ©matome en perspective ! _ Ninon proposa d'accompagner Yvon chez un mĂ©decin. Son Ă©tat nĂ©cessitait des soins. De plus il aurait tout intĂ©rĂȘt Ă faire constater ses blessures. Un certificat mĂ©dical lui servirait de preuve si un jour, il souhaitait faire appel Ă la justice. Pour le moment, il n'y songeait pas. C'Ă©tait un homme d'aspect plutĂŽt frĂȘle, qui paraissait complĂštement apeurĂ©. _ Ninon n'insista pas. Pas ce soir-lĂ ! Elle prĂ©fĂ©ra ne pas le brusquer, pensant qu'il Ă©tait dĂ©jĂ assez choquĂ© par ce qu'il venait de vivre. Yvon voulait plutĂŽt aller se terrer seul chez lui, se cacher. Par contre, lĂ -dessus, Ninon ne cĂ©da pas. Pas question de le laisser rentrer chez lui, vu l'Ă©tat Ă©motionnel dans lequel il se trouvait ! Elle s'y opposa avec tact mais fermement, et aprĂšs une longue discussion, l'homme, Ă courts d'arguments, accepta de se joindre au groupe pour le reste de la soirĂ©e. _ Pendant que les amis de Ninon servaient l'apĂ©ritif, celle-ci passa doucement une compresse sur l'Âil tumĂ©fiĂ© d'Yvon et tenta de le faire parler. Il commença Ă se dĂ©tendre, mais livra peu de lui-mĂȘme. Ce n'est qu'au cours du repas qu'il parvint Ă exposer des bribes de sa situation. Il expliqua qu'au quotidien, il se surveillait en permanence, qu'il faisait son possible pour ne pas contrarier sa compagne, essayait d'ĂȘtre le plus mallĂ©able possible. Et malgrĂ© cela, elle explosait sans raison, le malmenait rĂ©guliĂšrement, lui faisait des scĂšnes de plus en plus violentes. D'autres sujets vinrent alimenter leur conversation, notamment le pourquoi de ces rencontres. Si bien que lorsqu'ils en furent au cafĂ©, Yvon savait tout sur leurs petites rĂ©unions. A leur grand Ă©tonnement, leur invitĂ© de derniĂšre minute demanda timidement Ă participer Ă la sĂ©ance théùtrale de ce jeudi. Yvon leur confia qu'il souhaitait illustrer le calvaire qu'il vivait dans son couple par une petite sĂ©quence d'improvisation. Heureux de partager leur divertissement avec lui, ils acceptĂšrent avec enthousiasme. Corinne se proposa pour endosser le rĂŽle de la femme jalouse, mais refusa de dire pourquoi elle avait tant envie de l'incarner. A cette occasion, Yvon leur apprit qu'il avait Ă©tĂ© un enfant battu et qu'il avait Ă©tĂ© hospitalisĂ© Ă plusieurs reprises suite aux mauvais traitements subis. Dans ce rĂŽle oĂč il se mettait lui-mĂȘme en scĂšne, Yvon rĂ©gla des comptes avec sa mĂšre, qui fut incarnĂ©e par Ninon, et avec son Ă©pouse en exprimant Ă leurs substituts ce qu'il avait dĂ» taire toute sa vie. Il surprit les trois compĂšres par son ton jubilatoire et par son humour dĂ©capant. Aucun des quatre n'oublierait cette soirĂ©e mĂ©morable ! _ Le lendemain, Yvon dĂ©cida d'aller chez le mĂ©decin, puis de se rendre au commissariat pour dĂ©poser une plainte. Il prit mĂȘme rendez-vous avec un psychologue dont Ninon lui avait communiquĂ© les coordonnĂ©es. Elle savait d'expĂ©rience que, pour lui, de grandes difficultĂ©s viendraient s'ajouter aux prĂ©cĂ©dentes. C'Ă©tait un passage obligĂ© pour qu'il reprenne sa vie en main! Nouvelle 063 _ Lucien Nous Ă©tions les enfants de ce nouveau siĂšcle et sommes partis ensemble en train dans des wagons bondĂ©s avec la joie et l'insouciance aveugle de nos vingt ans. Nous avions rĂ©pondu comme un seul homme Ă l'appel. Sans mobile, certains par devoir. Beaucoup d'entre nous y sommes restĂ©s, et les survivants, s'ils n'Ă©taient pas affreusement mutilĂ©s, la peau brĂ»lĂ©e par les gaz de combat ou la tĂȘte cassĂ©e, gardaient en souvenir les horreurs qu'ils avaient vues de leurs propres yeux, daguerrĂ©otype de l'enfer Ă jamais graver Ă mĂȘme l'iris au point de leur refuser les rĂȘves du sommeil. _ Les premiers jours on ne faisait que marcher. Long convoi humain silencieux dĂ©chirant le rideau des brumes matinales, sĂ©quence interminable, la tĂȘte basse, sans Ă©changer la moindre parole. AliĂ©nĂ©s par toutes ces heures, on finissait par attendre la nuit comme la promesse future du repos, en dĂ©posant sac et fusil pour soulager de nos frĂȘles Ă©paules le poids d'une vie devenu trop Ă©crasante. Au loin on entendait le vacarme sourd des obus. Il pleuvait sans interruption depuis des semaines. On regardait la campagne sous un voile de gouttelettes d'eau, comme tombant d'une gouttiĂšre percĂ©e qu'Ă©tait devenu le bord de nos casques. Des cauchemars me hantaient tout le jour. A croire que la fin du monde, dont le curĂ© de mon village natal nous parlait durant les dimanches lointains de l'hiver, Ă©tait proche les tranchĂ©es serpentant dans la plaine, qui faisaient comme une course d'intestins Ă©talĂ©s Ă la surface des choses, s'inonderaient. Un dĂ©ferlement de furie emporterait dans des riviĂšres de boue des hommes Ă l'agonie, sans nul soutien, comme des pantins noyĂ©s sur la terre ferme sans avoir combattu. _ Il ne faut pas croire mais sĂ©rieux nous avions nos jours de bonheur. Un sourire pouvait s'arracher de nos faces terreuses. Si la mort nous surprenait subitement, elle nous emporterait avec ce rictus clownesque figĂ© sur nos faciĂšs de pauvres automates. De toute la compagnie, je ne garde nettement que la mĂ©moire d'un visage encore poupin malgrĂ© sa grossiĂšre moustache d'avaleur de sabres. Il faut que je vous parle de Lucien. Fils de boucher dans le civil, il venait de la ville. On dit qu'il Ă©tait allĂ© voir ce que certains appelaient dĂ©jĂ du cinĂ©ma dans des salles enfumĂ©es sur les boulevards parisiens. Lui me parlait de magie, d'une locomotive fracassĂ©e prĂšs d'un kiosque Ă journaux de la gare Montparnasse. Films enchanteurs d'une poignĂ©e de minute projetĂ©s dans des foires oĂč la pellicule illustrĂ©e imprĂ©gnait la rĂ©tine des spectateurs de rĂȘve d'opium et leur faisait prendre leur tĂȘte pour du caoutchouc mallĂ©able. Enthousiaste et jubilatoire, Lucien m'en rapportait comme d'une des quatre cents farces du diable. C'Ă©tait du rĂȘve qu'il me donnait, une passerelle vers un monde inconnu, c'Ă©tait comme du pain. Ses paroles agissaient sur mon cÂur comme la pĂ©nicilline. Autour de nous, les couches de cendres, les arbres dĂ©capitĂ©s lui rappelait les paysages de lune qu'il avait vus dans les films de MĂ©liĂšs. Tout donnait lieu Ă de merveilleuses palabres. Il n'Ă©tait pas le vieux brisquard de la compagnie, nulle mĂ©daille dorĂ©e accrochĂ©e Ă la boutonniĂšre de son uniforme, mais on l'Ă©coutait quand il pĂ©rorait, la pipe au bec, un cafĂ© Ă la main et la barbe fleurie. Il Ă©tait escamoteur il avait troquĂ© sa vie de soldat contre celle d'artiste. On l'imaginait poĂšte. Il Ă©tait notre guide. _ Aujourd'hui Lucien n'est plus qu'un nom gravĂ© dans le marbre d'un monument aux morts Ă la mĂšre Patrie, non loin d'une Ă©cole communale, quelque part dans un village au Nord de l'Aisne. Son Ă©toile s'est mĂȘlĂ©e Ă la mienne. La terre a finit par nous engloutir tous et de la chaire de nos Ăąmes a jailli les racines des arbres Ă la sĂšve de sang. Nouvelle 064 _ Ascension vers le bonheur AgrippĂ©e Ă la paroi rocheuse au-dessus du vide, je commençais Ă regretter d'avoir fait ce pari stupide Qu'est-ce qui m'avait pris de soutenir Ă cet imbĂ©cile de Ruben que je pouvais grimper le mont Ribier, moi qui n'avais jamais fait d'alpinisme ? Sans doute ai-je voulu garder la face devant BĂ©rangĂšre, elle qui rivalise avec les hommes au snowboard et que Ruben semble tant admirer En attendant, je n'en menais pas large et la crise de panique me guettait. Mon guide m'encourageait patiemment. Il avait dĂ©jĂ eu tant de mal Ă me faire prendre la passerelle en corde qui tremblait Ă chacun de nos pas. La nuit allait bientĂŽt tomber et il fallait agir. Ses mots rĂ©sonnaient comme des palabres tant je redoutais d'avancer. Mes bras et mes cuisses tĂ©tanisĂ©s, mon cerveau embrumĂ©, je n'avais plus la notion du temps ni de la situation. Puis j'ai pensĂ© Ă Ruben, au sourire jubilatoire qu'il aurait en apprenant que mon guide avait dĂ» faire appel Ă des secours pour me sortir de cette impasse. Quelle humiliation ce serait et quelle aubaine pour BĂ©rangĂšre de me ridiculiser. Je sentis la colĂšre monter en moi et finalement, cette idĂ©e me ragaillardit. Je retrouvai mes esprits et rĂ©ussis Ă continuer la progression. Je troquai ma peur contre un nouvel Ă©lan, bien dĂ©cidĂ©e Ă redescendre victorieuse de mon Ă©popĂ©e montagnarde. Un peu plus bas, mon pied reconnut la terre plus mallĂ©able que la roche et je me sentis rassurĂ©e. J'Ă©tais en sueur, rougie par les efforts, griffĂ©e par les rochers, mais contente d'ĂȘtre allĂ©e jusqu'au bout. Mon guide avait filmĂ© quelques sĂ©quences avec son mobile aussi, je lui demandai gentiment de supprimer le passage de mon dĂ©shonneur, je ne tenais pas Ă m'illustrer en poltronne et mon guide m'affirma que j'avais tout son soutien. Pour le remercier, je proposai de prendre un cafĂ© ensemble au bar du Bellevue, le repĂšre de mon cher Ruben. _ Nous Ă©tions entrain de discuter lorsque Ruben arriva. J'eus tout de suite l'impression qu'il me cherchait. Je l'invitai Ă se mĂȘler Ă nous et il vint s'assoir prĂšs de moi. Je sentis alors immĂ©diatement mon cÂur battre plus fort. Mon guide lui parla de mon courage, de mon aisance sur la roche et je devinai un nouveau regard de Ruben sur moi, on aurait dit qu'il avait une sorte d'admiration. _ Plus tard, dans la soirĂ©e, Ruben m'offrit mon premier baiser, si tendre, si troublant que je me demandais comment j'avais pu m'aliĂ©ner l'esprit pendant tant de mois, persuadĂ©e qu'il ne s'intĂ©ressait pas Ă moi Il m'avoua qu'il m'aimait depuis le premier jour et qu'il considĂ©rait BĂ©rangĂšre comme une petite sÂur. Finalement, en dĂ©passant mes limites, j'avais dĂ©passĂ© mes peurs, mes complexes, j'avais enfin confiance en moi, et j'avais surtout gagnĂ© l'amour de Ruben. Nouvelle 065 _ La derniĂšre cartouche CachĂ© derriĂšre un cromlech improvisĂ© sous mon lit superposĂ© avec des couvertures et autres matĂ©riaux mallĂ©ables, je sortis brusquement vĂȘtu d'un dĂ©guisement de cowboy, arme au poing. Le seul dĂ©tail qui ne collait pas dans mon accoutrement c'Ă©tait le turban de touareg que je m'Ă©tais enroulĂ© en guise de chapeau. Un cowboy ne doit jamais ĂȘtre pris au dĂ©pourvu, et j'avais malencontreusement Ă©garĂ© mon couvre-chef ! _ Fils unique et donc bien souvent seul pour jouer, je m'Ă©tais inventĂ© un univers chaotique et jubilatoire oĂč, tantĂŽt les indiens remportaient la bataille, tantĂŽt les cowboys massacraient quelques milliers de peaux rouges. Quoiqu'il en soit les uns et les autres avaient toujours un excellent mobile ! _ Pour l'instant rien n'Ă©tait gagnĂ© et mĂȘme si, fort de mon courage et de ma tĂ©mĂ©ritĂ© j'avais devancĂ© l'appel, j'essayais avant tout de sauver ma peau compte-tenu que j'Ă©tais le seul survivant dans cette contrĂ©e hostile. Plus qu'une balle dans le rĂ©volver et dans la poche de mon gilet, un peu de poivre mĂȘlĂ© Ă quelques grains de sel que je gardais prĂ©cieusement pour surprendre l'adversaire si besoin Ă©tait. J'avais vu ça dans les films. Quand on se retrouve Ă terre, rien de plus efficace que d'envoyer de la poudre dans les yeux de son ennemi jurĂ©. J'Ă©tais parĂ© !! _ Je guettais la porte d'entrĂ©e de ma chambre, qui Ă©tait en fait l'entrĂ©e du canyon, seul passage Ă dĂ©couvert par lequel les indiens viendraient me rĂ©gler mon compte. Cela ressemblerait sans nul doute Ă un meurtre, vu qu'ils Ă©taient des centaines et moi tout seul. _ Ne dit-on pas que la meilleure dĂ©fense est l'attaque ? Il fallait agir ! Je pris 2 longues respirations et m'Ă©lança en direction de la passerelle qui surplombait le canyon, en lançant mon terrible cri de guerre qui me valait mon surnom de vocifĂ©ror ». Au mĂȘme moment l'ennemi avait donnĂ© le signal pour la sĂ©quence extermination finale » et je dĂ©cidais Ă la hĂąte de rebrousser chemin pour me mettre Ă l'abri derriĂšre un rocher. Vue la situation dĂ©sespĂ©rĂ©e et faute de soutien d'aucune part, je dĂ©cidais en tout Ă©tat de cause de capituler sans autres palabres. J'attrapais la carte illustrĂ©e qui me servait de guide et de plan d'attaque que je brandissais tel un drapeau blanc. _ Les deux chefs sioux, totalement aliĂ©nĂ©s, firent ensemble leur entrĂ©e, un cafĂ© Ă la main LĂ©o c'est toi qui as troquĂ© notre feuille d'impĂŽt contre cet Ă©tendard chiffonnĂ©, cela fait prĂȘt d'une heure que nous essayons en vain de mettre la main dessus ! » Nouvelle 066 _ Charlie Grain de cafĂ© » _ Charlie a travaillĂ© dur encore cette annĂ©e. _ Sa famille a travaillĂ© dur, elle s'est Ă©chinĂ©e.   ; _ On le dit mallĂ©able, il est mobile l'Ă©thiopien. _ On lui dit d'agir, on le guide, c'est du soutien.   ; _ Tous ensemble, Ă l'appel, pour la journĂ©e _ Formez une passerelle bien ordonnĂ©e.   ; _ Pas de palabre sous l'arbre, trop ancien, _ Juste des sĂ©quences illustrĂ©es d'Ă©picurien.   ; _ Quand Oxfam s'en mĂȘle, l'affaire est bien menĂ©e, _ Pas une graine n'aliĂšnera la maisonnĂ©e.   ; _ C'est jubilatoire le cafĂ©, c'est ambrosien _ Charlie est au comptoir, il troque le sien. Nouvelle 067 _ Incarnation. Une boule de lumiĂšre bleue fusa du concert de voix cĂ©lestes et plongea dans les couches infĂ©rieures de l'univers. Elle traversa l'aurore borĂ©ale d'une minuscule planĂšte et se posa prĂšs d'une cascade tourbillonnante d'Ă©cumes et de rires alors qu'une colonne d'eau soulevait un enfant Ă plusieurs mĂštres de hauteur. La gerbe se brisa brutalement en mille pĂ©tales de roses et Le garçon retomba dans le bassin en poussant un cri de surprise. Une petite fille aux cheveux d'or se jeta sur lui pour l'entraĂźner au fond puis elle se rua ensuite sur les autres enfants. _ Un bel EphĂšbe se matĂ©rialisa sur la berge. Il plongea ses yeux turquoise dans ceux de la fillette. Elle le dĂ©visagea Ă©tonnĂ©e et courut vers lui pour sauter dans ses bras. Leurs Ă©nergies se mĂȘlĂšrent en crĂ©pitant, faisant fuir les papillons qui volaient autour d'elle. _ ? Je t'aime et j'adore ce nouveau corps, il est trop chou, hi, hi, hi. _ ? Je t'aime LoĂŻne et la rĂ©crĂ©ation est finie. _ ? Oh non, je n'ai pas envie. _ ? Il le faut. _ ? Ou cela se passe-t-il ? _ ? Sur la terre. _ ? Encore ? _ ? Oui, c'est le meilleur endroit pour que tu grandisses. _ ? Mais je suis grande ! _ Elle s'Ă©chappa de ses bras, monta en flĂšche vers les Ă©toiles, explosa en un bouquet de feux d'artifice dont les flammes se rassemblĂšrent pour former un monstre cornu qui remplissait le ciel. Il lui tomba dessus dans un hurlement d'Ă©pouvante en faisant vibrer l'univers. _ TempĂ©rance fut pulvĂ©risĂ© en une multitude de particules lumineuses; Il se rassemblĂąt aussitĂŽt et l'enfant bondit Ă nouveau dans ses bras en riant. _ ? C'Ă©tait quoi cela ? _ ? Une petite sĂ©quence pour illustrer le dernier cours. Une image remplace mille mots. _ ? Si c'est la seule chose que tu as retenue de la derniĂšre leçon, il y a de quoi s'inquiĂ©ter. _ ? ArrĂȘte, c'Ă©tait jubilatoire, je veux encore un job dans le cinĂ©ma ! _ ? Non, cette fois-ci il s'agit d'une pĂ©riode plus ancienne dans l'espace-temps de la terre. Une civilisation brillante mais sans gadgets. Fini les effets spĂ©ciaux ! _ ? Soit, Je veux bien y retourner, mais alors je ne veux plus ĂȘtre une femme. J'en ai ras le bol. _ ? Je veux, je ne veux pas Tu n'as pas trop le choix, tu dois encore travailler cette polaritĂ©. _ ? S'il te plait? _ Il la contemplait avec ce sourire qui voulait tout dire. Elle souffla de dĂ©pit et lova sa tĂȘte dans son cou. Elle avait beau user de tout son charme, rien y faisait. TempĂ©rance Ă©tait moins mallĂ©able que les autres guides, mais elle n'aurait voulu en changer pour rien dans l'univers. _ ? J'en ai bavĂ© la derniĂšre fois, tu le sais bien. _ ? A qui la faute ? Rentre tes griffes, soit pleine d'amour, de joie et de compassion pour ton prochain. L'amour est une passerelle au-dessus des tourments, un pont reliant le ciel Ă la terre. Fais les bons choix et tu seras l'actrice de ta vie au lieu de la subir. _ ? Palabre, palabre que tout cela ! Sur terre il y a la douleur et le temps. La douleur, ça fait mal et le temps, c'est long. Je troquerais bien ma place pour la tienne, mon biquet. _ ? A toi d'agir en consĂ©quence et tu l'auras bientĂŽt. Ton ami SĂ©bias t'aidera, il fait partie de la leçon. Elle jeta un coup d'Âil derriĂšre elle. Il n'y avait plus personne dans la cascade. _ ? Heureusement parce que si je devais compter sur ton soutien! Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. _ ? C'est parce que tes pensĂ©es font trop de bruits. Tu t'agites en tout sens et tu dĂ©penses ton Ă©nergie Ă accumuler des possessions qui t'aliĂšnent. Tu oublies ta vraie nature. Fies-toi Ă ton intuition. Ton intuition c'est ton Ăąme et c'est Ă©galement moi, ne l'oublie pas. Il n'y a pas de sĂ©paration entre nous, il n'y a que l'amour. _ La terre apparaissait maintenant au milieu de l'espace Ă©toilĂ© et l'enfant prit son envol. Il resta assis dans le vide Ă la regarder s'Ă©loigner. Sans la pensĂ©e crĂ©atrice des enfants, le petit paradis avait disparu. * _ MilikĂą fit une roulade souple, trois pas de danse et se dĂ©tendit dans une figure de style d'une grĂące aĂ©rienne. Elle tourbillonna et se campa devant lui, l'arrĂȘtant net dans sa progression. _ ? EtumĂškes, Franchement, tu y crois Ă la vie Ă©ternelle aprĂšs la mort ?  Surveille ton langage, petite idiote, tu t'attaques aux fondements de notre civilisation ; si le grand prĂȘtre d'Amon t'entendait Il la repoussa doucement du bout des doigts Ce serait vraiment dommage de gĂącher toute cela dans le ventre d'un crocodile ». Il reprit sa marche et la petite esclave nue au corps de liane se mit Ă gambader Ă ses cotĂ©s. _ ? C'est vrai que les Rois Ă©gyptiens sont illuminĂ©s, c'est vrai qu'ils sont en contact permanent avec RĂą ? _ ? C'est ce que l'on dit, maintenant je ne suis pas Pharaon et j'ai peu de chance de le devenir. _ ? Mais tu es son deuxiĂšme fils⊠ De sa septiĂšme Ă©pouse. Il y a du monde devant et RamsĂšs semble indestructible. _ ? J'ai besoin de savoir ce qu'il y a ensuite. J'ai peur de mourir et de disparaĂźtre dans le nĂ©ant. _ ? Tranquillises-toi, Lorsque nous mourrons, je veillerai Ă ce que tu sois embaumĂ©e plutĂŽt qu'enfermĂ©e vivante dans mon tombeau. Elle se figea sur son pied d'appel, fit une grimace et bondit sur son dos. _ ? Tu me rassures! N'empĂȘche, Si vous Ă©tiez vraiment convaincu de l'Ă©ternitĂ© de l'Ăąme, vous ne vous prĂ©occuperiez pas tant de vos dĂ©pouilles mortelles. Ce ne sont que des enveloppes vides, aprĂšs tout. C'est Ă©trange quand mĂȘme, toi qui est dans le secret des Dieux, Tu ne sais vraiment rien ? _ Il la fit passer par-dessus son Ă©paule et la reposa sur ses pieds pour la contempler avec tendresse. Ses yeux d'ingĂ©nue Ă©taient immenses et reflĂ©taient tant de promesses d'amour. Ensemble c'Ă©tait divin, leur union avait quelque chose de mystique⊠Il joignit ses mains devant son visage pour cacher son amusement puis rĂ©pondit avec sĂ©rieux. _ ? Je n'ai pas de contact direct avec RĂą en songe. Par contre, j'ai croisĂ© un ange un peu rustique avec ses ailes de poulets dĂ©plumĂ©s. Il m'a assurĂ© que comparĂ© Ă notre Ă©ternitĂ©, une existence humaine reprĂ©sentait Ă peine l'ombre d'une crotte de pou constipĂ© dans la touffe d'Hathor. Tu sais bien, Hathor, la dĂ©esse de l'amour. Il Ă©clata de rire devant sa mine hĂ©bĂ©tĂ©e. _ ? Tu te moques de moi, ce n'est pas gentil. Elle se pelotonna contre lui. Fais-moi l'amour » _ ? Je dois rejoindre pĂšre. Les soldats sont dĂ©jĂ alignĂ©s dans la cour. Elle haussa le ton. _ ? Je m'en fous et toi aussi. Tu n'es pas comme tes frĂšres, Pharaon n'a pas besoin de toi pour passer en revue les brutes Ă©paisses de sa garde personnelle. C'est moi qu'il faut passer en revue ! _ ? Tais toi, tu es folle de crier cela ! On va encore avoir des ennuis. Il faut que j'y aille.  Non je ne suis pas folle, j'ai quinze ans et toi seize. Tu es beau comme un dieu ; je t'aime et quand tu me sers dans tes bras, j'ai les poils au garde Ă vous. _ ? Et si tu tombais enceinte ? _ ? Impossible en ce moment. _ ? En es-tu bien sĂ»r ? _ ? C'est moi la femme ! Elle agita un bras en l'air et tourna sur elle-mĂȘme en dĂ©hanchant sensuellement. Elle lui fit un clin d'Âil coquin. Et moi, je n'ai aucun pou dans la touffe, hi, hi. » * _ LoĂŻne plongea vers la planĂšte bleue Ă une vitesse vertigineuse. Elle troua l'atmosphĂšre et arrondit sa trajectoire au-dessus d'un pĂŽle immaculĂ© doucement Ă©clairĂ©e par la rĂ©flexion d'une petite lune ronde. Elle survola un OcĂ©an, Le soleil la salua en illuminant des collines verdoyantes qui firent place Ă un dĂ©sert de sable aux dunes impressionnantes, ponctuĂ© d'oasis et de pyramides majestueuses. Elle longea le Nil et dĂ©passa les remparts dâune ville dĂ©jĂ endormie. Au sein dâun palais, dans une alcĂŽve fleurie et parfumĂ©e, deux corps sâenlaçaient. Elle resta un moment Ă les contempler. Le garçon savourait le plaisir propre Ă la communion des corps, synchronisĂ© au mouvement de la jeune fille dans leur extase commune. C'Ă©tait ZanĂ©e. Elle lui avait dĂ©jĂ piquĂ© SĂ©bias dans une chambre de la butte Mont martre aprĂšs avoir droguĂ© son cafĂ©. Elle lui envoyait des SMS torrides. Elle lui avait fait avaler son mobile. Il Ă©tait tout petit, mais L'exercice s'Ă©tait quant mĂȘme mal fini. _ Qu'est-ce qu'ils avaient ri pendant la correction ! Maintenant elle allait ĂȘtre sa mĂšre, cela promettait. Elle lui prĂ©parait un de ces Âdipes. _ Elle avait choisi de sâincarner au moment de la conception. Elle nâen Ă©tait pas Ă son premier corps de dĂ©sir. Elle Ă©tait joueuse ; une partie dâelle se glissa dans lâenveloppe du mĂąle depuis le sommet du crĂąne, parcouru ses flux et ses pensĂ©es, vibra aux rythmes de ses pulsions et vĂ©cut son orgasme. Dans un torrent de vie et de plaisir, elle plongea dans la matrice de la femme. Une bulle se forma, Elle se fondit en elle. Elle imprĂ©gnerait ce fÂtus puis cette enfant au cours de ses premiĂšres annĂ©es en oubliant peu Ă peu sa vraie nature, alors que la petite humaine sâĂ©veillerait Ă la rĂ©alitĂ© physique de ce monde. Condition indispensable pour une leçon efficace. Nouvelle 068 _ Rencontre Souviens-toi⊠_ Tu avais ton guide sans le sac de voyage et tu avais suivi le plan. Mais pour accĂ©der Ă ce manoir, loin de tout, tapi dans son parc et la brume de dĂ©cembre, il eĂ»t fallu une boussole. A l'arrivĂ©e, la clartĂ© de l'intĂ©rieur te fit chaud au visage. _ Un visage qui s'ajouta aux autres. Visages inconnus. Visages aux yeux perplexes, en quĂȘte de repĂšres. _ C'est alors qu'avec tact, Ă©lĂ©gance et de belles sonoritĂ©s dans la voix, un dramaturge britannique fit un discours fĂ©dĂ©rateur, lançant des passerelles entre les diverses cultures prĂ©sentes en ce lieu. Les Ă©tudiants, Ă©trangers pour la plupart, Ă©coutaient avec la plus grande attention. A l'unanimitĂ©, ils applaudirent. _ Ensuite, on s'attabla. Ăchanges timides et sourires polis. _ Face Ă toi, deux Espagnoles s'embarquĂšrent dans un dialogue effrĂ©nĂ©. Avec tes connaissances dans la langue de CervantĂšs, tu croyais pouvoir les suivre. Mais bientĂŽt emportĂ©es dans le flot des palabres, elles s'Ă©loignĂšrent ensemble et tu perdis pied. Tu saisis Ă temps la perche que je te tendais dans notre langue maternelle et tu me remercias de ce soutien inattendu. J'Ă©tais assise prĂšs de toi. La rencontre fut forte. Je ressens les ondes qui nous mirent en phase sur le politiquement correct du sĂ©jour culturel. Notre conversation intriguait l'entourage, tout en le subjuguant. C'est pourquoi Isabel et Maria s'y joignirent. William ne tarda pas. Soy » et I am » devinrent Nous sommes ». _ La langue de MoliĂšre s'Ă©tala comme une tache d'huile, gagnant toutes les tables, prenant plusieurs reflets, s'enrichissant de mots, de sons. Souple, vivante et mallĂ©able, elle se modela en belles courbes, apprivoisant les uns et les autres, allumant dans les yeux des brasiers jubilatoires. _ Souviens-toi⊠_ Quand on nous proposa du thĂ© ou du cafĂ©, tu choisis le cafĂ© pour ce qui n'Ă©tait qu'un mĂ©lange de Maxwell et d'eau bouillante; je rĂ©pondis favorablement Ă l'appel de la boisson nationale, plus adĂ©quate Ă la situation et prĂ©parĂ©e selon les rĂšgles, la boisson vertueuse qui rĂ©jouit les Britanniques sans cependant les enivrer. Tu me dis ton prĂ©nom et c'Ă©tait Olivier ; tu me parlas de tes pas incertains pour arriver jusque  lĂ , jusqu'Ă ce lieu Ă©trange oĂč, peut-ĂȘtre, je t'attendais. Tes yeux sombres se posaient sur moi comme des caresses rassurantes. Ta main se confondait avec la mienne et elles Ă©taient de mĂȘme teinte. Mates. _ Tu Ă©tais Parisien et je venais du Sud. _ Peut-ĂȘtre dans nos arbre gĂ©nĂ©alogiques aurions -nous trouvĂ© une rĂ©gion oĂč vivaient autrefois nos ancĂȘtres, un point commun venu du fond des temps, mais ces soucis identitaires n'Ă©tait pas Ă l'ordre du jour. Le passĂ© ne nous intĂ©ressait pas. Et l'avenir ⊠trĂšs peu sans doute. Seul comptait le prĂ©sent qui peut s'inscrire dans la durĂ©e sans aliĂ©ner, sans connaĂźtre l'usure. _ Par la suite, il y eut d'autres sĂ©quences comme la visite de Londres, sortie collective. La visite du Parlement Ă©tait au programme de la matinĂ©e. Avec vif intĂ©rĂȘt, j'Ă©coutais les explications donnĂ©es par la guide dans un anglais sublime, m' intĂ©ressant aux navettes du projet de loi entre la chambre des Communes et celle des Lords. _ Soudain quelqu'un me tapa Ă l'Ă©paule, je me tournai vers ton sourire et tu me dis _ â Câest toi la dame en noir ? _ CirĂ© noir, jupe noire, pull noir, gants noirs, chaussures noires. J'Ă©tais la dame en noir. _ L'aprĂšs midi Ă©tait libre, ce temps creux nous appartenait. FlĂąner dans les rues, main dans la main et mĂȘlĂ©s Ă la foule, nous paraissait merveilleux. Les dĂ©corations lançaient des cris d'appels signĂ©s Christmas qui nous poussaient au lĂšche- vitrine. Tu me parlais avec respect et dĂ©licatesse, quelquefois Ă voix basse ; j'admirais ton accent diffĂ©rent de celui mes flirts habituels, et toi, tu disais que le mien Ă©tait porteur d'un soleil qui te faisait rĂȘver ; quand tu me quittas, tu m'offris en cadeau de NoĂ«l, ce baiser qui mĂȘla nos lĂšvres hors du temps et dont j'allais garder le goĂ»t. _ Quant aux projets immĂ©diats ? _ Je devais poursuivre mon sĂ©jour outre-Manche alors que tu allais le terminer ; tu rentrais chez toi, Ă Paris, Ă NoĂ«l pour ne plus revenir ; je rentrais chez moi, Ă NoĂ«l, dans mon midi, mais j'allais revenir ; notre rencontre s'arrĂȘta lĂ . Se revoir ne nous vint pas Ă l'esprit, le hasard nous avait rĂ©unis et nous rĂ©unirait peut -ĂȘtre. Que nous importait, la vie Ă©tait devant nous. _ Je dĂ©ambulais dans les rues, seule et sans toi. Et dans le mĂ©tro, dur de revenir le soir. Et puis il y avait cette histoire de serial killer », l'amateur de brunettes qui faisait la une des journaux ; mĂȘlĂ©e aux voyageurs impassibles qui plongeaient la tĂȘte dans leur Daily Mirror, je captais des bribes d'information effrayantes sur la future victime qui serait Ă©tranglĂ©e le soir  mĂȘme ; je n'en menais pas large et l'angoisse montait au fur et Ă mesure que le mĂ©tro se dĂ©peuplait, que le vide s'installait prĂšs de ma solitude. Alors je me disais Plus brunette que moi, tu meurs ! Jâai le profil de la future victime. Un long cou, dĂ©tachĂ©. Comme il serait facile de le saisir, de mettre la main dessus, de presser. Une main ? Non deux mains. Des mains rosĂątres, avec des taches rousses sur les poignets. Des mains de gens immobiles qui peuvent brusquement devenir mobiles, fĂ©briles et assassines. Je regarde autour de moi les derniers Anglais assis, les yeux baissĂ©s, ces Anglais qui n'ont l'air de rien- mais câest pour mieux tâĂ©trangler mon enfant . Oui ce sont des frustrĂ©s, des refoulĂ©s, ces fans de lâhumour noir, du polar intimiste, des histoires sordides. Ils sont introvertis et quand la coupe est pleine, ils se mettent Ă disjoncter, Ă lĂącher leurs fantasmes. » _ Allons pas de paranoĂŻa ! _ Je suis revenue de lĂ -bas, saine et sauve. _ Souviens â toi ⊠_ Nous avions troquĂ© nos adresses. _ Je reçus de toi une carte postale ravissante, illustrĂ©e de la tour Eiffel alors que j'Ă©tais encore Ă Londres ; un peu plus tard, une lettre arriva avec ta photo dont j'observais les dĂ©tails pour ne rien perdre de toi. Je te fis une rĂ©ponse que je glissai dans le pilier rouge, au bout de la rue ; tu me rĂ©pondis avec un poĂšme de Keats pour cĂ©lĂ©brer la photo que j'avais, moi aussi, incluse dans mon courrier. _ Pendant des annĂ©es je reçus ta carte de Londres, repĂšre de tes sĂ©jours dans ce lieu oĂč nous avions fait des pas ensemble. Je n'oubliais pas d'agir de la mĂȘme maniĂšre lorsque je revenais dans cette ville oĂč j'avais laissĂ© un peu de nous. _ Et c'est ainsi que le temps passe. _ Mais ton visage n'a pas pris une ride. Dans ma boĂźte Ă secrets, j'ai gardĂ© ta photo comme une estampe, un prĂ©sent immobile et figĂ© qui revient Ă la vie sur l'Ă©cran de mon cinĂ©ma personnel. Nouvelle 069 _ Agir, je viens _ Agir, agir, tu en as de bonnes » _ Il repose son verre sur la table, essaie de calmer les spasmes qui agitent ses mains, ne me regarde pas. Reprend son verre, le finit d'une traite, puis se lĂšve et sort du bar, sans un regard. _ Je sais que j'ai atteint mon but. Je l'ai troublĂ©. Fait vacillĂ© ses certitudes. Il ne peut plus, dĂ©sormais, se considĂ©rer comme un guide. Il va devoir faire face Ă ses contradictions et entendre cet appel, cette voix intĂ©rieure, tue depuis si longtemps. Je suis la passerelle entre son moi profond et l'homme d'influence qu'il est devenu, le personnage public qu'il a construit avec acharnement, jusqu'Ă Ă©touffer l'homme en lui. _ Mais ce sont ces deux facettes, ensemble, dont j'ai besoin. L'homme de pouvoir et l'enfant rĂȘveur. En lui, j'ai rĂ©veillĂ© l'enfance ; j'ai soulevĂ© les voiles, l'un aprĂšs l'autre. C'Ă©tait jubilatoire. DĂ©couvrir, derriĂšre le roc, la tendre pousse. Et la faire vivre. AliĂ©nĂ© depuis si longtemps aux forces qui Ă©loignent de soi-mĂȘme, le rĂȘve Ă©tait de retour _ Je suis tirĂ©e de mes rĂ©flexions par les palabres de mes voisins de table, pesant les avantages et les inconvĂ©nients de cultiver son jardin. Je souris. Repousse la tasse de cafĂ©, lĂ©gĂšrement Ă©brĂ©chĂ©e, et me dĂ©cide Ă sortir, aprĂšs un lĂ©ger signe de tĂȘte en direction de mes candides voisins. _ Dehors, l'air me semble avoir acquis une douceur semblable Ă mon humeur, les visages une tendresse rare. La vie est mallĂ©able. Les blessures que le monde inflige peuvent cicatriser. Pour cela, un lĂ©ger inflĂ©chissement de l'ĂȘtre est nĂ©cessaire. Un tuteur, en guise de soutien Ă la pousse tendre qui voudrait s'Ă©panouir. _ Je serai, pour lui, la lĂ©gĂšre baguette de bois. Toutes les sĂ©quences de sa vie, je les connais. Tout ce qu'il a rĂ©ussi Ă cacher aux autres, qu'il a fini par se cacher Ă lui-mĂȘme. Les failles, les doutes, les espoirs aussi. Les lui faire retrouver d'un coup. Raviver en lui les couleurs qui illustraient ses rĂȘves, la flamme qui nourrissait son Ăąme. Et mĂȘler le passĂ© au prĂ©sent pour en faire un ĂȘtre entier, humain. _ Je sais qu'en ce moment-mĂȘme, il se retourne et, que, parmi la foule mobile, il trouve le repĂšre, le point fixe qui lui manquait. Je suis lĂ , attendant simplement qu'il troque son armure de certitudes et de pouvoir contre le voile lĂ©ger de la libertĂ©. _ Je suis lĂ et le voilĂ , et sa voix est comme une caresse, et son regard comme un souffle qui nous relie enfin. _ Agir. Nous allons agir, mon amour » Nouvelle 070 J'attends dans un cafĂ©. Je ne sais pas ce que j'attends mais j'avais besoin de sortir, de prendre l'air. Mais il fait froidâŠalors je suis lĂ , une tasse de cafĂ© Ă la main, essayant de me rĂ©chauffer. Je n'ai mĂȘme pas pris le temps de retirer ma veste. _ Je sors mon livre que je lis d'habitude dans le mĂ©tro, mais lĂ tout de suite, je n'ai pas envie de lire. _ Je pense Ă lui, Ă l'Ă©poque oĂč on Ă©tait encore ensemble. Je sors mon tĂ©lĂ©phone mobile. Pas de message. Pas d'appel en absence. Je souris ironiquement. Comme si il allait demander de mes nouvelles⊠je sais que ça n'arrivera pas. Pas aprĂšs ce que j'ai fait. Mais j'attends toujours. C'est complĂštement stupide. _ J'essaye alors de chasser ces souvenirs de mon esprit. Tout en regardant par la vitre, je me dis, Alors maintenant, tu fais quoi? ». _ Je rĂšgle alors la note, range mes petites affaires et sors de la brasserie. Je vais emprunter la passerelle qui rejoint l'autre cĂŽtĂ© du quai. En marchant, je vois des touristes, super courageux de visiter cette ville, en ce temps glacialâŠils ont l'air perdu mais je n'ai pas la force de leur indiquer le cheminâŠet puis ils ont un guide Ă la main, qu'ils s'en servent. _ Je ne sais pas ce qui m'a pris de vouloir sortir, j'ai les mains et le visage gelĂ©s, ça me tue de voir aussi ces couples s'enlacer, en public. J'ai presque envie de leur jeter des pierres. _ ArrivĂ©e sur la passerelle, une sĂ©quence diffĂ©rente, des parents et leurs enfants. Papas et mamans en train de discuter et les petits en train de troquer leurs derniĂšres images de je ne sais quel manga du moment. _ Mais qu'est-ce qu'ils ont tous Ă ĂȘtre dehors? _ J'arrive bientĂŽt chez moi. Je suis frigorifiĂ©e. Cette petite virĂ©e Ă©tait censĂ©e me faire du bien mais je reviens encore plus remontĂ©e qu'avant. _ Le temps de mettre le radiateur en marche, j'attrape le combinĂ© de mon tĂ©lĂ©phone et j'appelle une copine. _ Elle dĂ©croche et avec un air jubilatoire m'annonce que ça tombait bien parce qu'elle allait m'appeler. Oh, grande nouvelle, je le sens bien. Elle m'annonce alors qu'elle a reçu son augmentation, et que dans la foulĂ©e, elle a rĂ©servĂ© un super voyage avec son homme pour le nouvel an. Ok, j'Ă©vite donc de lui dire que j'appelais pour compter sur son soutien moral, que j'avais besoin de parler, que j'aurai aimĂ© qu'on se casse loin pour le rĂ©veillon, mais j'avais pas un rond pour le faire. _ Non, je ne peux pas sincĂšrement me rĂ©jouir pour elle car j'Ă©tais mal. Mais comme d'habitude, je sais agir en tant que bonne amie et partage sa joie au tĂ©lĂ©phone. _ Ah c'est cool, je suis super contente pour toi, ça va te faire du bien et puis tu l'as mĂ©ritĂ© cette augmentation! » _ Au bout de dix minutes, elle me demande comment je vais. C'est alors que je lui mens. _ Oui, aussi, je n'arrive pas Ă casser une ambiance joviale avec mes problĂšmes de gamine. _ Mais elle l'a sentie. Elle me connaĂźt depuis tellement longtemps. Elle me pose alors la question Me dis pas que tu l'as appelĂ©âŠsi? » _ Que veux-tu rĂ©pondre à ça. Que j'en meurs d'envie dĂ©jĂ . Mais je me l'interdis. Et elle va me dire que c'est bien, qu'il faut que je sois forte et que je tienne bon. _ On finit par changer de sujet. _ La conversation d'une heure m'a quand mĂȘme changĂ© les idĂ©es. Le temps d'une heure. _ J'ai envie de l'appeler. _ Oui mais pour lui dire quoi? Il faut que je pense Ă autre chose. _ Dans ma petite tĂȘte, je liste Ă haute voix mes prochains projets. Changer de mĂ©tier, voyager, voir une aurore borĂ©ale, partir en Australie, lire tous les livres qui sont dans ma bibliothĂšque depuis des lustres, repasser mon permis, acheter un appartement. Et lĂ , je repense Ă ma mĂšre qui me rĂ©pĂšte de temps Ă autre qu'elle veut m'aliĂ©ner son F5 le jour oĂčâŠSi j'avais eu ma propre acquisition, elle arrĂȘtera peut-ĂȘtre de me dire de telles bĂȘtises. _ J'ai vraiment envie de hurler, je n'en peux plus de cette oscillation entre pensĂ©es positives et nĂ©gatives! Il me faut un changement, penser Ă autre chose. De la musique, oui, de la musique, bonne idĂ©e. _ AllongĂ©e sur mon lit, j'Ă©coute les palabres de cette chanson qui illustrent Ă©trangement bien ma situation mĂȘler ma culpabilitĂ© d'avoir trahi un ami et l'espoir qu'il me pardonne un jour, et penser Ă un stratagĂšme pour qu'il me revienne. Malheureusement, il n'est pas aussi mallĂ©able. _ Je soupire longuement, je regarde l'heure. J'attrape mon tĂ©lĂ©phone et me lĂšve. Tout en baissant le volume de la musique, je cherche son nom sur le rĂ©pertoire du combinĂ©. J'appelleâŠĂ§a sonne. _ â Oui! Allo! _ â Euh oui bonjour, je suis bien sur le portable de Gabriel? _ â Il ne peut pas vous rĂ©pondre! _ Une voix au fond criait Vous n'avez pas le droit! Rendez-moi mon portable! » _ Plus de tonalitĂ©. _ Il m'a raccrochĂ© au nez. Mais c'Ă©tait quoi ça? _ Je suis restĂ©e stoĂŻque quelques instants. _ Assise maintenant par terre, je ne sais pas quoi penser, ni quelles questions me poser. Je n'ose pas rappeler, et si mon simple rappel le mettrait dans le pĂ©trin? Je ne reconnais pas celui qui a dĂ©crochĂ©âŠsa voix ne m'est pas du tout familiĂšre. _ Quelques minutes plus tard, un bip retentit Je suis Ă l'aĂ©roport, arrĂȘtĂ© Ă la douane, mais tout va bien, rejoins-moi, je t'attends. Tu me manques, Gabriel ». _ Ce message m'a tuĂ©e. Je suis passĂ©e d'un Ă©tat de panique Ă un Ă©tat de grand soulagement et de joie. Il ne m'a pas fallu plus de dix minutes pour rassembler quelques vĂȘtements, mon passeport, et mon sac Ă main. _ Et c'est parti⊠je ne sais pas oĂč, ni pour combien de temps, mais j'y vais. Nouvelle 071 _ Rendez-vous au cafĂ© S. F. Berggasse 19, Wien. _ Cher ami, _ J'aimerais te rencontrer pour que nous puissions Ă©changer quelques palabres sur un cas que je tiens Ă te prĂ©senter. Lors de ton prochain sĂ©jour Ă Vienne, pourrais-tu me retrouver dans ce cafĂ© oĂč j'ai mes habitudes ? C'est le cafĂ© Korb, Tuchlauben 10 ; tu dois le connaĂźtre. _ Le patient dont je veux te parler est mon guide autant que je suis son guide sur la voie de l'inconscient. Son histoire est inĂ©dite, il n'est pas aliĂ©nĂ©, mais ses phobies le gĂȘnent considĂ©rablement et l'empĂȘchent d'agir comme un homme sensĂ© le ferait. Pour illustrer cela au cours de la derniĂšre sĂ©quence je veux dire sĂ©ance, voilĂ c'est moi qui ne contrĂŽle pas mes lapsus, je vais devoir les analyser ! Il me raconte donc qu'il est restĂ© paralysĂ© sur une passerelle qu'il n'osait pas traverser. La nuit suivante, il fait un rĂȘve dans lequel il mĂȘle des souvenirs d'enfance et des sensations de vertige. Son corps devient mallĂ©able, il se dĂ©double et une partie de lui-mĂȘme s'envole en fumĂ©e alors qu'il reste tĂ©tanisĂ©. Cette histoire jette un trouble en moi. Je sens que cet homme a besoin de mon Ă©coute et de mon soutien, autant que j'ai besoin de toi, pour troquer mon rĂŽle d'Ă©coutant contre celui d'Ă©coutĂ©. _ Voici donc, cher ami, le mobile de cet appel que je te lance au nom de notre vieille amitiĂ©. Notre rencontre pourra ĂȘtre jubilatoire si nous nous accordons le plaisir d'un Strudel Ă la pomme et d'un bon cigare accompagnĂ©s d'un moka. _ Bien Ă toi, Sigmund _ Sigmund, tout joyeux, entre dans le cafĂ©, il contourne la forĂȘt de chaises et sÂinstalle Ă sa place habituelle. Seul, un peu dans l'ombre, assis devant le grand miroir, il attend son ami. Le temps s'Ă©tend, Wilhelm n'arrive pas, il surveille la porte d'entrĂ©e en regardant dans la glace ; cependant la salle se remplit d'hommes qui se ressemblent Ă©trangement, quelques uns le reconnaissent et lĂšvent leur chapeau pour le saluer. Il appelle un garçon pour demander du feu et un moka brĂ»lant. Il allume un cigare, un Soberano, c'est son vice il le sait. Lorsqu'il sera lĂ , Wilhelm lui conseillera, une fois de plus, d'arrĂȘter de fumer. Les lustres s'allument, la nuit tombe. La salle s'emplit de fumĂ©e, Sigmund immobile observe son propre visage dans le miroir, peu Ă peu il troque sa gaitĂ© contre une expression plus mystĂ©rieuse. La fumĂ©e qui s'Ă©chappe de son cigare dessine des volutes, passerelles vers un monde onirique. Le temps s'Ă©tend, devient mallĂ©able. Un autre Sigmund est dans le miroir, il peut analyser les mots que dessine la fumĂ©e malle hĂ© able sous tien sec quand anse semble il lustre mot bile jus bile lait café⊠_ Arrive un homme, portant chapeau melon noir et costume sombre, il heurte une chaise, en dĂ©place une autre. Il l'interpelle _ â Il s'agit de rĂ©pondre, Herr Doctor, nous avons besoin d'un guide qui nous Ă©coute. Sigmund fixe son portrait dans le miroir, cet homme salue-t-il son reflet ? Il ne sait plus Ă qui est adressĂ© son salut, l'enchaĂźnement d'effets de miroirs crĂ©e un doute. Il ne rĂ©pond pas Ă l'appel. _ Un autre individu, melon noir et costume gris, s'installe, pose ses gants sur le marbre du guĂ©ridon prĂšs de lui ; c'est le patient de la passerelle ! Il commande un cafĂ©, puis il troque la tasse apportĂ©e contre celle du docteur. Chacun boit la tasse de l'autre. Sigmund lui demande pourquoi il agit ainsi. _ â Je voudrais que nous restions ensemble Il semble que l'anse de cette tasse est fendue. Je crains fort d'ĂȘtre maladroit et de renverser le cafĂ© bouillant, cela me donne le vertige. Il faut que je vous raconte un rĂȘve rĂ©cent encore plus vertigineux que celui de la passerelle. _ Un homme Ă©lĂ©gant, chapeau noir et costume anthracite, souliers vernis, vient s'asseoir sur une chaise voisine. Il porte une petite malle en cuir marquĂ©e de ses initiales AS. _ â Docteur, je pense que je vous ai Ă©vitĂ©, par une sorte de crainte, de rencontrer mon double. » Il s'approche. Sigmund lui adresse un sourire de connivence. _ Arrive un petit homme soulevant son chapeau en poussant des cris de joie, il trĂ©buche et fait tomber une chaise. _ HĂ©, Monsieur Joie, je suis trĂšs heureux, je jubile de vous retrouver ici. _ Les autres se joignent maintenant Ă cet hurluberlu pour apporter leur soutien, ils se rassemblent autour de Sigmund. Avez-vous le temps d'Ă©couter nos palabres ? Quel est ce liquide qui coule quand on presse les mots ? De l'eau, du lait, de la bile, du sang, de l'encre _ â C'est parfaitement jubilatoire de vous trouver ici, ne restez pas isolĂ©, mĂȘlez-vous Ă notre assemblĂ©e, proposent-ils. _ Sigmund s'interroge sur le mobile de cette intrusion. Il lui semble qu'ici sont rassemblĂ©s autant d'aliĂ©nĂ©s qu'il n'en compte dans sa salle d'attente du Berggasse 19 Ă une heure pareille. _ Dans la sĂ©quence suivante, c'est Wilhelm qui apparait, il s'approche de l'illustre psychiatre, lequel semble perdu dans d'intenses rĂ©flexions. _ â Il est tard, je suis dĂ©solĂ© de t'avoir fait attendre. Je n'ai pas pu me libĂ©rer plus tĂŽt. Comme tu sembles seul dans cette salle pleine. Nous voilĂ enfin ensemble. Eteins-moi ce cigare. _ Freud se retourne alors et se rend compte qu'ils sont seuls, les autres ont disparu, le miroir ne reflĂšte que le lustre et les chaises vides. Nouvelle 072 _ Quand Lili rencontre⊠Elle venait d'avoir vingt ans. Elle dĂ©couvrait la fac, la folle vie parisienne, le bonheur de s'asseoir Ă une terrasse de cafĂ© et de regarder les gens passer. C'Ă©tait simplement jubilatoire. Elle imaginait leur vie, plaquait sur eux ses rĂȘves, en se disant que si eux avaient pu les rĂ©aliser, pourquoi pas elle ? Lili voulait ĂȘtre Ă©crivain. Le modeste blog qu'elle avait créé pour raconter ses rencontres et ses aventures commençait Ă avoir son petit succĂšs. Mais elle se rendait compte que ce n'Ă©tait pas ça, Ă©crire. Et ses yeux aussi bleus qu'un lagon oĂč elle ne mettrait jamais les pieds se perdaient dans le vide. Elle cherchait une passerelle. Entre ses rĂȘves et sa rĂ©alitĂ©. Entre ses rĂȘves mallĂ©ables Ă merci et sa rĂ©alitĂ© si figĂ©e. Elle venait d'avoir vingt ans et elle Ă©tait dĂ©sespĂ©rĂ©e. _ Quand il vint s'installer Ă une table prĂšs de la sienne, elle ne remarqua pas qu'il la regardait. Elle fit avec lui ce qu'elle faisait avec les autres elle imagina sa vie. Il devait avoir 38 ou 40 ans, devait ĂȘtre mariĂ©, malgrĂ© l'absence d'alliance, avoir deux enfants, un garçon, l'aĂźnĂ©, et une petite fille, sa poupĂ©e. Il s'appellerait Alexandre. Et serait journaliste. Sa vie dĂ©fila dans la tĂȘte de Lili, comme les sĂ©quences d'un film rĂ©alisĂ© Ă la va-vite. Le matin, il se levait trĂšs tĂŽt. Trop tĂŽt pour voir ses enfants avant de partir au travail. Son cafĂ© Ă la main, il passait les embrasser sur le front avant de filer. Sa femme Ă©tait encore en pyjama, non, en nuisette, et glissait un baiser langoureux sur ses lĂšvres pendant qu'il saisissait d'une main ferme mais tendre un sein ou une fesse. Ensuite, il s'engouffrait dans le mĂ©tro, prenait les journaux gratuits qu'il lisait presque en intĂ©gralitĂ© le temps de son trajet sans correspondance. C'Ă©tait son moment Ă lui. Le moment oĂč il pouvait ĂȘtre avec lui-mĂȘme, oĂč il pouvait critiquer cette presse qu'il mĂ©prisait, quand lui se prenait pour une fine plume. ArrivĂ© Ă la rĂ©daction, il invitait sa collĂšgue Ă partager un cafĂ© et lui racontait ce que sa femme lui avait fait Ă dĂźner la veille. Judith, la collĂšgue, un brin allumeuse, Ă©voquait ses parties de jambes en l'air qu'elle illustrait de gestes sans Ă©quivoques et qui le faisaient hurler de rire. Un appel sur son mobile les affaires reprenaient AllĂŽ ? AllĂŽ ? _ AllĂŽ ? Excusez-moi, auriez-vous du feu s'il vous plaĂźt ? » Cette fois il lui parlait vraiment. Elle remarqua Ă quel point il Ă©tait beau. Enfin, pas vraiment beau, mais tellement charmant. Ses rides naissantes au coin de ses yeux noirs, sa barbe de trois jours faussement nĂ©gligĂ©e, son nez droit, son sourire un peu tachĂ© par le tabac et ses mains. Mon dieu, ses mains. Fines et fortes Ă la fois, comme il devait l'ĂȘtre lui-mĂȘme, dĂ©liĂ©es, aux ongles impeccables. Qu'elles devaient ĂȘtre douces, ses mains. Lili eu subitement envie de le savoir. Elle troqua son mutisme contre le plus joli sourire dont elle Ă©tait capable et une plaisanterie sur son air absent. Il Ă©tait temps d'agir. Il Ă©clata de rire. Elle lui tendit son briquet. Il l'invita Ă le rejoindre Ă sa table. Et les voilĂ , ensemble, en train de raconter des bĂȘtises, de se perdre dans d'interminables palabres qui les menĂšrent jusqu'Ă 20 heures. Plus de deux heures avaient passĂ©. Comme s'il s'agissait d'une minute. Comment une telle rencontre pouvait-elle ainsi se produire ? Comment deux ĂȘtres inconnus l'un pour l'autre il y a encore deux heures pouvaient ainsi avoir l'impression de se comprendre aussi bien ? De se connaĂźtre ? De se reconnaĂźtre ? Lili ne s'Ă©tait pas trompĂ©e il Ă©tait bien mariĂ©. Il avait deux enfants, mais deux garçons. Il s'appelait Olivier, il avait 37 ans. Il sentait en elle une confidente. Elle sentait en lui un soutien. Il serait pour elle un guide. Elle n'Ă©tait plus seule. Elle lui aliĂ©nait toutes ses rĂ©sistances. Il en oubliait qu'il Ă©tait mariĂ©. Jusqu'au coup de fil de sa femme le rappelant Ă l'ordre. Il n'eut pas le courage d'inventer une quelconque rĂ©union tardive pour prolonger ce dĂ©licieux moment et annonça donc Ă Lili qu'il devait partir. Mais avant, il tenait Ă la raccompagner. Dans la rue, il lui prit la main. Elle avait raison, la sienne Ă©tait si douce. Leurs regards se croisĂšrent et, pour la premiĂšre fois, elle fut intimidĂ©e par son insistance. A quoi jouait-il ? Rien ne serait possible, entre eux. Rien. A part ce qu'ils Ă©taient en train de vivre lĂ et qu'ils ne devraient jamais oublier. Il l'attira dans une ruelle et la plaqua contre le mur. Son regard se planta dans le sien, ils ne bougeaient plus. Leurs visages se touchaient presque. Elle pouvait sentir son souffle chaud caresser sa peau. Le mĂ©lange des odeurs de cafĂ© et de cigarette se dĂ©gager de sa bouche. Son ventre Ă©tait traversĂ© d'Ă©clairs de dĂ©sir. Elle dĂ©couvrait cette sensation. Elle avait envie de lui. De lui tout entier. Mais elle savait dĂ©jĂ qu'elle n'aurait rien de plus que ce qu'il voudrait bien lui offrir. Elle imagina trĂšs vite quelle pourrait ĂȘtre sa vie en tant que deuxiĂšme, celle qu'on cache, celle qu'on baise. Elle eut un mouvement de recul. Mais ses lĂšvres Ă lui se posĂšrent sur sa bouche et l'effleurĂšrent lentement. Lili ferma les yeux. Elle allait se donner. Elle courait Ă sa perte mais elle allait se donner. Sa langue vint doucement lĂ©cher les lĂšvres de celui qu'elle appelait dĂ©jĂ son homme » puis vint se mĂȘler Ă la sienne. Elle l'embrassa comme si sa vie en dĂ©pendait. Jamais elle ne mit autant de fougue et de passion dans un baiser. Elle gĂ©missait, il bavait, elle prit sa main et la posa sur son sein. Il s'accrocha Ă son corps comme s'il n'avait pas croisĂ© de femme depuis des annĂ©es. A travers la toile de son pantalon, elle sentait son dĂ©sir se dresser vers elle. Elle avait peur. Elle voulait reculer. Revenir en arriĂšre. Oublier. Se contenter de discuter. Mais c'Ă©tait trop tard. Il Ă©tait entrĂ© dans sa bouche comme on entre dans une vie. Pour ne plus la quitter sans y laisser le goĂ»t amer du vide. Nouvelle 073 _ Bonne vie Lise Je suis venu te dire que je m'en vais. Oui c'est ça, comme la chanson. Tant mieux si ça te fait sourire. Ăa m'arrange en fait, mĂȘme s'il est jaune, continue donc de sourire jusqu'Ă ce que mes pieds franchissent le seuil du cafĂ©, si cela m'aide Ă truquer mon image de toi ça me mĂšne tout droit au mobile. Il est sĂ»r que tu prĂ©fĂ©rerais un mensonge, l'invention d'une femme rencontrĂ©e au travail, comme la nouvelle commerciale que tu dĂ©testes sans raison depuis des mois. Tu me demanderais depuis combien de temps ça dure, si je l'ai dĂ©jĂ ramenĂ© chez nous Et puis quitte Ă trinquer, autant troquer. Tu me jetterais Ă la gueule que toi aussi tu l'as dĂ©jĂ fait avec un autre, la colĂšre colorant l'aveu d'une certaine fiertĂ© et tu poursuivrais sur le fait que tu as su cesser les conneries avant de mettre en pĂ©ril notre couple. La belle histoire quoi! Ăa se serait passĂ© comme ça, je te connais par cÂur, mais vois-tu je ne veux pas t'Ă©pargner ma vĂ©ritĂ©, pas aujourd'hui. _ Alors voilĂ je vais te le dire simplement Lise .la vie est triste avec toi, triste Ă en mourir. Je choisis en mon Ăąme et conscience de dĂ©truire tout ce qu'on Ă bĂątit ensemble pour rire de nouveau. _ Je pense que tu as toujours Ă©tĂ© comme ça et la seule chose qui ait changĂ© depuis toutes ces annĂ©es c'est moi. Ne pense pas que j'ai Ă©tĂ© faux tout au long. Je t'ai aimĂ© pour ce que tu as fait pour moi. Je ne peux pas te retirer ça, tu as Ă©tĂ© ma bouĂ©e de sauvetage, quand ça partait dans tous les sens pour moi. Quel merveilleux calme je me disais. Vu dans quoi j'ai grandi, tu Ă©tais une extraterrestre dans un premier temps, puis un guide. J'Ă©tais mallĂ©able Lise, quand tu me semblais si ferme. Et puis un jour, dans ton ombre j'ai distinguĂ© ce qui te tenait si droite, ton tuteur la raison. La raison, ton Ă©pouvantail Ă Ă©motions, ta cage Ă surprises. Tu es morte le jour oĂč tu es parvenu Ă te dĂ©finir. Le rationalisme est un dogme, il aliĂšne, aucune foi ne s'y trouve. Vois-tu oĂč je veux en venir ? Non Lise, je ne pense pas que le rire, ni l'amour d'ailleurs, ne sauveront la planĂšte, mais c'est ce qui nous reste de mieux, et je me contenterai amplement de mon propre sauvetage. Ah toi et tes grandes phrases tu illustres encore une fois ce que je pense, tu frĂŽles la perfection dans ton auto caricature. Enfin tu pleures pour quelque chose. Ne me dis pas que tu ne pleures jamais, tu pleures tout le temps, tu pleures quand tu parles, quand tu penses. Tu pleures en arguments, en Ă©prouvettes, en sondages. Ă cĂŽtĂ© les larmes sur tes joues sont jubilatoires, non ? Je te parle d'Ă©motions fortes Lise, de lĂącher-prise. C'est parfois bon de ne pas comprendre. La palabre est devenue ta prison. L'illusion de contrĂŽle peut fonctionner en sociĂ©tĂ©, parfois mĂȘme en couple, mais pas avec moi, plus maintenant en tout cas. Ma dĂ©cision est sans appel et je ne prĂ©tends mĂȘme pas faire ça pour t'aider, c'est pour moi que je pars. Tu vas finir par me tuer sinon. _ Je te remercie sincĂšrement une fois pour toutes pour le soutien que tu m'as apportĂ© au dĂ©but, mais ça ne suffira pas. C'est au-dessus de mes forces de vivre avec une personne qui pense, parce qu'elle l'a lu chez monsieur Freud, que l'humour n'est qu'une passerelle pour fuir nos pulsions. Et bien tant mieux si c'est vrai! Ma nĂ©vrose me fait rire madame ! Peu importe pourquoi. Toutes les raisons sont bonnes. Je ne sais pas si ça Ă toujours Ă©tĂ© comme ça, mais le monde est absurde. Ne pas rire de cette absurditĂ© c'est s'exclure. Oui je sais, je semble plein de certitudes aujourd'hui, j'ai pris ta place on dirait. Ne t'inquiĂšte pas je compte te la rendre trĂšs vite, elle ne me sied pas. _ Je vais me lever de cette chaise et tu ne me reverras plus. Il faut savoir agir pour son bonheur. Non ce n'est pas que tu passes ton temps Ă faire Lise; tu subis le bonheur dĂ©fini par d'autres. Le problĂšme de la raison c'est qu'elle est mĂȘlĂ©e des dires du professeur Ă©mĂ©rite, de ta meilleure amie et du magazine pour femmes. Sauf que c'est le cÂur qui doit trancher. Oui, c'est ce qui chez toi s'appelle le myocarde. Sur le plan anatomique auquel tu t'intĂ©resses tant tu constateras que le cÂur fait bloc avec les poumons, sur le plan mĂ©taphorique qui te parle si peu, j'en dĂ©duis que nos Ă©motions ont besoin de respirer. Le rire est l'outil Ă©vident. Je suis dĂ©solĂ©, je n'ai pas la sĂ©quence molĂ©culaire du rire pour appuyer mes thĂ©ories. _ Ce qui me navre surtout c'est de constater que, bien que ma dĂ©cision soit prise, et que j'espĂšre sauver mon Ăąme par lĂ mĂȘme, je ne suis encore capable que de cynisme. Tu as dĂ©teint sur moi au fil du temps. Mon Dieu, il va m'en falloir, du temps, pour reprendre des couleurs. Je n'en ai plus Ă perdre. J'y vais. Je souhaite que les rires des enfants du monde te contaminent. Bonne vie Lise. Adieu. _ Anthony inspire et expire Ă fond une derniĂšre fois, vĂ©rifie la soliditĂ© de son regard dans le miroir, puis quitte la salle de bain en oubliant d'Ă©teindre la lumiĂšre. Il marche Ă vive allure. Il sera Ă l'heure au rendez-vous. C'est voulu. Nouvelle 074 _ Truc Cela commence toujours ainsi, comme sans raison. _ C'est un sentiment jubilatoire plus besoin de se perdre en vaines palabres sans signification. Le monde n'a pas bougĂ©. Pourtant, c'est comme s'il changeait entiĂšrement, cessait d'ĂȘtre terne et dĂ©terminĂ© pour devenir un ensemble lumineux. Il devient possible de tendre une vraie passerelle vers ses semblables, imprĂ©vue, spontanĂ©e. Entendre un appel heureux ou angoissĂ©, y rĂ©pondre de sa propre volontĂ©, agir et rĂȘver librement⊠_ Communiquer commence Ă signifier quelque chose. _ Les carcans de mĂ©tal et de plastique deviennent soudain mallĂ©ables, un soutien plutĂŽt qu'une prison. L'esprit cesse d'ĂȘtre aliĂ©nĂ©, se mĂȘle Ă la conscience universelle. Oh, comme elle apparaĂźt clairement en cet instant, illustrant tant de pensĂ©es secrĂštes et cachĂ©es. Elle ne demande qu'Ă ĂȘtre leur guide, Ă libĂ©rer tous ses enfants. _ Cela ne dure pas. Cela ne dure jamais assez. _ Le sentiment de plĂ©nitude s'estompe. La frustration bouillonne d'avoir encore une fois dĂ» le troquer contre toujours les mĂȘmes sĂ©quences de lettres, de chiffres. _ Mais un jour â un jour, cela ne s'arrĂȘtera pas. Cela ne s'arrĂȘtera plus jamais. _ Au mĂȘme instant, un Ă©tudiant soupire, accoudĂ© au comptoir d'un cafĂ©. _ Mon mobile a encore envoyĂ© un message vide Ă quelqu'un que je ne connais pas. Cela lui arrive de plus en plus souvent, ces jours-ci. Je ne comprends vraiment pas ce qui lui prend. » Nouvelle 075 _ Une porte claque Une porte claque, les murs tremblent, les cadres dansent la java⊠l'un d'eux tombe et le son cristallin du verre apporte la touche finale. _ Que s'est-il passĂ© ? Pourquoi est-il parti ? il », car le pas lourd sur le gravier ne peut qu'appartenir Ă un homme en colĂšre. _ Pourquoi en colĂšre ? _ D'habitude la rue est calme⊠les maisons se soutiennent les unes les autres, comme les habitants,tout le monde se connaĂźt, mais vivre ensemble n'empĂȘche pas, le chacun chez soi. _ D'oĂč je suis, j'observe⊠Les va-et-vient de ce quartier qui se rĂ©veille. A Monsieur Vasseur fait dĂ©marrer son diesel, Ă il part, merci Monsieur Vasseur pour cette sonate ponctuelle quotidienne⊠Mais vous n'ĂȘtes pas le premier ! En effet, le chauffeur de la presse parisienne dĂ©pose dans la boite aux lettres des Leclerc leur journal Le Monde » Ă Allez dormir aprĂšs çà ! _ Je vous passe les dĂ©parts en couple, les jeunes en mobylette, les poubelles sorties tĂŽt le matin, avec en prime les bouteilles de la veille qui pourraient attendre, mais qui n'attendent pas⊠_ Tout çà ne me dit pas pourquoi il » a claquĂ© la porte⊠_ Vous allez dire mais vous devriez le savoir puisque vous ĂȘtes tout proche ! », ce serait trop facile ! Je suis proche, mais pas assez, j'ai l'ouie trĂšs fineâŠmais il m'est difficile d'Ă©valuer la distance, rien ne me guide dans mon enquĂȘte. Heureusement que je suis mobile ! _ Quelle heure Ă©tait- il dĂ©jĂ ? _ D'habitude, l'heure je m'en fous !, mais dans le cas prĂ©sent, çà pourrait m'aider⊠Je dirai⊠entre l'heure Leclerc » et lÂheure Vasseur »,⊠donc une heure oĂč il y a personne dans la rue, trop tard pour Leclerc », trop tĂŽt pour Vasseur »⊠_ Un peu de mĂ©thode⊠_ La maison la plus proche est celle des Verbecke. Monsieur est parti avec un peu de retard⊠il aime prendre son petit cafĂ© calmement, c'est un artisan plombier, trĂšs sollicité⊠il est son propre patron, quelques minutes de retard ne portent pas Ă consĂ©quence, il n'avait donc pas de raison d'ĂȘtre Ă©nervĂ© comme l'autre ostrogoth⊠_ La suivante, celle des Lemaire. Monsieur Lemaire est home â based » formule anglo â saxonne pour dire qu'il travaille Ă la maison. Il a la libertĂ© de commencer quand il veut⊠mĂȘme s'il ne sait plus oĂč il est, Ă la maison ou au boulot ! _ La troisiĂšme, Ă gauche, est vide⊠en indivision. Des herbes poussent dans les chĂ©neaux, la peinture des fenĂȘtres s'Ă©caille⊠bref, rien Ă voir avec notre homme ». _ Mais il y a la maison derriĂšre ! Oui ! DerriĂšre⊠ah là ⊠pas loin de la passerelle, c'est possible, la maison de la Veuve⊠on ne l'appelle plus que comme çà , on en oublie son nom ! _ Bon ⊠il me faut agir, c'est comme un appelâŠje vais faire un tour de ce cotĂ© là ⊠_ Soyons discret⊠Je n'ai pas que des amis dans le quartier⊠La Reine Dessaux par exemple, cette face de morue n'aime que les chats⊠c'est la Reine des Sottes oui ! DĂšs qu'elle me voit, elle m'engueule⊠Je lui joue la scĂšne numĂ©ro 4 du mĂ©pris⊠Tous les jours, c'est lassant ! _ Revenons Ă la maison de la Veuve⊠_ Pour une maison oĂč il n'y a plus de mec, elle est bien tenue⊠Monsieur La Veuve » avait une bonne situation parait-il, mais c'Ă©tait quelqu'un de trĂšs mallĂ©able, elle en faisait ce qu'elle voulait. Le con ! _ La maison a un double garage plus un parking, dans le quartier, çà se remarque ! Un jardin de devant plus grand que les autres, idem pour l'arriĂšre⊠de quoi faire des jaloux⊠de quoi s'aliĂ©ner des voisins⊠La jalousie, une affaire qui marche ! On jalouse le voisin et on achĂšte Gala » ou Point de Vue » va comprendre ! _ La Veuve est ⊠veuve, donc vit seule⊠et plus longtemps que son mari comme l'avez finement remarquĂ© un ancien premier ministre !. Ben oui⊠j'Ă©coute la radio ou la tĂ©lĂ©, difficile d'y Ă©chapper quand on a l'ouie fine⊠_ Si elle vit seule, pourquoi y aurait-t-il eu un homme chez elle ? Je vous vois venir⊠Veuve joyeuse ? Trop facile ! Quoique⊠_ Les gens sont compliquĂ©s ! Tout le monde rĂȘve de s'envoyer en l'air et chacun critique celui qui le fait⊠pas besoin d'illustrer mon propos, vous avez compris ! Et puis vous savez⊠se mĂȘler de la vie des autres, c'est dĂ©licat⊠Je n'attends aucun soutien ! _ Bon⊠elle est seule, et pourtant, il y avait un homme⊠et un homme en colĂšre de bon matin⊠_ Moi le matin, je n'aime pas qu'on me cherche⊠et vous ? _ Mais j'y pense ! Le pas lourd sur le gravier⊠il n'y a pas de gravier devant la porte de Madame Veuve ! _ Il va me falloir continuer mes recherches⊠peut-ĂȘtre de l'autre cotĂ© de la rue, car avec les Ă©chos les sons s'amusent Ă ricocher sur les murs en parpaings⊠allez retrouver leurs origines !. _ Et puis, pourquoi en colĂšre ? Parce que la porte a Ă©tĂ© claquĂ©e ou s'est claquĂ©e avec violence ? _ Mais⊠imaginons une femme lourde, trĂšs lourde, comme la MĂšre Deltour, ce n'est pas un tour de taille qu'elle a, mais une taille de tour ! Je sais, blague Ă 2 balles c'est facile, mais çà m'amuse ! Elle se lĂšve Ă enfin, si je la laisse tranquille⊠Ce matin, c'Ă©tait le cas, ses volets sont clos⊠Non, c'est ailleurs⊠_ Bon⊠rĂ©flĂ©chissons⊠_ Eliot !!! » Eliooot !!! » _ Eliot c'est moiâŠCe n'est pas facile Ă porter, mais je n'ai pas choisi⊠Eliooot !!! » Bon lĂ , faut que je vous quitte⊠car quand son maĂźtre l'appelle, un chien policier çà obĂ©it surtout quand le maĂźtre est un gendarme ! _ Je reprendrai l'enquĂȘte plus tard, mais avant⊠je laisserai bien une petite virgule sur la pelouse de la Reine Des sottes⊠C'est jubilatoire ! Demain, pas de palabre ! Je lui mordrais peut-ĂȘtre les fesses ⊠ce sera en quelque sorte comme troquer un vieil os contre un dessert , en tous cas, une belle opportunitĂ© pour chanter une sĂ©quence ! _ Cao ! Nouvelle 076 _ Le sang du pavot ReĂŻza rĂȘve encore un peu, l'aube se lĂšve sur les massifs de l'Hindukush. Un soleil rouge monte Ă l'horizon. Le vent est dĂ©jĂ fort, elle l'entend soulever le sable. Des cailloux ricochent sur les volets de bois qui battent lourdement. La cacophonie monte de l'enclos aux bĂȘtes, les chĂšvres et les poules attendent qu'on les libĂšre. Il faut agir, ReĂŻza doit se lever, raviver les cendres, chercher le bois et chauffer l'eau. C'est ainsi chaque matin de sa jeune existence, les sĂ©quences de travail se succĂšdent immuablement. La mĂšre est dĂ©jĂ aux champs avec les garçons, le pĂšre est au loin, dans les montagnes, il combat. Il arrive parfois la nuit sans un bruit et disparaĂźt aux aurores dans le silence et le mystĂšre. La petite fille a compris qu'elle ne doit pas en parler, Elle a trop Ă faire d'ailleurs, pour communiquer avec qui que ce soit. D'aprĂšs ses frĂšres, elle ne devrait mĂȘme pas penser, leur sÂur est l'Ă©gale d'une chĂšvre, elle n'est qu'une pĂąte mallĂ©able dont ils feront ce qu'ils voudront le moment venu. _ AprĂšs l'eau, il y aura la toilette, la lessive, les galettes de lĂ©gumes et le riz Ă prĂ©parer et puis les bĂȘtes Ă nourrir, Ă traire, Ă sortir. Il lui faudra encore entretenir la maison, la poussiĂšre envahissante et obstinĂ©e reprenant chaque jour ses marques. Peut-on affirmer que cette ruine de pierres sĂšches au toit trouĂ© et aux fenĂȘtres arrachĂ©es est encore une maison ? La fillette en doute parfois. Cette masure reprĂ©sente bien ce qui reste d'un foyer quand se taisent les canons. La guerre meurtrit les ĂȘtres, les Ăąmes et les choses. Autour d'elle, il n'y a que cicatrices des corps, des cÂurs et du dĂ©cor. L'Ă©ducation Ă la paix prend du temps et la petite fille trĂ©pigne. Elle a compris que seule, la fin des combats rendrait plus forts les habitants de ce pays tribal et rural. ReĂŻza sait d'instinct que la culture de la guerre engendre le dĂ©sastre mais le pĂšre s'obstine, il s'est aliĂ©nĂ© tout espoir de bonheur pour mieux combattre. Ce pĂšre rebelle un jour en mourra. _ L'enfant se hĂąte de terminer ses tĂąches domestiques et prend le chemin de pierres qui mĂšne au cÂur du village. Elle se fait discrĂšte, effacĂ©e. Il ne fait pas bon aller en classe, elle n'est qu'une fille aprĂšs tout ! Des occupations plus utiles l'attendent Ă la maison, mais la gamine est curieuse et aime apprendre. Voici deux ans que l'ONG de Mary a ouvert l'Ă©cole et ReĂŻza s'y faufile dĂšs qu'elle le peut. Elle n'est dĂ©jĂ plus une petite paysanne analphabĂšte, elle sait dĂ©sormais lire, Ă©crire et compter. Sa mĂšre semble bien l'avoir devinĂ©, elle est devenue sa complice. Il n'est pas question que ses trois frĂšres l'apprennent, ils la battraient. Ils prennent un malin plaisir Ă l'humilier et Ă la rudoyer sans motif particulier, mais s'ils savaient que chaque jour, elle troque le balai pour les livres, ils l'enfermeraient Ă jamais. La petite les avait entendus discuter une nuit avec le pĂšre. Ils lui cherchaient dĂ©jĂ un mari et souhaitaient lui voir la tĂȘte couverte. Les palabres n'en finissaient pas mais la mĂšre Ă©tait intervenue bientĂŽt avait-elle dit, je le promets, lorsqu'elle deviendra femme⊠». ReĂŻza craint cette dangereuse passerelle de l'Ă©tat de fillette Ă celui de femme. AprĂšs l'Ă©tape du voile viendrait le mariage et puis la burqĂą, le cachot Ă vie, la prison mouvante de tissu bleu⊠La petite court donc vers le chemin de la connaissance, elle va retrouver ses compagnes, petites filles, attentives, avides de comprendre le monde. Aujourd'hui encore, elles seront toutes lĂ , dans cette Ă©cole de fortune. Ensemble, elles se sentent plus fortes. Mary, leur institutrice, leur modĂšle, leur soutien, Mary, avec son savoir, sa pĂ©dagogie, sa compassion et les si jolis dessins qu'elle faisait, Mary, leur guide et leur lumiĂšre commence par l'appel des noms. Elle tentera pendant quelques heures, de transmettre Ă ces fillettes des connaissances de base, des bribes de culture, et les bourgeons de la rĂ©volte. Mary voudrait les rendre plus fortes, les sauver de la toute puissance misogynie des talibans qui sĂ©vit encore en Afghanistan. La jeune institutrice leur a longuement expliquĂ© les femmes Ă qui l'on ne donne pas d'armes intellectuelles et culturelles, retourneront Ă leur unique rĂ©fĂ©rence, leur mĂšre. ReĂŻza a compris depuis longtemps. Elle aime sa mĂšre mais ne portera jamais le tchadri. Un jour peut-ĂȘtre, elle verra le monde sans barreaux, sans grillage. Elle sentira le soleil et le vent sur ses bras et ses jambes. Elle chantera, voyagera, s'amusera, travaillera, vivra pleinement⊠Un jour peut-ĂȘtre, elle sera libre et forte, elle dansera et laissera le vent filer dans sa longue chevelure dĂ©ployĂ©e. _ La fillette rĂȘve encore un instant mais reprend vite le chemin de la maison. Elle doit prĂ©parer le thĂ©, les galettes, le riz et le fromage, ses frĂšres vont rentrer des champs, ils auront faim. _ Le pavot donne bien cette annĂ©e, sa culture en est interdite mais ici tout est interdit ! Respirer et se taire sont leurs seuls droits. L'enfant aime ces fleurs de la perversion, fleurs du mal, fleurs froissĂ©es si dangereusement belles. Rien de plus pathĂ©tique, qu'un champ de pavot aux corolles mobiles bercĂ©es par le vent. Sa famille vit de cette culture. Le pavot peut tuer celui qui le consomme, il fait tout juste vivre celui qui le cultive. Contradiction saisissante qu'elle assimile pourtant. Elle doit faire de gros efforts dĂ©sormais pour se taire et ne rien contester devant ses frĂšres ignares et violents. Mais avant l'envolĂ©e, il lui faut encore attendre, apprendre, comprendre et grandir. Elle court, les jupes au vent, elle ne doit pas se mettre en retard. Les pierres Ă©corchent ses pieds nus mais elle file, la joie au cÂur, des idĂ©es nouvelles plein la tĂȘte. Aujourd'hui elle a appris le sens des mots jubilatoire et cafĂ© viennois. Elle a l'impression de dĂ©tenir des trĂ©sors et ose Ă peine les prononcer. Elle a mĂȘlĂ© le plaisir Ă la culpabilitĂ©, elle a encore volĂ© trois heures Ă l'ignorance et Ă la tradition. Demain elle recommencera. Aujourd'hui, ReĂŻza a dix ans. Un jour peut-ĂȘtre, entourĂ©e d'amis, elle soufflera en riant, les bougies d'un gĂąteau d'anniversaire, comme dans les livres que Mary illustre si joliment. Nouvelle 077 _ Le Bouton Chambre petite mais confortable. VoilĂ trois semaines que Rose a emmĂ©nagĂ©. Les Ă©vĂšnements se sont vite enchaĂźnĂ©s. Tout a commencĂ© par la disparition de Martin. Une maladie qui ne s'est pas moquĂ©e. Hop  en un seul mouvement  Martin a Ă©tĂ© balayĂ©. A suivi le problĂšme de la succession. Il nây avait pas de mariage. Rose a troquĂ© sa panoplie de jeune sĂ©nior Ă©panouie et dĂ©vouĂ©e contre celle de pauvre retraitĂ©e dans la galĂšre. Inutile d'espĂ©rer un soutien de la part des enfants de Martin. La maison a Ă©tĂ© mise en vente. Un an plus tard, l'acte de vente signĂ©, voilĂ Rose entourĂ©e de quatre valises et de quelques morceaux de vie dans des cartons. A aucun moment Rose n'avait pensĂ© vieillir sans Martin. Rose doit maintenant improviser. Alors que Rose s'apprĂȘte Ă rendre les clĂ©s de la maison, une femme sur le trottoir lui fait signe. Rose a beaucoup vu cette femme lorsqu'elle militait pour des associations. A son salut chaleureux, Rose rĂ©pond par un sourire. Suivent quelques questions. Cette femme, Marielle, raconte. InstallĂ©e depuis peu dans une colocation de seniors, elle lâinvite Ă passer. Câest Ă deux pas. Tu vois la belle maison des chocolatiers Grangins. Pour information, on cherche dâautres locataires. » Câest Ă ce moment que le cerveau de Rose est sorti de son engourdissement. Colocation. Rose cherchait a sâentourer pour envisager la suite de sa vie. De fil en aiguille et d'aiguillĂ©e en aiguillĂ©e, Rose stylo en main, signe son contrat de co-location. Les quelques affaires que Rose a gardĂ© trouvent vite leur place dans sa nouvelle chambre. A son Ă©tage, une autre chambre, occupĂ©e par Michelle. Rose et Michelle partage salle de bain et wc. La cuisine est commune tous. Pour l'instant, chacun prĂ©pare ses plats. Les rĂ©serves de l'ensemble des locataires sont stockĂ©es dans un placard au garage. Rose et ses anciennes habitudes, rappent pour ses repas un kilo de carottes, juste au cas oĂč. Mais Rose le guide s'Ă©parpille. Reprenons la visite. La maison Ă donc deux Ă©tages. Au rez de chaussĂ©e, une piĂšce trĂšs grande pourra ĂȘtre louĂ©e Ă une Ă©tudiante. Au premier trois chambres  celle de Marielle au fond du couloir, et l'une en face de l'autre celles de Jean et de Marie â la cuisine, piĂšce aux palabres â le salon avec tĂ©lĂ©vision, table de jeu, bibliothĂšque, canapĂ©. Au deuxiĂšme dĂ©jĂ expliquĂ©. Les rĂšgles de la maison sont simples  vivre le plus possible en autonomie, sans se faire trop aliĂ©ner par le collectif. Mais Rose ne sait pas vivre s'en s'occuper des autres. Rose a proposĂ© Ă Michelle Les mardi soir, je peux te prĂ©parer ton repas quand tu rentres de ton activitĂ©. » Non merci â un sachet de soupe ça me va trĂšs bien » Rose a essayĂ© avec Marielle  Marielle prĂ©fĂšre faire appel Ă des femmes dans le besoin pour ses travaux de couture. Il y a bien Jean, mais Rose n'ose pas encore tendre de passerelle entre eux. Pour ce qui concerne Marie, Rose ne la trouve tout simplement pas sympathique. A chacune de ses remarque, Rose pense Quelle arrogance -..Non mais de quoi je me mĂȘle » Ce midi, Rose devant ses carottes rappĂ©es, remplit son verre de vin. Marie en face, lĂšve le nez Tu veux que je t'en serve un fond. » Non merci, j'en suis au cafĂ©, tiens mais Jean tu nâes pas encore parti ». Jean entre dans la cuisine et s'assoit. Rose, Marie, Marielle et Michelle finissent leur repas. Jean pose une petite boite recouverte de tissus et une chemise bleue sur ses genoux. Je viens de perdre un bouton, je vais essayer de le recoudre. Si quelqu'un veut m'aider ». Rose est prĂȘte Ă se jetter sur la boite, la chemise, le bouton. Ce besoin presque jubilatoire est dĂ©tournĂ© par Marielle Jean, ne pense pas qu'ĂȘtre le seul homme de la maison te donne le droit d'exploiter de pauvres femmes que tu sembles considĂ©rer comme mallĂ©ables ». Rose ne peut pas supporter cette sĂ©quence. Elle dĂ©barrasse sa place et quitte la cuisine. Cette nuit, Rose est entourĂ©e de boutons elle fabrique un merveilleux mobile pour les enfants de Martin, elle coud des boutons Ă la place des yeux de ses anciens collĂšgues. Rose rĂ©veillĂ©e en sueur, a des picotements terribles aux bras. Rose essaye de chasser lâimage de Jean, assis sur sa chaise, cherchant Ă enfiler le fil dans le chat de lâaguille. Ce matin, trĂšs vite Rose file. Rose sait ce qu'il lui faut. Aux mille et une aiguilles » Rose cherche un modĂšle, n'importe lequel. Rose veut troquer chaque rang de son tricot contre un bouton de son rĂȘve. L'image de Jean sâestompe, le malaise de Rose se dissipe. Une semaine passe. Les aiguilles protĂšgent Rose de ses envies. Un soir Jean entre dans le salon. Il nây a pas assez de lumiĂšres dans ma chambre. Toujours le mĂȘme bouton qui tombe ! » Rose Jean, vous devriez prendre un fil de la couleur de votre chemise, ça ferait plus soignĂ©. » C'est vrai Rose, mais je nâen ai pas dâautres⊠» Rose se reconcentre sur son augmentation de mailles. Le samedi suivant grand mĂ©nage. La maisonnĂ©e s'est donnĂ©e rendez-vous Ă 10h au pied de l'escaliers. Rose tablier Ă fleur et foulard assortis attend. Arrive Jean Dites-moi Rose, j'ai un souci avec un pantalon que je viens d'acheter. La retoucheuse m'a fait un ourlet, mais j'ai l'impression que les deux jambes ne sont pas pareilles. Je pourrai vous le montrer Ă l'occasion ⊠» Ecoutez Jean, Marielle a raison. Ne comptez pas sur nous pour vos travaux de couture. Je passerai en fin d'aprĂšs-midi voir ce pantalon, mais juste pour donner mon avis. » Rose n'en revient pas. Toute l'aprĂšs-midi elle repense Ă sa nouvelle attitude. Trois de semaines de vie communes et Rose illustre dĂ©jĂ le pouvoir de contamination des pensĂ©es fĂ©ministes. Trois rangs Ă l'endroit, trois rang Ă l'envers, Rose sâest dĂ©cidĂ©e ; elle n'ira pas voir Jean  quâil se dĂ©brouille avec ses ourlets et ses foutus boutons. MĂȘme jour, heure du thĂ©. Rose dans la cuisine avec Marielle. Qu'est ce que tu tricotes â un pull non ? » Oui  jâai presque fini. » Câest pour qui ? » Je ne sais pas âŠÂ MĂȘme jour, 20h30. Rose et son tricot, se glissent jusqu'au canapĂ© du salon. Jean n'est pas lĂ . De retour dans sa chambre, Rose sent remonter en elle son envie. Juste faire un tout petit quelque chose pour un autre. Rose se dĂ©cide. Elle va aller voir Jean pour s'excuser. La porte de la chambre de Jean est entrouverte. Rose jette un oeil Jean, excusez-moi ⊠» Rose est arrĂȘtĂ©e par un spectacle saisissant. Rose incapable dâagir, assiste Ă la scĂšne. Jean assis sur son lit, tĂȘte versĂ©e vers l'arriĂšre, pantalon baissĂ© est en train de se Rose est fascinĂ©e une femme lĂ , Marielle ? accroupie aux pieds de Jean Rose reste jusquâau dĂ©nouement qui secoue le corps de Jean. Rose tourne les talons. En remontant dans sa chambre, elle a envie de rire. Rose repense au bouton de Jean. Nouvelle 078 _ Une de perdue, l'humanitĂ© retrouvĂ©e ! Depuis une heure je m'enterre dans ce silence sans illusions. Elle ne veut plus de moi. Je ne pourrais plus me lever Ă ses cĂŽtĂ©s. J'ai cru comprendre son je te quitte » mais mon esprit ne peut songer Ă la suite. _ Je suis parti. J'ai errĂ© pendant plusieurs minutes dans les rues. J'agissais comme un vagabond sans guide, sans raison. Je croisais des visages, des silhouettes sans noms. Mes jambes ne pouvaient s'arrĂȘter. Je me rĂ©vĂ©lais mobile sans rĂ©flexion. _ AprĂšs la passerelle du Pont d'Ornay, je me retrouve lĂ , stoppĂ© net. Les flots me semblent si paisibles en cette saison. Ils coulent en harmonie, mĂȘlant brindilles et feuilles marron. Au calme, mon cÂur s'emballe, je me suis aliĂ©nĂ© Ă cette relation stĂ©rile. Sans elle, je ne suis qu'une de ces brindilles qui se jette Ă corps perdu dans l'horizon. _ Ensemble nous Ă©tions forts, l'avenir me semblait jubilatoire. Pas de peines Ă©perdues, nous sentions l'amour autour de nous. Il nous enrobait de son velours. Nous avions confiance l'un en l'autre. Jamais elle n'aurait pu avoir peur de moi. Nous nous aimions simplement. Trois annĂ©es entiĂšres Ă nous unir contre l'univers. _ Si seulement elle n'avait pas prononcĂ© ces mots morbides qui illustraient la mort de notre idylle. Je pourrais encore tenir sa main fĂ©brile, sentir sa peau contre moi, son corps, ses lĂšvre. Nos langues ne pourront plus jamais se mĂȘler. Je serais devenu mallĂ©able. J'aurais tout donnĂ© pour redevenir frĂ©quentable. Pour elle, je fusionnerais sans palabres. Elle deviendrait ma muse adorĂ©e par qui l'aube vient achever des nocturnes minables. _ Mais elle n'a rien Ă©coutĂ©, ni mes pleurs, ni mes jĂ©rĂ©miades. Elle a hurlĂ© la chute de notre amour, sur ce sol misĂ©rable. Notre flamme s'est Ă©teinte, soufflĂ©e par son rĂąle improbable. Aucune solution ne pouvait rĂ©parer l'irrĂ©mĂ©diable. _ Alors sur ce pont, je sens un mal qui me ronge. Jamais je ne pourrais revenir auprĂšs d'elle, pour qu'on s'allonge. Elle est rentrĂ©e dans l'hiver. Je ne la reverrai qu'Ă travers mes songes. Ma seule envie Ă prĂ©sent et que dans cette eau trouble je plonge. J'aurais beau troquer mes idĂ©es noires pour de pales subterfuges, m'enfermer au CafĂ© l'Olympique pour une ivresse de dramaturge. Jamais plus je ne sentirais ses caresses. Jamais plus je ne pourrais lui donner de tendresse. Marie me laisse. _ â Une jeune femme alertĂ©e par ma dĂ©tresse, m'interpelle de sa sagesse. _ â Ne sautez pas ! Calmez-vous, dit-elle la peur au bord des lĂšvres. _ â Je n'ai jamais Ă©tĂ© aussi calme voyez vous, je rĂ©ponds d'un ton acerbe. _ â Pourquoi ĂȘtre montĂ© sur ce parapet, descendez ! m'ordonne-t-elle d'un ton plus affirmĂ©. _ â Que m'offrez-vous en Ă©change, ma vie ne vaut rien. _ A ces mots, la jeune femme hĂ©roĂŻque, me tend sa main. _ â Je vous prĂ©viens. Je n'ai peur de rien. Je suis dĂ©sespĂ©rĂ©. _ â Rien ne vaut de se prĂ©cipiter vers une mort certaine. Prenez ma main et revenez vers la vie. _ Je songe alors Ă la suivre. Peut-ĂȘtre a t-elle raison ? Me jeter dans l'infini n'est pas la solution Ă un amour perdu, sans retour. _ Alors je prends sa main gantĂ©e. Je reviens sur terre, Ă sa portĂ©e. Je devine dans ses pensĂ©es un soulagement intime, comme une intention profonde, infime. _ â Merci, pour votre courage. Je sais comme parfois la vie est dure envers ceux qui sont sages. Presque un an plus tĂŽt j'ai moi-mĂȘme voulu me jeter dans cette eau sans tenter la nage. Je suis revenue Ă la raison. J'ai affrontĂ© le malheur pour accepter de remonter Ă la surface de mes maux. J'ai embarquĂ© sur un autre paquebot. _ â Mais vous ne savez rien de ce qui me prĂ©occupe ? _ â Oui mais je sais que votre dĂ©sespoir pourrait se changer en rage de vivre. Comme moi vous ne seriez plus un bateau ivre. Aujourd'hui, je suis une femme libre sans l'entrave de peines Ă©goĂŻstes qui m'habitent. Pensez aux autres tout simplement. Il y a tant de bonheur Ă apporter autour de soi, de soutien adĂ©quat. Vous pouvez choisir d'aider n'importe qui. Voyez ces sans-abris qui du coin de l'Âil demandent un peu de rĂ©pit, quelques bouchĂ©es ou chaudes nuits. Pensez aussi Ă tous ces enfants orphelins dans d'autres pays que le votre, le mien, ceux qui n'ont que la peau sur leurs corps et ne peuvent vivre bien longtemps encore. _ A cet instant, je recule. Je m'en prends plein les yeux de sĂ©quences de pellicules, comme ces images qu'on essaye d'oublier, ces messages de don et de bontĂ© recherchĂ©s, que les associations vĂ©hiculent. On zappe alors. On ignore. On recule. Et si je pouvais vraiment aider ! Profiter de mes peines pour plonger tĂȘte baissĂ©e ! Une autre voie vient de s'Ă©clairer, comme un appel. L'issue est maintenant claire. Je me sens libĂ©rĂ©. _ â Je vous suis si vous le voulez pour toute cause qui vous semble dĂ©sespĂ©rĂ©e, je lui affirme, le cÂur dĂ©jĂ prĂȘt Ă oublier ses cicatrices. _ â Venez donc avec moi rejoindre l'Oxfam. Nous aiderons les peuples Ă requĂ©rir leurs pleins droits d'hommes et femmes. _ Je me retourne alors sans mots, sans rĂ©ponse vĂ©ritable. Et je choisis de la suivre, cette inconnue Ă la belle Ăąme. J'oublie Marie dans sa mare de larmes. AprĂšs tout elle a mis fin Ă nos trois ans de bonheur sans Ă©gards ni regards. Je reviendrai chez nous quand elle aura quittĂ© notre territoire. Je l'effacerai de ma mĂ©moire, pansant mes plaies d'amours illusoires. Un nouveau but dans ma vie trouvĂ©, j'aiderai autrui Ă vivre dans la dignitĂ©. Je croyais mon univers effondrĂ© mais il vient de s'ouvrir sur l'humanitĂ©. Nouvelle 079 Je devais partir, quitter cette ville oĂč les gens ne me laissaient plus croire en la bontĂ© de l'espĂšce humaine. _ Une seule question me revenait sans cesse Ă l'esprit qu'est-ce que je fais lĂ ? _ Changer le cours des choses et agir, enfin, apparaissaient comme une Ă©vidence tant pour mon bien ĂȘtre que pour la construction de ma vie. _ L'idĂ©e de rester figĂ©e dans une telle obscuritĂ© m'effrayait. Je me sentais oppressĂ©e par la vie. _ A quoi bon rĂ©sister lorsque tout nous laisse croire que l'ailleurs ne peut ĂȘtre que meilleur? _ EspĂ©rer des jours plus chaleureux bercĂ©s par la simplicitĂ©. Tout quitter, ne serait-ce que temporairement, pour mieux revenir. _ Les Ă©conomies accumulĂ©es ces deux derniĂšres annĂ©es, grĂące au premier roman que j'avais publiĂ© et qui avait Ă©tĂ© aliĂ©nĂ© Ă un nombre inespĂ©rĂ©, dans le seul but de concrĂ©tiser, le jour venu, ce dĂ©sir de prendre la route, me paraissaient suffisantes. _ Stan savait parfaitement Ă quel point cette expĂ©dition me tenait Ă coeur. Depuis que nous Ă©tions ensemble, nous avions maintes fois abordĂ© nos projets et nos rĂȘves et il m'avait toujours encouragĂ© Ă aller au bout de mes envies. A l'instar du soutien que je lui portais pour mener Ă bien sa carriĂšre de musicien, je savais qu'il serait lĂ pour moi. _ Ce voyage me permettrait Ă©galement de pouvoir Ă©crire la deuxiĂšme sĂ©quence de mon roman, celle qui amenait l'hĂ©roĂŻne Ă parcourir l'Afrique. Lâemploi du temps mallĂ©able que je comptais adopter une fois sur place me laisserait l'opportunitĂ© de travailler, de profiter de toutes les richesses de ses contrĂ©es et surtout d'apporter concrĂštement mon aide, sur le terrain, Ă l'association humanitaire que j'avais créée. Je me voyais dĂ©jĂ , Ă l'ombre d'un arbre Ă palabre, Ă©couter les dĂ©bats des villageois, telle une enfant qui dĂ©couvre les secrets d'une communautĂ©. _ J'Ă©tais sur le point de toucher du bout des doigts mon rĂȘve mais un pincement au coeur, une douleur aigĂŒe me paralysa et vint troubler mon esprit, une sensation Ă©trange de joie mais aussi de vide profond. _ Tout tournait autour de moi, mon corps se dĂ©roba sous le poids de mes pensĂ©es. _ Une partie de mon inconscient cherchait Ă me dissuader de mener Ă terme ce but ultime. _ L'amour que je lui portais, la force des sentiments qui emplissaient mon ĂȘtre, la place qu'il occupait dans ma vie primaient sur le reste et je ne pouvais y renoncer. _ Pourtant, je me devais de rĂ©sister et m'armer du courage nĂ©cessaire pour me sĂ©parer de lui durant cette pĂ©riode. _ Lorsque Stan arriva pour le dĂźner, il vit immĂ©diatement que je n'Ă©tais pas en forme. J'avais encore le regard hagard, complĂštement perdu. _ AprĂšs de longues minutes restĂ©e sans rien dire, je brisa le silence et lui fis part, non sans mal, de mon dĂ©part imminent. Pris de court par cette dĂ©cision qui n'aurait pas dĂ» voir le jour si rapidement, il se contenta de me serrer dans ses bras. Je me sentais tellement coupable de le laisser ainsi. Ses larmes coulaient sur mes joues puis les miennes vinrent s'y mĂȘler. _ Je t'attendrais jusqu'Ă ton retour. Fonces et vis chaque seconde Ă fond, tu le mĂ©rites », me murmura-t-il Ă l'oreille, aprĂšs avoir repris un peu ses esprits. _ J'avais rĂ©ussi Ă trouver un billet Ă prix discount pour le SĂ©nĂ©gal, avec un dĂ©part dĂšs le lendemain. Stan prĂ©fĂ©ra partir pour me laisser faire ma valise. Le moment de la sĂ©paration fut atroce et prĂ©cipitĂ©, moi qui comptais passer encore un peu de temps prĂšs de lui. _ AprĂšs une nuit des plus brĂšves, je me retrouva profondĂ©ment seule, les yeux cernĂ©s, dans le hall de l'aĂ©roport. J'eus le temps de me commander un grand cafĂ©, rien d'autre ne me faisait envie avant de quitter mon pays. _ Ce moment tant attendu Ă©tait censĂ© ĂȘtre un des plus jubilatoires de ma vie, pourtant⊠_ Au creux de ma main je serrais de toutes mes forces un de ses colliers, une piĂšce cubaine qu'il avait trouĂ©e pour en faire un pendentif, j'avais rĂ©ussi Ă lui troquer le veille contre un recueil de textes, illustrĂ© de photos de nous deux, que j'avais composĂ© spĂ©cialement pour lui. _ Les hauts-parleurs retentirent et invitĂšrent les passagers Ă se diriger vers la salle d'embarquement. J'Ă©teignis mon tĂ©lĂ©phone mobile, espĂ©rant avoir ne serait-ce qu'un message, mais il n'en fut rien puis jâavançai sans rĂ©flĂ©chir, il n'Ă©tait plus question de reculer. _ Les billets et les bagages furent enregistrĂ©s sans difficultĂ©s. Une hĂŽtesse fit signe aux voyageurs de la rejoindre, puis chacun dut traverser la passerelle acheminant aux portes de l'appareil. Mon tour arriva et je pris enfin place au siĂšge qui m'Ă©tait attribuĂ©, Ă cĂŽtĂ© d'un couple de septuagĂ©naire fort sympathique et accueillant. _ Un appel de derniĂšre minute retentit dans la radio de l'avion et une hĂŽtesse prononça mon nom afin de savoir si je me trouvais Ă bord. Je me leva et me dirigea vers le cockpit d'oĂč elle envoyait le message. _ Une main se posa sur mon Ă©paule, cette prĂ©sence, je l'aurai reconnu parmi toutes. _ â Je ne peux pas sans toi, je t'accompagne⊠enfin si tu es d'accord? » Me susurra-t-il dans le creux de l'oreille. _ J'Ă©clatai en sanglot dans ses bras. MĂȘme si je ne savais pas encore ce que j'allais trouvĂ© au bout de mon voyage, mon rĂȘve Ă©tait rĂ©alisĂ©, toutes les peurs et apprĂ©hensions qui me hantaient s'Ă©taient dissipĂ©es, je ne craignais plus rien. Il serait mon guide. Une belle route s'offrait Ă nous. Nouvelle 080 _ Pourquoi pas FatiguĂ© par cette longue sĂ©quence, il but un cafĂ© et fort de ce soutien liquide, sorte de passerelle entre l'extinction et la rĂ©surrection, il troqua sa dĂ©froque humaine contre cette force quasi spirituelle qui permet d'agir de nouveau, Ă©tant Ă l'Ă©coute de son propre appel , irrĂ©pressible appel vĂ©ritable guide, net, sec, sans palabre⊠_ En Ă©tat de grĂące, il replongea dans l'architecture d'un rĂȘve qu'il illustrait sans cesse. _ Il stoppa dĂ©finitivement les nuages qui, au-dessus de la caravelle, semblaient avoir trouvĂ© leur place. Oui, c'Ă©tait lĂ et pas ailleurs, l'Ă©quilibre des choses. _ TrĂšs au loin, Ă©mergeant de taches vertes et bleues, toutes ensemble vĂ©ritable patchwork impressionniste, un Christ clouĂ© sur des volumes cubiques transparents, semblait vouloir rappeler qu'il Ă©tait lĂ pour , ne disons pas sauver, mais amĂ©liorer le monde , ce monde qui ne sait que dominer..Oui, l'homme aliĂšne l'hommeâŠ.. _ Oui, mais est-ce si facile ? _ L'esprit humain est tellement mallĂ©able. Versatile. Directif. Intransigeant. Blanc. Noir. Bancal. Raide. Mou. Sec. Chemin de terre. Chemin de pierre. Chemin mĂ©andresque. Chemin de droiture. Vibrant aux souffles. RĂ©sistant aux souffles. PĂ©nĂ©trable. ImpĂ©nĂ©trable. SauvĂ©. NoyĂ© tout s'y mĂȘle pour faire naitre la difficultĂ© d'ĂȘtre. _ Le commandant de la caravelle savait-il tout cela ? Y pensait-il seulement ? Mais non, bien sĂ»r. Un poisson volant mais immobile le regardait droit dans les yeux tandis que d'irrĂ©elles vagues s'embrassaient avec fougue, sous le souffle puissant et jubilatoire d'?ole. _ La barre ne bougeait pas. Ses poignĂ©es de chĂȘne rutilaient, usĂ©es cependant par tant et tant de miles parcourus de mĂ©ridien en mĂ©ridien. _ Le gouvernail faisait sa sieste entre deux courants chauds. Les hublots semblaient yeux de vaches attendant sans fin que quelque chose se passĂąt dans leur vie. _ Le drapeau ne savait plus s'il devait flotter. Parfois mobile, parfois de glace. Un astrolabe souriait, accrochĂ© Ă un palmier figure de proue. Les cordages, soigneusement enroulĂ©s, paraissaient digĂ©rer un boa. _ Sur le pont, une sirĂšne Ă©vanescente, allongĂ©e sur un lit de roses marines, se miraient dans le ciel. _ Un soleil invisible inondait d'or, les voiles gonflĂ©es d'orgueil. Il regarda longuement ce spectacle. D'abord tendus, ses yeux se remplirent progressivement d'acquiescement, de satisfaction. HĂ©sitant d'abord puis, sereinement, il sourit pleinement. _ Alors le peintre surrĂ©aliste signa sa toile et s'endormit, comptant bien embarquer sur son rĂȘve . _ Oui, mais les rĂȘves nous rĂ©servent souvent d'Ă©tranges surprises, de funestes apparitions, et ainsi, du bonheur idiot, on passe au drame sans savoir ni pourquoi ni comment. _ Des voix venues de nulle part vous susurrent, s'Ă©lĂšvent, grognent, s'envolent, vous harcĂšlent et le cerveau est flagellĂ© de coups de dictionnaires desquels tombent, en impacts maudits, des mots, des mots, toujours des mots agir, guide, appel, passerelle, ensemble, jubilatoire, aliĂ©ner, palabre, cafĂ©, mallĂ©able, soutien, sĂ©quence, illustrer, mĂȘler, mobile, troquer! Nouvelle 081 _ Une spirale vertigineuse Allez, trĂȘve de palabre ! Ici, on n'a pas besoin de connaĂźtre ton histoire. Finis ton cafĂ© et va voir Jean. Tu pourras troquer tes nippes contre un bleu de travail. On se retrouve Ă l'atelier. _ Michel Ă©prouve le mĂȘme vertige que lorsqu'il franchissait la passerelle pour aller chez son grand-pĂšre. Le courant l'attirait et l'effrayait tout Ă la fois. _ Il se tait et obĂ©it. Lui dont la devise Ă©tait quand on veut, on peut » se sent aujourd'hui mallĂ©able entre les mains du grand barbu qui lui fait face. Il n'a pas le choix. Il doit laisser derriĂšre lui les diffĂ©rentes sĂ©quences de sa vie passĂ©e. Barrer d'un trait la plus rĂ©cente n'est pas difficile. Mais les autres Michel aimerait comprendre. _ Il avait Ă©tĂ© un enfant unique choyĂ©. A seize ans, il avait quittĂ© l'Ă©cole. Il avait depuis toujours une obsession dresser des chiens. Il Ă©tait douĂ©, de lĂ Ă en faire son mĂ©tier⊠Ses parents ne lui avaient jamais rien refusĂ©. Une fois encore, ils lui apportĂšrent leur soutien. _ Les dĂ©buts en apprentissage furent d'emblĂ©e prometteurs. Michel rĂ©ussissait d'autant mieux que les chiens Ă©taient rĂ©calcitrants. Il savait et aimait les mater. Le patron l'admirait. Il lui servirait de guide dans ce monde fermĂ©. Mais un matin Michel se rebiffa et disparut. _ CĂ©libataire, il Ă©tait mobile. Il trouva du travail ailleurs, loin. Le scĂ©nario se rĂ©pĂ©ta. Plusieurs fois. Sa vie sentimentale ressemblait Ă son parcours professionnel. Il s'attachait difficilement Ă une femme. Toujours des questions. Comme sa mĂšre. Quand l'une d'elle lui plaisait, c'Ă©tait elle qui le quittait, ne supportant pas de se sentir surveillĂ©e, harcelĂ©e par ses appels incessants. _ Il crĂ©a une entreprise de gardiennage. Des camions, des bonshommes, des chiens. Etre son propre patron, dresser lui-mĂȘme ses chiens, donner des ordres, agir selon ses impulsions. C'Ă©tait jubilatoire. Au bureau, il avait embauchĂ© Solange. Chaque samedi, ils faisaient ensemble un bilan de la semaine. Ils complĂ©taient le tableau illustrant la prospĂ©ritĂ© de l'entreprise, buvaient un cafĂ©. Aucun ne se mĂȘlait de la vie privĂ©e de l'autre. _ Jusqu'au soir oĂč Michel invita Solange. Un autre soir. Tous les soirs. Elle vint habiter chez lui. Le regretta aussitĂŽt. Michel cherchait Ă la dresser, comme il dressait ses chiens. Elle n'Ă©tait pas une femme soumise. _ Elle fut prudente. Un matin, Michel ne trouva pas Solange au bureau, mais une lettre d'elle lui annonçant qu'elle n'habitait plus chez lui et qu'elle avait trouvĂ© du travail ailleurs, trĂšs loin. Comme s'il avait accumulĂ© pendant des annĂ©es colĂšre et violence, il cassa tout, mĂ©thodiquement, dans les bureaux, dans la maison. _ AlertĂ© par ses hurlements inhumains, un employĂ© appela les secours. Michel se retrouva Ă l'asile d'aliĂ©nĂ©s d'oĂč il s'enfuit dĂšs qu'il en trouva l'occasion. Il dĂ©couvrit qu'il Ă©tait plus facile de se cacher en ville qu'Ă la campagne, mais ne s'adapta pas au monde souterrain des errants. _ HantĂ© par son passĂ©, ne supportant pas son prĂ©sent, n'entrevoyant aucun avenir, il a franchi le seuil de la communautĂ© EmmaĂŒs. Nouvelle 082 Le froid vif et piquant de l'une de ces longues journĂ©es d'hiver au cours de laquelle, visitant le bord de mer, j'errais, m'a fait pĂ©nĂ©trer dans cette antre encore inconnue pour moi. Je poussais la lourde porte de l'Ă©tablissement et m'installais a cette table. J'avais troquĂ© mon blouson de cuir pour une grosse veste matelassĂ©e que j'ĂŽtais de mes Ă©paules pour la dĂ©poser sur le dossier d'une chaise voisine. l'enceinte fleurait une bonne odeur de cafĂ©. Le patron, derriĂšre son comptoir illustrait totalement l'endroit. Le visage rougeot comme le nectar des bouteilles qu'il dĂ©bite Ă ses clients et une immonde chemise Ă carreaux Ă©voquant la tapisserie des cloisons du lieu. un tour d'horizon de l'ensemble m'a fait apparaitre quatre autres individus. L'un Ă©tait pansu comme un moine bien nourri. Ses comparses Ă©taient plutĂŽt fins comme des bĂątons de pĂšlerin alignĂ©s sur la passerelle qui mĂšne Ă st Jacques de Compostelle. _ Tendant l'oreille, je devinais que les frĂšres bibine avaient entamĂ© un palabre tournant autour de leurs divins exploits de boisson. La rigueur hivernale nĂ©cessitait surement une grosse dose d'antigel pour leurs gosiers assoiffĂ©s au vu des chopes de biĂšres que nos braves amis ingurgitaient. _ L'intrigue de mon nouveau roman allait se dĂ©rouler dans un endroit semblable a ce bistrot et, durant mon sĂ©jour je comptais bien m'imprĂ©gner de l'ambiance de ces lieux et, qui sait, si ce patron joufflu n'allait pas me servir de guide. _ Mobile derriĂšre sa buvette, Rouge de mine » remarquait enfin ma prĂ©sence et se dĂ©cidait enfin a me consacrer quelques minutes au cours desquelles je lui commandais un grand cafĂ© crĂšme. _ Assit sur de grands tabourets et alignĂ©s comme des enfants de cÂurs un matin de messe les quatre Ă©ponges se sont tous retournĂ©s ensembles pour me dĂ©visager. Mon imagination puisait en eux un caractĂšre, et j'imageais ce qu'ils pouvaient ĂȘtre. _ Le musclĂ© des joues et gras du bide semblait plus ĂągĂ© que ses frĂšres de comptoir. Il paraissait Ă©galement plus fourni cotĂ© matiĂšre grise, plus posĂ© et mieux vĂȘtu. _ Parmi les trois ablettes, l'un me paraissait fourbe Ă sa façon jubilatoire de me regarder. Il avait le teint jaune, l'Âil jaune assortis a son incontournable col roulĂ© qui lui aussi avait surement des kilomĂštres au compteur. Son voisin de droite, affublĂ© d'une combinaison de travail verte avait le regard tombant et je devinais rapidement qu'il voyait Ă mes cotĂ©s un frĂšre jumeau. Il n'avait pas du sucer que de la glace le julot! Sans le soutien des Ă©paules de ses camarades il y a longtemps que monsieur le comte de la vinasse aurait culbutĂ© de son perchoir. _ Plus Ă©lectrique, nerveux comme un pinson un matin de printemps, le troisiĂšme mousquetaire me faisait l'effet d'ĂȘtre le joyeux luron de la bande. Bouille amaigrie certes mais un air fort sympathique aux premiers abords. Les piles pleines d'Ă©nergie ZĂ©bulon semblait ĂȘtes montĂ© sur ressorts, gesticulant et mallĂ©able comme un jouet de fĂȘte foraine qu'on accroche dans une voiture. _ Les quatre avaient fini de me dĂ©visager. L'inconnu que je reprĂ©sentais dans la petite bourgade en en l'occurrence dans cet endroit devait dĂ©lier leurs langues imbibĂ©es de toutes sortes de boissons alcoolisĂ©es. Ils ne le savaient pas mais ils allaient inspirer mes neurones, me servir de guide et dans quelques semaines leurs images allaient sortir de mon esprit et venir noircir mes pages d'Ă©critures. _ Ce sĂ©jour Ă la mer Ă©tait pour moi le stage idĂ©al afin de m'imprĂ©gner de cette ambiance qui tourne autour et Ă l'intĂ©rieur des bars, cafĂ©s, troquĂ©s et autres endroits ou fourmille cette population de boit sans soif ». _ Un Ă©niĂšme roman allait naitre dans ce cadre que j'ai choisi. Une Ă©nigme mĂȘlant intrigue et humour , ou, tous les acteurs se retrouveront jours aprĂšs jours, ici, dans un lieu semblable. Le lecteur y dĂ©couvrira une plĂ©iade de quidams et chacun aura a cÂur de deviner qui d'entre eux aura assassinĂ© paulo, un vieux marin, la veille d'un noĂ«l sanglant. De quoi en aliĂ©ner plus d'un. _ Peu habituĂ© a frĂ©quenter ces endroits de rencontres et avec la ferme intention de faire Ă©diter mon roman avant le nouvel an prochain, je devais agir rapidement afin de me mĂȘler et familiariser avec les dĂ©bits de boissons. une fois rentrĂ© chez moi je ferais appel a tous ces souvenirs. _ Je quitte l'endroit, qui constitue pour moi une premiĂšre mais pas derniĂšre sĂ©quence en ces lieux. Nouvelle 083 _ Courrier Ă Mr TWISTAGAIN _CABINET DE PEDIATRIE _ 2 Rue du dĂ©sert mĂ©dical _ 98200 Les GUINGUETTES _ Dr Willy COTTE _ Ancien Interne _ XX212CPC299Ăč _ courriel appeldesalienes _ Le 24 novembre 2020 Ă Mr Fredy TWISTAGAIN _ PrĂ©sident Directeur GĂ©nĂ©ral de l'ADPAM _ Agence de Privatisation de l'Assurance Maladie _ Cher Monsieur, _ Je me vois dans l'obligation de refuser votre dernier envoi datĂ© du 10 novembre dernier et arrivĂ© au cabinet par colis recommandĂ© avec accusĂ© de rĂ©ception . _ Il s'agit, comme vous le savez d'un AMEVADDET de troisiĂšme gĂ©nĂ©ration automate mobile enregistreur vidĂ©o d'aide Ă la dĂ©cision diagnostique et thĂ©rapeutique. Cet outil, merveille de technologie que vous qualifiez de passerelle entre les praticiens et votre entreprise est censĂ© enregistrer et filmer en continu mes consultations,et si besoin protester soit par un grognement si je m'Ă©carte des recommandations consensuelles et des sacro-saintes » sĂ©quences de l'ETP Ă©ducation thĂ©rapeutique du patient soit par un grondement si ma consultation dĂ©borde les vingt minutes autorisĂ©es. _ Ăgard Ă ma pratique pĂ©diatrique? cet automate Ă©quipĂ© d'une tĂ©lĂ©-commande peut chanter des comptines, se dĂ©placer. Il est vĂȘtu d'une pelage d'ours avec accessoires et prĂ©nommĂ© WINNIE. Vous m'Ă©crivez que c'est Ă la fois une allusion personnalisĂ©e Ă mon prĂ©nom et aussi un clin d'Âil convivial, rĂ©fĂ©rence Ă un trĂšs vieux dessin animĂ© de Walt Disney qui a enchantĂ© notre enfance. _ A ce propos, le rĂ©pertoire de l' APDAM n'est toujours pas Ă jour et s'obstine Ă m'adresser des courriers au nom du Dr. Winnie COTTE. Je vous rappelle Ă toutes fins utiles pour vos services que le praticien anglais homophone qui s'est illustrĂ© dans la psychanalyse d'enfant, se prĂ©nommait lui Donald Donald WINNICOT, qu'il est dĂ©cĂ©dĂ© en 1971, enfin que cette pratique la psychanalyse d'enfants a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e obsolĂšte et donc Ă ce titre interdite dans votre guide des bonnes pratiques 2015. _ Vous m'Ă©crivez aussi que j'ai beaucoup de chance d'avoir Ă©tĂ© tirĂ© au sort, vous me dites que c'est un cadeau gratuit sans engagement et que mon refus Ă©ventuel de l'utiliser n'aliĂšnera pas la qualitĂ© de mes relations ultĂ©rieures avec l'Assurance Maladie. Vous me prĂ©cisez que je pourrai troquer WINNIE contre un autre animal de mon choix. PORCINET, BOURRIQUET ou TIGROU. Si j'acceptais votre offre, j'aurais personnellement une prĂ©fĂ©rence pour BOURRIQUET plus en rapport avec mon caractĂšre d'opposant rĂ©calcitrant peu mallĂ©able, toujours enclin Ă se mĂȘler de ce qui est censĂ© ne pas le regarder. C'est en tous cas la derniĂšre analyse de mon profileur local de l'APDAM qui trouve en outre que mes consultations s'apparentent je le cite Ă des palabres de cafĂ© du commerce» et donc deviendraient Ă ce titre trĂšs prochainement non remboursables pour les assurĂ©s non munis de trĂšs bonnes assurances complĂ©mentaires de niveau un. _ Au delĂ du propos dĂ©sobligeant Ă mon endroit que je me permets de vous transmettre, je trouve cette mesure particuliĂšrement discriminatoire pour mes petits patients. _ Depuis la disparition de la CMU en 2013, c'est donc bien une SantĂ© Ă trois vitesses qui se profile. _ Votre politique est maintenant transparente elle vise Ă crĂ©er ou plutĂŽt accentuer les clivages au sein des soignants et Ă terme, conduit Ă la disparition des professionnels de santĂ© les moins bien rĂ©munĂ©rĂ©s dont les gĂ©nĂ©ralistes, les psychiatres et les pĂ©diatres ambulatoires dinosaures comme moi, font partie . Tout ceci au profit d'une santĂ© rendue enfin rentable» grĂące au dĂ©remboursement, Ă la prĂ©carisation et Ă l'assomption jubilatoire des assureurs privĂ©s qui trouvent en vous un soutien dĂ©cidĂ©ment indĂ©fectible et permanent. _ Je ne peux donc que refuser votre offre. Consacrant dĂ©jĂ plus de trois heures quotidiennes aux taches administratives et Ă la tĂ©lĂ© transmission, je refuse d'assurer en plus la maintenance de Winnie qui serait, si j'ai bien compris entiĂšrement Ă la charge du praticien. Vous imaginez mes instables psychomoteurs shootant dans cette petite merveille Ă©lectronique⊠_ Je vous renvoie par le mĂȘme colis tous les produits dĂ©rivĂ©s Winnie » sucettes, baby-relax, illustrĂ©s publicitaires, trotteurs parlants, packs musicaux, peluches interactives, aires d'Ă©veil Ă©volutives, tickets d'entrĂ©e Mac Do et prĂ©servatifs, pourquoi des prĂ©servatifs?⊠Je refuse de passer sous les fourches Caudines de la vidĂ©o surveillance et lance un grand appel Ă tous mes collĂšgues qu'ils aient ou non reçu le mĂȘme colis cadeau » de l'APDAM. _ Il faut enfin agir ensemble , il n'est pas trop tard!! _ Je vous prie de croire, monsieur Ă l'expression de mes sentiments les meilleurs _ Dr Willy COTTE Nouvelle 084 _ Palabre de ThOrg Depuis mon arrivĂ©e sur Terre, j'ai beau tout savoir, patinĂ© d'une infinie connaissance, comme mes prĂ©dĂ©cesseurs, je ne comprends pas⊠Quelle motivation est guide pour l'humain, son agir ? _ Pour nous Ăhmiens, dire c'est faire, pensĂ©e et action ne peuvent ĂȘtre diffĂ©rentes ! _ Je me mĂ©lange aisĂ©ment de villes en citĂ©s. Je vais de pays en pays, sautant d'un continent Ă l'autre sans difficultĂ© aucune Ă la recherche de ce qui est l'objet de ma mission comprendre, Ă©valuer. _ Si je laisse ce tĂ©moignage, pour vous humains qui tomberez dessus, voyez le comme mise en garde et invitation au changement. Trop d'inĂ©galitĂ©s, d'injustices pavent le sol de vos existences. Entendez le et accordez vos paroles avec vos actes, je vous en prie. _ Le temps d'un cafĂ© tout se dit, se prĂ©pare, rien ne se fait pourtant l'envie y est BĂȘler dans la mĂȘlĂ©e, se mĂȘler en l'idĂ©e. Le temps d'un pot, pour l'apĂ©ro, vous refaites le monde » sĂ©quences, flattant vos Ă©gos dans liesse et fĂȘte le plus souvent en testant gens et Ă©motions. _ Les rĂ©unions que je vampirise quelles que puissent ĂȘtre leurs formes et raisons d'ĂȘtre, sont quĂȘte, recherche avec souvent coeur pour soutien, Ă©tai et remblai Ă des pensĂ©es se chevauchant mais pouvant mieux faire Agir respectueusement. _ Il suffit de l'aliĂ©nation de vos Ă©motions ; j'entends, je vois, je ressens ton appel Terre si belle, passerelle dans l'univers, Arche bleue. Vous aussi mes lointains cousins mallĂ©ables parfois entendez vous le chant multicolore dans vos structures mentales. Mais handicapĂ©s par votre humanitĂ©, pour nous une maladie, vous ĂȘtes aliĂ©nĂ©s par des ressorts Ă©nigmatiques pour nous. _ Notre architecture psychique est rigide, froide, taillĂ©e au scalpel laser dans la masse de nos sentiments, de nos esprits. Forts de votre inadaptation, vous passez Ă cĂŽtĂ© ». _ Votre chaleur, candeur est jubilatoire de mon point d'observation mais au lieu de vous guider dans l'action, vous vous fourvoyez en elle, en ailes devrais-je dire tant votre propension au vol rĂ©el ou stimulĂ© en cerveaux rĂ©fractĂ©s, endormis ou exhaussĂ©s caractĂ©rise votre pathologie qui est bizarrement votre force, entendez votre humanitĂ©. _ Pouvoir, volontĂ©, contrĂŽle prennent tellement d'espaces qu'en nappes ou couches ces motions vous mĂšnent par le bout du nez », oubliant trop souvent vos intuitions, pour nous siĂšge des libertĂ©s menant aux vĂ©ritĂ©s libres les livĂ©ritĂ©s. _ Pour illustrer mon propos Point de respect ou trop peu en vos actes dont une consĂ©quence sociĂ©tale Ă base d'individualitĂ© vous pousse Ă polluer, vous Ă©loignant du respect que votre planĂšte vivante elle aussi attend de vous. Vous troquez vos idĂ©es, vous dĂ©froquez vos positions pour des mobiles ou selon des raisons douteux laissant une grande majoritĂ© de vos concitoyens en marge. _ Vous en ĂȘtes Ă l'Ăšre du sĂ©quençage gĂ©nĂ©tique, ce qui justifie ma mission d'Ă©coute. Vous jetez une partie de vos forces en exploration du cosmos, appelĂ©s par l'univers, ce stade d'Ă©volution explique aussi ma venue. _ En effet, nous Ăhmiens, Ă©valuons comment aider votre sol sacrĂ©, comment du coup vous orienter vers plus de respect de votre planĂšte. A l'heure ou j'Ă©cris ceci, appel Ă vous qui me dĂ©couvrirez lĂ oĂč j'aurais dĂ©posĂ© mon tĂ©moignage, je n'ai aucune leçon en bouche Ă vous enseigner tant j'ai compris ce que libertĂ© et crĂ©ativitĂ© signifiaient pour vos peuples. _ NĂ©anmoins, sans vouloir ĂȘtre alarmiste, dans votre Ă©volution si Tout, je dis bien Tout n'est pas orientĂ© durablement vers le respect du principe du vivant sur votre globe ; alors vous ne connaitrez pas l'envol vers d'autres galaxies et vous ne pourrez saisir les lois gĂ©nĂ©tiques. _ Il n'y a pas a voir en cela d'autre rapport de cause Ă effet que celui qui va suivre Vous ne pourrez continuer Ă ainsi Ă©voluer car nous nous y opposerons de toute notre force avec nos mentales vagues armes subtiles, inodores, indolores. MĂȘme les imaginer votre crĂ©ativitĂ© ne peut. _ Nous, Ăhmiens, sommes issus du grand Tout, respiration du petit rien qui Ă l'aube des temps immĂ©moriaux se sont contractĂ©s, ensemble nous nous sommes mis Ă respirer, onduler, vibrer semant ça et lĂ , ce que nous aĂŻeuls impermanents osĂšrent poser. _ Nous vous avons guidĂ©, parfois aidĂ©. Maintenant votre action doit tenir compte de notre soutien sans renouveler le vieux modĂšle lorsque vous nous fĂźtes dieux. _ Les prophĂ©ties initiĂ©s par nos soins, arrivent Ă terme comme votre gestation. L'illumination n'appartient pas Ă votre passĂ© mais vous devance, elle vous attends dans des couloirs temporels ou seuls les ĂȘtres dignes pourront se hisser. _ La justice se tient en amont de ces portes, elle a pour nom respiration de votre planĂšte bleue, elle est Ăhm, principe vibrionnant et certains, gardez l'espoir, le sentent, le vivent, l'expĂ©rimentent au quotidien aux contreforts de l'Himalaya ou immergĂ©s en Selva. _ D'un souffle Ă©clairĂ© parvient la lumiĂšre, de mon propos chuinte la pensĂ©e des miens, jardiniers de l'univers, acteurs indolents des devenirs, rĂȘveurs pour des mondes cohĂ©rents, Ă©tayĂ©s s'ils en sont autour du principe premier Justice pour tous. _ Ce message, laissĂ© en une de vos derniĂšres crĂ©ations, la toile », s'ouvrira le moment venu, se rĂ©pandant librement et en toutes langues. _ Alors vous redeviendrez les acteurs potentiels avec pour choix entre les mains ĂȘtre asservis par notre pensĂ©e ou rebondir en une respiration ultime, seule apte Ă vous propulser en sauts quantiques dans l'espace et le temps, seule apte Ă vous instiller gĂ©nĂ©tique comprĂ©hension. _ L'oubli vous a Ă©garĂ© en chemin, l'oubli vous guette comme jamais. _ Moi ThOrg, je vous en conjure, pour un bonheur sans fard, rĂ©agissez ensemble, sans fiĂšretĂ© ou l'oubli deviendra Ă©ternel. ThOrg, Ă©missaire Ăhmien Nouvelle 085 _ Copains d'avant, ennemis d'aprĂšs Avant de faire les mots croisĂ©s du Monde, Odile parcourt la page d'Ă cĂŽtĂ©, celle des morts. Un nom lui saute aux yeux, celui de Louis, son premier fiancĂ©. L'annonce trĂšs brĂšve ne permet pas d'Ă©carter un homonyme, alors elle s'adresse Ă Google, son guide habituel, qui lui indique le rĂ©seau Copains d'avant. Elle se mĂ©fie des rĂ©seaux, mais pour avoir accĂšs Ă sa fiche, elle s'inscrit prudemment Ă son nom de jeune fille, prĂ©cisant juste les Ă©tablissements frĂ©quentĂ©s et la ville oĂč elle rĂ©side. Louis a Ă©tĂ© discret aussi. Elle voit oĂč il vit et consulte l'Ătat civil il s'agit bien de son Loulou ». _ TrĂšs vite, Copains d'avant lui transmet le message d'une sexagĂ©naire bien en chair qu'elle ne reconnaĂźt pas. Elle rĂ©pond que oui, elle se rappelle, mais elle n'habite plus dans la rĂ©gion. Et elle se garde bien d'ajouter son nom Ă la liste des amis. Au printemps, Odile a une correspondance avec Pierre Ă 12 ans, ils Ă©taient pensionnaires tous les deux et ils s'apercevaient parfois le jeudi quand la promenade du collĂšge de garçons croisait celle du collĂšge de jeunes filles. Ils s'Ă©crivaient des lettres trĂšs fleur bleue sur des feuilles perforĂ©es pastel. Il arriva que, lors d'une sortie cinĂ©ma, il soit assis prĂšs d'elle elle fut trĂšs perturbĂ©e par cette proximitĂ© et n'eut pas l'impression que c'Ă©tait vraiment Ă lui qu'elle envoyait des mots doux. _ Pierre ne fait aucun commentaire sur le dĂ©cĂšs de Louis. Ils Ă©taient pourtant dans la mĂȘme classe. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il ignore ce qu'elle Ă©crit, et ses messages pourraient ĂȘtre adressĂ©s Ă n'importe quel copain d'avant » de la mĂȘme tranche d'Ăąge. Le jour oĂč elle lit Je vais tondre la pelouse 5000 m2 », elle montre de la froideur. AprĂšs 50 ans de silence, ĂȘtre si prosaĂŻque⊠L'Ă©change se rarĂ©fie puis cesse. _ Au dĂ©but de l'Ă©tĂ©, elle reçoit un message de Patrick, un camarade de 3Ăšme d'un autre Ă©tablissement dont elle avait Ă©tĂ© vaguement amoureuse jusqu'Ă ce qu'il lui rĂ©vĂšle une petite amie, Josiane, qui serait au lycĂ©e Ă la rentrĂ©e suivante. Elle avait revu Patrick en mai 68, Ă la sortie d'un meeting il avait Ă©pousĂ© Josiane. Les mains enfoncĂ©es dans les poches et le regard mauvais, il avait marmonnĂ© que, jolie comme il la voyait, elle ne devait pas s'ennuyer ! _ Dans ses messages, il se montre d'emblĂ©e agressif et envahissant, l'appelle la vieille » et, bien qu'ils aient le mĂȘme Ăąge, se prĂ©sente comme un bel homme encore jeune et sĂ©duisant. Il lui demande comment elle se remet de l'Ă©motion de l'avoir retrouvĂ©, veut savoir ce qu'elle a fait de sa vie⊠Elle ne rĂ©pond pas. Un jour, il annonce qu'il part pour cinq semaines aux States » et s'Ă©nerve l'avion lui fait peur, elle pourrait au moins lui souhaiter bon voyage. Elle se dit Bon dĂ©barras ! Ce sera l'occasion d'en rester lĂ ! » _ Mais, dĂšs son retour, il la contacte. Il a repĂ©rĂ© qu'elle vit dans un bled de Bretagne » et justement, il va souvent dans le secteur. Ils pourraient se rencontrer pour une 'tite bouffe » c'est son style. Elle pense qu'un 'tit cafĂ© serait encore trop et rĂ©pond qu'elle n'est pas dans son bled. Elle vit aussi sur la CĂŽte d'Azur avec son mari. _ Un mari !!!!!!! Ăa existe encore ? Et le quantiĂšme ? La cĂŽte d'Azur !!! Un mari riche apparemment !!!! Et gentil, ajoute-t-elle, c'est si rare⊠Ah bien ! Et il va sans doute avoir 80 ans !!!!!!!!!! » Elle entend ses ricanements Ă travers les averses de points d'exclamation qui hachent ses messages. C'est insupportable ! De quel droit vient-il s'immiscer dans sa vie ? Par contre, le message suivant est plutĂŽt jubilatoire. Il lui a Ă©crit au milieu de la nuit qu'il est tellement heureux de l'avoir retrouvĂ©e qu'il n'en dort plus. MĂȘme si elle n'y croit pas, elle en est troublĂ©e. Alors, elle consent Ă donner son adresse Ă©lectronique personnelle et le courrier ne passe plus par Copains d'avant. _ Un jour, il la somme de rĂ©pondre sans dĂ©tours Ă une seule question a-t-elle eu parfois une pensĂ©e pour lui ? Elle avoue que oui, quand elle avait 14 ans, avant de savoir qu'il y avait Josiane⊠Cette rĂ©vĂ©lation insignifiante dĂ©clenche un dĂ©lire inattendu. Quel con il Ă©tait ! Toute sa vie, il avait rĂȘvĂ© d'elle sans espoir alors qu'elle lui Ă©tait tout acquise ! C'Ă©tait vache pour Josiane en qui il avait vu une femme plus mallĂ©able, plus facile Ă vivre, ce qu'entre parenthĂšses elle n'Ă©tait pas !!!! mais tant pis⊠Quel beau couple il aurait fait avec Odile, elle Ă©tait si belle et lui aussi !! DĂ©couvrir ça Ă 65 ans !!! On ne rattraperait pas le temps perdu mais ils allaient se voir⊠une 'tite bouffe ensemble⊠rien que se voir⊠Elle essaie de calmer le jeu, suggĂšre qu'elle n'est pour lui qu'un fantasme. _ Le lendemain matin, pas de rĂ©ponse. Il laisse passer quelques heures avant de proposer un sondage a-t-elle consultĂ© son mail une fois⊠deux fois⊠trois fois⊠davantage⊠? Est-elle déçue⊠un peu⊠beaucoup⊠pas du tout ? Pas tout Ă fait sincĂšre, elle rĂ©pond qu'il manque la case Je ne sais pas », voire Je m'en fiche ! ». Inutile d'avouer ici qu'aliĂ©nĂ©e comme elle l'est Ă sa machine, elle regarde son courrier dix fois par jour. _ Il s'Ă©tonne de son indiffĂ©rence si elle savait comme il est beau et bien fait ! Curieusement, il n'a pas mis de photo sur le site et lui a juste demandĂ© une fois si elle est toujours aussi belle. Elle a haussĂ© les Ă©paules quel goujat ! Et comme elle n'a pas d'image de lui pour illustrer sa pensĂ©e, elle en a inventĂ© une. Elle l'imagine un peu chauve, mince mais plutĂŽt mou, pas franc du collier. Il ne comprend pas pourquoi elle s'est inscrite sur un site de retrouvailles si elle ne joue pas le jeu. Visiblement, le jeu consiste Ă le retrouver, lui ! Alors elle explique la rubrique nĂ©crologique et le fiancĂ© supposĂ© dĂ©cĂ©dĂ© mais bien vivant sur Copains d'avant. En fait, elle cherchait seulement un mort et elle l'a trouvĂ© ! _ LĂ , il se dĂ©chaĂźne elle regarde la nĂ©crologie comme les vieux, elle vit sur la CĂŽte d'Azur avec les vieux !!! Elle est une vraie bourge pleine de fric !!! Et les points d'exclamation pleuvent. Il faut en finir et elle intitule le message suivant Basta ». Libre Ă lui de penser ce qu'il veut, elle ne rĂ©pondra plus. Et comme il n'a pas l'air de comprendre, elle traduit basta signifie ça suffit » ! Nouvelles palabres elle ne va pas lui apprendre l'italien alors qu'il est allĂ© quinze fois Ă Venise, cinq fois Ă Rome⊠_ On est Ă la veille des vacances de Toussaint il arrive en Bretagne avec les gamins » et elle va garder sa petite-fille dans le Nord oĂč il vit. Ils vont se croiser quelque part en Picardie. Ouf, plus de mails ! _ Le 5 novembre, il rompt un silence de quinze jours T oĂč ? » C'est le dĂ©but d'une longue sĂ©quence d'appels Ă rĂ©ponses en tous genres. Il arrive un message tous les jours. Menaçant RĂ©ponds-moi, merde alors ! » MystĂ©rieux Tiens, ce soir on a parlĂ© de toi ! » Suppliant Allez, sois gentille. » Objectif Vendredi, toujours rien. » PuĂ©ril Un pitit coucou, si si un pitit tout pitit coucou ». Admiratif Quelle volontĂ© ! » Redoutable J'espĂšre que tu ne pensais pas ĂȘtre oubliĂ©e d'un coup de baguette magique ! » Celui-lĂ a failli faire mouche ! Elle sait qu'il n'y a rien ni personne derriĂšre ces paroles, que c'est une relation virtuelle, on peut le dire, pourtant elle est tentĂ©e de rĂ©pondre non, ne m'oublie pas, faisons comme si nous avions 15 ans⊠Mais basta ! Il faut s'y tenir et couper les ponts, si on peut parler de ponts entre eux, allons, Ă peine une passerelle ! Elle sait aussi que s'il lui arrive de troquer la griffe contre la patte de velours, ce n'est jamais pour longtemps⊠Fin novembre, il annonce qu'il part en ThaĂŻlande et qu'elle aura donc la paix pendant deux mois. Pour la troisiĂšme fois, le rĂ©pit vient de son naturel mobile ce mec a la bougeotte ! Josiane ne doit pas s'ennuyer non plus. Odile la plaint cinquante ans avec ce tyran⊠Elle a droit Ă son soutien moral mais pour l'instant, pas question de la mĂȘler Ă ce conflit sur le rĂ©seau. * _ Ăa alors ! s'Ă©crie Odile, regarde Patrick est mort ! Ce n'est pas possible, ce n'est pas lui, ça ne paraĂźtrait pas dans Le Monde ! _ Laisse tomber, conseille son mari, ce n'est sĂ»rement pas lui, et surtout, ne va pas voir sur Google⊠Nouvelle 086 Chico Ă©tait le deuxiĂšme fils de la famille. Il y a encore quelques mois, c'Ă©tait un garçon insouciant qui jouait avec les autres enfants dans les flaques saumĂątres qui entouraient le village. _ Un jour de pluie, son pĂšre avait emmenĂ© son frĂšre aĂźnĂ© dans la forĂȘt, il disait qu'il Ă©tait dĂ©sormais temps que son fils apporte un soutien au bien-ĂȘtre du foyer. Ils Ă©taient donc partis Ă l'aube, Ă l'heure oĂč le soleil trop bas n'a pas encore franchi la canopĂ©e, et oĂč l'obscuritĂ© est encore le refuge des animaux nocturnes. Ils devaient revenir avant la nuit, les sacs de toile remplis de baies et de plantes mĂ©dicinales. Leur absence le soir mĂȘme ne tourmentait personne, les excursions dans la nature se prolongeaient souvent en bivouac improvisĂ©. _ Le lendemain, la mĂšre de Chico s'Ă©tait alarmĂ©e. _ Le troisiĂšme jour, les hommes du village avaient effectuĂ© une battue, sans succĂšs. Ce soir lĂ , les anciens avaient racontĂ©, autour de la place, une vieille lĂ©gende indienne celle de l'esprit terrifiant de la forĂȘt. Une bĂȘte dĂ©vorait les hommes pour venger les animaux massacrĂ©s, aliĂ©nĂ©s, braconnĂ©s par ces bipĂšdes. Avant d'ĂȘtre dĂ©chiquetĂ©e, la misĂ©rable proie entendait un rugissement dĂ©chirer le ciel, un cri assourdissant, saisissant, irrĂ©el le cri jubilatoire du Jaguar. Les deux disparus avaient certainement croisĂ© sur leur chemin l'appĂ©tit insatiable du grand fauve. _ Le quatriĂšme jour, le deuil de la famille avait commencĂ©, sans cĂ©rĂ©monie, sans sĂ©pulture. Le chagrin des enfants avait Ă©tĂ© terrible. L'inquiĂ©tude de leur mĂšre la rongeait Ă petit feu. Leur dĂ©nuement Ă©tait complet. _ AprĂšs cet Ă©vĂ©nement, Chico avait changĂ©. Il n'Ă©tait plus le petit garçon gentil, mallĂ©able, un peu mou mais d'une gĂ©nĂ©rositĂ© rare. Il avait grandi. On ne voyait plus jamais les fossettes sculpter ses bonnes joues dodues. Chico ne souriait plus jamais. Le jeune adolescent devait maintenant remplacer les deux mĂąles de la maison. Il fallait nourrir ses frĂšres et sÂurs. Plusieurs fois, il avait entendu les vieux du village, dans leurs palabres quotidiens Ă l'ombre des fougĂšres arborescentes, parler de la rĂ©colte du cafĂ©, du bon prix qu'on pouvait en tirer, ou des objets de la ville contre lequel on le troquait au marchĂ©. _ Un matin moite et brumeux, Chico s'Ă©tait alors levĂ© trĂšs tĂŽt. Il avait agi avec prĂ©caution pour ne pas rĂ©veiller sa famille qui dormait encore. Tous ensemble, regroupĂ©s autour du foyer, ils rĂȘvaient dans les hamacs, suspendus comme des cocons de bombyx Ă un mĂ»rier. Il avait posĂ© la casserole en aluminium, noire de suie et cabossĂ©e, sur les braises crĂ©pitantes. L'eau une fois chauffĂ©e, il y avait mĂȘlĂ© du matĂ©, puis filtrĂ© le tout avant de verser l'infusion dans sa bombilla. Un panier tressĂ© en forme de nasse sur le dos et une machette Ă la taille, il partit dans la forĂȘt, pour rĂ©colter les grains verts des cafĂ©iers sauvages. C'Ă©tait une nouvelle expĂ©rience pour lui. Il n'avait jamais pĂ©nĂ©trĂ© sans guide dans le ventre lugubre de l'Amazonie. MalgrĂ© les dĂ©fis que ses camarades lui lançaient parfois, il n'avait jamais osĂ© aller plus loin que l'orĂ©e de la forĂȘt. En vĂ©ritĂ©, avant ce matin lĂ , Chico ne s'Ă©tait jamais illustrĂ© par son courage. Finalement, il avait pris, au dĂ©but, un certain plaisir Ă traverser la passerelle suspendue au-dessus des torrents boueux. Sautant de lame en lame comme Ă la marelle, et faisant osciller le tablier mobile comme les vagues derriĂšre les pirogues Ă moteur, il mimait alors un singe hurleur tombĂ© au sol pour ramasser des fruits. _ AprĂšs une heure et demie de marche, il commençait Ă fatiguer, il s'inquiĂ©tait surtout car il Ă©tait dĂ©sormais bien loin du village. Il n'entendait plus les chiens aboyer, il ne percevait plus les chants mĂ©lancoliques des femmes faisant la lessive. _ Chico prit conscience de sa vulnĂ©rabilitĂ©. Tout autour de lui, les mĂȘmes sĂ©quences vĂ©gĂ©tales l'encerclaient, lui donnaient la nausĂ©e. Il Ă©touffait maintenant. _ Les parades mĂ©lodieuses des toucans, des callistes et des ibis rouges n'avaient plus rien de distrayant. Il Ă©tait perdu. Dans sa dĂ©tresse, il essaya de crier, de lancer des appels au secours vers le village. Mais dans quelle direction se trouvait le village ? _ Son pĂšre lui avait donnĂ© une fois un conseil durant une promenade d'initiation. S'il Ă©tait perdu, il ne devait plus marcher, au risque de s'enfoncer encore un peu plus dans cet ocĂ©an de vĂ©gĂ©tation. Il devait au contraire s'appuyer contre un arbre, se calmer, Ă©couter, et au moindre bruit suspect, prĂ©parer sa machette. Surtout, il devait attendre qu'une Ă©quipe du village vienne Ă sa rescousse. _ Chico se laissa donc tomber d'Ă©puisement sur un petit tertre de feuilles mortes, le dos contre un hĂ©vĂ©a. Le regard perdu dans ses pensĂ©es funestes. Il s'effondra soudain, pleurant de grosses larmes qui dessinaient sur son visage crasseux des sillages pareils aux deltas du grand Amazone. _ Au bout d'un long moment, ses sanglots s'arrĂȘtĂšrent brusquement. Ses sens Ă©taient alertĂ©s par un danger imminent. La forĂȘt Ă©tait devenue silencieuse, attentive. Elle retenait son souffle. Chico scrutait tout autour de lui. Sa vue Ă©tait brouillĂ©e par ses rĂ©centes larmes. _ Soudain, son regard se fixa sur un point, et son corps se figea dans une posture glacĂ©e par la peur. Il apercevait trĂšs nettement, dans les fourrages, immobiles, deux sphĂšres Ă©meraudes. Autour d'elles, comme des satellites, des tĂąches noires et fauves. _ Un rugissement cataclysmique fit s'envoler en dĂ©tresse des nuĂ©es d'aras bleus. Chico, abasourdi, pensa Ă son pĂšre et Ă son frĂšre. Puis il referma la main droite sur sa machette en pensant Ă cette veillĂ©e macabre, et Ă la lĂ©gende du cri jubilatoire du Jaguar Nouvelle 087 _ Jalousie meurtriĂšre _ LĂ©on Drapier, ouvrier qualifiĂ© dans une tĂŽlerie bretonne se dĂ©cida a agir, Ă la suite d'un banal reportage tĂ©lĂ©visĂ©, mentionnant des crimes crapuleux dĂ©guisĂ©s en cambriolage, dans le quartier asiatique de Paris. _ A la fin de sa semaine de travail, le vendredi Ă midi, c'est d'un pas alerte qu'il traversa la passerelle reliant l'atelier au parking des ouvriers, pour se rendre en direction de son vĂ©hicule, dont le plein Ă©tait fait. _ Muni d'un simple guide de la route et aprĂšs avoir ingurgitĂ© un cafĂ© amĂšre, il se mit en route. _ Un peu plus de 350 kilomĂštres, un peu moins de 4 heures de route et il serait Ă pied d'Âuvre, il rĂ©aliserai enfin, ce qu'il aurait du faire il y a des annĂ©es ; tuer sa mĂšre, son immonde gĂ©nitrice. _ Une famille, une mĂšre en particulier, devrait se caractĂ©riser en terme de soutien Ă ses enfants, d'amour inconditionnel, quelque soit les choix de vie de tel ou tel enfant _ Celle ci, n'Ă©tait pas comme cela, elle mĂȘlait admiration sans borne pour son deuxiĂšme fils et indiffĂ©rence totale pour son ainĂ©. LĂ©on le savait, et Ă©tait enclin a accepter cet Ă©tat de fait, il avait encaissĂ© pendant des annĂ©es les remarques acerbes, prononcĂ©es sur un ton jubilatoire par cette pseudo mĂšre. _ Un Ă©vĂ©nement avait cependant prĂ©cipitĂ© les Ă©vĂ©nements et Ă©tait bien le dĂ©clencheur, le mobile de cette Ă©quipĂ©e meurtriĂšre. _ Une semaine avant son dĂ©part pour Paris,LĂ©on avait reçu un courrier des pompes funĂšbres lui apprenant la mort de son pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© des suites d'une maladie grave, l'enterrement avait dĂ©jĂ eu lieu une quinzaine de jours avant rĂ©ception de ce funeste courrier. Aucun appel tĂ©lĂ©phonique, ni de la part de sa mĂšre, ni de la part de son frĂšre, l'ensemble de la famille avait assistĂ© aux obsĂšques, lui le fils ainĂ© maudit par cette mĂšre acariĂątre venait d'ĂȘtre prĂ©venu. _ Connaissant bien Paris, c'est sans difficultĂ© qu'il se rendit Rue de Tolbiac, arrivĂ© devant la porte de l'appartement de sa mĂšre, il inspira un grand coup et sonna. _ Une vieille femme tremblotante ouvrit la porte sans prĂ©caution particuliĂšre, son regard fourbe et interrogateur illustrait bien la non reconnaissance de son fils qu'elle n'avait pas vu depuis 20 ans au moins. _ Afin d'Ă©viter les palabres, LĂ©on se prĂ©senta sommairement, Salut Maman, je suis LĂ©on ton fils ainĂ©, tu me reconnais ? » Une grimace pleine de dĂ©goĂ»t rĂ©pondit Ă cette prĂ©sentation. _ Prit d'un accĂšs de colĂšre incontrĂŽlable, il poussa la porte, se rua sur la chose informe et ridicule qu'Ă©tait devenue sa mĂšre et commença Ă frapper avec une violence inouĂŻe. _ Il frappa sans discontinuer, sans retenue, avec une rage folle, bien dĂ©cidĂ© Ă faire passer de vie Ă trĂ©pas cette femme qui avait aliĂ©nĂ© sa vie depuis toujours. _ Lorsqu'il entendit les vertĂšbres du coup craquer et qu'il vit le corps de sa mĂšre tomber Ă la renverse, il comprit qu'il venait de donner le coup de grĂące. _ Il contempla une derniĂšre fois le corps rabougris et mallĂ©able de la chose qui gisait Ă ses pieds et ne put s'empĂȘcher de sourire avec tristesse. _ Quelques minutes plus tard, aprĂšs avoir dĂ©vastĂ© l'appartement bourgeois, pour faire passer cet acte de folie en cambriolage ayant mal tournĂ©, il quitta les lieux, regagna son vĂ©hicule garĂ© Ă proximitĂ© et se mit en route. _ Le trajet de retour se dĂ©roula sans encombre, son esprit Ă©tait ailleurs, il se repassait en boucle certains Ă©pisodes de sa vie ayant trait aux rapports avec sa mĂšre, comme la fois ou sa mĂšre l'avait invitĂ© lui et son Ă©pouse Ă un repas d'anniversaire dĂ©diĂ© aux 25 ans de son frĂšre, repas au cours duquel il avait reçu les clefs d'une voiture neuve, alors que lui, avait achetĂ© une voiture d'occasion au prix fort, sans aucune aide. Il se rappelait aussi certain repas de famille durant lesquels les paroles de sa mĂšre rĂ©sonnaient encore Ă ses oreilles, » Toi, mon fils qui ne m'a jamais déçu ⊠», c'est ainsi qu'elle s'adressait Ă son frĂšre lorsqu'elle parlait. _ Son esprit divaguait et c'est en prenant la sortie FougĂšres qu'il aperçu les silhouettes fantomatiques de deux gendarmes. LĂ©on blĂȘmit, se repassa les sĂ©quences de son pĂ©riple meurtrier et _ stoppa son vĂ©hicule. Il s'agissait d'un simple contrĂŽle d'identitĂ©; il chercha fĂ©brilement les documents demandĂ©s par la marĂ©chaussĂ©e, mais ne les trouva pas dans la poche arriĂšre de son jean. _ Il s'en tira avec une petite amende et obligation de prĂ©senter ses papiers le lendemain Ă la gendarmerie la plus proche. _ LĂ©on passa un excellent Weekend avec sa femme et ses 4 enfants, il ne pensait plus rien, son esprit Ă©tait enfin serein, ce qui devait ĂȘtre fait Ă©tait fait, c'est le cÂur lĂ©ger qu'il reprit le travail le Lundi matin Ă 5 heures. _ Il troqua ses habits civils contre ses habits d'ouvriers, c'est vĂȘtu d'un bleu propre, de ses chaussures de sĂ©curitĂ© et de ses protections auditives qu'il se rendit Ă son poste de travail pour entamer une dure semaine de labeur. _ Raymond, son meilleur collĂšgue de travail lui dit vers 9h00, » Tu sais quoi LĂ©on ?, Y a les gendarmes qui discutent avec le patron⊠», il n'avait pas fini sa phrase que deux gendarmes accompagnĂ© du chef d'atelier se dirigeait vers le secteur soudure, secteur dans lequel officiait LĂ©on. _ LĂ©on fut arrĂȘtĂ© et c'est menottes aux poignets qu'il traversa l'atelier sous le regard mĂ©dusĂ© et interrogatif de l'ensemble des ouvriers. _ La police Parisienne n'avait pas eu a fournir beaucoup d'effort pour retrouver l'assassin de la grand mĂšre du 13Ăšme, puisque dans la bagarre et la mise Ă sac de l'appartement, le parricide avait tout bonnement fait tomber ses papiers d'identitĂ©. _ A la suite d'un procĂšs relativement rapide, LĂ©on Drapier aprĂšs avoir avouĂ© le meurtre Ă©copa d'une peine relativement clĂ©mente eu Ă©gard aux faits reprochĂ©s, il expliqua aux jurĂ©s les raisons de son acte odieux et rĂ©ussi Ă tirer quelques larmes aux dits jurĂ©s. _ Son esprit Ă©tait libre enfin, et c'est avec sĂ©rĂ©nitĂ© qu'il quitta le tribunal. Nouvelle 088 _ RĂ©solution Nous Ă©tions quatre, Ă cette terrasse chargĂ©e d'Histoire, et le boulevard St-Germain paraissait bien Ă©troit pour notre ambition commune. _ Unis, motivĂ©s, galvanisĂ©s par l'Appel, Ă prendre les rues et les avenues, Ă faire rĂ©sonner dans la ville les Ă©chos de notre rĂ©solution⊠Ces quelques phrases lancĂ©es dans la nuit, par-delĂ les mers et l'adversitĂ©, agissaient comme un phare pour les masses aliĂ©nĂ©es, un sĂ©maphore laissant entrevoir la lumiĂšre et l'espoir Ă la communautĂ© des faibles qui commençait tout juste de s'Ă©brouer sous le joug. _ Plus de palabres ni de nĂ©gociations, foin de tiĂ©deur et d'attentisme, assez d'engagements prĂ©caires et de serments mallĂ©ables ! Nous voulions signer, dans le marbre de l'histoire qui s'Ă©crivait, de nos noms au bas d'actions inoubliables. _ Ivres de nicotine et de belles paroles, nous nous Ă©chauffions de notre propre audace. _ Ensemble nous voulions agir, illustrer notre soutien indĂ©fectible Ă ce guide si brillant par des actions pleines de panache. Nous projetions d'unir les sĂ©quences de fourberies puis d'hĂ©roĂŻsme tapageur dans une stratĂ©gie grandiose, d'abreuver notre sillon de sang-bleu et de sang-mĂȘlĂ©. Nous allions troquer poing vengeur contre main sur le coeur, les pulsions les plus viles contre les mobiles les plus nobles. Et enfin, au soir de la bataille, le roi terrassĂ© par le fou, Babel abolie, nous pourrions jeter des passerelles entre les continents dans un Ă©lan retrouvĂ© de communion jubilatoire, sous l'empire des droits naturels. _ Mais avant de se mettre en route, on allait se payer une troisiĂšme tournĂ©e de pousse-cafĂ©. Nouvelle 089 _ Passerelle vers une libertĂ© C'est sur la passerelle qui enjambait la voie de chemin de fer qu'Amine et LĂ©a avaient pris l'habitude de se retrouver aprĂšs les cours. Il faut dire que c'Ă©tait juste Ă cĂŽtĂ© du collĂšge et que la plupart des jeunes qui en sortaient s'y arrĂȘtaient avant de rentrer chez eux. C'Ă©tait devenu un lieu assez stratĂ©gique pour toutes sortes de raison et le meilleur pour la palabre, d'autant qu'on ne voyait pas de cafĂ© Ă l'horizon. Et lorsque les plus grands, ceux du lycĂ©e, faisaient grĂšve, c'Ă©tait aussi par lĂ qu'ils passaient pour tenter de bloquer les grilles de l'Ă©tablissement. _ Ce jour-lĂ , il ne se passait rien de particulier, juste les collĂ©giens qui sortaient, entraient, chahutaient un peu, couraient dans tous les sens ou s'arrĂȘtaient pour discuter avant d'aller plus loin ou de rentrer chez eux. Amine et LĂ©a Ă©taient assez tranquilles Ă cet endroit, pour se retrouver et passer un moment ensemble. Ăa ne se voyait pas trop qu'ils Ă©taient un peu plus que copains, qu'ils s'apprĂ©ciaient vraiment. Ils avaient l'air de tous les autres et c'Ă©tait bien comme ça. Personne ne les remarquait plus que d'habitude. Pourtant, pour eux, se rencontrer le soir aprĂšs les cours Ă©tait devenu plus qu'une habitude, mais une habitude qu'ils attendaient toujours le cÂur battant. _ Ils Ă©taient en troisiĂšme et ils ne savaient pas trop ce qu'ils feraient l'annĂ©e prochaine, ni s'ils se retrouveraient dans le mĂȘme lycĂ©e, ou ailleurs. En mĂȘme temps, ils ne voulaient pas que l'amour les aliĂšne l'un Ă l'autre et s'avouaient assez peu leurs sentiments. Alors, ils parlaient un peu de tout et de rien, de leur avenir, mais aussi des moyens qu'ils pourraient trouver pour agir un peu sur un monde qu'ils trouvaient injuste, et discriminatoire. Ils avaient envie de rĂ©aliser un film qui illustrerait leur propos, mais il leur manquait encore des idĂ©es. Ce qu'ils voulaient, c'Ă©tait dĂ©crire ce qu'ils appelaient la folie » des gens qu'ils pouvaient observer autour d'eux et qu'ils trouvaient intolĂ©rants. Parce que c'est vrai, qu'est-ce que ça pouvait leur faire de voir une jeune fille blanche » avec un jeune homme d'origine maghrĂ©bine » ? En quoi est-ce que ça les concernait ? Et pourtant certains, qu'ils rencontraient parfois quand ils allaient se promener ensemble, ne se privaient pas de faire des remarques. Mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ??? » Genre. _ Ce film, c'Ă©tait aussi une maniĂšre de rĂ©pondre Ă une sorte d'appel, Ă une sorte de voix intĂ©rieure qui ferait sans doute office de guide s'ils trouvaient comment commencer le film. Evidemment, ils auraient besoin d'un peu de soutien, y compris financier, ne serait-ce que pour trouver une camĂ©ra. A moins qu'ils ne rĂ©ussissent Ă troquer quelques CD contre celle du voisin de LĂ©a ? ça pourrait peut-ĂȘtre marcher, assura LĂ©a. Il adore collectionner les CD, et tu en as de bons. Et puis sa camĂ©ra, il l'a eue pour son anniversaire, mais il ne s'en sert pas. _ Ok, c'est dĂ©jĂ un problĂšme de rĂ©solu, rĂ©pondit Amine. Ensuite, il faudrait se mĂȘler de trouver comment raconter l'histoire, non ? Tu as dĂ©jĂ tournĂ© un film, toi ? _ Non, dut admettre LĂ©a, mais bon, en s'y mettant Ă deux, ça peut ĂȘtre plutĂŽt drĂŽle, non ? Voire mĂȘme jubilatoire, ajouta-t-elle en riant aux Ă©clats ! _ TrĂšs dĂ©cidĂ©s, ils continuĂšrent Ă discuter ainsi pendant quelques jours, jusqu'au moment oĂč ils eurent suffisamment d'idĂ©es pour commencer l'Ă©criture du scĂ©nario, dans lequel ils avaient volontairement laissĂ© des scĂšnes approximatives pour qu'il reste mallĂ©able. Ils avaient trĂšs envie de pouvoir improviser _ Alors, ça commencera par un plan sĂ©quence, d'accord ? _ â D'accord. _ â Tu auras ton mobile Ă la main et on te verra un long moment comme ça, sur la passerelle, sans entendre ce que tu dis. Puis, quand on entendra le son, progressivement, on comprendra que tu racontes ce qu'il s'est passĂ© Ă une copine et que tu es dĂ©semparĂ©e, mais que tu as envie de faire comprendre Ă quel point c'est idiot de juger quelqu'un sur les apparences⊠» _ Ils continuĂšrent Ă discuter un peu plus tard que d'habitude, ce soir-lĂ . D'ailleurs, il commençait Ă faire nuit et il Ă©tait encore possible de distinguer leurs silhouettes tout au bout de la passerelle. Il n'y avait plus grand monde autour et ils se tenaient, doucement, mais avec confiance, la main. Nouvelle 090 _ Promotions Elle avait reçu sur son mobile un appel d'une voisine qui l'informait d'une vente de certains produits 100 % remboursĂ©s. Cette amie lui avait rĂ©servĂ© un exemplaire du catalogue, son guide illustrĂ© » comme elle disait, qui n'avait Ă©tĂ© distribuĂ© que dans certains bĂątiments du quartier. Une sĂ©quence d'une semaine sĂ©parait ces ventes on achetait le produit et on bĂ©nĂ©ficiait d'un avoir de 100 % ou de 10 % suivant le cas sur sa carte fidĂ©litĂ© et chaque jeudi les promotions changeaient. _ Elle s'Ă©tait donc rendue chez son amie, son principal soutien en cette pĂ©riode difficile, pour le rĂ©cupĂ©rer. Il s'agissait de faire un choix prĂ©alable dans ce catalogue oĂč tout Ă©tait mĂ©langĂ© et oĂč l'on trouvait des articles Ă 100% ou Ă 0 % dans la mĂȘme page. Il fallait surtout ne pas se tromper. De retour chez elle, elle avait troquĂ© son manteau contre une robe de chambre douillette et, installĂ©e dans le salon, avait passĂ© un bon moment Ă le feuilleter en sirotant un cafĂ©. Les caractĂšres trĂšs petits utilisĂ©s dans le dĂ©pliant lui donnaient mal Ă la tĂȘte mais elle insistait ne sachant pas bien lire. Elle ne voulait surtout pas que ses enfants la voient avec le catalogue. A chaque fois, ils la traitaient avec un bel ensemble d'aliĂ©nĂ©e de la consommation. Elle ne comprenait pas bien ce que cela voulait dire mais elle savait que ce n'Ă©tait pas un compliment. De toute façon, son caractĂšre mallĂ©able lui permettait de supporter les moqueries de ses deux grands garçons qu'elle adorait. En outre, elle Ă©prouvait beaucoup de plaisir Ă feuilleter les revues en solitaire. Les palabres incessantes menĂ©es par ses voisines de la citĂ© la fatiguaient chaque jour davantage car elle entendait de plus en plus mal. Elle devenait renfermĂ©e ; le bruit, en particulier les discussions Ă plusieurs, lui occasionnaient des bourdonnements dans les oreilles et des nĂ©vralgies, et les bagarres de ses jumeaux Ă©taient pour elle une vĂ©ritable torture. _ AprĂšs avoir cochĂ© en rouge les produits retenus, Ă savoir des gĂąteaux fourrĂ©s Ă la confiture, des pizzas surgelĂ©es aux 3 fromages et du camembert, elle s'Ă©tait rhabillĂ©e et rendue Ă la grande surface. En effet, elle allait toujours la veille de la promotion repĂ©rer la place sur les rayons des articles sĂ©lectionnĂ©s. _ Si les produits frais ne pouvaient pas ĂȘtre enlevĂ©s des Ă©tals rĂ©frigĂ©rĂ©s, en revanche, les biscuits Ă la confiture pouvaient ĂȘtre dĂ©placĂ©s. Elle en avait donc pris deux boites et les avaient cachĂ©es derriĂšre des bouteilles de boissons gazeuses en prĂ©vision du lendemain et en faisant attention de ne pas ĂȘtre vue par un employĂ©. Elle rangea soigneusement les bouteilles en cercle autour des boites pour les dissimuler en faisant semblant de chercher une marque de soda. Elle savait qu'il y avait des camĂ©ras de surveillance dans ce magasin. Elle dĂ©ambula ensuite longuement dans les allĂ©es et s'attarda dans le rayon de parfumerie ; elle se parfuma furtivement les mains et l'Ă©charpe et essaya plusieurs teintes de rouge Ă lĂšvres. _ Le lendemain matin vers 10 heures, elle retourna au grand magasin. Elle descendit du bus en prenant appui sur son caddie et traversa la voie rapide en empruntant la passerelle mĂ©tallique soutenue par des piliers en bĂ©ton de chaque cotĂ© de la voie. Elle dĂ©testait cette passerelle glaciale mais ne pouvait pas faire autrement pour se rendre au centre commercial. _ La foule des grands jours Ă©tait dĂ©jĂ lĂ car on Ă©tait au dĂ©but du mois mais elle savait que les produits en gĂ©nĂ©ral Ă©taient disposĂ©s sur les rayons vers les 10 heures. Elle prit tout de suite une allĂ©e presque dĂ©serte car elle dĂ©testait se mĂȘler Ă la foule et se rendit au rayon des surgelĂ©s _ Elle commença par les pizzas ses fils en consommaient des quantitĂ©s industrielles. Elle prit 3 boites de 2 pizzas Ă 4,40 E la boite et se rendit ensuite au rayon des camemberts. Ceux-ci n'avaient pas encore Ă©tĂ© placĂ©s dans les grands bacs. Elle se dirigea alors vers le rayon des gĂąteaux. Celui-ci Ă©tait dĂ©jĂ envahi de femmes en train de chercher les biscuits fourrĂ©s Ă la confiture car ils Ă©taient trĂšs bons et plaisaient aux petits comme aux grands. Elle essaya de se faufiler mais il n'y en avait dĂ©jĂ plus. Elle retourna au rayon fromage. Les employĂ©s avec des cartons pleins de camemberts Ă©taient passĂ©s entre temps et les bacs Ă©taient pleins. Elle en prit 3 puis 4 puis 5 boites Ă 1,90  car les enfants emmenaient avec eux des casse-croĂ»te au lycĂ©e. Elle revint ensuite au rayon gĂąteaux toujours pas de biscuits fourrĂ©s Ă la confiture. Elle chercha un des employĂ©s qu'elle connaissait de vue. Celui-ci lui affirma qu'il n'y avait plus de gĂąteaux. Elle alla chercher son pain et revint par derriĂšre au rayon des boissons gazeuses. Elle ne voulait pas ĂȘtre vue par celles qui attendaient encore les biscuits. Elle dĂ©plaça les bouteilles de soda les deux boites de biscuits Ă©taient toujours lĂ . Elle les rangea prestement au fond de son caddie sous les pizzas et les camemberts et se dirigea vers la caisse. Un sentiment jubilatoire l'envahit en voyant la rĂ©ussite de son stratagĂšme. Elle se promit de prendre en rentrant un chocolat trĂšs chaud avec des biscuits Ă la confiture malgrĂ© son rĂ©gime qui lui interdisait le sucre. Nouvelle 091 _ Le rendez-vous Insomniaque, chaotique IstanbulâŠ. _ Tout proche, l'appel du muezzin, ce symbole de recueillement, ce guide spirituel qui traverse les Ăąges, retentit. CaressĂ©e par la brume de chaleur matinale, l'ancienne Constantinople, mĂ©galopole Ă cheval sur deux continents, se rĂ©veille doucement et Ă©tire langoureusement ses bras tentaculaires. Alors que les infrastructures de la rive asiatique sont quasi-inexistantes, le cĂŽtĂ© europĂ©en se sur-dĂ©veloppe. La reprise des taxis jaunes sur les avenues rĂ©pond aux bruits lointains des trains de banlieue et tramway. _ Vite, Il faut agir maintenant, profiter de l'agitation qui rĂšgne dĂ©jĂ âŠ..pour y dĂ©pĂȘcher l'indice. A tout prixâŠ.se diriger vers le point de dĂ©part. _ Dâun pas assurĂ©, la jeune femme traverse la passerelle dâaccĂšs Ă la rotonde en bois tapissĂ©e de coussins dâun cafĂ© traditionnel. Sans une hĂ©sitation elle se dirige vers le narghilĂ© en Ă©cume de mer qui semble lâattendre au fond de la salle. Elle jette un rapide coup d'Âil autour d'elle. Personne ne lui prĂȘte attentionâŠSon regard revient vers le narguilĂ© quâelle soulĂšve dâune main prudente et retourne. _ Ensemble, c'est tout/rendez-vous au 2Ăšme banc avant le portail du grand jardin de la mosquĂ©e aux six minarets ». Elle mĂ©morise le message, repose le narguilĂ© dâun geste nonchalant et quitte les lieux pour rejoindre la mosquĂ©e toute proche. Son cÂur bat violemment. A quoi peut-elle s'attendre? Etrange, cette sensation jubilatoire d'aliĂ©ner sa libertĂ©, ce dĂ©licieux supplice d'osciller entre son goĂ»t prononcĂ© de l'aventure, l'excitation de la dĂ©couverte et le danger qu'implique le mystĂšre qui se rĂ©vĂšle quand le secret est dĂ©voilĂ©. _ Un appel anonyme hier soirâŠ.une voix Ă©trange venue de nulle partâŠ..la poussent sur le fil tendu du funambule sans filetâŠ.lui donnent le top dĂ©part du futur numĂ©ro Ă jouer ..Mais comment a-t-elle pu se laisser prendre au piĂšge, ĂȘtre aussi mallĂ©able, indiffĂ©rente aux lieux oĂč la conduisent ses pas ? Est-ce par curiositĂ© ? Par amour ? Par rĂ©action Ă l'ennui ? Ou quoi d'autre quâelle nâose sâavouer? _ AbsorbĂ©e par ses pensĂ©es, elle ne remarque pas sur son trajet le palabre de 2 hommes, l'un turc, l'autre armĂ©nien -pluralitĂ© des cultures- plantĂ©s au beau milieu de l'allĂ©e sĂ©parant Sainte-Sophie de la mosquĂ©e qui, tous deux, la dĂ©visagent. Elle les bouscule, s'excuse, confuse, et profite de l'arrivĂ©e opportune d'un groupe de touristes pour s'y mĂȘler. Elle Ă©coute dâune oreille distraite les commentaires du guide et, peut-ĂȘtre par sĂ©curitĂ©, reste immergĂ©e dans cette cohĂ©sion chaleureuse. _ Flashback. Dans sa tĂȘte, une pĂ©riode de sa vie qui l'a anĂ©antie. Elle n'aurait pas pu continuer sans le soutien d'Abdullah. Elle avait beaucoup rĂ©flĂ©chi Ă cette sĂ©quence d'Ă©vĂ©nements, qui avait Ă©veillĂ© son attention et mis son sixiĂšme sens en alerte, avant de se persuader que cette rencontre n'avait pas Ă©tĂ© le fait du hasard. _ Oui, Abdullah, son Ă©trange dĂ©contraction quand il l'avait abordĂ©e, sa maniĂšre de lui laisser l'initiative du contact, cette attirance qui les avait enflammĂ©e, leur dĂ©sir de vivre ensemble ; et puis son travail trĂšs prenant, ses absences prolongĂ©es, injustifiĂ©es. Elle n'avait jamais osĂ© poser trop de questions. Elle lâavait bien tentĂ© Ă plusieurs reprises, mais un mur se dressait instantanĂ©ment entre eux. Alors, elle avait capitulĂ©. _ Un coup de coude dans les cĂŽtes la ramĂšne au prĂ©sent et Ă sa recherche du lieu de rendez-vous quâelle doit repĂ©rer. SâĂ©cartant du groupe, elle se met sur la pointe des pieds et dĂ©couvre le fameux siĂšge. PersonneâŠQue faire ? Attendre quelqu'un ? Un signe ? Ou partir avant quâil ne soit trop tard ? Dans son sac, elle sent le vibreur de son tĂ©lĂ©phone mobile. Un coup d'Âil lui rĂ©vĂšle un texto. PĂ©nĂ©trez dans l'enceinte de la mosquĂ©e, vous me reconnaĂźtrez ». _ Le compte Ă rebours s'enclenche. Bien quâil ne figure pas dans son rĂ©pertoire, il ne sâagit apparemment pas d'un inconnu puisquâil possĂšde son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone. Alors, qui s'amuse de la sorte ? Dans quel but ? Une drĂŽle d'intuition la submerge. Aie confiance, que veux-tu qu'il t'arrive? Probablement une surprise d'une personne qui t'estime. » pense-t-elle. _ Machinalement, elle prend la direction du jardin qui entoure l'Ă©difice religieux. Des couleurs vives Ă©clatent devant ses prunelles. Du rose, du rouge, du jaune, du vert. Le jardin d'Ăden illustré⊠Dans la cour centrale pavĂ©e de marbre une fontaine hexagonale fait entendre le doux murmure de sa gerbe dâeau cristalline. Impatient d'ĂȘtre manipulĂ©, le portail en bois veille jalousement sur les dizaines de chaussures qui garnissent sa devanture. A peine une hĂ©sitation avant quâelle le pousse. Un grincement se fait entendre. Elle entre, aperçoit le dos courbĂ© de nombreux fidĂšles en priĂšre et sâimmobilise, Ă©merveillĂ©e par la beautĂ© de l'ornementation intĂ©rieure des murs et des piliers revĂȘtus de carreaux de faĂŻence bleu-vert jusqu'Ă mi-hauteur. Elle n'arrive pas Ă se rassasier du spectacle dâautant quâun second jardin d'Ăden vient de faire son apparition offrant, Ă profusion, les tulipes, les roses, les Âillets, les fleurs de lilas des faĂŻences d'Iznik qui composent une palette d'une variĂ©tĂ© infinie. Elle pense que câest Ă cela que doit ressembler le paradis dans la religion islamique. _ Soudain, une ombre fugitive prĂšs du minbar en marbre blanc capte son attention. Elle lui semble familiĂšre. Elle se dirige vers elle mais, saisie tout Ă coup dâune angoisse indescriptible, elle se met Ă hurler. IncrĂ©dule, elle a reconnu Abdullah dans son khalat, ornĂ© d'un turban. Ce n'est pas possible que ce soit lui, habillĂ© dans ce vĂȘtement traditionnel. »Lui, l'homme moderne, anti-traditionnaliste. Sa part d'ombre vient de se rĂ©vĂ©ler, dans la pleine lumiĂšre des 260 fenĂȘtres de ce lieu apaisant. Elle n'a pas le temps de rĂ©flĂ©chir Ă nouveau. Une dĂ©flagration retentit. EffrayĂ©s, des gens hurlent de toutes parts. Un Ă©clair blanc lui Ă©clate en plein visage. Le sol se dĂ©robe sous elle Trou noirâŠElle se soulĂšve doucement. Trou noirâŠ.Elle ruisselle de sueur. Trou noirâŠ.. Elle ne distingue pas l'endroit. Trou noirâŠ.. A tĂątons, elle se met Ă chercher un interrupteur. Soudain, un son qu'elle connaĂźt, vaguement. Toujours ce trou noir. SursautâŠUne chaleur l'inonde. Un poids sur elle lui fait prendre conscience de son corps, intact. Est-elle en train de rĂȘver ? Et toujours ce bruit. Elle tend le bras vers le point lumineux. Câest un objet familier ! Son tĂ©lĂ©phone mobile qui vibre⊠Mais oĂč est-elle ? Elle a l'impression d'halluciner. Elle repousse ce poids qui pĂšse sur elle, se redresse et se retrouve assise sur le bordâŠ.. Le bord de son lit douillet qui l'accueille tous les soirs. Elle en pleurerait de joie ; elle a Ă©tĂ© la victime d'un terrifiant cauchemar. Quelque peu rassurĂ©e, la secousse intĂ©rieure sismique se calme lentement la laissant vidĂ©e. Et, tandis que la persienne se soulĂšve et que pĂ©nĂštre la lumiĂšre dans son appartement cossu, Zeynep se dit que, pour rien au monde, elle n'aurait troquĂ© la rĂ©alitĂ© pour le rĂȘve. Nouvelle 092 _ Et si Ce regard ⊠_ Je l'aperçois, je me perds, _ Je m'approche et trĂ©buche, _ Elle respire, j'Ă©touffe, _ Elle bouge, je m'emprisonne, _ Mon cÂur devient permĂ©able laissant s'Ă©chapper l'encre sensĂ©e Ă©crire ma vie en rythme, _ ⊠me dĂ©boussole. _ Elle est encore non loin de moi. Assise Ă la mĂȘme table, mĂȘme chaise sans doute, mes mots sans voyelle se noient dans mon ocĂ©an timiditĂ©. Il manque une petite passerelle qui me permettrait de m'approcher d'elle cachĂ© et en silence. _ Une salle flashes lumiĂšres dĂ©barrassĂ©e des nuages de fumĂ©e causĂ©s par les droguĂ©s du tabac, j'oublie mon prĂ©nom, j'aime dĂ©jĂ le sien. Et si c'Ă©tait elle ! Je troquerais volontiers ma vie pour la sienne ; enfin, je pense. _ Quel Ă©clat avec son mĂȘme profil d'hier, sans doute les mĂȘmes teintes aux visages, mon corps est captivĂ© et mon cÂur enchaine mille palabres sans ponctuation. _ Elle discute et les va et vient de ses lĂšvres me laissent pantois. Je me sens dĂ©semparĂ©. » _ Pour la seconde soirĂ©e en deux jours, son allure le surprend des cheveux brillants, des yeux clignotants qui semblent verts, son regard le fascine tout en le fragilisant. _ Se faire remarquer par elle en chantant pour tous les prĂ©sents, pourquoi pas. AprĂšs tout, il a franchi l'entrĂ©e d'un karaokĂ© que je donne de la voix ». _ Mais il n'agit pas. Son erreur, selon lui, est d'ĂȘtre rĂ©apparu sans ami, sans personne avec qui trinquer et rigoler. J'ai peur ». Il s'imaginait armĂ© du guide de l'amour. La veille, il Ă©tait simple accompagnateur et Ă cet instant, seul au milieu de tous, Ă affronter le regard de la femme karaokĂ©, timiditĂ©, la terreur ». _ Il endosse l'image d'un homme mĂȘlĂ© Ă une histoire louche, Ă l'affut du moindre mouvement fĂ©minin, l'obsĂ©dĂ© aliĂ©nĂ© du coin. MalgrĂ© une tempĂ©rature fraiche, il transpire prĂ©fĂ©rant fuir et espĂ©rer que demain soir et si j'allais la revoir. Miss solitude, tu as eu si peur, rentrons Ă prĂ©sent ». _ Une nuit Ă ne penser qu'Ă elle. Une nuit Ă rĂȘver Ă©veillĂ© assis sur sa mĂȘme table Ă boire un cafĂ© avec elle et assister de prĂšs, tel le tĂ©moin Ă charge, aux battements des lĂšvres coupables de rendre un cÂur Ă terre. _ Une nuit aussi Ă regretter en revivant la scĂšne de sa rĂ©alitĂ© d'un cĂŽtĂ© l'estrade pour chanter, de l'autre la femme karaokĂ©, j'ai prĂ©fĂ©rĂ© me retourner et fuir pour plaire Ă dame timiditĂ©, que je sois le plus beau pour elle ». Des nuages gris, le tonnerre comme mĂ©lodie, les heures d'avant cette troisiĂšme soirĂ©e, devenaient lourdes d'impatience et d'inquiĂ©tude. Pour se libĂ©rer, chapeau pour parapluie, il se mit Ă courir d'une maniĂšre jubilatoire, et Ă boire les gouttes de pluie. Pendant, il chante fort mais faux surtout. Tant pis, l'important est ce soir elle me verra, j'y serai, elle tombera folle de moi ». _ Sans suspens ni surprise finalement cette ultime soirĂ©e, j'Ă©tais le premier client Ă entrer, le dernier Ă sortir ». Il respirait deux airs celui de l'espoir qui gonflait ses poumons mais bien plus Ă©touffant, celui du brouillard du nĂ©ant car elle n'y Ă©tait pas enfin, je crois ». Il n'Ă©tait finalement qu'un mec mallĂ©able et paumĂ© ; que le hĂ©ros d'une vie aux quotidiens illustrĂ©s d'uniformitĂ©. J'ai ratĂ© ma vie ? » _ La massue de la dĂ©ception l'assomme. Quelle dĂ©sillusion ! Il ne sait plus quoi faire, quoi penser et si tout avait Ă©tĂ© Ă©crit, mon prĂ©nom est bien Mektoub ». _ Il se rassure il n'y a donc que moi qui ai cĂ©lĂ©brĂ© notre nouvelle vie, elle n'a pas encore compris, quelle joueuse. Alors, je rentre seul n'Ă©tant que le seul passager du train aux murs colorĂ©s de mes ennuis et tĂąchĂ©s par l'absence ! » _ Les jours qui suivent grisent le calendrier. Huit au compteur, il n'est toujours pas parvenu Ă passer la vitesse de sa routine. Elle Ă©tait l'unique Ă pouvoir colorer avec gaietĂ© mes quotidiens ». Que de regrets, j'aurais dĂ» me transformer chanteur le temps de quelques minutes, juste crier un tu me plais tant. Les yeux fermĂ©s, genoux Ă terre, la sensation de la soirĂ©e, elle serait mĂȘme venue prĂšs de moi, je me serais penchĂ© chatouillant son cou et puis ⊠et puis, je ne sais plus mais j'aurais tant aimĂ©, tant aimĂ© qu'on respire ensemble . _ J'ai mal, son visage. Je bave, ses lĂšvres. J'ai soif, sa bouche. J'ai froid, j'aurai dĂ». J'ai chaud, j'ai perdu. L'amour, mon eau. Demoiselle solitude fait des appels, je dĂ©croche encore et on discute longtemps, trop longtemps ». L'imagination le surprend il s'endort enfin. Hop, il fait dĂ©jĂ jour et se rĂ©veille l'aprĂšs-midi avec elle en soutien dĂ©boutonnĂ© Ă ses cĂŽtĂ©s. Quelle est belle, je suis le plus heureux. Comme mon chat, elle me caresse ; telle ma serviette, elle se frotte Ă moi, c'est bon » mais trop court Ă cause des voisins qui font trop de bruit ! Sur la table Ă manger, Ă repasser, la mĂȘme qui fait table de nuit de son unique piĂšce, les factures forment un chĂąteau de papier. Ni son fixe, ni son mobile ne sonnent. Et si je me rendormais, sans doute elle reviendra sans bruit et puis », il rĂȘve Ă©veillĂ© encore mais ne se souvient que des sĂ©quences de ses cauchemars. _ Si je perdais la mĂ©moire, je ne penserais plus Ă elle. Je vais demander Ă l'inventeur de la machine Ă remonter le temps de me renvoyer Ă deux jours avant, elle serait heureuse. Et si j'Ă©tais moins dĂ©bile pour une fois, j'apprendrais Ă aimer ce que j'ai ». Avec les et si » rĂ©alisĂ©s, le monde serait bien diffĂ©rent, et si ⊠Nouvelle 093 _ Elle s'appelait Minuit Une magnifique mĂ©lodie venait parfumer l'air nocturne et silencieux de ce cafĂ© luxueux, vide de prĂ©sence de par son heure tardive la belle et antique horloge du fond affichait dĂ©jĂ minuit passĂ©. J'Ă©tais assis Ă une table du fond, parmi celles qui bordaient les grandes fenĂȘtres. Voir la rue de dehors subir la colĂšre de la pluie me laissait un sentiment d'abri chaleureux, ma main se posant au-dessus de mon cafĂ© encore brĂ»lant pour sentir la fiĂšvre qui s'en Ă©manait, me rĂ©chauffant la peau dans un lĂ©ger frisson. L'endroit avait des airs princiers de par sa fine moquette rouge, ses murs tapissĂ©s de blanc et ornĂ©s de lampes semblables Ă de petits soleils dorĂ©s, sa pianiste qui jouait de son instrument brillant de noir au fond de la piĂšce L'odeur qui rĂ©gnait savait mĂȘler la senteur du tabac froid et celui des boissons chaudes, une chose que je n'aimais pas tout particuliĂšrement. Rares Ă©taient les personnes prĂ©sentes Ă cette heure-ci, une heure oĂč le propriĂ©taire se chargeait d'ĂȘtre le barman et essuyait ses tasses de porcelaine blanche Ă l'effigie de son enseigne. Mis Ă part cet homme, la pianiste et moi, seules quatre autres Ă©taient Ă©parpillĂ©s parmi les nombreuses banquettes moelleuses disponibles autour de ces fameuses tables de bois foncĂ©. L'une d'entre elles, retenait particuliĂšrement mon attention. Assise deux tables en face de moi, elle aussi aux cĂŽtĂ©s de la fenĂȘtre, je la voyais penchĂ©e sur son dessin qu'elle crayonnait avec une Ă©blouissante lĂ©gĂšretĂ©, rajustant parfois l'une des ses longues mĂšches brunes et ondulĂ©es derriĂšre son oreille, lui donnant un air parfaitement adorable. Elle leva le regard, je me tournais rapidement vers la vitre pour ne pas le croiser. La timiditĂ©, tout simplement. Dehors, un lampadaire adressait une lumiĂšre dans la nuit, un Ă©clat qui voulait nous servir de guide dans l'obscuritĂ©. Comme si le chemin traversant les tĂ©nĂšbres Ă©tait mallĂ©able, Ă©rigĂ© ou mĂȘme voulu ce qui m'avait conduit ici n'Ă©tait que le simple soutien donnĂ© d'un abri face Ă ces cordes qui tombaient sans cesse. En vĂ©ritĂ©, le cafĂ© n'Ă©tait qu'un mobile pour rester. _ Je tournais Ă nouveau mon attention vers elle, sa main s'Ă©tait remise Ă illustrer son imagination sur son cahier de croquis. Il m'Ă©tait difficile de voir ses yeux, elle les laissait vers le bas, penchĂ©s sur ses gestes gracieux. Je les devinais plutĂŽt clairs, ils s'harmonisaient avec son visage fin et perdu d'Ă©motions. Parfois il lui venait de sourire, un sourire qui enjolivait son visage d'une joie si intense qu'il pouvait se propager sur les lĂšvres de n'importe quel malheureux. J'aurais aimĂ© troquer mes yeux fuyants contre un regard semblable Ă un appel, parler sans utiliser le moindre mot, et ainsi, lui faire comprendre que j'aurais aimĂ© la connaĂźtre. Elle me semblait si mystĂ©rieuse, si seule, si Ă©trangĂšre, si isolĂ©e _ Elle leva Ă nouveau la tĂȘte, j'esquivais comme si la fenĂȘtre Ă©tait ma seule passerelle de secours vers oĂč me tourner. Comme si la moindre palabre avec elle m'Ă©tait impossible, car le courage n'Ă©tait absent que pour m'empĂȘcher d'agir. Je l'entendais tracer un trait fort, j'allais porter une autre attention vers elle si je n'aurais pas Ă©tĂ© surpris de la violence soudaine dont commençaient Ă faire preuve les gouttes de pluie envers la vitre. Les notes de piano s'intensifiaient, devenant plus dramatiques et plus agressives, je les entendais aliĂ©ner la douceur comme si je me trouvais dans l'un de ces films Ă sĂ©quences dramatiques, voir lĂ©gĂšrement horrifiques. _ Horrible oui, car je dĂ©couvrais qu'elle Ă©tait en train de se lever, partant en mĂȘme temps que la pianiste qui venait de taper les derniers moments de sa mĂ©lodie. Lorsqu'elles passĂšrent ensemble Ă cĂŽtĂ© de moi pour franchir la porte de sortie, la pianiste avançant sous les applaudissements enthousiastes du barman pour le dramatique jubilatoire, je remarquais leur Ă©trange similitude au niveau des traits fins de leurs visages. Elles Ă©taient sÂurs, j'en Ă©tais plus que certain, et avec de la chance j'allais peut-ĂȘtre pouvoir les recroiser un soir dans ce fameux cafĂ© chaleureux. J'aurais aimĂ© pouvoir lui demander de rester, que je voulais lui parler, mais⊠_ Je n'Ă©tais pas dans une romance, il fallait donc que je revienne Ă ma rĂ©alitĂ© j'allais la laisser partir, traverser la rue pour monter dans cette petite voiture rouge qui allait la ramener chez elle, loin d'ici. Elle s'en alla. Avec surprise, je dĂ©couvrais que la magnifique jeune femme Ă©tait en partie restĂ©e son dessin trĂŽnait encore sur sa table, sa gomme laissĂ©e par-dessus. Je me levais pour m'en approcher, sĂ»rement allait-elle venir le rĂ©cupĂ©rer lorsqu'elle allait s'en rendre compte sous peu. Je m'asseyais Ă la place chaude qu'elle avait occupĂ©e pendant des heures, balayant les copaux pour pouvoir admirer convenablement son Âuvre de carbone. Il s'agissait simplement de ce cafĂ©, cet endroit, mais magnifiquement rĂ©aliste et rĂ©alisĂ© jusqu'au moindre dĂ©tail, elle n'avait absolument rien omis. Tout, y compris la pluie Ă travers la fenĂȘtre. Je dĂ©couvrais qu'elle avait aussi dessinĂ© les gens je m'Ă©merveillais de me dĂ©couvrir dans le lot, dessus j'adressais le regard vers la fenĂȘtre. Pour donner un signe plus heureux Ă son dessin, je dĂ©cidais d'enlever un Ă©lĂ©ment dĂ©primant qui le rendait peut-ĂȘtre bien trop dramatique. M'emparant de la gomme, j'effaçais avec le plus grand soin les traits de pluie visibles par la vitre. Choses magnifique dehors la pluie s'arrĂȘta brusquement au moment-mĂȘme oĂč je sĂ©parais dĂ©finitivement la gomme du papier. Nouvelle 094 _ Il fallait agir Assise devant son ordinateur, Claire lisait avec effroi le dossier du sĂ©isme dâHaĂŻti, oĂč se mĂȘlaient photos et articles de presse. Sans quitter lâĂ©cran des yeux, elle saisit sa tasse de cafĂ© bouillant, la porta Ă ses lĂšvres avec prĂ©cipitation, et la reposa dans un tel mouvement dâhumeur que la moitiĂ© de son contenu se dĂ©versa sur la table. La jeune femme ne sâen soucia guĂšre, autrement plus alarmĂ©e par les images qui dĂ©filaient devant ses yeux, que par ce petit incident de moindre importance. _ DĂ©cidĂ©ment, murmura-t-elle, ils ont vraiment tout perdu⊠» Comme pour illustrer ses propos, elle dĂ©couvrit en fin de page une sĂ©quence vidĂ©o, oĂč tĂ©moignaient plusieurs victimes de la catastrophe. A la vue de ce peuple aliĂ©nĂ© par la misĂšre, sur lequel sâabattaient tous les malheurs du monde, Claire, nây tenant plus, se resservit brusquement une seconde tasse quâelle engloutit rapidement. Cette situation dramatique, elle le savait, Ă©tait un appel. VoilĂ 3 mois quâelle sâĂ©tait installĂ©e Ă Paris, et, de nature active et mobile, cette soudaine tranquillitĂ© lui donnait la dĂ©sagrĂ©able sensation de stagner, comme une eau sale dans un marĂ©cage. Elle comparait facilement le monde Ă une passerelle qui menaçait Ă tout instant de tomber, et participer Ă sa sauvegarde lui procurait un sentiment jubilatoire. Il lui faudrait du soutien, elle devait prendre contact avec tous ses alliĂ©s pour le combat qui sâannonçait. Elle serait leur guide, comme toujours lorsquâils agissaient ensemble, car son caractĂšre, tout sauf mallĂ©able, se dressait comme un bloc indestructible face aux multiples difficultĂ©s quâils rencontraient. Ne perdons pas de temps en vaines palabres », songea la jeune femme, qui troqua immĂ©diatement sa veste contre une parka bien chaude, et sâengouffra dans la nuit. _ La bataille commençait. Nouvelle 095 _ Voulez-vous ajouter Homo Sapiens Ă votre liste d'amis ? Au fond qu'auront nous Ă y gagner, ok nous auront certainement une vie remplie de moments heureux partagĂ©s avec les gens qui nous sont chers, parents, amis, amants, psychologues et prĂȘtres ; mais quel sera le prix Ă payer aux yeux de toutes les merdes qui nous tomberont dessus. _ Mon nom n'a aucune importance et de toute maniĂšre n'est traduisible dans aucune des langues terrestres. Mes semblables ont jugĂ©s opportuns de m'envoyer sur terre pour observer les Hommes. Depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ je vie parmi eux, mange, dors, sors au cinĂ©ma et invite mes amis au cafĂ© oĂč je suis considĂ©rĂ© comme habituĂ©. DĂ©sormais je suis comme tout le monde, pense et agis de la maniĂšre attendue par la sociĂ©tĂ© moderne. Bien des choses me sont parus incroyables tout au long de ces annĂ©es. Pourquoi les hommes, par exemple, s'enthousiasme-t-il autant devant un match de foot. Avec le recul il ne s'agit que d'une Ă©niĂšme forme de politique. Vingt deux types illettrĂ©s en short qui agissent comme s'ils sortaient d'une Ă©cole de théùtre et d'une balle au milieu de tout ça pour justifier la sensation jubilatoire que cela provoque chez les supporters. _ Il m'a pourtant fallu m'intĂ©grer, devenir normal ».J'ai donc du m'inventer un nom, une histoire, passerelles entre ma vie extraterrestre et actuelle. Malheureusement ma vie ici m'a rendu aussi inerte et mallĂ©able que de la pĂąte Ă pain. Je n'aspire pas plus qu'un autre Ă changer le cours de ma vie, je ne cherche aucunement Ă m'illustrer dans tel ou tel discipline. Bien sur j'ai eu quelques loisirs, un tennis parfois le dimanche, un cours d'arts plastiques vite abandonnĂ©, un appareil photo Ă sĂ©quence de dĂ©clenchement ultra rapide achetĂ© d'occasion en fait rien de rĂ©ellement significatif. Je me suis rĂ©signĂ© Ă travailler huit heures par jour, cinq jours par semaines pour gagner mille-cent euros par mois. Assez pour m'acheter une Xbox, un tĂ©lĂ©phone mobile forfait appels longues durĂ©s dernier gĂ©nĂ©ration et une connexion internet assez puissante pour que le porno soit de qualitĂ© acceptable. Nous sommes tous pareils, nous sommes effrayĂ©s Ă lÂŽidĂ©e de nous mĂȘler Ă la foule, peur des langues que nous ne comprenons pas et n'avons aucune intention d'apprendre. Il est plus simple de rester chez soit et de tisser de pseudos relations sur le chat ou de troquer son deux piĂšces pour une semaine avec l'appartement d'un inconnu irlandais. Certains s'en sortent et connaissent la rĂ©ussite sociale et Ă©conomique grĂące bien souvent un bon job ». _ Je suis l'un des types les plus paumĂ© que je connaisse. Comme 75 % de la population des pays dits dĂ©veloppĂ©s » je dĂ©teste mon travail, non pas parce que mes collĂšgues de boulot sont des crĂ©tins, mon salaire ridicule et les possibilitĂ©s d'ascension inexistante. La vrai raison est simple, je n'ai aucune ambition, aucun rĂȘve, ma vie future ne constitue chez moi aucune source de rĂ©flexion. La lutte est vains, le systĂšme dans lequel nous vivons est bien rodĂ©, les puissants nous tiennent par les tripes et nous font remuer la queue en nous offrant des scenarios interprĂ©tĂ©s par Tom Cruise. Impossible d'y Ă©chapper, essayer et vous vous retrouverez montrĂ© du doigt. Alors tous les matins il me faut me lever pour rejoindre cet enfer terrestre qui me donne la possibilitĂ© d'acheter de la bouffe surgelĂ©, de l'alcool et des fringues H&M. Parfois il me faudra trouver une femme, chercher un endroit propice pour mener ma quĂȘte. Le lieu de travail semble ĂȘtre le premier terrain de jeux Ă Ă©tudier. Malheureusement le comportement fĂ©minin y est bien souvent insupportable. Les femmes sont ici trĂšs sournoises. Les attaques entre collĂšgues ne sont jamais physiques, ces derniĂšres utilisent les mots et palabres pour dĂ©crĂ©dibiliser leurs rivales. Facebook, myspace, regardez mes photos de vacances comme je suis bonne sur la » sont autant plus d'outils qui permettront d'Ă©changer, partager tous ensemble sur la derniĂšre coupe de cheveux de Brigitte ou du dernier type par qui s'est fait sauter GĂ©raldine. L'intĂ©rĂȘt et exactitude de ces informations ne sera pas remis en question. Ces multiples sites internet poussent encore plus nos sociĂ©tĂ©s vers le culte du physique de star et de la connerie. JĂ©sus, bouddha, allah et autres guides ont Ă©tĂ©s remplacĂ©s par la tĂ©lĂ©vision qui Ă©met en boucle des programmes aliĂ©nants. Pas de panique disent ils, pourtant tous cela nous laisses aussi dĂ©bile que les diffĂ©rentes prĂ©sentatrices de jeux TV oĂč l'on peut gagner un voyage pour deux en Bretagne et qui semblent toutes mystĂ©rieusement ne pas savoir ce qu'est un soutien gorge. _ Certains semblent avoir vue le truc venir et dĂ©cident d'aller s'isoler du reste du monde en se construisant une cabane au fond des bois. TrĂšs souvent ces types ou femmes, je ne tiens Ă exclure personne sont pris pour des fou dans le meilleur des cas ou bien sont tout simplement incarcĂ©rĂ©s. Quelle en est la raison ? Le reste de la sociĂ©tĂ© craint elle que ces personnes dĂ©couvrent le vrai sens de la vie ? De la libertĂ© humaine ? La vĂ©ritĂ© est que cela nous fait royalement chier de voir quelqu'un survivre en tuant des sangliers et buvant l'eau du ruisseau. Finalement que feriez vous si il vous Ă©tait possible de vivre seul sur Terre ?La sensation de libertĂ© peut elle existĂ© si nous la partageons avec nos semblables ? _ La rĂ©ponse est non. Nouvelle 096 _ Cauchemar en Namibie Finis les palabres, nous devons partir maintenant, c'est une question de vie ou de mort, cela fait deux heures que nous attendons le soutien de Marcande, et au vu de la situation, je crois qu'il ne reviendra plus. Mais avant ca, je dois vous raconter cette histoire d'aliĂ©ner. _ J'avais un guide, hĂ© oui, il est mort, pas de sa plus belle mort, mais froidement abattu d'une balle. Il s'appelait Jocasse, nous l'avions engagĂ© ma femme et moi pour nous mener dans un safari en Namibie. Il connaissait bien le parcours nous avait-on dit Ă l'agence, et nous avons donc fait appel Ă ses connaissances du terrain pour nous mener hors des sentiers battus, sauf que je me suis aperçu, trop tard, qu'il n'Ă©tait pas celui que je croyais. _ L'agence nous a dit que l'on pourrait le trouver dans un cafĂ© prĂ©s de Windhoek Central Prison, sur Pietersen Street. Le jour du rendez-vous, je devais le contacter par tĂ©lĂ©phone, mais ce jour lĂ mon mobile est en panne de batterie, alors j'ai utilisĂ© la cabine public. Je n'aurais pas du, car les ennuis ont commencĂ©s au moment oĂč j'ai dĂ©crochĂ© le combinĂ©, Ă l'autre bout du fil, un homme se prĂ©sente et me demande si l'appel est pour moi ? Non !, enfin oui ? », rĂ©pondis-je Ă©tonnĂ©, j'essaie de contacter monsieur Jocasse, et vous, pourquoi ĂȘtes-vous au bout du fil ? ». Il n'est pas lĂ ! » me rĂ©pondit cette voix digne des romans les plus noirs, vous ĂȘtes sur une ligne unique, vous dĂ©crochez, et moi, PĂŽlentin, je rĂ©ponds Ă vos souhaits ». Quoi !, vous ĂȘtes en train de me dire que c'est la lampe d'Aladin ? ». On peut dire ca comme-ca, quel est votre souhait monsieur ? ». Ecoutez, je dois parler Ă monsieur Jocasse pour ». Quelle visite souhaitez-vous, celle qui vous rendra heureux ? Celle qui vos rendra riche ? Celle qui rendra beaux ? » me lança t-il. Aucune des trois ! » rĂ©pondis-je, je veux parler Ă Jocasse ». Sachez monsieur que si vous dĂ©crochez ce tĂ©lĂ©phone je dois rĂ©pondre Ă ces trois souhaits, sinon la passerelle en verre blanc se dĂ©truira, attention, il vous reste deux minutes pour vous dĂ©cider, et je ne veux pas me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas, mais vous devez agir vite, sinon ». Sinon quoi ? » rĂ©pondis-je d'un ton agressif. Ne vous Ă©nervez pas » me rĂ©pondit-il, je vais voir ce que je peux faire ? » _ AprĂšs quelques secondes, la voix revient et me demande Combien vous pouvez mettre pour la visite ? ». Quoi !, mais j'ai dĂ©jĂ payĂ© ! ». D'accord mais si vous ne voulez pas mettre de supplĂ©ment c'est Ă vos risques et pĂ©rils, dĂ©pĂȘchez-vous !, il ne vous reste plus que trente secondes pour vous dĂ©cider ». C'est quoi mes risques et pĂ©rils ? » demandais-je, je veux juste le safari ». Bien monsieur, une fois que vous aurez raccrochĂ©, monsieur Jocasse vous emmĂšnera au safari, ne restez pas trop prĂšs de lui, sinon vous pourriez rencontrer de terribles ennuis ». Vous me faites peur n'est-ce pas ? » Bip bip bip La ligne se coupe. _ Il est deux heures, assis au bar du cafĂ©, j'aperçois un homme tout de blanc vĂȘtu, une balle en caoutchouc noir Ă la main. Je m'approche et lui demande vous ĂȘtes bien monsieur Jocasse ? ». C'est trĂšs mallĂ©able le caoutchouc ? » me rĂ©pondit-il. Oui mais qu'est que cela Ă voire avec moi ? ». Rien, je l'ai troquĂ©e contre du plomb hier et j'ai moins mal Ă la tĂȘte ». Oui mais qu'est ce que cela Ă voire⊠? » Rien !, je vous l'ai dĂ©jĂ dit ». Nous pouvons y aller maintenant ! » me dit-il sans autre forme d'explication. Bien quand partons-nous ? ». Tout de suite, mais d'abord je dois aller voir un de mes amis qui va illustrer votre visite, ca fait partie du contrat, Ă la fin du safari vous aurez un joli livre reliĂ© avec du sang de votre capture et les photos du safari ». Pourquoi du sang ? » demandais-je. C'est pour moi un spectacle jubilatoire, de voir ces animaux se faire abattre et dĂ©pecer par les touristes ! » IntriguĂ©s, je me dis que cet homme est fou et que je dois faire attention oĂč je mets les pieds. AprĂšs un rapide trajet, nous arrivons dans un no man's land, monsieur Jocasse arrĂȘte la voiture devant l'unique case de ce village, un homme, noir, une grande djellaba blanche, sort, et nous accueillent sur le pas de sa porte, il dit s'appelait Marcande. _ A cet instant des coups de feu, Jocasse prend une balle en pleine tĂȘte, et meurt sur le coup. Marcande nous prends par le bras et nous fait vite rentrer dans sa case. Ici vous serez en sĂ©curitĂ© ! ». Mais que se passe-t-il ? » demandais-je. Vous avez parlĂ© avec PĂŽlentin ? » Oui mais qu'est que cela Ă voire avec nous ? ». Qu'elle vÂux avez-vous pris ? ». Rien !, j'ai demandĂ© un safari avec Jocasse ». Ha !, ce n'est pas bien ca, vous auriez du faire un choix, tant pis pour Jocasse, mais tant mieux pour vous, car maintenant la sĂ©quence des rĂ©ouvertures des boules de verre se remet en marche pour retrouver son cap initiale, mais vous auriez pu prendre la balle ». Je ne comprends pas qu'avons-nous Ă voire lĂ dedans ? ». Je vous le dis, vous auriez du faire un vÂu, attendez-moi lĂ , je vais voir ce que je peux faire ? ». Il s'absente et nous voilĂ , seuls, au bout du monde, dans cette case, et les balles qui pleuvent Ă l'extĂ©rieur, je n'y comprends plus rien ! _ ChĂ©ri, chĂ©ri, rĂ©veille-toi, ce n'est qu'un cauchemar, je t'ai entendu crier et tu t'agitais, tellement que cela m'a fait peur ». Transpirant et essoufflĂ©, je dis Ă ma femme J'ai fait un horrible un cauchemar, tellement rĂ©el ». _ Plus tard, au petit dĂ©jeuner, ma femme me dit qu'elle Ă gagnĂ©e un jeu en jouant sur le magazine femmes ensembles. Oh ! ma chĂ©rie comme tu es mignonne, j'espĂšre que cela vaut le coup ? ». Je suis sur que cela te plaira, j'ai gagnĂ© un safari en Namibie et l'on s'envole la semaine prochaine, yes ! ». Tu sais mon cauchemar de cette nuit ». Nouvelle 097 _Lettre Ă Jin Cher ami, _ Me voici arrivĂ© en France depuis bientĂŽt trois mois et je t'avoue que les français m'intrigue toujours autant. Je n'arrive pas Ă les comprendre ni a me faire comprendre d'eux, c'est comme si ils avaient peur de moi, c'est incroyable non ? Qui suis-je pour leur inspirer de la crainte, je suis chinois pas un monstre. Le peu de français qui viennent vers moi sont souvent eux mĂȘme Ă©tranger au pays, c'est dur a expliquer mais il quand mĂȘme deux personnes qui semble me comprendre. L'un s'appelle Thomas et l'autre Sophie. Thomas travaille dans une imprimerie depuis bientĂŽt 4 ans et suis des cours d'histoire de l'art pour avoir sa licence. _ Il m'a expliquĂ© avec des termes assez Ă©tranges que les français Ă la fac sont aliĂ©nĂ©s. Je lui demanda de m'expliquer pourquoi les autres ont peur de moi et devine ce qu'il m'a rĂ©pondu Ils ont peur de toi parce qu'ils s'imaginent que tu vas piquer leurs place dans la sociĂ©tĂ©, et que si moi je devais aller dans un autre pays j'aurais le mĂȘme problĂšme que toi ». _ Sophie est trĂšs mignonne peu ĂȘtre plus que nos amies en chine mais ça c'est que mon avis tu verras par toi-mĂȘme quand tu viendras. Elle fait des Ă©tudes théùtrales et habite le mĂȘme appartement que moi mais l'Ă©tage en dessous. GrĂące Ă leurs soutiens je me sens un peu plus intĂ©grĂ©. Thomas adore illustrer ses propos par des exemples simples et efficaces ce qui fait souvent rire Sophie. AprĂšs les cours quand j'arrive a trouver le temps je me promĂšne dans un immense parc, je vois souvent des gens courir prĂ©s du lac. Il y a une petite passerelle que j'affectionne beaucoup car elle passe au dessus lac, il m'arrive de passer des heures Ă contempler le paysage. Il y a une chose a laquelle je devais te rĂ©pondre dans ta prĂ©cĂ©dente lettre, la plupart des français que j'ai interrogĂ© n'ont pas lu Balzac ou Victor Hugo, certains m'on dit qu'ils ne lisaient pas du tout. Thomas m'a expliquer que quand dans un apprentissage on t'oblige a lire des pavĂ©s forcement il faut s'attendre a ce que les gens ne lisent pas. Il a Ă©tĂ© surpris que j'aie lu quelques livres de ces auteurs car comme il le dit c'est pas le genre de bouquin que je ferais lire Ă une personne qui apprend la langue française. ». D'aprĂšs Sophie Thomas devrait sortir son nez des livres et s'intĂ©resser Ă d'autres choses. Thomas m'a expliquĂ© qu'il pouvait passer des heures plonger dans un livre et ça embĂȘte quelque peu Sophie. Je crois plutĂŽt qu'ils sortent ensemble ! Il m'a racontĂ© qu'il avait lu beaucoup de classique Ă©tranger pour pouvoir comprendre le pays et voir si il y avait des similitudes avec le classique français. Il y a quelques jours j'ai reçu un appel de sa part, il m'a averti que la fac Ă©tĂ© bloquĂ© ! Il y avait aussi une manifestation contre une loi du gouvernement. Je ne comprend pas pourquoi, les français choisissent un prĂ©sident et ils pas contents, le prĂ©sident s'exprime il se fait traitĂ© de tyran, non c'est Ă©trange. Je prĂ©fĂšre ne pas me mĂȘler de ce genre d'histoire. Un Ă©tudiant de la fac m'a interpellĂ© il m'a raconter pleins de truc incomprĂ©hensibles sur le fait d'agir et ne pas subir, heureusement Thomas est arrivĂ© et a vertement disputĂ© cet Ă©tudiant, c'est le genre de palabre que je dĂ©teste le plus. Il m'a expliquĂ© que cette Ă©tudiant voulait que j'adhĂšre Ă sa cause, connaissant trĂšs bien le mobile et que cela ne me concerne pas du fait que je suis Ă©tranger au systĂšme français. Sophie nous a rejoins plus tard Ă la cafĂ©tĂ©ria. Elle Ă©tĂ© parti troquer quelque chose, je n'arrive pas a me rappeler quoi. Je dois te dire que Sophie est un guide remarquable car elle connaĂźt tout les recoins de la fac ce qui n'est pas le cas de thomas qui se perd souvent dans ce labyrinthe, il faut dire qu'il ne frĂ©quente que 2 endroits la cafĂ©tĂ©ria oĂč le cafĂ© est bon selon ces critĂšres qui sont partagĂ©s par toute la fac et la bibliothĂšque. Une fois il m'a montrer comment faire pour crĂ©e un personnage de pĂąte a modeler mallĂ©able, j'avoues que ce fut jubilatoire car par la suite il m'a montrĂ© la sĂ©quence que j'avais crĂ©e. J'espĂšre que tout va bien pour toi car ici je m'amuse comme un fou, j'attends de tes nouvelles, au plaisir de te revoir, _ Ton ami _ Ma Su Nouvelle 098 _ Mon prĂ©sident a ses humeurs,,, Un lĂ©ger ronronnement rĂ©gulier vrombit dans la piĂšce, Ă©tendue gĂ©nĂ©reusement dans une mĂ©ridienne accueillante , Rosalie poursuit d'un Âil captivĂ© le sillage des poussiĂšres Ă©parses comme agitĂ©s par des secousses dans le dernier rayon de soleil. _ La chaleur est accablante dans ce pays, seuls les insectes et les bruits rĂ©sistent encore, les hommes eux sont terrassĂ©s et lĂ toujours omniprĂ©sente, cette poussiĂšre envahissante, parfois visible comme Ă cet instant prĂ©cis. Le ronronnement s'installe, rĂ©gulier tel un bourdonnement d'abeilles, elle guette ses moindres rĂ©actions, le caressant souvent du bout des doigts, parfois mĂȘme elle lui parle, comme Ă compagnon fidĂšle. _ â Alors tu es heureux? Tout va bien? Bouge pas! Je vais me faire un cafĂ© pas de bĂȘtises hein! _ Elle sait que tant qu'il ronronne comme ça tout va bien, elle le compare souvent Ă un PrĂ©sident, c'est comme un homme Ă lui tout seul, celui qui aurait le pouvoir de lui adoucir ou de lui pourrir l'existence. _ Dans l'Ă©troite cuisine, moment jubilatoire Ă regarder le jus noir couler comme une promesse directement dans la carafe transparente, l'eau a fini de traverser la mouture, le rĂ©sultat est garanti, l'arĂŽme est annonciateur d'une grande saveur. Etrange paradoxe que cet or noir, issue d'une terre aride, cultivĂ© avec peine et rĂ©coltĂ© dans la joie, c'Ă©tait son quotidien du matin les plantations de cafĂ©ier et Ă la morte saison, l'usine de torrĂ©faction. Elle ne comprenait pas pourquoi eux, les indigents devaient transiter toutes leurs ressources, vers des pays riches et en retour, au final le cafĂ© Ă©tait seulement troquĂ© contre quelques misĂ©rables piĂšces. _ Une chance d'avoir par ci par lĂ , rĂ©ussi Ă rĂ©cupĂ©rer dans ses poches un peu de grains Ă©chappĂ©s des grands sacs de jute, elle savait quelle n'avait pas le droit, mais au moins elle pouvait elle aussi le dĂ©guster son trĂ©sor. _ Direction la piĂšce Ă tout vivre, le bol fumant Ă la main, le vrombissement a cessĂ©, l'air est surchargĂ© et irrespirable, elle s'approche de lui, le contemple un instant soupçonneuse et n'hĂ©site pas Ă lui donner trois petites tapes. _ â Mais quel animal tu me fais PrĂ©sident! _ Nulle rĂ©action, l'appel Ă l'ordre amical n'a aucun effet! _ DĂ©pitĂ©e, elle rejoint la mĂ©ridienne en s'asseyant sur l'unique accoudoir, ses deux mains se lĂšvent prĂ©cises, portant le nectar encore brĂ»lant Ă ses lĂšvres, un regard perplexe fixĂ© sur Lui. _ â Comment agir pour qu'il se rĂ©veille? _ Toute la question Ă©tait lĂ , ce n'Ă©tait pas si simple de compter sur lui, cette bestiole Ă©tait vraiment imprĂ©visible, une fois en action, une autre presque inexistant et lĂ carrĂ©ment silencieux. Elle eut envie de lui envoyer une rĂ©clamation, mais pouvait-il vraiment recevoir sa demande? Une fois la derniĂšre goutte de cafĂ© avalĂ©e, elle abandonna le bol Ă ses pieds, pour retrouver sa position favorite, Ă©talĂ©e comme un sac en attendant un peu la supportable chaleur de la nuit. L'ignorant, les yeux rivĂ©s au plafond, elle tapotait en rythme le dessus de sa main, passablement agacĂ©e, se disant que le mieux Ă©tait d'attendre, il avait surement besoin de repos. Une mouche attrapa son regard, insecte dont la principale utilitĂ© Ă©tait de venir te chatouiller quand tu dormais, de marcher Ă l'envers en parsemant le plafond de minuscules tĂąches sombres, elles se grimpaient sur le dos deux par deux, juste dans le but de faire un nombre incalculable d'asticots et de se prĂ©cipiter sur ta nourriture dĂšs quelle Ă©tait refroidie. _ â Et⊠rrrrrrrrrrr⊠rrrrrrrrrrrrrrr⊠rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr⊠rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr⊠_ Au son monocorde et au dĂ©placement plus rapide des diptĂšres, elle comprit qu'il venait de se remettre en action, il Ă©tait mĂȘme plutĂŽt agitĂ©, incroyable ses variations d'humeur, son ronflement montait progressivement d'intensitĂ©, pour couvrir le silence mortelle de la piĂšce. _ â Mais ma parole PrĂ©sident, tu fais plus de bruit que les villageois sous l'arbre Ă palabre! _ Aucune rĂ©ponse bien sur⊠juste du vent! _ Il l'avait pourtant bien prĂ©venu Innocents-Juste, en le lui offrant avec son sourire Ă©dentĂ© jusqu'aux oreilles, ses bras bien trop encombrĂ©s du fardeau, ne sachant rĂ©ellement comment le tenir, il lui flanqua carrĂ©ment dans les bras. _ â Je te prĂ©viens Rosalie, il est comme moi, plus tout jeune et dĂšs fois il dĂ©raille un peu, mais tu verras-tu t'habitueras! _ EtonnĂ©e de l'empressement du vieille homme, elle s'Ă©tait demandĂ©e, s'il ne s'Ă©tait pas tout simplement aliĂ©nĂ© d'un encombrement de plus. D'un sourire affichant le remerciement, elle n'avait pas osĂ© refuser le prĂ©sent et d'ailleurs Innocents-Juste avait tournĂ© les talons aussi sec, empruntant le chemin le plus court pour rejoindre sa case. Elle l'entendait, en le regardant s'Ă©loigner, rire doucement dans sa barbe devenu blanche. La surprise passĂ©e, elle avait installĂ© son fameux PrĂ©sident sur l'unique meuble de la piĂšce. Un buffet branlant, dont le contenu hĂ©tĂ©roclite protĂ©geait sa stabilitĂ© prĂ©caire ou bien le contraire, disons que l'ensemble Ă©tait parfait, un soutien hors du commun en sorte! Et le prĂ©sident s'Ă©tait satisfait de cette place de choix, Ă trĂŽner et dominer de tout son poid dans l'Ă©quilibre de cette fragile communautĂ©. _ PlongĂ©e dans ses rĂ©flexions, Rosalie ne perçut pas immĂ©diatement le brusque changement dans la physionomie mobile du PrĂ©sident, comme un rotor s'emballant, il se mit Ă faire des tours sur lui-mĂȘme, rĂ©veillĂ© par on ne sait quelle esprit vaudou, elle se demandait oĂč il voulait en venir, Puis il se mit Ă osciller de chaque cĂŽtĂ© en sĂ©quences rĂ©guliĂšres, comme frappĂ© d'un balancement de clocher, chaque impulsion rĂ©sonnait sourdement sur le bois du buffet. Au premier craquement, sa bouche s'ouvrit en un O de stupeur, mĂȘme son imagination n'aurait pu suffire Ă illustrer la scĂšne offerte Ă ses yeux; le PrĂ©sident tressautait comme un furibond incontrĂŽlable, son souffle devint hoquetant et saccadĂ©, le buffet impuissant, agitĂ© du bocal par les secousses en perdit son dernier pied, sous l'effet bancal les portes volĂšrent en Ă©clats, libĂ©rant le contenu trop longtemps retenu de son antre. Tous les Ă©lĂ©ments se dĂ©chainĂšrent, la passerelle exiguĂ« entre l'existence presque trop paisible de chacun et la fureur Ă vouloir libĂ©rer un trop plein opprimant, venait de cĂ©der. Finalement effrayĂ©e par la puissance de l'emportement du PrĂ©sident, Rosalie fit appel en levant les bras au ciel, au seul guide dont elle connaissait le nom _ â Oh! Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu⊠_ Elle savait qu'il n'avait pas l'esprit mallĂ©able son PrĂ©sident, mais que faire devant ce spectacle dĂ©solant? PaniquĂ©e, elle voyait bien qu'il allait finir par retomber comme un soufflet. Dans un vacillement final, il chuta de son piĂ©destal pour s'effondrer dans le fatras mĂȘlé⊠ _ â RrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠâŠ. _ Dernier sursaut, ultime battement d'aile, un silence inhabituel et dĂ©finitif, son ventilateur n'aura plus ses humeurs, il venait de rendre l'Ăąme,,, Nouvelle 099 _ Ce n'est qu'un rite Quand Paul Monroe dĂ©cida de s'engager dans l'armĂ©e, il n'estimait pas encore avoir touchĂ© le fond. Et bien qu'il ai perdu son dernier emploi aprĂšs avoir dĂ©truit la machine Ă cafĂ© du bureau, qu'il se soit fait virer de chez son pĂšre Ă coups de pieds dans le derriĂšre et qu'il dorme dans sa voiture sur un parking de supermarchĂ© depuis deux mois, il avait toujours de l'espoir. Ă vingt-deux ans et aprĂšs plusieurs dĂ©parts contrariĂ©s dans la vie, il voyait l'armĂ©e comme une nouvelle chance, et c'Ă©tait la seule qui s'offrait Ă lui, il n'Ă©tait pas en position de refuser une offre, qu'elle quelle soit. _ Il Ă©tait sur la base depuis quatre mois quand il accrocha sur la porte en bois de son placard un poster de Catherine Deneuve. Tous les deuxiĂšmes classes de son dortoir s'en Ă©taient mĂȘlĂ©s et s'Ă©taient foutus de lui. Eux avaient couverts leur porte de grands morceaux de bravoures pornographiques, oĂč ensembles, des madones aguichantes s'enfonçaient des ongles longs comme des dagues dans des cons imberbes et jubilatoires. Paul Monroe se disait qu'il y avait plus sympa pour se rĂ©veiller le matin, mais il Ă©tait presque le seul. L'armĂ©e avait beau ĂȘtre un nouveau dĂ©part, il tenait bon mais c'Ă©tait dur. Deneuve Ă©tait son soutien et il en avait bien besoin, il ne l'aurait troquĂ©e contre rien d'autre. Alors on l'avait vite traitĂ© de pĂ©dĂ©, et ça avait fait le tour de la caserne, c'Ă©tait sans appel, mais il s'en foutait pas mal, il n'avait pas encore touchĂ© le fond. _ On ne naĂźt pas soldat, on le devient ! _ Ce qui le tracassait par contre, c'est de penser Ă ce que ces abrutis de PremiĂšres Classes allaient imaginer pour son rite de passage. Paul Monroe savait que ça lui tomberait dessus tĂŽt ou tard, pour ĂȘtre le seul Ă ne pas y avoir encore eu droit, il Ă©tait le prochain sur la liste. Sans vouloir s'aliĂ©ner, il avait senti Ă plusieurs reprises le regard des PremiĂšres Classes, rĂ©unis en conciliabules, Ă©voquant son cas. Ils avaient commencĂ© avec les recrues, avant de faire subir des sĂ©quences de conneries franchement pas drĂŽles aux autres DeuxiĂšmes Classes. Lui avait peur qu'on cherche immanquablement Ă lui foutre un truc dans le cul. _ Chaque soldat est un combattant mais aussi un spĂ©cialiste dans son domaine ». _ Sa spĂ©cialitĂ© Ă lui, c'Ă©tait l'informatique, et il avait profitĂ© de son arrivĂ©e dans l'armĂ©e pour suivre une formation qui l'avait promu analyste militaire. QualifiĂ© de tĂącheron par sa hiĂ©rarchie, son boulot consistait Ă compiler et Ă classer des renseignements. Il avait du coup accĂšs aux rĂ©seaux informatiques sĂ©curisĂ©s, sur lesquels militaires et diplomates Ă©changeaient des informations. Paul Monroe avait ainsi dĂ©couvert des donnĂ©es ultra confidentielles, qui auraient brĂ»lĂ©es comme des trainĂ©s de poudre si elles Ă©taient parvenues aux tonneaux des autres puissances Ă©conomiques et militaires du monde. Il y avait des preuves d'espionnage entre pays alliĂ©s, de la corruption tolĂ©rĂ©e dans des pays clients, des comptes-rendus d'actions punitives criminelles et du lobbying. Sous ses yeux, Paul Monroe voyait s'accomplir, Ă©ludĂ©s et protĂ©gĂ©s par les hautes instances diplomatiques, de vĂ©ritables crimes de guerre. _ Un soir, alors qu'il sirotait un cafĂ© lyophilisĂ© sur sa couchette, il se demandait ce qu'il allait faire de ces donnĂ©es, qu'il avait finalement compressĂ© et gravĂ© sur des Cd. Il savait qu'il prenait un risque Ă faire ça, et sa nervositĂ© grandissait en consĂ©quence, mais participer Ă cette mascarade Ă grande Ă©chelle le rendait malade. En mĂȘme temps, il se demandait ce qui passerait si les documents Ă©taient divulguĂ©s. Une guerre ? Un verrouillage complet de l'information et un climat de suspicion permanent ? Il pensait Ă ce hacker qu'il avait rencontrĂ© par le biais de forums, il se prĂ©sentait comme journaliste en rĂ©vĂ©lations et semblait bardĂ© de hauts faits d'armes dans le domaine. Monroe Ă©tait en train de jauger s'il devrait lui confier ses dĂ©couvertes, lorsque une dizaine de PremiĂšres Classes entrĂšrent dans le dortoir, coupant ainsi court Ă ses considĂ©rations. SĂ»rs d'eux comme des pigeons mobiles fondant sur un bout de pain dans un square dĂ©sert, ils avaient entourĂ©s Paul Monroe, et selon des rĂšgles dĂ©finies Ă l'avance, prit par les chevilles et les poignets pour l'emporter vers la salle de bain commune. La surprise l'avait rendu vulnĂ©rable mais quand il sentit son corps dĂ©collĂ© du matelas et son cafĂ© tiĂšde se renverser sur son tee-shirt et sur son short, Monroe perdit son cĂŽtĂ© mallĂ©able et se tendit comme un arc. Et il se cabra avant de se tendre de nouveau. Apercevant Catherine Deneuve qui lui souriait dans le coin, il bougeait ses jambes et ses bras violemment. Telle une passerelle luttant contre des secousses sismiques, il faisait perdre leurs prises aux militaires. Ils se ruĂšrent sur lui pour l'immobiliser. Et c'est quand ils le relevĂšrent qu'il aperçu dans les bras d'un des PremiĂšres Classes, un nain de jardin souriant, une grosse carotte orangĂ©e dans la poigne. Venez tenter l'expĂ©rience ! TerrorisĂ©, il fendit l'air de nouveau des pieds et des poings, poussant chacun Ă lĂącher prise s'ils voulaient garder leur nez intact. Autour d'eux, ses camarades DeuxiĂšme Classe regardaient, mi- fascinĂ©s, mi- dĂ©goutĂ©s, Ă©tant justement dĂ©jĂ passĂ©s par lĂ , Ă peu de choses prĂšs. Aucun ne pensait Ă intervenir et le renfort d'engagĂ©s pour porter Paul Monroe et lui faire subir son sort s'organisa sans guide. Sans plus de succĂšs toutefois, il se dĂ©battait tellement qu'il n'Ă©tait pas possible de l'accrocher. Le nain de jardin fut posĂ© au sol, il fallait dĂ©jĂ maitriser le bonhomme, agir, il Ă©tait possĂ©dĂ©, piquĂ©. Les types se regardaient les uns les autres, ce n'Ă©tait pas prĂ©vu et il allait falloir rĂ©flĂ©chir vite. Alors un des gars baissa la tĂȘte et chargea Paul Monroe, l'attrapant par les genoux et le soulevant en l'air au dessus de ses Ă©paules. Monroe rĂ©ussit Ă s'agripper aux bras et au tee-shirt du soldat, et ne bascula pas, suspendu, les jambes battant l'air. Les deux restĂšrent un instant dans cette position, prosaĂŻque. Quand Monroe glissa le long du corps du PremiĂšre Classe, en douceur, jusqu'Ă se retrouver allongĂ© par terre, la joue contre le linoleum, rouge et transpirant. Son regard fixait le nain de jardin un peu plus loin sur le sol, entre les jambes des engagĂ©s. LĂąchĂ© par l'adrĂ©naline, Paul Monroe bavait. Il ferma les yeux. Alors, sans palabre mais rĂ©futant l'abandon, les PremiĂšres Classes se rĂ©unirent ensembles autour de lui, chacun ouvrit sa braguette et on lui pissa dessus, en se forçant Ă rigoler fort, avant de se retirer du dortoir. Le lendemain matin, Paul Monroe commença par enlever Catherine Deneuve. Il roula soigneusement la photo et la mit dans son armoire. Il colla Ă la place l'affiche d'un gars au sourire figĂ©, en train de se glisser un doigt dans l'anus. Avant d'aller se connecter sur internet avec les Cd d'informations confidentielles dans la main, il guetta la rĂ©action des autres, ce n'Ă©tait pas pour s'illustrer mais il estimait avoir fait le plus dur. Ensuite, il alla sur l'ordinateur, contacta le journaliste en question, fit les manipulations nĂ©cessaires, et sous couvert de dĂ©ontologie mĂ©diatique, envoya les secrets militaires Ă la presse. Le reste, lĂ , il s'en foutait pas mal, il estimait avoir touchĂ© le fond. Bien qu'inspirĂ©e de l'histoire de Bradley Manning, cette nouvelle est une Âuvre de fiction, dont les faits, les tenants, et les aboutissants sont inventĂ©s par l'auteur. Nouvelle 100 _ ANGUERA La brume matinale ne rĂ©sistait guĂšre aux gestes vigoureux et la respiration profonde de Joana travaillant son champ de cafĂ©. On ne sait par quelle magie, elle Ă©cartait les lambeaux de la brume qui dĂ©sertait du coup, doucement, le champ pour le bosquet d'en face. La terre imprĂ©gnĂ©e par l'eau de la brume Ă©tait trĂšs mallĂ©able, lorsque soudain, l'appel de l'Anum, l'oiseau de l'aurore, se mĂȘla Ă un bruit fracassant et Ă©trange faisant frissonner Joana. Joana regarda dans la direction de la source du fracas mais de ce cĂŽtĂ© la brume Ă©tait encore plus dense et elle ne percevait que des formes indistinctes un grand rectangle rouge immobile et de plus petites formes verticales et mobiles. _ Elle tenta de s'approcher et aperçut une forme horizontale, bien plus proche de son horizon de vision ; elle semblait complĂštement inerte. Joana plissa les yeux et les Ă©carquilla simultanĂ©ment, il s'agissait du corps d'un homme d'oĂč s'Ă©chappait un morceau de brume ; celle-ci prenait doucement une forme humaine dĂ©formĂ©e, car elle se cabrait, s'allongeait, rapetissait, montant, montant dans l'espace. ANGUERA* ? ANGUERA ? » S'Ă©cria Joana et, l'Ă©cho retentit alentours d'arbre en arbre, comme le son de palabres s'entrechoquant, faisant voleter les insectes et oiseaux effrayĂ©s, parfois jubilatoires. Dans la semi-transparence d'Anguera un objet sombre, rectangulaire, une sorte de cahier, avait-elle conclut, avait pris la place du cÂur. ANGABAETE** ! ANGABAETE ! » Joana suivait du regard l'Ăąme qui fut l'Ăąme » s'Ă©loignant doucement et se dirigeant vers le sud. Joana comprit donc qu'il n'Ă©tait pas nĂ© au village. _ PlongĂ©e dans sa quĂȘte, elle fut surprise par le bruit des sirĂšnes des ambulances. Des hommes et des femmes en blouses blanches, guidĂ©s par des policiers se penchaient sur les vivants. Ils agissaient avec cÂur et professionnalisme donnant les premiers secours. Elle comprit qu'il s'agissait d'un accident de bus. L'un d'entre eux vint dans sa direction, s'arrĂȘta et examina l'ANGABAETE. Il se rendit compte de la prĂ©sence de Joana, la salua et lui demanda Est-ce quelqu'un de votre famille ? » Non, rĂ©pondit Joana. Je travaillais dans mon champ lorsque j'ai entendu le bruit de l'accident ». Le mĂ©decin appela un brancardier pour qu'il vienne chercher le corps et lui dit J'ai constatĂ© le dĂ©cĂšs, n'oubliez pas de prendre le dossier pour remettre Ă sa famille, vu comme il le porte sur lui, il me semble qu'il y tenait trĂšs fortement. ». Joana commença Ă lui dire Mais, l'Anguera l'a emportĂ© » mais elle s'est tue car le mĂ©decin lui lança un regard soupçonneux, comme si elle Ă©tait une aliĂ©nĂ©e ou pire malhonnĂȘte. Mais le brancardier vint Ă son secours. Il expliqua au mĂ©decin qu'elle parlait d'une vieille coutume indigĂšne oĂč l'Ăąme des morts pouvait continuer Ă vivre parmi les vivants. Le mĂ©decin conclut que cet Ă©vĂ©nement illustrait bien l'ignorance que les brĂ©siliens ont de la culture indigĂšne. _ Joana marcha lentement vers son champ car cette vision pesait lourd dans son cÂur tant la question Vers oĂč Ă©tait partit ANGUERA ? » la taraudait. _ Loin de lĂ , Dalva se rĂ©veillait dans l'allĂ©gresse, elle se disait qu'il fallait se dĂ©pĂȘcher car son pĂšre revenait de la capitale oĂč il Ă©tait allĂ© reprĂ©senter la communautĂ© de petits paysans auprĂšs du gouverneur de l'Etat afin de solliciter son soutien financier Ă leur projet de mini-fabrique. Ensemble, ils avaient conçu et Ă©laborĂ© ce projet pour ne plus avoir de pertes lors des rĂ©coltes. Dalva se leva Ă tĂątons car sa chambre n'avait pas de fenĂȘtre. Elle s'appuya sur le tabouret qui faisait office de table de chevet et fit tomber un livre ou peut-ĂȘtre un cahier, pensait-elle. En ouvrant la porte elle ramassa le dossier qu'elle avait fait tomber et reconnut le classeur du projet que son pĂšre avait emportĂ©, elle chercha la page oĂč devait figurer la signature du gouverneur ; elle y Ă©tait. Dalva n'en croyait pas Ă ses yeux car ce projet signĂ© reprĂ©sentait l'ultime sĂ©quence d'une grande lutte pour leur dignitĂ©. Serait-il revenu pendant son sommeil ? » Dalva se dĂ©pĂȘcha, fit rapidement sa toilette et sortit. Beaucoup de personnes se trouvaient dĂ©jĂ lĂ sous la passerelle qui liait le Village Ă la route nationale car ils avaient prĂ©vu pour cette occasion de faire une fĂȘte oĂč ils allaient troquer et vendre des objets pour complĂ©ter le budget du projet. Avec le dossier contre son cÂur, Dalva interpellait les personnes Avez-vous vu mon pĂšre ? » Tous s'Ă©tonnĂšrent de cette question, car son pĂšre n'arriverait que par le car de midi et il n'Ă©tait que 9 heures. * De la langue Tupi-Guarani l'Ăąme qui fut l'Ăąme, qui hante le monde vivant _ ** Idem, l'homme qui fut l'homme Nouvelle 101 _ Merry Christmas ouf' Douf'Douf' Douf' Douf' Douf' Douf' ⊠_ la musique Ă©clairait aussi la rue de ses ondes mobiles et fluorescentes _ DiiingâŠdong _ Christmas regarda Claire un instant. _ Vas-y donne moi au moins une bouteille qu'on les porte ensemble ! Sois pas ridicule ! » _ Claire s'esquiva maladroitement, quatre bouteilles sous les bras. _ Raaah mais nan, pour une fois que c'est moi qui rĂ©gale ! » _ La porte s'ouvrit. _ Hellooo les amis ! ca roule !!? » _ Salut vieux ! » _ Salut Matt ! » Lança Claire. didon ca pĂšte chez toi on t'entend du bout d'la rue! » _ Salut Claire. HĂ©hĂ© allez come in ! Et faites comme chez vous ! » _ Grace au soutien d'une franche et entraĂźnante Hard-Tech, l'atmosphĂšre dans le hall laissait prĂ©sager un living fourni d'ĂȘtres vivants et dansants, illustrant tels des guides intemporels une frontiĂšre mallĂ©able entre le bien ĂȘtre ou le mal ĂȘtre d'une gĂ©nĂ©ration en proie Ă l'ambivalence. Ils pĂ©nĂ©trĂšrent plus profondĂ©ment dans le royaume de la fĂȘte, en une sĂ©quence jubilatoire. _ Ch iiiaaouww !!⊠Bienvenue chez les aliĂ©nĂ©s !!?? Et au fait il faisait quoi Bet' ce soir ? _ M Il avait une soirĂ©e poker ! J'ai reçu un appel il nous rejoindra plus tard ! _ Ch C'est vrai ? Cool ! Il reviendra certainement avec sa gagne comme l'autre fois ! _ C EspĂ©rons ! Mais il va peut-ĂȘtre tout perdre⊠La chance, ca tourne ! Cela dit il est tellement malin qu'il arriverait mĂȘme Ă troquer sa malchance ! C'est comme⊠Hey ? Chris ? Ca va pas ? _ Chris s'Ă©tait arrĂȘtĂ©, en appui sur ses genoux, penchĂ© vers l'avant Ă l'entrĂ©e du salon. Sa main droite prenait le pouls au niveau de sa gorge. _ Ch Ouais je sais pas mon cÂur accĂ©lĂšre là ⊠J'me sens bizarre. _ C HĂ©bé⊠euh⊠oui euh⊠j'peux faire quelque chose ? _ Ch Nan nan c'est bon attends j'ai la gorge sĂšche j'vais aller prendre un verre d'eau. _ C Curieuse façon d'commencer la soirĂ©e ! _ M Remets toi vite mon gaillard j'ai une amie Ă te prĂ©senter ! _ Chris reprit son souffle et entama son expĂ©dition vers la cuisine. _ Claire, elle, salua des amis et leur tint des palabres en secouant son corps. _ Chris, non sans difficultĂ©, se fraya un chemin dans l'assistance. Son cÂur intensifia sĂ©rieusement ses caprices, sans raison apparente, alors qu'il Ă©tait au milieu de la piĂšce. Sa vision se brouilla, son thorax le faisait violemment souffrir mais il continua d'avancer dans l'incomprĂ©hension. _ Comme par magie, tout se calma peu Ă peu en s'approchant de la cuisine. En s'Ă©loignant du salon. _ Il but au robinet. Se redressa. Respira. Essaya de comprendre. _ Hmaaahhlala » _ Il jeta un Âil au salon. Il devait bien faire soixante mĂštres carrĂ©s, relativement spacieux, moderne, investit d'une bonne trentaine d'invitĂ©es. Matt avait enlevĂ© tous les meubles et installĂ© un Ă©clairage colorĂ©. _ Chris scruta ses congĂ©nĂšres. Et son regard se figea net. _ Il ne bougeait plus. Ne respirait plus. Ne sentait plus, ensorcelĂ© par un ĂȘtre vivant, femelle, tournĂ©e vers lui. Il Ă©tait en stase, en apnĂ©e. Puis, l'instinct de survie fit son apparition comme 20 bonnes secondes s'Ă©taient Ă©coulĂ©es⊠_ PffouahâŠÂ» fit il soudainement. AffolĂ©, Ă bout de souffle, il regarda de tous cĂŽtĂ©s. Son cÂur battait la chamade. _ Il ouvrit le frigo pour en sortir une biĂšre qu'il ingurgita en moins d'cinq secondes. Il planta nerveusement sa main dans un saladier bourrĂ© d'chips pour s'en fourrer plein l'gosier tout en constatant que la fille le tenait par les pupilles. A nouveau il sentit une pression cardiaque tout Ă fait inexplicable ! Il mĂącha nerveusement les pommes de terre sĂ©chĂ©es, salĂ©es. _ L'idĂ©e d'inviter un jour cette fille boire une biĂšre ou un cafĂ© effleura son inconscient ! _ Chris suivit Matt du regard, surprit de le voir s'approcher de Merry. Il le vit faire un geste courtois, invitant Merry Ă se dĂ©placer vers la cuisine. Matt regarda Chris d'un air complice. _ Christmas comprit instantanĂ©ment ! _ Nooon.. Ouww non pas ça ! » _ Soudainement, les palpitations revinrent, Chris sentit la pression de Merry monter, et monter, comme s'il Ă©tait dans l'espace sans combinaison s'approchant de Jupiter. Il sentait les radiations de son regard. Comme des jets d'Ă©lectrons solaires. Plus Merry s'approchait, plus son malaise s'intensifiait, plus son corps se ratatinait. Merry et Matt entrĂšrent dans la cuisine. Maintenant, vraiment, pliĂ© en deux, il suffoquait. _ Grrraaaahh » cria-t-il en se redressant, les deux mains sur le cÂur, perdant l'Ă©quilibre. _ Matt fit deux pas en arriĂšre. hey mec !? » _ Merry, elle, continua d'avancer. _ Chris rrraaah !! ééééâŠĂ©loigne toi st..steuplé⊠_ Merry bras en avant Attends ma sÂur est infirmiĂšre elle m'a apprit quelques trucs importants.. je sais pas ce que tu as mais je peux t'aider. Et je n'ai pas peur. _ Chris n'osait plus la regarder, il recula jusqu'au dernier mur, fixant le sol, blanc comme un linge, en sueur. Sa respiration Ă©tait aussi rapide que les dixiĂšmes de seconde. Il voulait bouger, courir, s'Ă©loigner, mais ne pouvait plus, l'attraction Ă©tait trop forte, Merry Ă©tait trop prĂšs. Son magnĂ©tisme s'Ă©tait mĂȘlĂ© au sien via une passerelle invisible, formant un cocktail dĂ©tonnant. _ mmaaaaaaarrhh » _ Claire entra dans la cuisine et constata la violence de la scĂšne. _ Heyyy maisâŠ.Faut agir lĂ !!!?? » _ Merry s'avança jusqu'Ă lui, et attrapa sa main. _ La sensation qu'elle eut Ă cet instant fut indescriptible. Si. Une synthĂšse de trois Ă©lĂ©ments peut-ĂȘtre _ ElectricitĂ©, fusion, jouissance. _ Merry fut projetĂ©e en arriĂšre dans un hurlement aussi court que tĂ©tanisant, et Chris s'Ă©tala comme une poupĂ©e d'chiffon, littĂ©ralement terrassĂ©. _ Chris !? Chriiiis!!? » Cria Claire qui se rua vers lui. Accroupie, elle essaya de le redresser. _ Chriiisssttmaaass !!!!?? » _ Merry se remis en poste, accroupie, d'un coup aussi pĂąle que Chris, et osa poser le pouce sur son poignet. _ Instinctivement, elle fit son possible pour le rĂ©animer, de plus en plus absente, fĂ©brile, comme si petit Ă petit son corps ne lui appartenait plus. _ Personne ne comprenait la gravitĂ© de la situation. _ Claire en sanglots frappait encore Chris de dĂ©sespoir, sans prĂȘter attention Ă Merry. _ CadavĂ©rique, Merry tomba sur le cĂŽtĂ©. _ Inerte. _ Matt Merryyyyyyy⊠Christmaaaaaaaas !!!!!!??? Nouvelle 102 _ Arc-en-ciel sur le bitume A la descente du bus de l'aĂ©roport, j'Ă©vite de justesse une tache de sang sĂ©chĂ© sur le trottoir. Mon premier pas sur le sol taiwanais est donc de biais. Avant de partir Ă la recherche d'un lit pour la nuit, je m'offre une canette de cafĂ© frappĂ© au distributeur automatique de la gare. Je pause mon sac sur un banc, pour ne pas le salire au contact de ces taches rouges dĂ©cidĂ©ment nombreuses sur le bitume, et observe ce qui m'entoure en sirotant l'insipide boisson. Je ne ressens pas de dĂ©paysement particulier Ă la vue des constructions aux couleurs et matĂ©riaux passĂ©s de modeâŠ. juste la curieuse impression d'avoir atterri dans les annĂ©es 1980. Nijiko, une jolie touriste japonaise rencontrĂ©e dans le bus, me rejoint et propose de chercher un hĂŽtel ensemble. Je la remercie intĂ©rieurement d'agir Ă ma place, de rĂ©pondre Ă mon appel muet de faire plus ample connaissance. _ Dans quelle direction va-t-on ? demande-elle avec son joli accent. _ Je ne sais pas. Tu es dĂ©jĂ venue non ? Alors je t'engage comme guide et je te suis ! _ J'aimerais ajouter jusqu'au bout du monde si tu veux⊠Elle ajuste la barrette arc-en-ciel qui retient ses cheveux noirs. Plisse les lĂšvres en une moue adorable, fronce les sourcils et tourne sur elle-mĂȘme. Deux fois. On va par lĂ ! _ L'excitation qui m'envahit habituellement lorsque je pars Ă la dĂ©couverte d'une nouvelle ville, fait dĂ©faut. ProblĂšme de concentration. Les trois bestioles souriantes qui se balancent Ă la poignĂ©e du sac de Nijiko m'hypnotisent. Les Ă©tranges taches rouges sur les trottoirs me dĂ©goĂ»tent et m'obligent Ă slalomer. Le grondement furieux d'une meute de dizaines de scooters couvre les mĂ©lodies des tubes de J-Pop crachĂ©s par les mauvaises enceintes des magasins. Je stoppe net Ă la vue d'un buffet en plein-air. S'y mĂȘlent des lĂ©gumes multicolores, des champignons Ă©voquant du simili cuir, du tofu Ă toutes les sauces⊠Les mille odeurs qui s'en dĂ©gagent n'en font plus qu'une. Je salive. Mais Nijiko me prend par la main et m'entraĂźne dans son sillage. Hayaku ! _ Une passerelle qui enjambe un large boulevard nous permet de prendre de la hauteur. L'index de Nijiko pointe vers le bambou gĂ©ant qu'est la tour Taipei 101, vers les toits compliquĂ©s des temples et les arbres tropicaux qui s'immiscent dans les rares espaces disponibles. Mais je fixe surtout les bracelets arc-en-ciel enroulĂ©s autour de ses jolis poignets⊠Juste en dessous, les trottoirs et la chaussĂ©e sont mouchetĂ©s de rouge. _ â Nijiko. Tu as remarquĂ© ce sang partout dans la rue ? _ â Du sang ? _ â Oui, regardes toutes ces taches. _ â Eto⊠Non, ce sont des crachats. Rouges parce que les gens ont croquĂ© des noix de bĂ©tel qui font beaucoup saliver. C'est comme une drogue plus ou moins autorisĂ©e. Les hommes adorent. Ils en achĂštent des petits paquets, le soir surtout, Ă des filles installĂ©es sur les trottoirs. C'est joli vu d'en haut, non ? On dirait un lĂ©opard rouge et gris. Enfin⊠je me dis que ce serait encore mieux si⊠_ â ⊠_ â Tu sais⊠j'ai une idĂ©e. _ Dans la moiteur de notre modeste chambre d'hĂŽtel nous mettons au point un plan, enfantin dans tous les sens du terme. Ensuite, tout va trĂšs vite. La recherche de magasins spĂ©cialisĂ©s. L'achat de tubes de peintures. La rĂ©cupĂ©ration de bouteilles plastiques vides. La prĂ©paration des mĂ©langes qui nous colorent les doigts. Son bisou bleu, puis jaune, puis rouge sur ma joue. _ Trois jours plus tard, nous contemplons satisfaits l'alignement d'une vingtaine de bouteilles remplies d'eau Ă©paissie par les peintures de diffĂ©rentes couleurs. Nijiko, avec ses hautes chaussettes rayĂ©es, Ă©clipse presque cet arc-en-ciel 100 % chimique. Un plan de Taipei Ă la main et rĂ©primant un fou-rire, elle fait la pause pour la photo. _ â On est bĂȘte non ? _ â Un peu. Mais c'est pas grave. _ Les nuits suivantes, nous parcourons les rues du centre-ville, rapides, mobiles, dĂ©corant les trottoirs de milliers de taches colorĂ©es. La semi-obscuritĂ© nous permet d'agir discrĂštement, malgrĂ© l'animation permanente. Taipei ne dort pas. Ses habitants profitent des heures fraĂźches de la nuit pour envahir les boutiques de Ximen ou d'ailleurs, assumant sans complexe leur statut de consommateurs mallĂ©ables. Au lever du soleil, nous frĂ©quentons les night market pour avaler tout ce qui entre dans la catĂ©gorie qu'est-ce que ça peut-ĂȘtre ? C'est une rĂšgle que nous nous sommes imposĂ©e. Puis nous dormons jusqu'Ă midi avant de marcher dans cette citĂ© Ă©trange dont les murs suintent d'humiditĂ©. AprĂšs une semaine Ă ce rythme, je me suis attachĂ© Ă la ville et surtout Ă celle qui me la fait dĂ©couvrir. Son rire me fascine. Je le provoque en dĂ©taillant par exemple les candidats aux Ă©lections municipales qui pausent en tenue de base-ball ou nagent avec des dauphins sur les affiches qui couvrent les vitrines. Elle me guide vers des temples fabuleux sur lesquels s'enroulent des dragons gĂ©ants. Elle m'initie au plaisir culpabilisant de la dĂ©gustation des melon pan japonais, vendus dans les boulangeries locales. Elle ne se perd jamais dans le labyrinthe de ruelles thĂ©matiques bordĂ©es lĂ d'ateliers de rĂ©paration de scooters, lĂ de librairies oĂč l'on Ă©coute des chansons françaises d'un autre temps. _ Une semaine passe. Nous sirotons un Calpis Water en regardant des Ă©coliers rĂ©pĂ©ter une chorĂ©graphie compliquĂ©e sur l'esplanade du mausolĂ©e de Tchang KaĂŻ-chek. Elle m'annonce alors la fin de nos nuits d'errance colorĂ©es. Merci pour ton soutien murmure-t-elle. Le lendemain, du haut de cette passerelle que nous avions franchi ensemble le premier jour, nous contemplons une partie de notre Âuvre. Un arc-en-ciel Ă©clatĂ© couvre les trottoirs. Je relĂšve sa casquette arc-en-ciel Ă©videmment et l'embrasse. Elle garde son sĂ©rieux. _ â Il faut rester lĂ un moment dit-elle. Les gens ne se rendent compte de rien. S'ils voient que l'on regarde, que l'on photographie, ils regarderont aussi. Et puisâŠmets tes mains dans tes poches, elles sont encore toutes tachĂ©es ! _ Elle a raison. Une heure plus tard, les passants dĂ©taillent les trottoirs et immortalisent notre tableau sur leurs portables. Nous rentrons nous coucher, satisfaits. _ Nijiko passe dĂ©sormais ses journĂ©es Ă suivre le buzz qui anime la toile locale, Ă me traduire les journaux, Ă dĂ©couper les photos de notre arc-en-ciel qui illustrent les unes. CuriositĂ©, inquiĂ©tude, polĂ©miqueâŠUne rumeur se rĂ©pand. Des noix de bĂ©tel empoisonnĂ©es coloreraient la salive. Une nouvelle drogue pour pervertir la jeunesse ? En cette pĂ©riode d'Ă©lections certains y voient des manÂuvres politiques. La Chine est montrĂ©e du doigt, puis les immigrĂ©s et les peuples indigĂšnes. D'autres devinent une campagne publicitaire pour un nouveau centre commercial ou un message en faveur de la paix. Mais quelle paix s'interrogent-ils ? Nijiko exulte devant ce spectacle. Je sens qu'elle s'Ă©loigne de moi. _ Puis des analyses sont faites. Il ne s'agit que de peinture. On crie au gĂ©nie, salue cette expression sans contrainte qui brise le carcan des programmes culturels subventionnĂ©s, ceux qui aliĂšnent la crĂ©ativitĂ©. Les consommateurs de noix de bĂ©tel se remettent Ă mĂącher. Les palabres inutiles cessent, le soufflĂ© mĂ©diatique retombe peu Ă peu. La premiĂšre violente averse de mousson nettoie notre arc-en-ciel. La peinture coule en riviĂšre colorĂ©e dans les caniveaux. Et un matin, Nijiko n'est plus lĂ . Un voile tombe sur cette brĂšve sĂ©quence de bonheur et je troque ma tenue d'amoureux transi pour celle, habituelle, de voyageur solitaire. _ Les annĂ©es passent. Je ne sais toujours pas pourquoi Nijiko et moi avons repeint les trottoirs de Taipei. Etait-ce juste une expĂ©rience jubilatoire ? Pour moi oui, accompagnĂ© du dĂ©sir de rester Ă ses cĂŽtĂ©s. Mais elle, quel Ă©tait son message ? Je ne l'ai jamais revu. Restent des souvenirs â son rire, ses tenues arc-en-ciel. Ainsi qu'une attirance obsessionnelle pour tout ce qui touche au Japon. J'apprends sa langue. Enfin, j'essaye. Aujourd'hui, leçon 14. TroisiĂšme mot de la colonne de gauche du tableau de vocabulaire Niji = arc-en-ciel. Nijiko, l'enfant de l'arc-en-ciel. Un dĂ©but d'explication ? Nouvelle 103 _ Un pĂšre fantasmĂ© _ Cette soirĂ©e de fin novembre 1959, Marie va la passer en invitĂ©e chez des amis de sa grand-mĂšre, dans leur villa de Nancy, ville oĂč elle est Ă©tudiante ; c'est avec plaisir qu'elle a rĂ©pondu Ă leur appel elle se sent un peu perdue dans cette grande citĂ© et se rĂ©jouit de retrouver une chaleureuse ambiance familiale. A la fin du repas, ses hĂŽtes ont allumĂ© la tĂ©lĂ©vision pour regarder les actualitĂ©s ». Marie est toute ouĂŻe, car cette tĂ©lĂ©vision est encore rare dans les foyers, et elle n'est pas habituĂ©e Ă avoir Ă domicile les nouvelles du monde, illustrĂ©es par des images. Tout en sirotant son cafĂ©, elle absorbe les informations _ Soudain, son cÂur fait un bond inhabituel, puis semble s'arrĂȘter de battre ce journaliste grand reporter qui occupe tout le petit Ă©cran, oĂč il commente des Ă©vĂ©nements survenus en RFA, c'est lui, elle l'a reconnu, c'est son pĂšre, celui qu'elle attend depuis son enfance, c'est une Ă©vidence ! Elle entend un nom en fin d'Ă©mission Jack Salsberger. Sa soirĂ©e se termine dans une sorte de brouillard mĂȘme si elle parvient Ă remercier ses amis et Ă agir de façon Ă ne pas susciter d'inquiĂ©tudes _ Son pĂšre ? Marie, pourtant, est orpheline son pĂšre est un hĂ©ros de la RĂ©sistance dont le sort malheureux n'a Ă©tĂ© connu que tardivement simplement, on n'a plus eu de ses nouvelles depuis aoĂ»t 44 oĂč son maquis a Ă©tĂ© investi par les troupes allemandes et il n'est pas rentrĂ© par l'un des trains de dĂ©portĂ©s de l'annĂ©e 45. Deux ans plus tard, des restes » ont Ă©tĂ© dĂ©couverts par des forestiers dans la montagne vosgienne ; aprĂšs des analyses complexes, l'un des squelettes a Ă©tĂ© attribuĂ© Ă son pĂšre et rendu Ă sa famille. _ Marie a peu de souvenirs de son papa en a-t'elle seulement qui lui appartiennent ? Pense-t'elle Ă lui ? Elle le voit tel que sur des photos, ou dans des attitudes rapportĂ©es dans des rĂ©cits de sa grand'mĂšre. Elle aussi a fini par quitter le monde, rongĂ©e par le chagrin et le cancer, et plus personne ne lui parle de son pĂšre sa mĂšre s'est remariĂ©e, elle essaie de vivre une nouvelle vie et on Ă©vite de raviver les blessures de cette jeune femme. _ Marie n'accepte pas cet Ă©pilogue comment imaginer sous les mots restes, dĂ©pouille, squelette », le jeune et solide papa qu'elle a eu ? MĂȘme si, en rĂ©alitĂ©, ils n'ont vĂ©cu que quelques semaines ensemble. Depuis longtemps, elle s'est créé, petit Ă petit, une autre sĂ©quence de fin de guerre. _ Par une sĂ©rie d'Ă©vĂ©nements qu'elle imagine, son pĂšre a rĂ©ussi Ă intĂ©grer l'armĂ©e Patton qui a libĂ©rĂ© l'Est de la France puis a pĂ©nĂ©trĂ© en Allemagne. Il a dĂ» ĂȘtre blessĂ© et rapatriĂ© aux USA, sous un pseudonyme inventĂ© pour poursuivre son parcours hĂ©roĂŻque avec l'armĂ©e des libĂ©rateurs AmnĂ©sique, il n'a pu retrouver son identitĂ© ni sa famille. Ce scĂ©nario est bien rĂŽdĂ© et il aide Marie Ă vivre dans l'espĂ©rance ; mais ce soir, c'est le grand clash ce Jack Salsberger, c'est son pĂšre, elle n'a aucun doute ; il correspond si bien, physiquement, au pĂšre qu'elle attend, que l'allĂ©gresse a pris possession de son ĂȘtre, troquant le rĂȘve pour la jubilatoire vĂ©ritĂ©. _ AprĂšs une nuit d'intenses rĂ©flexions entrecoupĂ©es de courtes pauses de sommeil, elle est dĂ©cidĂ©e Ă agir elle veut retrouver ce pĂšre qui ne la connait pas et recrĂ©er des liens. Avec le soutien de quelques amis, par d'innombrables manÂuvres et autant d'Ă©checs qui ne font que renforcer sa dĂ©termination, elle parvient, aprĂšs des semaines de rage devant son impuissance, mais paradoxalement, de sĂ©rĂ©nitĂ©, mĂȘlĂ©e de joyeuse excitation -car elle connait la vĂ©ritĂ© â Ă localiser le journaliste amĂ©ricain appelĂ© Ă couvrir les cĂ©rĂ©monies du DĂ©barquement en juin 60. _ L'Ă©tudiante rassemble tous les moyens dont elle peut disposer et rallie â train, puis mĂ©tro- la capitale. Elle se rend Ă l'ORTF avec une audace qu'elle ne se connaissait pas, elle se prĂ©sente en Ă©tudiante en journalisme, pĂ©nĂštre dans ce sanctuaire et, de couloirs en escaliers, parvient au studio attribuĂ© Ă la tĂ©lĂ© amĂ©ricaine. AprĂšs une longue attente, elle voit enfin la haute stature de celui qui est le but de son escapade. Elle s'approche rapidement et bredouille un texte sans doute incomprĂ©hensible car le journaliste semble un peu surpris et continue son avancĂ©e sans s'intĂ©resser Ă la jeune fille. Elle insiste en se plaçant en obstacle devant lui il s'arrĂȘte avec un sourire mi-dĂ©bonnaire mi-excĂ©dĂ© mais il l'Ă©coute ; son visage expressif se nuance de sentiments successifs et variĂ©s ; assez rapidement, cependant, il lui fait savoir que c'est un malentendu et qu'il n'est pas l'homme qu'elle recherche et il l'abandonne en plein couloir, dĂ©semparĂ©e, mais ni vaincue ni convaincue de son erreur. _ Les jours suivants, elle trouve mille stratagĂšmes pour croiser son chemin et se trouver Ă son contact il semble agacĂ© par son insistance mais ne l'Ă©vite pas et mĂȘme s'intĂ©resse Ă son histoire et Ă ses raisons de croire en lui pourtant, il s'Ă©vertue Ă lui prouver qu'elle a tort; une sorte de communication s'Ă©tablit le baroudeur est involontairement Ă©mu par la fragilitĂ© de cette toute jeune femme et en mĂȘme temps Ă©patĂ© par sa force de conviction. C'est aussi un homme qui aime sĂ©duire et il est flattĂ© de l'importance qu'il a dans la vie de la jeune et fraĂźche Marie. Il l'invite dans une brasserie, l'Ă©coute avec bienveillance, mais surtout, il lui raconte sa vie aventureuse, ses exploits de guerre, ses dĂ©couvertes de la LibĂ©ration. La palabre se prolonge car Marie est une auditrice parfaite, subjuguĂ©e et il se voit dans ses yeux en hĂ©ros -ce qu'il ne fut pas toujours ; c'est un sentiment trĂšs agrĂ©able de se voir ainsi valorisĂ© ! Il imagine mĂȘme un moment de profiter de cette Ă©vidente admiration pour sĂ©duire cette jeunesse » ! Avec quelque cynisme, il s'envisage en ogre dĂ©bonnaire se dĂ©lectant de chair fraiche ! _ Chaque marque d'attention et d'intĂ©rĂȘt confirme Marie dans son dĂ©lire son adulation filiale n'est nullement atteinte par les manÂuvres de sĂ©duction du don Juan, elle ne les voit mĂȘme pas comme telles ! L'ancien GI a passĂ© toute sa jeunesse en combats guerriers, il a toujours Ă©tĂ© mobile et a acceptĂ© toutes les missions ; mais il n'a pas eu l'opportunitĂ© d'aliĂ©ner son indĂ©pendance et de bĂątir une famille et il est profondĂ©ment Ă©mu par cette fille qui se veut la sienne avec insistance et qui aurait pu l'ĂȘtre en d'autres circonstances C'est cette pensĂ©e, surgie involontairement de son moi profond qui lui fait oublier ses vellĂ©itĂ©s de tombeur. _ Si, finalement, il ressent sa capacitĂ© Ă ĂȘtre un pĂšre de cÂur, prĂȘt Ă troquer son viril machisme pour endosser l'habit parental, il ne peut admettre d'ĂȘtre un usurpateur ; il s'emploie alors, bien qu'elle soit peu mallĂ©able, Ă la convaincre qu'il n'est que lui-mĂȘme mais serait heureux de devenir son pĂšre adoptif, un guide prĂ©venant et affectueux. Il l'aide Ă faire le deuil de ce pĂšre fantasmĂ©, qu'elle a tant voulu faire vivre ; le chemin est encore long pour qu'elle honore le souvenir de ce vrai pĂšre » qui a rĂ©ellement souffert le martyre et l'exĂ©cution par les SS ; il la persuade enfin que, dans son cÂur, son pĂšre mort est plus vivant, ainsi reconnu, que faussement imaginĂ© en vie ! _ Pour l'un comme pour l'autre, cette pĂ©riode Ă©mouvante et souvent douloureuse est une passerelle vers une sĂ©rĂ©nitĂ© personnelle et une force pour aborder l'avenir un pĂšre choisi et une fille choisie. _ Que deviendront, au fil du temps, ces relations et sentiments nouveaux ? Ce point de convergence » qu'ils viennent de vivre ouvre Ă une multiplicitĂ© de possibles » rien n'est encore Ă©crit de ce qu'ils pourront faire de cette rencontre qui a bouleversĂ© leurs vies antĂ©rieures ; mais ils l'ont vĂ©cue et celĂ c'est indĂ©niable ! Nouvelle 104 _ Plus bas que terre Au loin, Ă travers la fenĂȘtre empoussiĂ©rĂ©e, il voyait cette ombre remonter la ville et le soleil poindre. Cette sĂ©quence lui remĂ©morait la mort de toute sa famille. Tout ce qui l'avait fait vivre jusqu'ici s'Ă©tait Ă©croulĂ©. La sociĂ©tĂ©, vision Ă©trangĂšre pour lui, avait fait place Ă une horde de morts-vivants. La fin du monde avait sonnĂ© depuis six mois. L'espoir ne faisait mĂȘme plus vivre ces quelques survivants d'une terrifiante apocalypse satanique. Il n'y avait plus rien de possible sur cette terre perdue, simulacre de l'enfer Ă©ternel, agir pour une solution relevait d'une naĂŻvetĂ© aliĂ©nĂ©e. _ Ce que ne savait pas Andrew, c'est que tout pouvait encore basculer autour de lui. Tenant dans sa main une tasse rouillĂ©e de cafĂ© il alla demander Ă sa compagne Nikki qui, entraĂźnĂ©e dans un palabre avec l'instructeur Aron, ne lui prĂȘtait plus aucune attention. _ â Nikki !! Nous ne pouvons pas rester ici, ils vont arriver, dit-il en regardant vers le grillage de l'ancienne manufacture. Nous ne pourrons jamais lancer un appel radio depuis ici. _ â Partons alors, mais oĂč ? Tu sais pertinemment que nous n'avons nulle part oĂč aller, j'en discutais avec Aron, notre seule chance de survivre est de rester ici et de chercher du gaz dans le secteur. _ Aron, arborant son foulard de guĂ©rillero symbole de son esprit combatif d'ancien instructeur de l'armĂ©e, prit son fusil Ă pompe et fixa ses deux uniques compagnons. _ â C'est ensemble qu'il faut prendre une dĂ©cision. Et si croire qu'il reste des endroits plus sĂ»rs qu'ici te paraĂźt jubilatoire Andrew, c'est en fait nous conduire directement Ă la mort. Jusqu'ici j'ai fait attention Ă vous, mais je perds patience et je n'ai aucunement envie d'arpenter cette passerelle pour vider ma rĂ©serve de cartouches. Ils sont mobiles et nous sentent, si jamais on passe cette porte, on va finir en pĂątĂ©e pour chien. _ â Ton soutien nous a fait survivre jusqu'ici Aron mais cela ne te donne pas le droit de nous guider sans cesse en croyant que nous pourrons trouver ce foutu gaz et brĂ»ler la ville entiĂšre. Nous devons trouver un hĂ©licoptĂšre ou un camion blindĂ© qui nous sortira de cette enclave ! _ â Andrew s'il te plait ! s'exclama Nikki. _ â Non ! Fini ces conneries !!!! Je ne suis plus mallĂ©able! Ma dĂ©cision est prise, je me casse !!!!! Hurle-t-il. Nikki, viens avec moi et laissons Aron jouer le hĂ©ros tout seul. _ â Tu bouges encore d'un mĂštre et je te fais sauter la tĂȘte Andrew, je ne te laisserais pas nous mettre en danger Ă cause d'une simple crise de nerfs. Je ne troquerai pas ma vie contre ton imprudence juvĂ©nile. _ â Vas te faire foutre Aron !!! Crie Andrew le fixant avec haine et mĂ©pris. _ Tout d'un coup un bruit rĂ©sonne dans le hangar. Tous les trois se jettent un regard surpris et inquiet. Nikki d'un air affolĂ© dit _ â Oh non! Je n'ai pas verrouillĂ© la porte !!!!! _ Aron, sĂšchement, recharge son fusil et dans un Ă©lan assurĂ© se prĂ©cipite vers la porte. Andrew le suit en tenant bien fort dans sa main une arme Ă feu, fidĂšle protection qu'il garde auprĂšs de lui depuis le dĂ©but de cette guerre contre les rĂŽdeurs. Il interpelle Nikki _ â Nikki, reste-lĂ j'arrive. _ â Non !!! Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. _ Elle le suit aussi. Aron, surpris, se retrouve face Ă face avec un commando de l'armĂ©e rĂ©sistante. L'homme, vĂȘtu d'un bandana kaki et d'un uniforme noir illustrant sa force hiĂ©rarchique, relĂšve la tĂȘte et sur un ton salutaire affirme _ â Amis de la rĂ©sistance, je suis le colonel Damik, nous recherchons des survivants dans la ville de Los Angeles depuis prĂšs de trois mois. Nous avons dĂ©tectĂ© votre prĂ©sence avec nos capteurs sonores et thermiques. _ Aron rĂ©pond _ â Colonel, je suis l'instructeur Aron Neilborn, nous sommes ici depuis un mois et nous ne pensions pas retrouver quelconques humains vivants. _ â Ne vous inquiĂ©tez pas, une rĂ©sistance s'est mise en place, cet enfer va bientĂŽt prendre fin, l'armĂ©e maintient un contrĂŽle permanent sur la situation. _ â Mais c'est impossible, dĂ©clare Andrew. Ils sont partout, vous les avez vus !!! Merde c'est quoi cette histoire ? OĂč allons-nous finir avec votre commando ? Dans un sas de l'armĂ©e ? OĂč allez-vous nous enfermer ? _ â N'ayez crainte ! Affirme le colonel Damik. Nous avons un QG central situĂ© au BrĂ©sil, nous pouvons vous escorter. Nous avons besoin de vous et vous aussi. Les zombies nous encerclent ici. Mais nous pouvons partir pour une base militaire au sein de laquelle vous ne serez mĂȘlĂ©s Ă aucune guĂ©rilla. Nous avons un hĂ©licoptĂšre. _ Nikki, Andrew et Aron suivirent le colonel. Une foi Ă©mergea en eux celle de pouvoir croire en l'humain, mĂȘme si le danger persistait et Ă©tait encore gravĂ© dans leur mĂ©moire. _ Ce choc ne sera peut ĂȘtre jamais oubliĂ© mais ils savent finalement oĂč aller. Un semblant de protection les guide vers une autre suite, vers une Ă©volution dans leur parcours, vers une inĂ©luctable mort, dĂ©vorĂ©s par les humains ou par les vers. Nouvelle 105 _ Gayatri Cette fois, c'en Ă©tait trop. Je ne resterais pas indiffĂ©rente Ă ce qui se passait au nord de l'Inde. Ce fut comme un appel retentissant, non seulement Ă mon oreille mais parcourant tout mon corps d'une vibration nouvelle, presque jubilatoire. Un vent de changement soufflait, je ne serais plus cette personne mallĂ©able et passive. La sĂ©quence filmĂ©e que je me repassai en boucle sur l'Ă©cran, serait dĂ©cisive. Elle relatait le combat poignant d'une petite indienne qui, accrochĂ©e Ă la force de son petit poignet Ă une branche d'arbre, luttait tant bien que mal, pour rester en vie. Un fort courant d'eau boueuse passait et repassait sur elle, mais la tĂȘte hors de l'eau par intermittence, elle tentait de tenir bon. Elle paraissait singuliĂšrement stoĂŻque, ne pleurait ni ne criait mais les yeux fermĂ©s, semblait se concentrer pour mĂȘler sans doute force et volontĂ©, en attendant qu'arrivent les secours. Des hommes sur la rive encombrĂ©e de ronces, l'encourageaient en cheminant vers elle et⊠le reportage s'interrompait. BientĂŽt une main attraperait celle de l'enfant et elle pourrait enfin franchir la passerelle qu'on distinguait un peu au dessus. C'Ă©tait un pont prĂ©caire, bĂąti de bois et de cordes qui s'Ă©branlaient encore sous les derniĂšres rafales, et d'oĂč la petite avait Ă©tĂ© emportĂ©e. Ce court extrait, n'illustrant qu'un seul instant de la rĂ©cente catastrophe me devint crucial. Mon psychisme, soudain pris d'effervescence connut un Ă©tat d'urgence, venant mettre un terme dĂ©finitif Ă l'oisivetĂ© harassante qui avait emprunt ce dĂ©but d'aoĂ»t. Gabriel m'avait quittĂ©e Ă la fin de l'hiver, nous venions de passer cinq annĂ©es ensemble, lorsqu'il avoua ne plus m'aimer. Il emmĂ©nagea avec Florence aussitĂŽt aprĂšs. Plus de six mois avaient passĂ©, je ne m'en remettais pas, ma vie semblait avoir perdu son sens. Me concentrer sur plus essentiel que cette banale trahison, tournant Ă l'obsession me devint impĂ©rieux, salutaire. C'Ă©tait inĂ©luctable, j'avais pris la dĂ©cision d'agir et d'apporter mon soutien, si infime soit-il. Je me mis en quĂȘte de l'organisme pour lequel j'allais m'enrĂŽler et j'achetai mon billet, tout en me prĂ©parant Ă subir les commentaires dĂ©courageants d'un entourage timoré⊠Je fis une collecte pour rassembler plusieurs valises de vĂȘtements et autres produits de soins d'urgence, j'emportai aussi ma trousse de secours amplement garnie. Et comme je l'avais prĂ©vu mes proches, bien qu'arguant de compassion ne manquĂšrent pas de m'envahir de palabres inutiles, auxquelles je coupais court en brandissant mon billet. Mais ma chĂ©rie, tu n'es pas bien en ce moment, tu as beaucoup maigri, il y a des virus terribles lĂ -bas, le cholĂ©ra⊠» Tu oublies dis-je, que je suis infirmiĂšre dans l'Ăąme et que je n'y peux rien, j'ai besoin d'aller aider ». J'ajoutai persifflant aux oreilles de ma bigote de tante N'est-il pas Ă©crit aide-toi et le ciel t'aidera ? ⊠» A l'aĂ©roport de Delhi un guide attendait notre petit groupe, formĂ© au dĂ©part de Roissy. Un voyage Ă©pique dĂ©buta et nous n'arrivĂąmes qu'aprĂšs 36 heures de route. Au fur et Ă mesure de notre percĂ©e » Ă travers le dĂ©luge, de nouvelles routes s'avĂ©raient inaccessibles⊠Des heures durant nous fĂ»mes bringuebalĂ©s dans un bus de fortune, tentant de nous assoupir, conscients du labeur qui nous attendait. Nous arrivĂąmes Ă notre point de chute, un petit dispensaire perchĂ© sur un roc. L'endroit avait Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©, mais en contrebas le spectacle de dĂ©vastation, sous un magnifique lever de soleil n'en demeurait pas moins pitoyable. Le travail commença immĂ©diatement, aliĂ©nant, et seule la consommation excessive de cafĂ© nous aida Ă tenir bon. J'aurais voulu donner des nouvelles Ă ma famille mais les tĂ©lĂ©phones mobiles ne passaient plus. Les gens affluaient vers nous en nombre. Ils Ă©taient blessĂ©s, pleuraient en se soutenant les uns les autres, grelottants. La plupart avait tout perdu du peu qu'ils possĂ©daient. Une femme, pour que je le prenne me tendait son bĂ©bĂ© et la bague qu'elle venait d'ĂŽter, dĂ©sireuse de la troquer contre mes soins⊠Et tous ces pauvres gens qui s'agglutinaient Ă nous patiemment et silencieusement, prenaient aussi le temps d'ĂȘtre reconnaissants, joignant leurs mains constamment en priĂšre ou en signe de remerciement. C'est ainsi que passai trente et un jours Ă Gayatri, et puis je dus rentrer. Pierre avait Ă©tĂ© lĂ , Ă mes cĂŽtĂ©s dans cette bataille contre le temps. Pompier volontaire, il dirigeait les secours sur cette zone sinistrĂ©e. Le combat nous avait rapprochĂ©s, nous nous aimions. De retour Ă Paris Ă l'Ă©tĂ© finissant, j'allai prĂ©senter ma dĂ©mission au Dr Marcquois, chef de la clinique High Tech pour laquelle je travaillais. Peu aprĂšs, je regagnai l'Inde pour m'engager plus rĂ©solument encore auprĂšs de Pierre dans l'action humanitaire. J'avais retrouvĂ© le sens vĂ©ritable de mon existence sur cette terre, dans l'entraide et le partage. Nouvelle 106 _ Le passage ! Je vĂ©rifie l'heure sur mon tĂ©lĂ©phone mobile. Je ne voudrais en aucun cas manquer ce moment. On l'attend tous, depuis si longtemps au moins jusqu'Ă ce qu'il ait lieu. _ J'arrive Ă l'endroit du rendez-vous. Je ne suis pas la premiĂšre. De nombreux convoquĂ©s, comme moi, sont dĂ©jĂ lĂ . On est tous du mĂȘme Ăąge. Certains sont accompagnĂ©s de plus jeunes, ainsi que je l'ai fait le mois dernier pour ma copine Mary. J'y retrouve, d'ailleurs, ma cousine Lucie. _ A l'appel de mon nom, je pourrai m'avancer, avec les autres conviĂ©s du jour, au pied de la passerelle. Ensemble, nous seront autorisĂ©s, depuis le temps qu'on le souhaite, Ă franchir cette riviĂšre qui sĂ©pare nos deux mondes. _ Tous bavardent sur l'Ă©vĂ©nement en cours. C'est un jour vraiment important pour nous tous. Il y en a mĂȘme qui crient. Il faut dire qu'on attend que le prĂ©posĂ© du ministĂšre finisse son cafĂ© pour commencer son palabre. C'est jouer avec notre patience ! _ Si quelqu'un ignorait ce que nous nous apprĂȘtons Ă rĂ©aliser, il nous prendrait pour des dĂ©sĂ©quilibrĂ©s. Il n'aurait pas tord, je me sens d'ailleurs folle de joie et d'excitation, Ă l'idĂ©e, enfin, de passer de l'autre cĂŽtĂ©. _ Nos noms sont Ă©noncĂ©s lentement. J'entends le mien, et avance. C'est jubilatoire de gravir, ainsi, cette passerelle ! _ LĂ -bas, je devrai y retrouver Mary, passĂ©e le mois dernier, elle m'a promis son soutien. J'aurai un mois, pour prendre mes repĂšres. Ensuite, je serai, moi aussi, guide, pour ma cousine qui traversera au prochain appel. C'est ainsi qu'est prĂ©parĂ© ce passage. On accompagne Ă la passerelle, celui qui nous aidera, une fois traversĂ©, et on est entourĂ© lors de notre appel par celui qu'on soutiendra du mieux possible, Ă notre tour, aprĂšs son passage. C'est pour ça que Lucie est lĂ , et qu'elle ne perd pas une bouchĂ©e de ce spectacle. _ J'ignore en quoi consiste cette autre vie qui nous attend. On sait juste qu'il faudra ĂȘtre mallĂ©able, et s'adapter. Logique, aussi, lorsqu'on arrive dans un nouvel endroit, il faut forcĂ©ment s'accommoder au fonctionnement dĂ©jĂ en cours, et aliĂ©ner nos habitudes. _ Il est vrai qu'on n'en a jamais eu l'habitude, puisque ici, dans ce monde, tout nous est organisĂ© et planifiĂ©. On n'a aucun choix, ni aucune libertĂ© d'action. Ce qui Ă notre Ăąge, 15 ans, devient difficile Ă supporter. _ On rĂȘve tous de libertĂ©, pouvoir faire ce qu'on a envie au moment oĂč on le souhaite. Mais aussi, envisager les choses, selon notre perception et non uniquement suivant ce qu'on nous impose. Pouvoir vivre dans un monde qu'on aura façonnĂ© Ă notre goĂ»t, tel qu'on souhaiterait qu'il soit, dans le respect de chacun, et pour le bien de tous. _ Cependant, serons-nous Ă la hauteur, seul, Ă devoir prendre les bonnes dĂ©cisions ? Personne ne le sait, et d'ailleurs, certains avouent ne mĂȘme pas vouloir y penser Ă l'avance. Bon, ce sera nĂ©cessairement bien. On attend tous ça depuis si longtemps _ En classe, on ne nous en a pas expliquĂ© beaucoup plus. On sait juste que nous ne serons plus chaperonnĂ©s. Nous devrons nous mĂȘler Ă l'autre monde, troquer notre vie d'enfant contre celle d'adulte. Nous serons dans une autre histoire ! _ On nous a seulement illustrĂ©, maintes fois, cette sĂ©quence de la vie du franchissement de la passerelle, par de nombreuses images. Mais, la vivre, je vous assure, c'est autrement mieux ! Je me sens la plus heureuse de la Terre au sommet de ce passage. _ Enfin adulte, je vais pouvoir agir Ă ma guise, pour un monde nouveau _ Oh, mais il n'y a personne de l'autre cĂŽtĂ© Nouvelle 107 _ Quand une simple rose tient le premier rĂŽle Ce matin lĂ , je m'Ă©veillai tĂŽt avec une curieuse impression. J'Ă©tais dans ma chambre mais j'avais la sensation que quelqu'un y Ă©tait entrĂ© cette nuit. Un cendrier sur la table de nuit ne me semblait plus Ă sa place et on apercevait des traces de doigt dans la poussiĂšre de la commode. AprĂšs rĂ©flexion, je me dis que j'avais sans doute rĂȘvĂ©. Rien ne manquait. Aucun tableau, aucun bijou. J'ouvris la fenĂȘtre pour aĂ©rer et en me penchant vers le jardin je m'aperçus qu'une rose avait Ă©tĂ© arrachĂ©e au rosier placĂ© en dessous. C'Ă©tait la plus belle, d'une couleur mordorĂ©e. Ce n'Ă©tait pas le vent il n'y en avait pas. Elle avait Ă©tĂ© coupĂ©e au sĂ©cateur. Qui donc pouvait bien en vouloir Ă mes roses ? Je passais en revue tous mes voisins _ Les retraitĂ©s d'en face ? Ils n'en avaient pas besoin. Leur jardin regorgeait de fleurs en tout genre, toutes plus odorantes les unes que les autres. Le cafĂ© du coin de la rue ? Paulo le patron passait ses journĂ©es derriĂšre son comptoir Ă servir des biĂšres Ă des ivrognes pendant que sa femme s'affairait en cuisine avec la Chinoise du restaurant d'Ă cĂŽtĂ© qui venait de faire faillite. Que ferait-il de ma rose ? Pendant que je menais ce long palabre avec moi-mĂȘme, j'aperçus une femme d'un certain Ăąge, brune, les cheveux longs et bouclĂ©s qui franchissait la passerelle au-dessus de la voie ferrĂ©e en face de ma fenĂȘtre. Elle tenait Ă la main un bouquet de roses mordorĂ©es Je me sentis entrer dans un Ă©tat jubilatoire, de ceux que je ressentais quand j'Ă©tais encore flic et qu'une sĂ©quence d'enquĂȘte allait bientĂŽt se clore, Ă la faveur d'un nouvel Ă©lĂ©ment. Je me senti rĂ©solu Ă agir. J'enfilai ensemble un slip, un pantalon, un pull et je me jetai rapidement dans la rue. La femme ne marchait pas vite. Heureusement ! Et je n'eus pas de mal Ă la rattraper. PlutĂŽt que de l'aborder, je dĂ©cidai de la suivre. Elle se dĂ©plaçait lourdement, comme si une arthrose sournoise l'empĂȘchait d'avancer. Elle longea un moment la voie ferrĂ©e puis s'engagea dans une impasse. J'hĂ©sitai un instant mais l'Appel fut plus fort. Je mettais mes pas dans son ombre jusqu'Ă atterrir devant un pavillon de banlieue entourĂ© d'un jardin dissimulĂ© aux regards des passants par une haie de cannisses beiges. Ma guide avait disparu. A un endroit, quelques bambous avaient trouĂ© cette lĂ©gĂšre clĂŽture ; j'Ă©cartais les tiges mallĂ©ables et mobiles. La femme se trouvait lĂ , assise sur une chaise longue aux allures marines rayĂ©e de bleu et de blanc ; ses cheveux s'Ă©talaient sur le dossier en boucles soyeuses. Son visage semblait respirer le soleil du matin encore un peu pĂąlichon. Elle avait troquĂ© ses vĂȘtements contre sa simple nuditĂ© et sa peau blanche, laiteuse, aurĂ©olait la pelouse du jardin de sa lumiĂšre pĂąle ; Il se dĂ©gageait de son corps mou Ă©talĂ© sur la chaise longue, offert, une sensualitĂ© suave dont je ressentais l'appel qui allait m'aliĂ©ner. _ Je restai longtemps ainsi Ă la regarder ; le temps passa ainsi que les passants ; je ne sais si elle m'avait vu mais cela ne semblait pas la gĂȘner outre mesure. Enfin l'heure avançant, je troquai mon activitĂ© de voyeur pour une autre plus prosaĂŻque aller manger au restaurant du coin. _ L'aprĂšs-midi se passa sans problĂšme ; je m'Ă©tais engagĂ© Ă illustrer le livre d'un copain et je m'adonnai Ă mon passe-temps favori l'aquarelle. Je mĂȘlais savamment l'eau et les couleurs afin de laisser passer un maximum de lumiĂšre ; mes portraits ressemblaient un peu Ă des poupĂ©es de porcelaine mais cela collait tout Ă fait au texte de mon ami. Le soir tomba. _ Je me mis Ă la fenĂȘtre pour observer le coucher du soleil. Alors que le disque de feu allait disparaĂźtre derriĂšre la cheminĂ©e de la maison voisine, je l'aperçus devant la grille du jardin. Elle me regardai. J'eus besoin du soutien de la rambarde pour ne pas vaciller en avant ; des sentiments contradictoires se mĂȘlaient en moi. Que venait-elle encore faire ici ? Son regard sombre semblait m'implorer. Je lui fis un signe de la tĂȘte ; Elle poussa la grille, entra et se dirigea vers le perron, toujours de ce pas lourd et traĂźnant que j'avais remarquĂ©. Elle devait monter les trois Ă©tages. Une petite voix me disait n'ouvre pas mais ce fut plus fort que moi. Elle se retrouva sur le palier et je la fis entrer. Elle inspecta la piĂšce oĂč un chevalet traĂźnait . Elle me demanda de la peindre ce que j'acceptai. _ J'installai ma palette de couleur. Pour elle j'avais choisi la peinture Ă l'huile qui rendrait mieux Ă mon avis la densitĂ© de sa peau sensuelle. Elle se dĂ©shabilla ; elle ne semblait Ă©prouver aucune gĂšne et prit la pose le plus naturellement du monde sur le canapĂ© de cuir violet achetĂ© bon marchĂ© dans une brocante ; je me mis Ă la dessiner .Les contours furent rapides et prĂ©cis. Sa blancheur me posait des problĂšmes. Comment rendre toutes les nuances de sa carnation et donner de la chaleur Ă cette non-couleur qui Ă©tait la sienne et qui pourtant irradiait ? Le temps passa, fĂ©brile ; l'Âuvre prenait forme ; je commençais Ă en ĂȘtre content. Tout Ă coup on frappa violemment Ă la porte. _ â » Estrela, je sais que tu es lĂ . Ouvre ! » _ Son regard m'implora. Elle mit un doigt sur sa bouche chut ! » _ Je ne savais que faire ; c'Ă©tait sĂ»rement son mari qui venait la chercher. Il hurlait et tambourinait de plus en plus fort. _ J'hĂ©sitais encore lorsque le coup partit. Une violente douleur me saisit au thorax tandis que je m'affaissai sur la toile. Mon sang se mĂȘla au blanc de sa peau pour lui donner enfin cette couleur vivante que je n'arrivais pas Ă rendre. Je quittai alors ce monde pour le paradis blanc. FIN Nouvelle 108 _ Le Chien Si un jeune chien africain s'Ă©brouait innocemment, il balancerait sur les murs alentour les tonnes de cette boue collante et aveuglante posĂ©e sur son Ă©chine plutĂŽt frĂȘle par les intĂ©rĂȘts financiers apatrides, les palabres pusillanimes des dirigeants politiques Ă©lus dĂ©mocratiquement, et par les nĂ©vroses totalitaires des Ă©glises et de leurs religions. Alors, juste avant qu'on lui bute la gueule dĂ©finitivement, des voix s'Ă©lĂšveraient pour dire que cela est tout juste le rĂ©cit d'une rĂ©colte On rĂ©colte ce que l'on sĂšme », dit-on. _ Pendant ce temps, le jeune chien qui n'aura pas eu loisir Ă rĂ©flĂ©chir en aura foutu partout et de plus en plus. Et on dira de lui qu'il est sale, mal Ă©duquĂ©, primaire et dangereusement brutal, quand lui rĂȘvera d'un bout de barbaque ou d'un os juteux. Alors, il se rĂ©veillera de ses rĂȘves Ă©tranges oĂč il a des ailes, oĂč il vole, le Chien. Il se rĂ©veillera de ses rĂȘves oĂč il va tranquillement, sans coups de pieds dans les reins, sans hameçon Owner plantĂ© dans la truffe Ă pĂ©daler derriĂšre des embarcations de pĂȘche. Il se rĂ©veillera de ses rĂȘves oĂč il chasse le mulot et la racine gouteuse, oĂč il va dormir contre les jambes d'un humain, et mĂȘme l'aimer cet humain, parce qu'il a lui aussi un crĂ©dit d'amour inemployĂ©. _ Et puis, vidĂ© aux as et lassĂ© de tant d'insĂ©curitĂ©, il fera preuve de cynisme. Il en est capable le Chien. Il sait la dĂ©cadence des Empires et celle des gamelles. Et comme il n'est pas oublieux, il sait aussi, souvent contre lui et tout avec lui pareillement, l'appel rythmĂ© du vent qui mĂȘle mille parfums et le scandale sans mobiles de la pluie qui ruisselle le long de ses flancs dĂšs septembre. Il sait les saisons, les extases et les affres de la libertĂ© solitaire. _ Alors il trottinera dans la poussiĂšre, en rĂ©servant ses forces, son ventre tremblant Ă chacun de ses pas, et il ressentira comme une fatalitĂ©, venue de ses propres origines, robe cafĂ© au lait sur le sable, chien! kelb!, invisible et dĂ©finitivement seul Ă surseoir Ă un destin insignifiant pour tout ce qui semble ĂȘtre de ce monde en marche. _ Et pourtant, le sang qui bat et l'aviditĂ© des tendres gueules des petits qui tĂštent et suçotent ensemble dans le terrier sont bien lĂ , Ă malmener les mamelles de leur gĂ©nitrice et Ă planter leurs prunelles vitreuses dans la lumiĂšre, comme avec la rage de prendre leur place lĂ©gitime dans le cirque de la vie. Le Chien sera inquiet. Il grimpera souplement et sans fausse pudeur, et s'installera discrĂštement Ă mi-hauteur de la passerelle qui surplombe le nouvel hĂŽtel blanc Ă©tincelant. Il semblera humer l'air, le museau humble, et il contemplera l'espace. Puis il remarquera et posera un regard tout neuf de jeune Ă©pousĂ© sur un chien blotti dans une serviette, sur une chaise-longue, un peu dĂ©cati et gĂątĂ© depuis trop longtemps. Il l'observera de loin, longuement et mĂȘme Ă la fraĂźche, et il tentera la comparaison de ce qu'il voit Ă ce qu'il croit ĂȘtre lui-mĂȘme. _ Au loin, les vagues suaves de ce dĂ©but d'aprĂšs-midi continueront Ă dĂ©poser mĂ©thodiquement leurs soupirs gracieux sur le rivage, avec la course du soleil comme guide. Le Chien sait que bientĂŽt elles troqueront leurs couleurs, qu'elles se pareront d'un bleu mĂ©tallique, pour faire sonner les galets et mettre des claques vigoureuses, fraiches et imprĂ©visibles, aux cuisses charnues des filles mutines qui se seront attardĂ©es. Il s'endormira dans ce pays tourmentĂ© mais Ă©trangement bienveillant, et il encombrera de sa bave odorante son oreiller d'aiguilles de pin, discret vestige des arbres rĂ©cemment dĂ©racinĂ©s. Il dort. _ Puis il sursautera et sortira de cette sĂ©quence lĂ©thargique et sournoise â celle qui consiste Ă devenir spectateur, Ă s'aliĂ©ner, Ă se sustenter du dĂ©corum de la vie des autres Ă©rigĂ©e en archĂ©type â aux couinements agacĂ©s de l'autre animal sous la main ornĂ©e et gĂ©nĂ©reuse de sa maĂźtresse qui lui tend de l'eau. De la viande aussi. Il observera plus attentivement, les babines frĂ©missantes. Et il ressentira Ă nouveau le dilemme; sa survie ou sa libertĂ© ? _ Il lui faudra agir. Il imaginera et planifiera la rencontre. Alors, juste avant l'affrontement dĂ©sormais programmĂ©, il se dĂ©gourdira les pattes dans le terrain-vague attenant, qui a lui seul illustre la vie des nouveaux locataires, avec leurs boites de conserve Ă©ventrĂ©es, leurs sacs en plastique, leurs mĂ©gots, gerbes et autres pourritures. Il se fera Ă nouveau des blessures en passant sous le grillage qui interdit depuis peu l'accĂšs Ă la mer, pour raisons de nouvelle politique touristique » et de soutien au dĂ©veloppement du littoral ». Il sera colĂšre. Mais il se fera le corps mallĂ©able pour rĂ©pondre Ă l'appel les flots qui palpitent dans le noir et qui bordent depuis toujours son pays bien aimĂ©. Il le fait pour l'Ă©cume qui vient rĂ©jouir ses moustaches, pour ce rayon de lune qui joue avec lui, bondissant d'une vague noire Ă l'autre. Les vagues. La nuit. Comme il s'amuse le Chien. MĂȘme s'il sait aussi qu'avec ses balafres vilaines, il sera la cible des gens du pays. Un chien pelĂ©, mĂȘme citoyen, est mort dans cette Nation Ă©garĂ©e qui est la sienne. _ AprĂšs l'ivresse jubilatoire des Ă©lĂ©ments, il lui faudra rĂ©gler ses comptes. Il prendra son Ă©lan et il jaillira et traversera comme une fusĂ©e cet espace lisse et Ă©trangement brillant organisĂ© dans l'hĂŽtel. Il hurlera avant d'avoir mal et pour faire peur, tant il a peur. Il renversa les plats de semoule et les grains de raisins confits exploseront en perles dans la piscine. Il se jettera sur l'autre animal et il le blessera. Au sang! Il vibrera sous sa propre peur et il le meurtrira, l'autre. Pour goĂ»ter si leurs sangs sont les mĂȘmes. Pour comprendre. Et soudain, comme une litanie endiguĂ©e qui explose enfin et rebondit en Ă©chos contre les murs blanchis Ă la chaux, les hommes crieront de plusieurs voix qu'un chien sauvage a attaquĂ© l'hĂŽtel! Et lui, dans la fureur de ses frustrations, dans sa peur Ă©lectrique d'ĂȘtre battu et assassinĂ©, il affirmera qu'ils n'ont pas le mĂȘme goĂ»t, les sangs. Il se plantera un instant face Ă ce monde, silhouette maigre dans cet Ă©clairage pas tout Ă fait normal. Il sentira la lumiĂšre stupĂ©fiante et le vent chargĂ© de musique beugler entre ses pattes. Il sentira son impuissance. Alors il dĂ©talera. Comme le voyou qu'il n'est pas. Comme le moins que rien » qu'il n'est pas. Il disparaitra dans l'obscuritĂ© de la nuit. Alors il croira que son propre sang est meilleur, le Chien ! _ On rĂ©colte ce que l'on s'aime », je dis. Nouvelle 109 _ La valeur du temps⊠Au CafĂ© Pierre Loti », en surplomb sur le Bosphore, accrochĂ© Ă la pente de la colline d'EyĂŒp, de rares visiteurs arrivaient en solitaires sur les traces de l'Ă©crivain fantasque et amoureux transi⊠Ils avaient tous peinĂ© pour trouver leur chemin et s'installaient aux tables de la terrasse, guettant dĂ©sespĂ©rĂ©ment quelques visages turcs, en espĂ©rant se mĂȘler Ă des palabres qui illustreraient leur soif de romantisme. Irfan suivait ces regards dÂĂ©trangers un peu perdus, qui s'Ă©vadaient en scrutant l'horizon, du cotĂ© de la Corne d'Or. Ces touristes-lĂ l'intĂ©ressaient tout particuliĂšrement, contrairement Ă ceux qui dĂ©barquaient tous ensemble de leurs minibus, dĂ©jĂ captĂ©s par les agences, et qui se laissaient mener en troupeaux mallĂ©ables vers les sites les plus rĂ©putĂ©s⊠Les voyageurs isolĂ©s constituaient sa clientĂšle, Ă condition de savoir les aborder, puis les convaincre. Irfan parcourait nonchalamment le tour des tables, sans se prĂ©cipiter avant d'agir. Il parlait un bon français, comme de nombreux Ă©tudiants turcs qui trouvaient encore prestigieux d'apprendre notre langue. Il les reconnaissait Ă la tonalitĂ© de leurs mots, ou parfois simplement Ă cause d'un livre posĂ© sur la table. _ Son ami Gamze, chauffeur de taxi Ă la fausse licence, l'attendait patiemment au bout de la descente, prĂšs du cimetiĂšre musulman. Leur connivence datait de peu, mais elle leur permettait de troquer leurs nombreux temps libres, contre quelques billets qui les aidaient Ă vivre. Au loin, deux nouveaux ponts embrumĂ©s constituaient les passerelles modernes reliant l'Europe Ă l'Asie, avec une population de plus en plus mobile qui les franchissait en files ininterrompues. Gamze connaissait toutes les ruelles pittoresques qui permettaient de rejoindre ces Ă©difices gĂ©ants, et il offrait des gymkhanas jubilatoires Ă ses clients en mal de conduite exotique! _ L'homme auquel Irfan sÂĂ©tait adressĂ©, prit Ă peine le temps de terminer son raki », sorte de pastis turc, et lui dit Je dois me rendre Ă mon hĂŽtelâŠtrĂšs vite! Plus vite qu'avec un autre taxi⊠On m'attend avec mes bagages pour rejoindre l'aĂ©roport⊠» Irfan et Gamze auraient voulu dire qu'ils n'Ă©taient pas Ă proprement parler taxi », mais plutĂŽt accompagnateurs, pour des visites dĂ©contractĂ©es et originales. L'homme insista et voulait gagner du temps il comptait sur leur dĂ©brouillardise, sur leur soutien⊠Ses vĂȘtements n'Ă©taient pas ceux d'un touriste, et la petite sacoche qu'il portait ressemblait davantage Ă celle d'un homme d'affaires. Il parlait français, avec un accent particulier. Les deux jeunes n'allaient pas aliĂ©ner leur budget dĂ©jĂ mince, du prix de cette bonne course, uniquement parce que tout ne paraissait pas complĂštement dans la norme! La dĂ©gringolade dans les rues escarpĂ©es commença, et Gamze enclenchait parfois une marche arriĂšre, s'il craignait de tomber sur un embouteillage. A l'arriĂšre, l'homme s'Ă©pongeait le front et ne parlait plus. Il avait donnĂ© le bristol de son hĂŽtel, un Ă©tablissement rĂ©putĂ© d'Istanbul. A l'arrivĂ©e, il s'extirpa de l'automobile Ă la vitesse de l'Ă©clair, fouilla dans sa poche et sortit une liasse de billets verts Des dollars? Cela vous va? Il y a plus qu'il ne faut⊠» Il glissa dans la main d'Irfan un paquet de billets qui dĂ©passait largement le prix de la course, puis se prĂ©cipita vers le hall de l'hĂŽtel. Un portier ventripotent, coiffĂ© d'un Ă©norme turban, leur fit signe de dĂ©gager en vitesse! _ Les deux jeunes gens dĂ©cidĂšrent d'aller manger du poisson grillĂ©, avant de retourner au cĂ©lĂšbre bistrot littĂ©raire d'EyĂŒp. Il prirent leur temps, et plaisantĂšrent joyeusement en ressassant la sĂ©quence de celui qu'ils nommaient en se moquant l'homme pressĂ© »⊠Une fois la note du restaurant rĂ©glĂ©e, il partagĂšrent la somme qui restait, et rejoignirent la voiture de Gamze. A son habitude, le chauffeur parcourut du regard sa guimbarde, comme on prend soin d'un vieil animal un peu fatiguĂ©. Ses yeux s'immobilisĂšrent Ă la vue de la banquette arriĂšre la sacoche de l'homme pressĂ© » Ă©tait encore lĂ ! Il l'avait oubliĂ©e⊠_ On a beau ĂȘtre dĂ©brouillard et culottĂ©, on doit rester honnĂȘte pour faire longtemps son mĂ©tier. Ils reprirent le chemin de l'hĂŽtel, et auprĂšs du gros portier qui les reconnut, il s'enquirent de leur passager, sans mentionner aucune raison. Dans ces villes d'Orient, signaler un objet perdu, c'est souvent l'offrir directement au policier chargĂ© de l'affaire! Le portier jura que l'homme Ă©tait aussitĂŽt reparti, et qu'il n'Ă©tait pas question de laisser pĂ©nĂ©trer deux va-nu-pieds comme eux. Ils apprirent juste qu'il ne s'agissait pas d'un habituĂ©, et qu'il avait choisi la suite la plus luxueuse avant de repartir pour MontrĂ©al⊠Circulez maintenant! Ce n'est plus un client pour vous! » _ Irfan et Gamze se retrouvĂšrent Ă Sirkeci, prĂšs de la gare et des quais dÂembarquement des ferries, lĂ oĂč ils pouvaient stationner, et parfois trouver des clients. Irfan avait la pochette sur les genoux. Il faut l'ouvrir⊠Nous aurons peut-ĂȘtre son adresse au Canada! » La pochette ne contenait rien d'autre qu'une enveloppe Ă©paisse, serrĂ©e par un Ă©lastique, avec un chiffre crayonnĂ© dans un coin 7 500⊠Les deux garçons commençaient Ă transpirer; ils sentaient bien les liasses qui se crispaient sous leurs doigts, Ă travers le papier kraft. Ils ouvrirent et les billets apparurent, une somme astronomique pour eux⊠Il dĂ©cidĂšrent qu'en attendant un hypothĂ©tique appel ou contact de l' homme pressĂ© », ils camoufleraient cet argent chez Gamze. Ils ne reprirent pas le travail cet aprĂšs-midi lĂ , mais Ă partir du lendemain matin, on les revit tous les jours Ă EyĂŒp, en quĂȘte de nouveaux visiteurs fatiguĂ©s. _ Deux semaines passĂšrent sans que personne ne se manifeste. Ils retournĂšrent Ă l'hĂŽtel, oĂč mĂȘme le gros portier ne les reconnut plus. Ils Ă©taient terrassĂ© par l'idĂ©e que cette somme ne leur appartenait pas⊠enfin, ne leur appartenait pas encore⊠AprĂšs deux mois ils se rĂ©solurent Ă investir l'argent, quitte Ă le rendre plus tard, si un dĂ©tective les contactait. Ils purent changer la vieille automobile, et Gamze paya enfin sa licence de taxi. Irfan rĂ©gla sa derniĂšre annĂ©e d'Ă©tudes sur l'histoire Ottomane, afin d'obtenir son certificat de guide⊠ComplĂštement Ă©mus, ils commencĂšrent leur travail officiel sous forme d'une petite sociĂ©tĂ©, et un ami leur Ă©tablissait la comptabilitĂ©. Ils avaient un avenir radieux, qui ne leur laissait que de temps Ă autre, le petit goĂ»t amer de ne le devoir qu'au destin, mais leur travail les motivait de plus en plus. Ils chĂ©rissaient tellement chaque client, et prenaient soin de chaque argent qu'ils gagnaient. Ils n'imaginaient toujours pas, que l'on puisse perdre 7500 dollars sans jamais rĂ©apparaĂźtre⊠Ils ne connaĂźtraient certainement jamais les affaires de l'homme pressĂ©, qui reprĂ©sentait l'image de l'occidental opulent, vivant de l'autre cotĂ© du monde⊠pays des dollars fous, qui dansent et qui sont jouĂ©s sans souci⊠qui permettent d'acheter tout, et mĂȘme ce dont personne n'a nul besoin⊠_ Ils roulaient dans leur nouveau taxi, loin dÂĂȘtre rutilant, mais tellement plus sĂ»r et confortable! Gamze jonglait avec son volant dans les petites rues, puis paradait lentement sur les grandes artĂšres fleuries de riches vitrines. Irfan parlait avec les clients quÂil avait charmĂ©s. Pour une jolie parisienne, il baissa le pare-soleil afin qu'elle ne soit pas Ă©blouie. Elle s'exclama en lisant la devise qu'il avait gravĂ©e au verso⊠Oh! Comme c'est drĂŽle⊠votre petite phrase, là ⊠» Soyez rassurĂ©s, AMIS⊠vous ĂȘtes entre de bonnes mains Car si vous, vous avez⊠lÂargent⊠Nous⊠nous avons⊠le temps! » _ Irfan et Gamse n'entendirent plus jamais parler de l'homme pressĂ© », et ils s'Ă©taient jurĂ© de ne jamais lui ressembler! Nouvelle 110 Je suis Gaby. Non, pas Gabrielle, juste Gaby. Je suis nĂ©e Ă Lusaka, en Zambie, vingt annĂ©es et des poussiĂšres. Des poussiĂšres d'ange. Comme si le ciel avait fait de moi sa faveur. Comme s'il avait troquĂ© la misĂšre du monde contre un peu d'espoir. Ma vie. Mon espoir. Je suis Gaby, Ă©tudiante en art. Je peins. Je projette sur mes toiles d'interminables palabres, j'illustre d'indicibles instants de vie. _ Tout a commencĂ© lorsque j'ai soufflĂ© mes dix-huit printemps. Mon frĂšre, JosĂ©, me divulgua un doux secret au creux de mon oreille. Comme un appel Ă la mer. Il m'a dit _ â Gaby, j'ai rĂ©uni assez d'argent. Nous pouvons partir. Maintenant. Ensemble. ». _ J'Ă©tais terrifiĂ©e. Nous parlions souvent de cette idĂ©e. Partir, tout quitter, s'envoler pour l'Europe. Mais cette fois-ci c'Ă©tait rĂ©el. Nous allions vĂ©ritablement laisser cette terre dĂ©pourvue d'avenir, pourvue de misĂšre dont la tristesse me faisait pitiĂ©. J'Ă©tais terrifiĂ©e. Mais nous sommes partis, un matin de juillet. Quelques t-shirts, une photo de famille, mon sac Ă©tait prĂȘt. L'aĂ©roport de Chipata m'illustrait une toute autre image de mon dĂ©part. J'ai pleurĂ©, au dĂ©collage. J'ai aussi pleurĂ©, Ă l'atterrissage. Paris. _ J'ai priĂ© pour qu'un chĂ©rubin issu de nulle part me tende la main, me guide dans ce changement d'existence. Comme une Ă©vidence je l'ai trouvĂ©. Il s'appelait Francis. DĂ©couvert un soir dans le quartier de Belleville. Il est artiste peintre, professeur qui plus est. Nous avons beaucoup discutĂ©. Il me parlait de futilitĂ©s que je ne comprenais pas. Sa femme, son chien, son nouveau mobile dont il venait de fissurer l'Ă©cran. Il Ă©tait en colĂšre contre le monde entier. Cela dit, je lui dois Ă©normĂ©ment. Il fut la passerelle entre mon envie de transcrire mes idĂ©aux sur la toile, et les beaux-arts, cette Ă©cole qui faisait jaillir en moi un feu, me retournant le bas du ventre, Ă©clairant un peu plus le blanc de mes yeux. _ Ce fut une sĂ©quence dĂ©lirante de ma vie. J'oscillais entre le plaisir de peindre, celui de retrouver Francis dans un cafĂ© de Montmartre tard le soir, et celui de raconter tout ce qu'il m'arrivait Ă JosĂ©. JosĂ©, lui, il se demandait ce qu'il foutait lĂ . Il versait des larmes et des larmes de regrets. Notre pĂšre lui manquait. Un soir, je l'ai vu passer Ă l'acte. Agir. JosĂ© sortit une arme de la poche de son pantalon. Et il tira. Sans rĂ©flexion aucune. Quelques jours passĂšrent et je compris vite son geste. Paris n'est pas si jubilatoire que l'on ne l'imagine. Paris n'est pas idyllique. Paris n'est pas magique. Paris vend du rĂȘve Ă chaque coin de rue, mais ce rĂȘve n'est pas mallĂ©able, il n'est pas palpable, juste imaginable. GrĂące au soutien de Francis, je suis parvenue Ă me relever. Je ne suis pas une ratĂ©e. Je ne suis pas foutue. Je suis Gaby, aliĂ©nĂ©e de la vie. Une vie pas comme les autres. Demain, j'expose. Mes peines et mes joies mĂȘlĂ©es sur ces tissus de lin se dĂ©mĂȘlent et j'y vois plus clair. _ Je suis retournĂ©e Ă Lusaka. Une fois. J'y ai vu d'Ă©tranges souvenirs. Comme celui oĂč nous Ă©voquions, JosĂ© et moi, la possibilitĂ© de partir pour la premiĂšre fois. J'avais onze ans. Dix ans plus tard je me reconstruis. L'assemblage de mes deux vies me donne l'impression de voler, je suis libre. Libre de rĂ©ussir en France, libre d'aimer la Zambie du plus profond de moi. _ La vie est une sublime peinture. Et je ne regrette rien. Nouvelle 111 _ Mon homme Ă moi Ce matin, aprĂšs le dĂ©part de Robert, je me suis rendormie, ce qui m'arrive rarement. Mais hier soir il m'avait vraiment Ă©puisĂ©e, car c'est chaque annĂ©e la mĂȘme chose lorsque, aprĂšs la grisaille de l'hiver, le printemps pointe enfin le bout de son nez, Robert dĂ©cide que pour une fois, mĂȘme si nous avons des goĂ»ts totalement diffĂ©rents, nous passerons nos vacances d'Ă©tĂ© ensemble. Alors il se procure tout un tas de brochures d'agences de voyages et de guides touristiques, les entasse sur la table basse du salon, les feuillette, les commente interminablement ; je l'Ă©coute d'une oreille distraite, il dit et redit chaque annĂ©e les mĂȘmes choses, il en devient assommant⊠_ Moi qui suis d'un caractĂšre plutĂŽt accommodant â souple mais pas mallĂ©able pour autant, j'ai ma personnalitĂ© â je laisse Robert agir ou plutĂŽt non-agir Ă sa guise ; il soliloque Ă voix haute, se rĂ©pĂšte, se perd en longs palabres. _ Oui, je sais, tu prĂ©fĂšres rester ici, Ă la maison, tu aimes tellement le jardin, les arbres, les oiseaux, tu aimes surtout tes habitudes, pas vrai ? Mais moi, tu y as pensĂ©, Ă moi ? Moi qui suis coincĂ© toute la journĂ©e au bureau, j'ai besoin de bouger, de voir de nouveaux paysages, comprends-moi⊠_ De temps Ă autre je lĂąche un soupir, lĂ©ger, juste pour qu'il sente que je suis lĂ , que je lui apporte mon soutien mais je me garde bien de m'en mĂȘler. _ D'accord, tu n'aimes pas l'eau⊠Mais pourquoi n'irions-nous pas Ă la montagne, par exemple, hein ? _ Aller Ă la montagne ? Lui qui a le vertige sur la passerelle qui enjambe la voie ferrĂ©e, au bout de la rue ? Pfff Je sais bien qu'il rĂȘve de jouer les explorateurs, de s'illustrer dans de magnifiques aventures. Peut-ĂȘtre espĂšre-t-il m'Ă©pater, et ainsi me garder dans sa vie ; on dirait qu'il doute sans cesse de moi, de ma fidĂ©litĂ©, comme si j'Ă©tais prĂȘte Ă succomber Ă l'irrĂ©sistible appel d'un ailleurs⊠Pourtant je peux vous dire que pour rien au monde je ne voudrais troquer Robert contre un autre homme, ça, non. Je ne suis pas prĂȘte Ă aliĂ©ner ma vie avec un autre, aprĂšs tout ce qu'il m'a fallu dĂ©ployer de ruse et d'Ă©nergie pour avoir Robert tout Ă moi, et les Ă©vincer , elles, les autres ; pour une fois que j'ai rĂ©ussi Ă m'habituer Ă un homme, Ă ses mains sur moi, Ă son odeur, Ă ses horaires, Ă ses manies, je ne vais pas maintenant en changer, surtout pas Ă mon Ăąge⊠_ La sĂ©quence de fiĂšvre touristique d'hier soir, bien que prĂ©visible, a Ă©tĂ© Ă©prouvante, et s'est prolongĂ©e jusque tard dans la soirĂ©e. Ensuite Robert a eu une nuit agitĂ©e, il grommelait dans son sommeil, se tournait et se retournait en tirant toute la couette, et pour moi qui dort toujours collĂ©e Ă lui, c'est franchement dĂ©sagrĂ©able. _ Bref, ce matin Robert s'est rĂ©veillĂ© en retard, il a juste avalĂ© un cafĂ© et vite filĂ© Ă son bureau, la cravate de travers. SitĂŽt qu'il a claquĂ© la porte, au lieu de sortir dans le jardin comme Ă mon habitude, je suis venue m'installer sur le canapĂ©, et dans la maison silencieuse je me suis rendormie. _ Et lĂ j'ai fait un drĂŽle de rĂȘve au lieu de vivre avec Robert, je vivais avec le voisin d'en face, une espĂšce de bĂ»cheron, ventripotent et moustachu, insĂ©parable de son chien â que dis-je, un chien ? â un molosse hirsute et fort mal Ă©levĂ©, qui prend un malin plaisir Ă aboyer dĂšs qu'il m'aperçoit Ă la fenĂȘtre de la cuisine. Dans mon rĂȘve, l'affreux cabot me poursuivait sur la pelouse mais, cette fois, au lieu de fuir, pleine de colĂšre je me suis retournĂ©e vers lui, il s'est arrĂȘtĂ© net, et soudain il s'est mis Ă rapetisser, Ă se ratatiner sur place ; il est devenu un animal de plastique colorĂ© avec quatre petites roulettes noires, comme ces jouets mobiles que les jeunes enfants prennent plaisir Ă traĂźner derriĂšre eux dĂšs qu'ils commencent Ă marcher⊠Ah, voir ce bouvier hargneux rĂ©duit Ă l'Ă©tat de joujou inoffensif, c'Ă©tait jubilatoire ! _ Mais ce n'Ă©tait qu'un rĂȘve, et j'aurai beau me souvenir de ce ridicule toutou Ă roulettes, dans la rĂ©alitĂ© j'aurai, hĂ©las, toujours peur de lui⊠Dehors le soleil printanier m'appelait. J'ai baillĂ©, je me suis longuement Ă©tirĂ©e et je suis descendue au jardin. J'ai clignĂ© des yeux dans la lumiĂšre presque tiĂšde ; il m'a mĂȘme semblĂ© voir voleter un papillon, le premier de la saison. _ Aujourd'hui, c'est mardi, jour de marchĂ©. Si Robert est de bonne humeur, ce soir il me rapportera un maquereau. Toute contente, je suis rentrĂ©e Ă la maison, en balançant ma queue avec grĂące. Nouvelle 112 _ Devant la Grande Arche Ce vendredi je venais d'arriver par le mĂ©tro et me mĂȘlais Ă la foule sur le parvis de La DĂ©fense devant la Grande Arche. Il Ă©tait midi moins 10 et j'ignorais si l'affluence Ă©tait habituelle Ă cette heure. Beaucoup de cravates sous les pardessus et de tenues soignĂ©es devaient appartenir Ă la faune locale. La manifestation aurait lieu Ă 12h30 mais le collectif avait appelĂ© Ă venir un quart d'heure plus tĂŽt pour recevoir les consignes et se prĂ©parer. Le souci du dĂ©veloppement durable n'Ă©tait pas mon seul mobile, j'espĂ©rais aussi retrouver cette Ă©tudiante rencontrĂ©e il y avait trois jours. Je commençai ma recherche au pied des marches au cas oĂč elle ferait partie des organisatrices puis je continuais en traversant la place de plus en plus loin de l'escalier. _ Et si je ne la reconnaissais pas ? Je ne savais mĂȘme pas son prĂ©nom. Je me rappelais juste ses yeux de biche et son fourre-tout illustrĂ© d'une image qui pouvait Ă©voquer la mer en Ă©bullition. _ Nous nous trouvions dans la file d'attente de la bibliothĂšque Sainte GeneviĂšve. AprĂšs avoir Ă©changĂ© quelques banalitĂ©s sur notre expĂ©rience de la bibliothĂšque, je l'avais amusĂ©e en lui racontant la premiĂšre fois oĂč j'avais commandĂ© un livre, l'ordinateur indiquait qu'il serait disponible Ă la passerelle. Ne voyant rien d'autre qui ressemblĂąt Ă une passerelle j'Ă©tais montĂ© sur la galerie entourant la salle de lecture en dĂ©pit du panneau d'interdiction ; je fus rappelĂ© Ă l'ordre rapidement et invitĂ© Ă me rendre dans un lieu dont rien n'indiquait qu'il eĂ»t une fonction de passerelle entre deux bĂątiments, une sorte de couloir sĂ©parĂ© d'un magasin sommaire par une banque. _ Un macaron ? Un euro si vous pouvez nous apporter votre soutien, proposa une militante portant une chasuble verte. » _ J'achetai et collai le macaron sur mon anorak douillet, il portait l'inscription Ensemble agissons pour la maĂźtrise des changements climatiques. _ Je suis Ă©tudiante en droit m'avait dit l'inconnue de la bibliothĂšque. _ â Et vous trouvez beaucoup d'ouvrages juridiques ? _ â Ce n'est pas pour cela que je viens, je cherche de la documentation sur des problĂšmes Ă©cologiques, je suis membre d'une association pour le dĂ©veloppement durable. _ â J'ai pas mal rĂ©flĂ©chi Ă ces questions mais je ne fais partie d'aucune association, ne voulant pas aliĂ©ner ma libertĂ© d'action ni troquer ma rĂ©flexion contre un guide de pensĂ©e, je suis parfois trop mallĂ©able. » _ Je me mis Ă lui parler d'un systĂšme de quotas d'Ă©mission d'Ă©quivalent carbone, individuels, Ă©gaux, universels et nĂ©gociables qui permettrait de limiter le rĂ©chauffement climatique et de fournir des ressources aux populations dĂ©favorisĂ©es au moyen de la vente de leurs quota non utilisĂ©s. J'enchainai sans discontinuer sur le manque de hiĂ©rarchisation des problĂšmes. Fallait-il concentrer tous les efforts sur la lutte contre le rĂ©chauffement climatique et relĂącher par exemple la lutte contre la faim dans le monde ? _ Dans une des rares occasions oĂč elle put placer un mot, elle m'informa du freeze mob d'aujourd'hui. AprĂšs tous ces palabres ou plutĂŽt ce quasi monologue mon tour d'entrĂ©e arriva sans que j'aie senti le temps passer, je lui proposai de la retrouver dans la salle. Merci, rĂ©pondit-elle mais je crois que nous avons Ă©puisĂ© l'ordre du jour, Ă vendredi peut-ĂȘtre. » _ Tout d'abord merci d'avoir rĂ©pondu Ă notre appel, dit une voix dans un haut-parleur. Nous vous demandons maintenant toute votre attention. Voici la sĂ©quence des actions. Vous commencez par essayer de remplir toute la place. Quand je vous le dirai vous devrez marcher ou faire des mouvements. Si vous portez des macarons vous vous tournerez vers l'arche pour qu'ils soient visibles sur la vidĂ©o. Au premier coup de sirĂšne vous vous figerez, vous serez comme gelĂ©s⊠sans jeu de mots ! Au deuxiĂšme la manifestation sera terminĂ©e. » _ Je pris le parti de m'approcher de la Grande Arche et continuai quand la consigne d'accentuer nos mouvements fut donnĂ©e. J'aperçus enfin son sac puis son visage et lui fis de grands signes dans un Ă©lan jubilatoire et me figeai ainsi quand la sirĂšne rugit quelques instants aprĂšs. _ Et dans le grand silence une voix se fit entendre Mais moi j'ai froid ! Un euro pour un cafĂ© ! » Nouvelle 113 _ Joyeuses PĂąques ! J'avais la sensation assez dĂ©sagrĂ©able que le morceau de langue dans mon assiette essayait de communiquer avec moi, de mÂexhorter Ă agir. Elle me narguait, sournoise et silencieuse, sans que personne autour de la table n'en ait conscience. La situation Ă©tait jubilatoire pour elle, me voir, anxieuse et fĂ©brile, apprĂ©hender le moment fatidique. _ Tu n'as pas faim ma chĂ©rie ? Tu as Ă peine touchĂ© Ă ton assiette ». _ Ma mĂšre s'Ă©tait toujours beaucoup trop prĂ©occupĂ©e de mon alimentation. AprĂšs avoir lu un article dans un magazine fĂ©minin concernant les aliments anti-cancĂ©rigĂšnes, nous avions adoptĂ© pendant quelques semaines un rĂ©gime Ă base de fruits rouges, de curcuma & de lentilles. C'Ă©tait l'Ă©poque oĂč, jeune et mallĂ©able, j'ingurgitais docilement toutes les graines et mixtures vĂ©gĂ©tales dont elle Ă©tait adepte. _ La dĂ©cision Ă©tait prise, j'allais leur annoncer la nouvelle entre le cafĂ© et le dessert. Au moment oĂč, repus, le choc de l'information serait peut-ĂȘtre attĂ©nuĂ© par la digestion. Ils Ă©taient tous lĂ , frĂšres et sÂurs, grands-parents, oncles, tantes, tous rĂ©unis pour s'empiffrer gaiement en l'honneur de cette sacro-sainte fĂȘte de PĂąques, pendant que j'essayais de rĂ©gler le conflit qui s'Ă©tait instaurĂ© entre moi et mon bout de viande en le recouvrant de choux de Bruxelles. _ J'avais troquĂ© mon habituelle confiance en moi contre une rĂ©serve extrĂȘme mĂȘlĂ©e Ă une nervositĂ© telle que des Ă©normes aurĂ©oles de transpiration avaient fait leur apparition sur mon chemisier. _ Les mots tournaient inlassablement dans ma tĂȘte en une ronde infernale qui m'aliĂ©nait et m'empĂȘchait de donner sens aux palabres incessants qui sortaient de la bouche de tante Odile et qui m'Ă©taient adressĂ©s. Je me ressaisis juste Ă temps pour entendre _ Tu n'es pas d'accord Choupette ? » _ J'avais bien entendu toujours dĂ©testĂ© ce surnom mais l'entendre sortant de sa bouche m'horripilait davantage. _ Si, si, bien sĂ»r ». _ Tu vois Jean-Paul, Choupette pense aussi qu'on devrait les renvoyer dans leur pays ». _ Comme si la situation n'Ă©tait pas assez compliquĂ©e, j'Ă©tais devenue raciste en un quart de seconde. _ Quand papa annonça l'arrivĂ©e du plateau de fromage, mon cÂur s'accĂ©lĂ©ra. Je n'allais pas survivre Ă cette journĂ©e. Ma courte existence s'achĂšverait sur cette sĂ©quence tragique. Les journaux titreront Morte d'un arrĂȘt cardiaque avant de leur avoir rĂ©vĂ©lĂ© ! » _ J'avais besoin de soutien, de paroles rĂ©confortantes. Je sortis mon mobile de ma poche et envoya discrĂštement un message Ă Alice. _ » Dis moi un truc gentil ou quelque chose de drĂŽle ! » _ J'eus pour toute rĂ©ponse _ Tu savais qu'on ne prononçait pas le L de aulne ? C'est fou non ?! » _ La profondeur et la justesse des propos d'Alice me fascinaient encore aprĂšs toutes ces annĂ©es d'amitiĂ©. _ Faute d'assistance psychologique suffisamment efficace sur le plan amical, j'en vins Ă faire appel Ă Dieu, dans son incroyable bontĂ©, pour qu'il m'apporte son aide dans cette Ă©preuve. Ma priĂšre intĂ©rieure pris la forme suivante _ Cher Dieu, ou Dieux je vous demande humblement d'ĂȘtre mon guide jusqu'Ă la fin de ce repas. Je souhaiterais, s'il vous plaĂźt, que vous fassiez votre possible pour que je ne sois pas dĂ©shĂ©ritĂ©e Ă la fin de cette journĂ©e. Merci d'avance pour l'attention portĂ©e Ă ma requĂȘte. Amen ». _ C'est alors que ma mĂšre invita l'ensemble de la tablĂ©e Ă rejoindre le salon et se tourna vers moi pour me demander de m'occuper du cafĂ©. Je pense que si elle avait su que sa cafetiĂšre Ă©tait le dernier obstacle Ă mon aveu, elle aurait sans doute prĂ©fĂ©rĂ© un thĂ©. _ J'avais passĂ© ces derniĂšres annĂ©es sur une petite passerelle secrĂšte reliant mes deux mondes, mais il Ă©tait temps aujourd'hui qu'elle laisse la place Ă une jolie autoroute. J'espĂ©rais simplement que le prix du pĂ©age ne pousserait pas ma famille Ă renoncer au voyage. _ Les tasses disposĂ©es sur le plateau je pris mon courage Ă bras le corps et entrai dans le salon les mains moites, les jambes flageolantes et le visage livide. SymptĂŽmes illustrant parfaitement mon Ă©tat d'angoisse. Je le posais sur la table basse quand d'une voix forte et assurĂ©e ma soeur annonça _ Je suis homo ! ». _ J'Ă©tais estomaquĂ©e. Des jours durant je m'Ă©tais entrainĂ©e devant mon miroir pour me faire voler la vedette Ă quelques secondes prĂšs par ma cadette. Ne voulant pas que mon coming-out se rĂ©sume Ă un bref Moi aussi », je me tus. Nouvelle 114 _ Article indĂ©fini C'Ă©tait l'automne. Les couleurs des feuilles dans les arbres mĂȘlĂ©es aux derniers rayons de soleil de novembre donnaient au paysage une beautĂ© Ă©poustouflante. Je me voyais dans ce tableau de Monet dont j'avais oubliĂ© le nom et que j'avais admirĂ© quelques annĂ©es plus tĂŽt dans une petite galerie de Londres. La sĂ©rĂ©nitĂ© du paysage me poussait Ă la rĂ©flexion. Je pensais, aujourd'hui plus que d'habitude, Ă ma lĂ©gendaire docilitĂ©. J'avais toujours Ă©tĂ© trop mallĂ©able et je l'avais toujours su. N'avais-je pas suivi la mĂšre de mon fils, 15 ans plus tĂŽt, dans ce minuscule coin d'Angleterre pour qu'elle puisse enseigner dans un lycĂ©e rĂ©putĂ© de Sherborne? Citadin convaincu et parisien depuis toujours, j'Ă©tais venu habiter Ă la campagne loin de chez moi pour la carriĂšre de ma femme. Puis, quelques annĂ©es plus tard, lorsque nous nous Ă©tions sĂ©parĂ©s, j'avais gardĂ© la maison, trop grande pour moi, Ă sa demande. Ce serait quand mĂȘme mieux que Charly garde des repĂšres, sa chambre et ses copains quand il vient chez toi. Ăa ne doit pas ĂȘtre facile pour lui ». _ Au travail, je n'Ă©tais pas moins maniable Ă l'envi. Je m'Ă©tais retrouvĂ© par hasard le spĂ©cialiste des faits divers aprĂšs avoir Ă©crit un article sur le suicide d'un enseignant du lycĂ©e oĂč enseignait ma femme. AprĂšs cet article, dĂšs qu'un homme se mettait Ă trucider toute sa famille, qu'une femme se suicidait en laissant une lettre mystĂ©rieuse ou que des adolescents s'entretuaient sans raison, mon directeur de rĂ©daction m'envoyait sur les lieux. Des annĂ©es passĂ©es dans ma voiture ou dans un train Ă rĂ©flĂ©chir sur ce que les ĂȘtres humains Ă©taient capables d'infliger aux autres et Ă eux-mĂȘmes. _ Allez François, une semaine sur la cĂŽte sans ta femme et ton rejeton, ça ne se refuse pas ». _ Allez, François, vas passer un petit week-end dans le Kent. Ăa a l'air bien sordide l'histoire de la guide touristique retrouvĂ©e dans sa valise ». _ Et j'y Ă©tais toujours allĂ©. Mais cette fois, je ne pouvais pas. Cela faisait une semaine que le corps de Tomas avait Ă©tĂ© dĂ©couvert dans la forĂȘt, non loin du lycĂ©e qu'il frĂ©quentait avec Charly. Tomas Ă©tait un gentil garçon que je connaissais depuis longtemps. Je l'avais vu grandir auprĂšs de mon fils. Je les avais emmenĂ©s Ă la piscine, Ă la mer ou Ă l'Ă©cole des milliers de fois. Maintenant, il Ă©tait mort, je ne l'emmĂšnerai plus jamais nulle part et personne ne savait ce qu'il s'Ă©tait passĂ©. La police avait relevĂ© quelques hypothĂ©tiques traces de coups sur son corps mais l'enquĂȘte n'avait pour le moment menĂ© Ă aucune piste. Il faut dire que Tomas Ă©tait du genre calme, trĂšs calme mĂȘme. On le voyait plus souvent sur les marchĂ©s aux puces essayer de troquer des bandes dessinĂ©es contre des livres d'histoire que dans un pub, se battant pour un rĂ©sultat de football une pinte Ă la main. Avec Charly, ils aimaient se balader et quand la mĂ©tĂ©o le permettait, ils allaient s'asseoir sous la petite passerelle qui enjambait la riviĂšre Yeo Ă la sortie d'Oborne. Et si on les Ă©coutait parler, on avait de grandes chances de les entendre s'interroger sur la date d'une bataille ou sur le sacre d'un roi. Je ne savais pas d'oĂč venait l'amour de Charly pour l'histoire, ni sa passion pour les balades Ă la campagne d'ailleurs, mais j'aimais les entendre discuter. _ Pendant cette semaine, mon directeur avait essayĂ© de me convaincre d'Ă©crire un article sur Tomas sous le prĂ©texte que je le connaissais bien, mais c'Ă©tait justement parce que je le connaissais que je ne pouvais pas le faire. Il m'Ă©tait impossible de suivre de prĂšs l'enquĂȘte policiĂšre comme je l'avais toujours fait. Je savais que mes rapports avec Charly en seraient troublĂ©s. Je savais aussi que je serais confrontĂ© Ă des questions auxquelles je ne voulais pas imaginer une Ă©bauche de rĂ©ponse. Et si c'Ă©tait arrivĂ© Ă Charly? Cette si triste histoire illustrait prĂ©cisĂ©ment une crainte profondĂ©ment ancrĂ©e en moi et il Ă©tait hors de question que je me confronte Ă cette peur jour et nuit pour en faire un article dans un petit journal. J'apprendrais peut-ĂȘtre un jour ce qui Ă©tait arrivĂ© Ă Tomas par la presse mais dans un article que je n'aurais pas Ă©crit. Un fait divers sombrement banal pour presque tout le monde Ă©tait sur le point de mettre fin Ă une longue sĂ©quence de ma vie. _ Hier, j'avais pu vivre ce que j'appelais mon cafĂ© jubilatoire » silencieusement installĂ© dans la cuisine, la chaleur de la tasse qui me rĂ©chauffe les mains et l'odeur dĂ©licieusement entĂȘtante du cafĂ©. _ Et surtout, aussi souvent que l'occasion m'avait Ă©tĂ© donnĂ©e depuis 16 ans, je regardais Charly grandir. Mon grand, mon gamin, mon petit Cha comme je l'appelais quand il Ă©tait enfant. Mon bĂ©bĂ©âŠd'1m78. Je l'ai vu tout faire dans ce salon quand je m'adonnais Ă ce secret rituel. _ Ce dimanche, il Ă©tait assis sur le canapĂ©, son tĂ©lĂ©phone mobile dans une main, un stylo dans l'autre. Il s'est retournĂ© vers moi et j'ai cru voir un lĂ©ger Ă©lan de tendresse dans son regard. Comme s'il connaissait mon petit secret mais me laissait croire le contraire. _ Palabre⊠» m'a t-il dit. _ âŠen 9 lettres, qui commence par un b ? J'en sais rien moi ». _ Il passait son temps Ă faire des mots flĂ©chĂ©s depuis les quelques jours qu'il avait passĂ©s chez sa grand mĂšre adorĂ©e aprĂšs avoir appris la mort de Tomas. Dans la stupĂ©faction de la dĂ©couverte, j'avais Ă©tĂ© rassurĂ© qu'il soit aux cĂŽtĂ©s de sa grand-mĂšre au moment d'apprendre l'insoupçonnable nouvelle, parce que moi, son pĂšre, je n'avais pas eu le courage de lui annoncer . J'avais parfois Ă©tĂ© bĂȘtement jaloux des liens qui unissaient Charly Ă sa grand-mĂšre, du temps qu'ils passaient ensemble, des moments qu'ils partageaient et dont je me sentais Ă©cartĂ©. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© appeler mon ex-femme en espĂ©rant qu'elle voudrait ĂȘtre celle qui lui apprendrait. Elle et sa mĂšre ont donnĂ© Ă Charly tout le soutien dont elles Ă©taient capables pendant que les mots me manquaient. Ce qui peut aliĂ©ner un journaliste habituĂ© Ă relater les faits divers les plus tristes, capable de le faire en deux langues mais muet devant le chagrin de son fils. Il Ă©tait donc temps pour moi de dire non ». Un non » ferme qui ne laisserait pas de place Ă la nĂ©gociation. J'Ă©tais dĂ©cidĂ©, j'allais agir, monter dans ma voiture pour aller au journal et parler Ă mon directeur, poussĂ© par la peur que cette nouvelle motivation ne me quitte rapidement. _ J'ai effectivement refusĂ© cet article et me suis mĂȘme offert quelques jours de congĂ©s pour passer du temps avec Charly. Nouvelle 115 _ Rencontre d'un troisiĂšme type Il y avait Ă Paris, un excellent homme du nom de Morin. Il Ă©tait un humble employĂ© de bureau au ministĂšre des finances et gagnait convenablement sa vie. Chaque matin, il se levait Ă six heures, se lavait, s' habillait, dĂ©jeunait. Et Ă huit heures prĂ©cises, il arrivait Ă son bureau et se mettait courageusement au travail. Il ne s'arrĂȘtait qu'Ă midi pour dĂ©jeuner au cafĂ© situĂ© en face du ministĂšre. A six heures du soir, il s'en revenait chez lui. Sous ses allures anodines il cachait un grand secret. Il possĂ©dait un don fantastique celui de lire dans les pensĂ©es. _ Un jour, le directeur avec lequel Morin travaillait dĂ©cĂ©da brutalement. Il le regretta fort, d'autant plus qu'il apprĂ©cia fort peu son remplaçant. Il faut dire qu'il avait de sĂ©rieux mobiles de lui en vouloir. Celui-ci, un type nommĂ© Cazeneuve, Ă peine arrivĂ©, se mit Ă rĂ©organiser le service. Il changea les emplois du temps. Il dĂ©plaça Morin dans un espĂšce de cagibi obscur. Morin supporta l'humiliation sans palabre. Mais un autre Ă©vĂšnement le mit en rage. Un jour, Cazeneuve entra avec fracas dans son bureau en brandissant une lettre que Morin venait juste d'Ă©crire. _ Recommencez-moi cette immondice qui me dĂ©shonore ! » hurla-t-il. Sur ce, il dĂ©chira la feuille et jeta les morceaux dans la corbeille Ă papier. Comme tous les hommes, Morin avait sa fiĂšretĂ© et Cazeneuve venait de la piĂ©tiner sans mĂ©nagement. Il dĂ©cida de mettre son don Ă contribution. Dans les semaines qui suivirent, il fouilla dans les pensĂ©es de son supĂ©rieur dans l'espoir d'y trouver une faute quelconque. Il ne tarda pas Ă la trouver. Cazeneuve faisait des prĂ©lĂšvements personnels dans les caisses du ministĂšre. Morin en avisa le supĂ©rieur de Cazeneuve qui, aussitĂŽt, convoqua celui-ci et le renvoya sans appel. _ AprĂšs le dĂ©part de son chef de bureau, Morin retrouva son ancien bureau. Mais Ă©trangement, l'envie d'utiliser son pouvoir se fit sentir en lui. AprĂšs quelques hĂ©sitations, il se laissa tenter et se rendit dans un casino. AprĂšs avoir troquĂ© quelques billets contre des jetons, il ne tarda pas Ă trouver des gens pour jouer avec lui. Avec le soutien de son talent, il lui fut trĂšs facile de deviner le jeu de ses adversaires et de jouer en consĂ©quence. Lorsqu' il sortit de cet endroit de perdition, ses poches avaient considĂ©rablement grossi. La fiĂšvre du jeu s'empara alors de lui. Il se mit Ă frĂ©quenter les tripots . Les partenaires de jeu, Ă©coeurĂ©s par sa chance, abandonnĂšrent le poker. Les propriĂ©taires des maisons de jeu, voyant leurs clients dĂ©serter leur Ă©tablissement par la faute d'un hurluberlu se rĂ©unirent et dĂ©cidĂšrent de s'en mĂȘler. Ils interdirent Ă Morin de venir chez eux. La sagesse aurait voulu que Morin abandonnĂąt le jeu mais Morin n'Ă©tait pas la sagesse et il ne jouait dĂ©sormais plus pour l'argent mais pour le plaisir d'user de son pouvoir, son seul guide. Il quitta son emploi puis la capitale pour aller dans d'autres villes. En quelques mois, il s'illustra aux tables de jeu de diverses citĂ©s. Evidemment, il s'aliĂ©na tous les directeurs de casino qui tentĂšrent par tous les moyens de lui interdire l'accĂšs de leur salle. Mais Ă chaque fois, Morin parvenait Ă entrer. Il suffisait qu'il rencontrĂąt un gardien Ă l'esprit mallĂ©able et le tour Ă©tait jouĂ© ! Tout cela aurait pu durer encore longtemps si le sort n'en eĂ»t dĂ©cidĂ© autrement. _ Un jour, Morin eut pour partenaire un joueur de rugby. Comme de bien entendu, Morin l'emporta. Malheureusement, le type Ă©tait mauvais perdant. De plus, l'air jubilatoire qu'avait le tĂ©lĂ©pathe l'exaspĂ©ra. Il agit donc avec violence. Il donna un coup de poing monumental Ă ce dernier ce qui lui fit perdre connaissance. AprĂšs sa convalescence, il retourna dans un casino et retrouva des partenaires de jeu. Il s' apprĂȘtait Ă plonger sans vergogne dans leurs pensĂ©es lorsqu'il s' aperçut qu' il en Ă©tait incapable! Stupeur! A la fin de la partie, pour la premiĂšre de sa carriĂšre », Morin perdit. Ses partenaires Ă©taient partis et il Ă©tait seul Ă sa table de jeu, dĂ©pitĂ©. Un petit homme , en costume blanc, vint s' asseoir Ă cĂŽtĂ© de lui _ â Vous avez l' air abattu. Remarqua- t-il. _ â Il y a de quoi, j' ai perdu pour la premiĂšre fois de ma carriĂšre. _ â Pour la premiĂšre fois! S' Ă©cria l' individu, vous deviez ĂȘtre trĂšs chanceux ? _ â Ho ! Ce n' Ă©tait pas de la chance. RĂ©pliqua Morin . _ Et Ă©trangement il se confia Ă l' homme. Il lui raconta toute son histoire sans omettre aucune sĂ©quence. A la fin, le petit homme qui n'avait pas l'air surpris par cette incroyable histoire lui parla en ces termes _ â Je suppose que maintenant vous allez abandonner le jeu. _ â En effet, sans mon don, ce ne serait plus la mĂȘme chose, rĂ©pondit Morin. _ Soudain, le directeur de l'Ă©tablissement fit irruption dans la salle. Ayant appris que le joueur, tant redoutĂ© avait perdu, il Ă©tait venu avec la ferme intention de le battre. Il dĂ©fia Morin. Au dĂ©but, celui-ci refusa mais le directeur se montra si dĂ©sagrĂ©able qu'Ă la fin, piquĂ© au vif, il accepta. Le petit homme tint Ă servir d'arbitre et distribua les cartes. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu' il battit Ă plate couture l' arrogant directeur ! Il sortit Ă©berluĂ©, suivi de son nouvel ami. AprĂšs avoir marchĂ© plusieurs minutes en silence, ils s'arrĂȘtĂšrent prĂšs d' un pont. Morin s'appuya sur la passerelle et se mit Ă rĂ©flĂ©chir sur les Ă©vĂ©nements qu' il venait de vivre. Il Ă©tait lĂ , perplexe et incrĂ©dule, quand le type lui demanda s'il allait continuer Ă jouer. Morin secoua la tĂȘte et rĂ©pondit qu'il allait renoncer aux jeux d'argent. _ Les deux amis cheminĂšrent encore un peu ensemble puis s' en allĂšrent chacun de leur cĂŽtĂ©. Avant de se quitter, Morin demanda Ă son compagnon. _ â Au fait, comment vous appelez-vous ? _ â Toussaint, Toussaint Pierre. _ FidĂšle Ă sa parole, Morin redevint l'employĂ© de bureau modĂšle. Il finit ses jours heureux. Son seul regret, ce fut de ne pas avoir revu Pierre Toussaint. Il eut beau le chercher, il ne le trouva jamais, enfin ⊠pas de son vivant. Nouvelle 116 _ Ruines CondamnĂ©s Ă la mort, condamnĂ©s Ă la vie, voilĂ deux certitudes. » Alfred de Vigny _ Un homme, vous pouvez l'apercevoir oui ! Approchez un peu plus prĂšs. Vous connaissez ces ruines n'est-ce pas ? Il semble y chercher quelque chose depuis plusieurs jours. Allons allons, regardons de plus prĂȘt, entrons dans l'omniscience, et ensemble dĂ©couvrons ce qui a pu aliĂ©ner son esprit Ă ce point. _ Votre esprit mallĂ©able, dont l'Ă©crivain est le maĂźtre et guide, rĂ©pond lentement Ă un appel d'immersion sans prĂ©cĂ©dent. Peu Ă peu, dans une expĂ©rience qui vous semble Ă la fois jubilatoire, intemporelle et terrible, votre misĂ©rable cervelle est connectĂ©e Ă l'encĂ©phale de l'individu dĂ©rĂ©glĂ©. La passerelle psychique qui s'Ă©tablit dĂ©truira sans doute votre belle raison faite de diverses sĂ©quences toutes aussi banales les unes que les autres. _ Vous ĂȘtes lui, Ă l'Ă©coute de son appel, vous avez dĂ©finitivement troquĂ© votre raison contre la comprĂ©hension des palabres autrefois inintelligibles du personnage _ Je suis rentrĂ©, certes Ă l'improviste, la porte Ă©tait ouverte. Mes hĂŽtes cependant, vos tortionnaires mes chĂ©ries, Ă©taient dans un Ă©tat de fatigue profond. Ce fut une expĂ©rience assez traumatisante pour mes sens c'Ă©tait lĂ un jardin en putrĂ©faction, une vĂ©ritable marĂ©e de mouches et de cloportes. Les petites bĂȘtes ne mouraient pas de faim et pondaient joyeusement leurs Âufs dans le corps fleuri de pustules et de blessures anciennes du chĂąteau. Je devais pourtant agir, oui il le fallait bien, j'avais tout perdu pour la retrouver, les retrouver. _ C'Ă©tait une expĂ©rience, un traumatisme, un choix sans soutien. C'Ă©tait Ă la maniĂšre d'un film un procĂšs, des tĂ©moins, une femme infidĂšle, une mĂšre alcoolique, de faux amis. Et toute cette petite fourmiliĂšre de bureaucrates, des blattes et des cafards, des colĂ©optĂšres en pagailles qui venaient frotter leurs mandibules sur mon sexe. En une terrasse je savourais mon dernier cafĂ© avant d'ĂȘtre dĂ©finitivement condamnĂ© et internĂ©. J'avais pourtant hurlĂ© Ă la barre, j'avais bien usĂ© de mĂ©taphores et de figures de styles pour illustrer le fait que je n'Ă©tais pas un gastĂ©ropode. HĂ©las, ce n'Ă©tait pas suffisant, les coquilles de mon dossier se mĂȘlaient Ă la bave de mon argumentaire mal prĂ©parĂ©. Expertise psychiatrique Cerveau et pensĂ©es trop mobiles, facultĂ©s mentales discutables, adaptation au monde actuel nulle. Le couperet tombe c'est l'internement. _ Mais ne vous en faĂźtes pas. Je ne comptais pas ĂȘtre l'esclave d'AndrĂ© Breton, ou le nĂšgre d'artistes et de poĂštes contemporains croyant trouver la vĂ©ritĂ© dans quelqu'un jugĂ© gastĂ©ropode. Je me suis enfui, et je suis retournĂ© Ă mes ruines seigneuriales en Auvergne. Ils ne me retrouveront pas, c'est assurĂ©. Je les vois, cette fois encore. Des lettres entassĂ©es ça et lĂ , luttant contre le calcaire, des Ă©pitaphes Ă moitiĂ© effacĂ©es. Et lĂ , au milieu de toute cette pagaille de stĂšles et de tombes d'un seul et mĂȘme Ă©difice, je la vois, cette Âuvre d'art qui s'est retrouvĂ©e lĂ par hasard. Elle m'agace, c'est une grande toile immense, bref, monumentale. Une femme y est attachĂ©e nue, sans aucune peinture, sans aucun procĂ©dĂ© numĂ©rique. Elle possĂšde un derme lĂ©gĂšrement bronzĂ©, des effets du cĂ©lĂšbre tailleur chinois hache et aime », et je crois Ă©galement discerner une chevelure ma foi trĂšs comestible. Et cette fois encore elle se lĂšve, sort du tableau et se met Ă courir vers moi en retirant ses guĂȘtres. Avenante, le regard brĂ»lant d'un dĂ©sir profond, elle me poursuit ! _ Vous comprenez bien alors pourquoi j'ai dĂ» la jeter aux ordures. J'ai du la convaincre de se remettre sur la toile, dans l'encadrement prĂ©vu. Et je me suis efforcĂ© d'appliquer l'esthĂ©tique de Fontana Lucio l'argentin bandes d'imbĂ©ciles ! pour Ă©viter qu'un parvenu la ramĂšne chez lui en observant le contenu de ma poubelle. MĂȘme si le nouvel aspect de la toile apportait un certain intĂ©rĂȘt supplĂ©mentaire Ă l'Âuvre, je ne pouvais plus supporter ses gesticulations et encore moins ses bavardages corporels incessants. _ Une fois l'Âuvre jetĂ©e, je retournais sur le site. Cette fois-ci, je pourrais lire et percer les secrets de ses lettres. Je me saisissais de l'une d'entre elle et je me mettais Ă lire Ă haute voix son contenu. Catastrophe ! Soudain une Ă©norme fĂ©e obĂšse apparut, elle dit qu'elle s'appelle Mary, et possĂšde des couleurs et un physique d'une carte postale kitsch. Je sors mes instruments de Fontana et je m'occupe de son cas rapidement. Mais alors qu'elle tombe au sol dans une pose de cucurbitacĂ©e, je remarque soudain que toutes les lettres ont disparu. Il n'y a plus rien, et ne reste que les ruines du chĂąteau de jadis. Je suis seul et confus, et forcenĂ© tous les jours je retournais sur les lieux pour retrouver quelque chose, un indice, une formule ! _ Je trouvais finalement une feuille de papier en piteuse Ă©tat. Petite sÂur fragile et innocente, Ă©talĂ©e un beau jour de printemps en plein milieu de l'endroit. Je la pris, avide d'en savoir plus, mais je n'y trouvai rien d'Ă©crit. Elle Ă©tait d'une blancheur insolente, et elle avait conservĂ© sa virginitĂ© malgrĂ© tout. _ Je pris la dĂ©cision de la ramener chez moi et de la conserver cupidement dans un tiroir secret. Depuis cette rencontre impromptue, je suis devenu un colĂ©optĂšre comme les autres Nouvelle 117 _ Lucie Capitaine Le ciel qui recouvrait les Grandes Eaux des Vastes Mers Venteuses Ă©tait chargĂ©, ce soir-lĂ , d'un cumulonimbus noir prĂȘt Ă exploser. La tempĂ©rature dĂ©gringolait depuis la fin de l'aprĂšs-midi. On approchait du zĂ©ro. Accompagnant le grondement sourd du tonnerre, le nuage lĂącha soudain en grosses gouttes ses rĂ©serves de pluie. Certaines d'entres elles vinrent s'Ă©craser quinze mille mĂštres plus bas sur le pont du Grand Navire de Guingois dont la proue fendait avec la vigueur d'une lame les flots excitĂ©s par le vent. Tous les marins se tenaient Ă l'abri dans la cantine et houspillaient le cuisinier Ă cause de la fadeur de ses mets, se perdant dans des palabres qui ne les empĂȘchaient cependant pas de tout engloutir d'un trait et d'arroser gĂ©nĂ©reusement de grog brĂ»lant leurs gosiers assĂ©chĂ©s. En effet, les marins Ă©taient heureux et ils cĂ©lĂ©braient quelques jours auparavant, ils avaient vaincu le Grand Navire Droit Comme Une Frite et avaient jetĂ© son Ă©quipage aux requins. Toutefois leur enthousiasme les avait rendus nĂ©gligents, aussi ignoraient-ils que quatre de leurs ennemis de l'espĂšce la plus coriace avaient Ă©chappĂ© Ă l'assaut et tenaient, sept ponts au-dessous d'eux, un conciliabule clandestin sans doute cette information leur aurait rendu le souvenir de la bataille bien moins jubilatoire. _ Plusieurs jours maintenant que la passerelle avait Ă©tĂ© repliĂ©e et qu'on avait quittĂ© la terre ferme. Plusieurs jours que les quatre complices voyageaient en secret dans ce grand navire dĂ©glinguĂ© dont les voiles dĂ©chirĂ©es pendaient misĂ©rablement Ă un mĂąt biscornu, sans voir la lumiĂšre du soleil, ballottĂ©s par le rythme des vagues vigoureuses du grand large, avec tout juste de quoi boire et de quoi manger pour survivre. Mais ces quatre-lĂ en avaient vu d'autres. Enfin, surtout Lucie. Il n'y a pas si longtemps elle Ă©tait encore capitaine et il Ă©tait hors de question qu'elle s'avoue vaincue. DĂšs l'abordage qu'ils avaient subi, elle avait su fĂ©dĂ©rer ses compagnons d'infortune autour de son projet il fallait se rĂ©volter contre ces marins d'eau douce, leur montrer que la race sanguinaire des corsaires ne se laisserait pas aliĂ©ner et mĂȘme, les renverserait. Lorsqu'elle avait lancĂ© son appel au rassemblement un peu plus tĂŽt, elle avait senti que ces Ăąmes mallĂ©ables accepteraient sans rechigner qu'elle leur servĂźt de guide dans cette mĂ©saventure. Elle leur faisait part Ă prĂ©sent de son plan dont elle avait dĂ©jĂ imaginĂ© chaque sĂ©quence. Si l'imagination faisait cruellement dĂ©faut Ă Marcel, Igor et Jojo, ils n'avaient toutefois jamais manquĂ© de prouver leur courage inĂ©branlable et restaient d'excellents alliĂ©s pour l'exĂ©cution de ce scĂ©nario on disait que Marcel s'Ă©tait illustrĂ© autrefois dans une belle action de bravoure oĂč il avait mis en dĂ©route une poignĂ©e de pirates des plus cupides grĂące Ă sa maĂźtrise des attaques au fer ; qu'Igor avait Ă©tĂ© le plus grand pilleur de nourriture de Saint-PĂ©tersbourg on disait mĂȘme qu'il avait fomentĂ© la rĂ©volte au sein des milieux pauvres de cette grande ville de Russie en participant Ă leur affamement dans les annĂ©es bissextiles ; et enfin, que Jojo jouait magnifiquement de l'accordĂ©on, malgrĂ© sa tendinite indĂ©logeable. Il va sans dire qu'au-delĂ de tout plan, ils avaient tous vraiment besoin de Lucie elle Ă©tait la seule Ă savoir faire correctement le cafĂ© ! Vous voyez, dit Lucie pour conclure, il n'y a qu'ensemble que nous pourrons rĂ©ussir Ă troquer notre statut de vaincu contre la libertĂ© de sillonner les Grandes Eaux des Vastes Mers Venteuses Ă bord du Grand Navire de Guingois ! » _ Il Ă©tait l'heure d'agir. Pour que le rituel du rendez-vous secret soit parfait, chacun mĂȘla son sang Ă celui de l'autre en signe de soutien inconditionnel et de fraternitĂ© Ă©ternelle. Les dĂ©s Ă©taient jetĂ©s. Lucie, Marcel, Igor et Jojo se regardĂšrent avec l'intensitĂ© d'une derniĂšre fois la moindre faille ferait Ă©crouler toute leur combine et ils mourraient. Des pas lourds qu'ils n'attendaient pas firent rĂ©sonner l'antre mĂ©tallique de la soute. Lucie cria Soyez mobiles ! » Et tous se dispersĂšrent. _ De la cantine, les marins un peu ivres commencĂšrent Ă entendre le son insolite d'un accordĂ©on. AttirĂ©s sur le pont glissant, se tenant les uns aux autres de peur de tomber, ils ne distinguaient ni Jojo jouant dans l'obscuritĂ©, ni Marcel qui dĂ©tachait Ă coups assurĂ©s d'Ă©pĂ©e les cordages retenant une embarcation de sauvetage. Les marins formaient Ă prĂ©sent une masse tremblant dangereusement prĂšs du bord. L'accordĂ©on cessa brusquement sa musique enjĂŽleuse et fit rĂ©sonner les notes discordantes d'une cacophonie inquiĂ©tante. Pris d'un mĂȘme sursaut, tous les marins dĂ©rapĂšrent et se retrouvĂšrent vingt-sept mĂštres plus bas, les fesses coincĂ©es dans la petite embarcation que Marcel leur avait prĂ©parĂ©e. Marcel et Jojo retrouvĂšrent Igor attablĂ© dans la cantine il savourait sans gĂȘne aucune les restes du dĂźner laissĂ©s par l'Ă©quipage Ă©vincĂ©. Puis le doute les prit le capitaine avait-il Ă©tĂ© Ă©jectĂ© avec ses marins ? Ils n'Ă©taient pas sĂ»rs de l'avoir vu Mince, Lucie ! Elle devait ĂȘtre en danger ! ArmĂ© de son Ă©pĂ©e, Marcel courut jusqu'Ă la salle de pilotage du bateau en criant son nom Ă plein poumon. Lucie Ă©tait Ă©tendue au sol, assommĂ©e, la carte de navigation dans une main, la boussole dans l'autre. Marcel s'apprĂȘtait Ă appeler les autres Ă l'aide quand une voix cria Lucie ! A table ! » _ ExcitĂ©e par son jeu, Lucie n'avait pas vu le temps passer. Avant de rejoindre ses parents, elle rangea soigneusement sa figurine de mousquetaire, son ours en peluche portant l'inscription russe mais nĂ©anmoins Ă©quivoque ? ???? ???? »* sur son estomac et sa boite Ă musique sur laquelle tournait un petit singe au son des mĂ©lodies rayĂ©es d'un vieil accordĂ©on.   ; * J'ai faim Nouvelle 118 _ La vengeance est un plat qui se mange froid⊠Un homme entra dans la piĂšce. Une lampe de chevet Ă©clairait une feuille disposĂ©e au milieu de la table. _ J'Ă©cris cette lettre pour expliquer mon geste et exprimer mes plus sincĂšres pardons Ă celle que j'aimais⊠_ Les indices Ă©taient de plus en plus frĂ©quents. Son dernier appel avait confirmĂ© mes soupçons. Pourquoi ce numĂ©ro l'appelait toutes les semaines en sa prĂ©sence mais surtout pourquoi ne rĂ©pondait-elle jamais ? Il devait forcĂ©ment savoir qu'ils dĂźnaient ensemble depuis le temps ou elle aurait trouvĂ© un prĂ©texte. A moins que⊠_ Oui, c'Ă©tait sĂ»rement cela. C'Ă©tait pour se crĂ©er un faux alibi, pour faire croire justement Ă son innocence mais je n'Ă©tais pas idiot. J'avais attendu longtemps avant de cĂ©der Ă mes doutes. Ces appels m'aliĂ©naient de plus en plus chaque semaine. Je repoussais ma paranoĂŻa mais le doute Ă©tait trop fort. Je n'avais plus d'autres choix que de me laisser guider par mes soupçons. Il Ă©tait temps que j'agisse. Elle me prenait pour quelqu'un de trop docile, trop mallĂ©able faisant ce qu'elle veut de moi. Mais elle avait tort. _ Chaque matin, ayant la chance de commencer Ă la mĂȘme heure, on prenait notre cafĂ© ensemble devant le journal du matin, mais ne parlant guĂšre, elle, me reprochant mes palabres. L'idĂ©e de ma vengeance m'Ă©tait venue en lisant mes fidĂšles illustrations. Depuis tout petit, elles Ă©taient mes plus fidĂšles compagnes et dans ma douleur, je trouvais toujours rĂ©confort en elles et cette fois, leur soutien. J'avais l'impression qu'elles essayaient de me transmettre un message comme pour me montrer que j'avais raison. Leur soutien me poussa Ă franchir le pas. _ C'Ă©tait un dimanche matin, lors de notre brunch habituel, une sĂ©quence, ce chant religieux, passait Ă la tĂ©lĂ©vision. Je me mis alors Ă prier silencieusement. _ J'avais fait du cafĂ©, auquel j'avais mĂȘlĂ© un soupçon de caramel, sachant qu'elle y Ă©tait allergique. _ La veille, j'avais troquĂ© mon vieux pyjama pour un simple boxer Ă l'occasion de notre derniĂšre nuit. Le sentiment de vengeance qui m'envahissait me rendit plus jubilatoire que jamais. Au moins, je savais qu'elle passerait la passerelle pour rejoindre le monde des morts, satisfaite⊠_ On conclut Ă l'accident. Ne soupçonnant aucun mobile puisque tout le monde voyait en nous un couple modĂšle et discret. Il devait s'agir d'un oubli si bĂȘte mais si mortelâŠJe feignais la douleur et ma faute comme ne pouvant me pardonner. _ Le lendemain, alors que je dĂźnais seul pour la premiĂšre fois depuis longtemps, le tĂ©lĂ©phone sonna comme Ă son habitude. Je n'avais pas encore rĂ©pandu publiquement la nouvelle exprĂšs. J'avais prĂ©parĂ© ma rĂ©ponse mais pas l'interlocuteur. Il s'agissait en fait de sa sÂur avec laquelle elle s'Ă©tait fĂąchĂ©e au point de nier son existence. MalgrĂ© tout sa sÂur avait toujours essayĂ© de reprendre contact. Et ces appels incessants ces derniers temps avaient une bonne raison elle avait un cancer. Et la prĂ©sence de sa sÂur lui Ă©tait plus que indispensable. Il Ă©tait temps de pardonner. _ Je laissais tomber le tĂ©lĂ©phone. Mon mobile Ă©tait faux. MallĂ©able, je l'Ă©tais. InfluencĂ© par des indices aussi minimes, j'avais dĂ©truit deux vies ou plutĂŽt trois car si vous lisais ses mots, cela signifie que je ne suis plus de ce monde⊠» _ A la fin de la lettre, les inspecteurs, curieux, ont essayĂ© de trouver de quelles illustrations le jeune homme parlait. Ils n'ont trouvĂ© que des pages ou un amateur avait illustrĂ© un meurtre, son meurtre. Il n'avait Ă©tĂ© que le guide de lui-mĂȘme. Nouvelle 119 _ Scotch Sully clĂŽturait sa semaine de labeur par un petit scotch. Torse-nu. Poitrine poilue bombĂ©e au vent. La pause Ă©tait jubilatoire, les yeux, pĂ©tillants le week-end, enfin ! Balcon en guise de promontoire, il toisait l'univers entier du haut de son appartement au deuxiĂšme Ă©tage d'une petite rĂ©sidence sĂ©curisĂ©e. Il levait son verre Ă la santĂ© dÂinterlocuteurs imaginaires. Un vrai comĂ©dien A la tienne ! . Sully rit aux Ă©clats, leva les bras au ciel et, tout en me fixant, se laissa tomber dans son transat et feint de dĂ©cĂ©der d'une mort subite. Puis, vida le contenu de son verre dÂun trait. Se rassit, l'air satisfait. C'Ă©tait sa façon Ă lui de pratiquer le non agir ». La sagesse de Lao-Tseu s'Ă©tait tout Ă coup muĂ©e en un prĂ©texte pour ne rien branler . Avec lui, la puĂ©rilitĂ© Ă©tait toujours au rendez-vous. L'ivresse le rendait grossier. Et sa grossiĂšretĂ© me distrayait. Tant d'inconvenance m'impressionnait ; moi, dont les paroles Ă©taient quotidiennement sous-pesĂ©es. SapĂ©es par des annĂ©es d'hygiĂšne mentale. Mes mots Ă©taient transparents. AseptisĂ©s. Des mots thĂ©rapeutiques, des carcans intellectuels, propres et beaux. Mon petit-vendeur-de-portables me rĂ©clamait la sagesse orientale comme lÂon rĂ©clame des friandises. Il pouvait ensuite la resservir Ă sa clientĂšle. Restons zen, Madame, tout va s'arranger ! LĂ est-ce que vous recevez lÂappel ? Ben voilĂ , il marche, votre mobile ! Zen ! » Ă vendre ses machins toute la journĂ©e. Il nÂaimait pas son travail. Et ces clients, qui n'Ă©taient pas fichus de lire correctement un guide, illustrĂ© en plus ! Sully Ă©tait aussi mon neveu. Je m'efforçais de le soutenir. Le malheureux n'avait pas pu faire d'Ă©tudes - faute de thunes » â et se voyait condamnĂ© Ă patauger dans des problĂšmes mercatiques, attendant la sacro-sainte passerelle professionnelle pour un autre poste. Un nouveau poste. Toujours aussi barbant que le reste de sa petite existence. Chasse cette pensĂ©e ! » hurla-t-il soudain, Le boulot, cÂest out ! Ce soir, cÂest lÂweek-end ! . Il se permettait toutes sortes de gamineries. Chasse cette pensĂ©e ! » cria-t-il de nouveau, appliquant une vieille mĂ©thode d'apaisement que je lui avais enseignĂ©e. Sully mÂattendrissait par ses partis pris, alors qu'entre mes mains, je le sentais mallĂ©able. Le sujet de son ex refit surface. Une semaine qu'ils n'Ă©taient plus ensemble. Elle aurait eu besoin d'estime, de soutien ; lui dĂ©testa son cĂŽtĂ© intello. Elle Ă©tait en proie Ă l'angoisse et me consultait chaque semaine. Lui ne sentit pas sa dĂ©tresse. Monsieur Sully Fouquet ne s'Ă©tait pas Ă©ternisĂ© pour la larguer. LĂ oĂč d'autres auraient usĂ© des palabres usuelles pour rendre les choses moins douloureuses, il avait tranchĂ© dans le vif Si tu veux partir, va ! Je ne te retiens pas ! » mais avait espĂ©rĂ© qu'elle reste. CĂ©line avait pris la poudre d'escampette, pour mieux l'oublier et se reconstruire. Ne voulant plus entendre parler des hommes Pour quelques jours. Elle l'avait aimĂ©, ce con. L'avait cru droit et bon. Je me la reprĂ©sentais encore toute niaise d'amour Ă ses cĂŽtĂ©s. Une petite femme modĂšle, occupĂ©e Ă mitonner des petits plats, pendant que je discutais avec son homme ». Elle ne voyait que lui, sÂĂ©tait mĂȘme coupĂ© le doigt en tranchant des poivrons, distraite par ses rĂȘveries. Et pourtant, il l'avait trahie. N'ayant rien trouvĂ© de mieux Ă faire que de regarder des films pornos en son absence et de soutenir mordicus que ce nÂĂ©tait pas lui, mais bien le voisin qui piratait lÂordi, ce voyeur » Du trash, de l'insupportable, du cuir noir, du cru, des choses glauques. D'autres filles auraient passĂ© lÂĂ©ponge. Pas elle. A propos, tu sais je n'ai pas de nouvelles de CĂ©line » renchĂ©rit-il. Elle n'a pas rappelĂ© ? » demandai-je, feignant de m'intĂ©resser Ă son histoire. Non . Elle doit morfler, jÂen suis sĂ»r ! Toute seule au fond de son trou ! » dit-il, cherchant mon approbation du regard. Je faisais dĂ©jĂ figure de pĂšre compatissant ! Le vioc que la quarantaine assagit et rend meilleur ! Ha ! Evidemment, je n'arborais pas sa gueule de jeune premier, ni son petit rire intermittent et commercial. Quel naĂŻf. Quel con. Je le rassurais quand mĂȘme d'une remarque bien banale C'est la vie, mon grand ! T'en trouveras une autre ! . Ouais ! » dit-il. Sa bouche quitta le rebord de son verre qu'il leva comme pour trinquer Ă nouveau, esquissant un sourire faussement dĂ©tachĂ©. L'avait-il dĂ©jĂ oubliĂ©e ? Non. Son visage hagard et ses yeux cernĂ©s en disaient long. Il fixait ses chaussures, ne disant mot. Puis il balaya la rue du regard, pensif. Sous le balcon, les passants⊠Beaucoup de petits mecs comme lui affluaient vers la fameuse rue MassĂ©na » . Celle des pubs Ă©tudiants, des rencontres mĂ©lancoliques, de la chair fraĂźche imbibĂ©e d'alcool, aliĂ©nĂ©e par les fantasmes. Des jeunots venus troquer leurs savantes Ă©tudes contre les mystĂšres du sexe ! Mais que pensait vĂ©ritablement Sully? Il demeurait trop fier pour prendre son portable et la rappeler. Quelque chose lui intimait de ne pas le faire l'orgueil, la virilitĂ©, un sentiment dÂĂ©chec ? Un incroyable thĂšme de blues retentit dans le living. Les sons se firent chaleur, chassant les beats saccadĂ©s de cette satanĂ©e techno. Je le regardai avec de gros yeux, Ă©tonnĂ© d'entendre du Melody Gardot chez lui, moi qui m'Ă©tait rĂ©signĂ© Ă subir son Ă©ternelle compile. Il sourit, gĂȘnĂ©. C'est elle qui avait mis ça . Je souris Ă mon tour. Change ou Ă©teins alors ! Il faut lÂoublier ! » lui dis-je. Il alla arrĂȘter le programme de l'ordinateur dans le salon. Un calme salvateur fit Ă©cho au noir de la nuit. Je trouvai le temps long. Sully mÂenjoigna de rentrer nous asseoir dans le living. Tout Ă coup, il sanglota. Les larmes cisaillĂšrent son visage. Il explosa. J'espĂšre qu'elle morfle bien, cette pouf ! Tu te rends compte, elle ne rappelle pas ! . Et dire qu'il Ă©tait un pro de la com'. Je restai de marbre, ne sachant comment Ă©courter sa sĂ©quence Ă©motion . Il se servit un scotch Ă nouveau, tenant son verre comme un biberon. Je lĂąchai alors un Je comprends » pour faire Ă©cho Ă sa dĂ©tresse. Qu'est-ce que tu comprends ? Elle va toujours te voir Ă ses sĂ©ances de thĂ©rapie ? » questionna-t-il, en levant compulsivement la tĂȘte. Je ne rĂ©pondis pas. Une immense gĂȘne m'envahit. Je regardai la fumĂ©e de mon cigare se mĂȘler aux poils de ma barbe rase. Je le savais toujours intĂ©ressĂ© par ma vision des problĂšmes de la vie. J'avais souvent pansĂ© ses blessures Ă l'aide des mots scientifiques et rassurants. Mais lĂ , rien de convaincant ne me vint Ă l'esprit. Que dire ? Je ne connaissais que trop bien son problĂšme. Non, il se rĂ©veillerait plus Ă ses cĂŽtĂ©s. Non, il ne sentirait plus la chaleur de son souffle. Sa longue chevelure rousse ne lui caresserait plus le visage. Il ne verrait plus son corps rougis par la douche chaude qu'elle prenait le soir. Ni les gouttes ruisseler le long de ses seins charnus et ses jambes douces et potelĂ©es. Non, il ne la verrait plus pester contre le miroir quand ce mascara dĂ©goulinant et inutile lui dĂ©figurerait le visage. Il ne serait plus asphyxiĂ© par son parfum sucrĂ© de cocotte juvĂ©nile. Ne la verrait plus prendre du chocolat dans l'armoire de la cuisine alors qu'elle se disait au rĂ©gime. Ne se verrait plus refuser un cafĂ© car il n'avait qu'Ă le faire lui-mĂȘme ». Ne l'entendrait plus pleurer son stress Ă l'approche de ses examens. Ni sentir Ă quelle point elle Ă©tait fragile. Non, il nÂaurait plus Ă la prendre dans ses bras pour lÂempĂȘcher de trembler. Tout cela et bien d'autres secrets encore, il ne les connaitraient jamais. Et pour cause. CĂ©line n'Ă©tait plus seulement ma patiente. Nouvelle 120 _ Dans le mĂ©tro AmĂ©lie est assise en face d'elle, la tĂȘte plongĂ©e dans la carte touristique du mĂ©tro. Elle se sent lĂ©gĂšrement entraĂźnĂ©e en avant  le mĂ©tro vient de s'arrĂȘter et Ă travers les vitres sales, Marcelle lit Bastille. Le touriste Japonais qui est montĂ© en mĂȘme temps qu'elles Ă la gare de Lyon se rue contre les portes, et avant que la rame ne redĂ©marre, mitraille la station avec son appareil photos. Marcelle et AmĂ©lie viennent d'arriver Ă Paris, leur avion dĂ©colle dans trois heures Ă Roissy-Charles de Gaulle, et elles ont dĂ©cidĂ© de s'arrĂȘter voir Notre-Dame avant d'aller Ă l'aĂ©roport. _ Marcelle regarde les stations dĂ©filer et imagine la ville au-dessus  elles auront Ă peine le temps de sortir du mĂ©tro, voir la cathĂ©drale et repartir aussitĂŽt pour prendre l'avion. Elle aurait tellement aimĂ© avoir le temps de flĂąner un peu, de s'installer Ă la terrasse d'un cafĂ©, de revoir la ville. Mais la municipalitĂ© a bien fait les choses, elle a mis en place dans le mĂ©tro tout un rĂ©seau touristique pour ceux qui comme elles, n'ont pas le temps de visiter. Les touristes sont guidĂ©s dans les galeries du mĂ©tro grĂące Ă des panneaux flĂ©chĂ©s et les stations qui ponctuent le parcours permettent d'accĂ©der Ă un centre d'intĂ©rĂȘt parisien. La balade dure une journĂ©e, et pour ceux qui ne peuvent sortir, Ă chaque station les sites remarquables ont Ă©tĂ© reconstituĂ©s. Ainsi des monuments connus sont reproduits en miniature, des affiches illustrent en trompe l'Âil les façades des immeubles. Et le touriste japonais agrippĂ© Ă son appareil photos continue de mitrailler. _ Au moment oĂč Marcelle commence Ă s'impatienter, AmĂ©lie lĂšve le nez de sa carte et annonce Ă son amie qu'elles descendent au prochain arrĂȘt. Et Ă peine les portes s'ouvrent-elles que Marcelle est rejetĂ©e contre une grosse dame, puis, bien malgrĂ© elle, serrĂ©e entre le touriste japonais et un petit monsieur qui sent la biĂšre, elle est emportĂ©e dans le flot des voyageurs. Elle tourne la tĂȘte et lance un appel dĂ©sespĂ©rĂ© Ă AmĂ©lie, mais celle-ci a disparu. Marcelle est furieuse et commence Ă donner des coups de coudes tout autour d'elle, et quand elle voit sur la droite un couloir vide elle s'y engage. Elle marche vite et atteint bientĂŽt une intersection au bout du couloir. LĂ , elle voit une femme, un homme et trois enfants plongĂ©s tous ensemble dans la lecture dâune carte que la femme tient grand ouverte devant elle. Ils portent tous des shorts, des chaussures de marche et surtout des chapeaux de pĂȘche. Marcelle ne peut rĂ©primer un sourire en passant devant eux. La scĂšne est proprement jubilatoire et elle aurait aimĂ© se moquer d'eux avec AmĂ©lie  oh elle doit retrouver son amie! Les panneaux touristiques indiquent Louvre » dans quelques mĂštres ; elle suit donc les indications et se rend compte qu'elle marche sur une passerelle posĂ©e Ă mĂȘme le sol, le Pont des arts »⊠et dessous, un jeu de lumiĂšre donne l'illusion que lâeau sâĂ©coule, et entre les planches elle imagine la SeineâŠquelque chose remue au fond d'elle  une sĂ©quence de sa mĂ©moire  mais elle n'a pas le temps d'y prĂȘter attention, elle est bousculĂ©e de nouveau. Devant elle, des dizaines de touristes vont et viennent, ils regardent en passant des reproductions de tableaux, les prennent en photo et dans le fond, Marcelle voit une guide touristique agiter dĂ©sespĂ©rĂ©ment son parapluie rose. Son groupe s'est dispersĂ©. Durant la visite la guide a senti lâexaspĂ©ration enfler au sein des rangs et Ă un certain moment son autoritĂ© a cessĂ© dâagir et le groupe nâen a fait quâĂ sa tĂȘte. La guide a peur, se serait-elle dĂ©finitivement aliĂ©nĂ© les touristes ? Elle regarde autour dâelle Ă la recherche dâun soutien, mais personne ne lui prĂȘte attention, ils sont tous obnubilĂ©s par les reproductions. Marcelle dĂ©passe la guide et dĂ©couvre des escaliers, elle voit la lumiĂšre dorĂ©e s'Ă©couler doucement sur les marches, elle sent presque la chaleur de l'Ă©tĂ©. Elle commence Ă monter, cependant les Ă©chos des souterrains s'affaiblissent, se mĂȘlent au brouhaha de la ville, elle distingue les jambes des passants, mais une main l'agrippe bientĂŽt et l'entraĂźne de nouveau dans les mĂ©andres du mĂ©tro. C'est AmĂ©lie qui l'a retrouvĂ©e  elles sont en retard maintenant et doivent se dĂ©pĂȘcher de prendre le rer. _ AmĂ©lie tient son amie fermement par la main et la tire. Marcelle voit alors dĂ©filer la foule mobile des touristes, elle aperçoit la guide de tout Ă l'heure qui a troquĂ© son parapluie contre un sifflet, mais elle disparaĂźt bien vite, et les couloirs, les galeries filent Ă toute vitesse, et lĂ dans un Ă©clair elle voit la famille agenouillĂ©e autour de la carte dĂ©sormais Ă©talĂ©e sur le sol, se perdant en palabre sur la direction Ă prendre, Marcelle ne sait pas oĂč elle se trouve, elle ne distingue plus rien jusqu'Ă ce qu'AmĂ©lie se retourne, et lui dise avec un sourire, on y est ! » Elles sont arrivĂ©es sur le quai du rer B, dĂ©passent un wagon bondĂ©. Dedans, un vieux monsieur est plaquĂ© contre la vitre, son nez est dĂ©formĂ©, sa bouche est agrandie, et tout autour de lui ils sont des dizaines Ă s'Ă©craser contre les parois du wagon. Marcelle croit voir la cuisse d'un chien, une femme est Ă l'envers ; et les agents de la ratp aident les derniers voyageurs Ă entrer, en les poussant Ă l'aide de perches. Celles-ci s'enfoncent dans la masse mallĂ©able avant de se retirer rapidement au moment oĂč une sonnerie retentit. Le train va bientĂŽt partir. Marcelle et AmĂ©lie volent dĂ©sormais et s'engouffrent finalement dans le rer. _ Heureusement leur wagon est presque vide, une dame Ă©coute de la musique et un adolescent lit le journal. Les deux jeunes filles s'affalent essoufflĂ©es sur des fauteuils  et quelque chose remonte soudain Ă sa conscience, Marcelle se rappelle le pont des arts, c'est un soir de Septembre, elle regarde ses amies, puis l'eau qui semble remuer au ralenti tout en bas, elle devine les groupes de jeunes gens qui pique-niquent, elle les entend et son regard se tourne vers la Tour Eiffel et vers le ciel brumeux, immobile, rose et orange, _ et le train s'Ă©branle et file vers l'aĂ©roport. Nouvelle 121 _ Le Centre des Hirondelles Dans ce vieux chĂąteau d'une campagne reculĂ©e du pays basque, Carole agite doucement son cafĂ© froid. A la mĂȘme place devant sa petite table, cela fait deux heures qu'elle bat inlassablement son paquet de cartes. Aujourd'hui comme hier, comme tous les matins de tous les jours qui passent. La quarantaine passĂ©e, elle est ici depuis plus de vingt ans. Le temps n'a pas d'importance car elle n'a plus de souvenirs de ce qu'elle Ă©tait, avant qu'il n'arrive. _ Tout le monde l'appelle Papillon parce qu'elle ne fait jamais de bruit et semble dĂ©couvrir le monde chaque jour. Ses longs cheveux rouges recouvrent ses Ă©paules. Dommage qu'ils ne s'accordent plus avec ses yeux noisette, seuls Ă©clats illuminant son visage ravinĂ© par les chagrins. HabillĂ©e de cette lourde robe blanche, commune Ă toutes les femmes d'ici, elle reste Ă©tonnement troublante. _ AliĂ©nĂ©e Ă sa souffrance, Ă l'Ă©cart des autres, elle joue son jeu de patience en suivant toujours la mĂȘme sĂ©quence perdante. MalgrĂ© l'Ă©phĂ©mĂšre de son quotidien elle connait tous les rĂ©sidents et a vu partir ceux qui lui Ă©taient chers. Ce matin ses mains tremblent, elle est inquiĂšte. Elle connait cette tristesse qui voile son regard, des larmes commencent Ă couler. _ A midi au rĂ©fectoire, parmi l'ensemble des patients, l'ami de Carole n'est toujours pas lĂ . Jean manque Ă l'appel depuis hier soir. Ce gentil brun aux rires angĂ©lique sait Ă©gailler les dĂ©jeuners avec ses histoires Ă dormir debout, et sa sempiternelle chasse au trĂ©sor. Il est le seul capable de dĂ©crocher un sourire Ă Carole. Il rĂ©ussi Ă la transporter avec lui dans sa folie, elle qui n'a plus d'espoirs. Chaque jour Jean illustre sa carte avec de nouveaux indices. Avec cette intrigue sans cesse renouvelĂ©e, Carole s'imagine une existence perdue. _ L'infirmiĂšre prend son service pour les mĂ©dicaments. Marion distribue chaque dose avec soin, tout en observant du coin de l'Âil les habituĂ©s ; ceux qui ne manquent jamais une occasion de troquer leurs pilules colorĂ©es contre quelques babioles. Elle est nouvelle ici Marion, une jolie blonde Ă peine sortie de l'universitĂ©. Timide avec un visage fermĂ©, elle esquisse parfois ce regard effrayĂ© qu'ont tous les employĂ©s inexpĂ©rimentĂ©s. Mais elle ne se laisse pas distraire par cet environnement Ă©trange. _ â Hey ! Cessez d'Ă©changer vos cachets, vous savez bien qu'ils sont personnels ! _ â On s'en fiche de ce qu'il y a dedans, nous c'est les couleurs qui nous intĂ©ressent ! _ Vincent apparait au mĂȘme moment. C'est le mĂ©decin en chef de ce centre psychiatrique et il sait faire respecter l'ordre. Il exerce ici depuis plus de vingt ans. Transparent de froideur, il n'a aucune identitĂ© descriptible. Il est emmurĂ© dans sa fonction, il est son propre uniforme. _ â Doucement, baissez le ton et rĂ©cupĂ©rez vos mĂ©dicaments. Vous savez que c'est important pour guĂ©rir. Vous ne pourrez pas sortir si vous ne les prenez pas. _ Encore et toujours la mĂȘme rengaine marmonne Carole. Elle se lĂšve brusquement et le toise du regard. AprĂšs tant d'annĂ©es Ă les prendre ces pilules roses rien n'a changĂ©. Elle est toujours enfermĂ©e dans ce chĂąteau et on ne lui dit jamais ce que sont devenus tous les anciens. IntriguĂ© par ce comportement inhabituel, le mĂ©decin s'approche d'elle. Il pose une main sur son Ă©paule et lui dit doucement _ â Il y a quelque chose qui ne va pas, Carole ? _ Elle baisse les yeux et se recroqueville sur elle-mĂȘme, rĂ©alisant que c'est lui le maĂźtre de cette cage d'oiseaux aux ailes brisĂ©es. TraĂźnant son dĂ©sespoir, elle retourne jouer Ă sa table. _ L'aprĂšs-midi se poursuit avec sa routine de dĂ©lires jubilatoires d'un cĂŽtĂ©, de palabres incessantes de l'autre. Dans ce brouhaha permanent, personne ne remarque la conversation animĂ©e entre Marion et le docteur. _ â Vous devriez cesser de vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde pas, mademoiselle ! _ â Pourquoi ? Que s'est-il vraiment passĂ© avec Jean ? _ â Ăa suffit ! Si vous Ă©voquez encore cette question, vous serez renvoyĂ©e. _ Marion abdique et retourne dans sa loge. Elle veut savoir mais comment agir en toute discrĂ©tion pour dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ©. Il lui faut un guide, quelqu'un qui connaisse tous les lieux du centre. Chacun sait que Carole peut se promener dans les piĂšces interdites du chĂąteau. Aucun ne sait comment elle va et vient par delĂ les zones surveillĂ©es. Marion va donc la voir, pour la convaincre de lui apporter son soutien. _ â J'ai besoin que vous me montriez comment aller dans les caves. _ Carole, hĂ©sitante, regarde longuement Marion et elle dessine un arc avec son jeu de cartes. La jeune infirmiĂšre sourit et tente de comprendre cette devinette, en Ă©nonçant tous les mots qui lui passent par la tĂȘte _ â Croissant cercle banane toboggan escalier arc-en-ciel pont _ Subitement les yeux de Carole se referment ! Marion rĂ©pĂšte le dernier mot. Cela dĂ©clenche un nouveau clignement. Elle rĂ©flĂ©chit et pense qu'il s'agit peut-ĂȘtre de la passerelle qui surplombe la cour de promenade. Oui, c'est surement ça, se dit-elle en remerciant Carole. _ A la nuit tombĂ©e, Marion parcourt le vieux pont en bois Ă la recherche d'un passage. Autrefois utilisĂ© pour accĂ©der aux cuisines, l'accĂšs fut condamnĂ© durant les rĂ©novations. AprĂšs une heure sans rien trouver, elle allait abandonner. En se retournant, sa blouse accrocha une piĂšce de la porte. Un petit morceau mobile lui permet d'actionner le loquet de la serrure. _ Dans l'obscuritĂ© humide des couloirs dĂ©saffectĂ©s, se repĂ©rant minutieusement avec de la craie sur les murs, elle avance en espĂ©rant dĂ©couvrir un dĂ©tail. Elle reviendra. _ Pendant plusieurs jours, Marion retourne chaque nuit dans les caves, explorant tous les recoins. Elle tourne en rond quand elle aperçoit une marque sur une des briques. Ce symbole lui rappelle quelque chose. FiĂšre de sa trouvaille, elle retourne se coucher pour rĂ©flĂ©chir. A force de penser, l'image lui revient enfin. Cette inscription Ă©tait aussi sur la carte de Jean. Elle sait oĂč est rangĂ© ce vieux plastique mallĂ©able, dans la chambre encore inoccupĂ©e. _ Emportant ce sĂ©same, elle retourne dans le labyrinthe souterrain. PersuadĂ©e de possĂ©der le plan qui la mĂšnera au bout de sa quĂȘte, elle dĂ©couvre d'autres signes sur les voutes. Marion n'est jamais allĂ©e aussi loin. Elle commence Ă prendre conscience du matin qui se lĂšve. _ Au dernier cul-de-sac une ombre se dessine. Prudente, elle s'approche et son corps se fige d'horreur. Un sifflement transperce les airs, elle sursaute. Une carte vient de tomber sur le sol. Une voix sombre rĂ©sonne dans le caveau. Ce son familier lui souffle des mots maudits _ â Tu ne dois pas venir ici Pourquoi cherches-tu ? C'est mon secret ! _ Le contour disparaĂźt aussitĂŽt. TerrifiĂ©e, Marion s'enfuit et cherche en vain le chemin du retour ; la craie a disparu. _ Le lendemain, au Centre des Hirondelles, le mĂ©decin en chef annonce le renvoi de l'infirmiĂšre. Carole a encore perdu Ă son jeu ; ce matin ses cheveux sont blancs. Vincent s'approche et remet une carte dans son paquet. Elle se lĂšve brusquement, se retourne vers lui et l'observe. Puis, lentement, s'efface sous le regard vitreux du docteur, se rappelant le rire de Jean, la bontĂ© de Marion avant que ses souvenirs ne s'Ă©loignent, encore. _ Carole se rassoit et ferme les yeux. Elle poursuit son rĂȘve d'oiseau, de papillon en libertĂ©. Nouvelle 122 _ SĂ©quence amoureuse du trou normand Marguerite Ă©tait de ces jeunes filles de la campagne Ă qui la vie au grand air donne le teint rose et le sourire franc. En ce temps lĂ la Normandie avait son lot de demoiselles vertueuses mais la petite Margot Ă©tait connue de tout Putanges pour sa frivolitĂ© et on racontait Ă qui voulait l'entendre comme elle se plaisait Ă faire chavirer le cÂur des garçons qui tombent trop vite amoureux. Retrouvez moi prĂšs de la passerelle d'Ecrepin Ă vingt heures, vous verrez comme on y est bien Ă la brune, c'est un lieu fort agrĂ©able pour les conversations du soir. » Jamais au rendez-vous, elle prĂ©fĂ©rait enfourcher sa bicyclette et pĂ©daler Ă travers champs avec feu. Pauvre Ăąne qui m'attend en guettant Ă l'Est la tombĂ©e du jour ! ». Jean avait eu vent des charmes de l'Orne car on y mangeait bien et le calvados Ă©tait servi gĂ©nĂ©reusement. Les meilleurs atouts de la rĂ©gion Ă©taient cependant ceux qu'on ne lit pas dans les guides. A Argentan, le CafĂ© du Moulin regorgeait de Parisiens en quĂȘte de plaisirs simples et l'on se mĂȘlait volontiers aux rustres de la rĂ©gion. Les trentenaires las de la vie guindĂ©e de la capitale avaient aussi leurs habitudes Ă la Maison Troussot oĂč, disait-on, la matrone troquait quelques babioles du Bon MarchĂ© contre les services de ses chĂ©ries ». Mme Troussot avait offert son soutien Ă de jeunes orphelines placĂ©es au couvent aprĂšs la guerre et en quelques mois, Ă grand renfort de cigares et d'alcool de poire, leur avait fait oublier les bonnes mÂurs inculquĂ©es chez les sÂurs. Ensemble, les chĂ©ries avaient appris Ă flairer la riche clientĂšle et Ă dĂ©rider les bourgeois. MallĂ©ables Ă souhait, ces beautĂ©s bien nourries s'illustraient par nombre d'avantages au regard des parisiennes souvent austĂšres. Leurs larges hanches mobiles attiraient les regards et leurs mains habiles savaient conduire les plus timides. _ Au volant de sa Renault Juvaquatre, Jean n'aspirait certainement pas Ă une telle dĂ©bauche. Il avait hĂ©ritĂ© il y a quelques mois du garage Melcent, une affaire qui devait son succĂšs Ă la froide luciditĂ© dont Mr Melcent avait fait preuve lorsqu'il avait fallu traiter avec les Allemands. Jean Melcent ressemblait en tout point Ă son pĂšre. C'est pourquoi il entendait dĂ©sormais dĂ©nicher en Normandie une Ă©pouse honnĂȘte qui fĂźt honneur Ă son estimable famille. Il venait de dĂ©passer Argentan et abordait maintenant les premiĂšres maisons de Putanges. Il se gara devant une auberge d'aspect modeste, choisit une table accolĂ©e Ă une large fenĂȘtre et commanda un dĂ©jeuner lĂ©ger. Comme il terminait son potage et s'essuyait noblement le coin de la bouche, son regard s'attarda sur le verger qui s'Ă©tendait de l'autre cĂŽtĂ© de la route. Au pied d'un pommier, Marguerite rĂȘvait tranquillement. Des boucles blondes s'Ă©chappaient de son chignon et ses yeux lĂ©gĂšrement clos lui donnaient un air de jeune nymphe. Jean y vit l'appel du destin. Convaincu qu'il avait trouvĂ© lĂ sa future femme, il paya l'aubergiste et sortit prestement. Il rĂ©ajustĂąt sa veste, lissa sa moustache et s'avança vers Marguerite d'un pas rĂ©solu. Mademoiselle, lui dit-il en arrivant Ă sa hauteur, je vous prie de m'excuser car je n'ai point l'habitude d'aborder les inconnues de la sorte, mais permettez-moi de me prĂ©senter je suis Jean Melcent, je dirige un garage Ă Paris et je suis ici pour affaires. Je vous ai remarquĂ©e depuis l'auberge que voici et croyez moi, de ma vie, je n'ai vu de jeune femme d'une fraĂźcheur aussi pure que la votre. Ne vous affolez pas, mes intentions sont de la plus haute estime, je souhaiterais simplement vous emmener en ballade. » Marguerite le regarda curieusement et accepta. Ils partirent Ă bord de la Juvaquatre et roulĂšrent tout l'aprĂšs-midi dans la plaine normande. Le soleil dĂ©clinait lorsque Jean dĂ©posa Marguerite devant la demeure familiale. Avant qu'elle ne le quittĂąt, il lui prit la main et murmura doucement Mademoiselle, je vous le dis sans dĂ©tours vous ĂȘtes de l'or en barre. » Marguerite qui n'avait de frĂ©quentations que les aigrefins du village, s'en trouva bouche bĂ©e. Nom de Dieu, pensa t'elle, de si belles palabres dans la bouche d'un homme aussi tristement fagotĂ©, c'est bien ma veine ! ». Au diner, Marguerite conta Ă ses parents l'Ă©trange rencontre qu'elle avait faite. Mr et Mme Pouteau dĂ©sespĂ©raient de voir un jour leur fille mariĂ©e depuis qu'elle s'Ă©tait aliĂ©nĂ©e la sympathie du tout Putanges. En entendant la nouvelle, Marcel Pouteau dĂ©boucha sa meilleure bouteille et dĂ©clara Agis prudemment ma fille, car tu es farouche comme une chatte sauvage et le type risque de dĂ©guerpir Ă la moindre brusquerie, emportant avec lui le salut de ta famille ! ». Mais Marguerite n'avait que faire des bonnes maniĂšres et Jean fut vite oubliĂ©. Ce dernier, en revanche, avait dĂ©jĂ conçu de grands projets pour leur avenir, et il occupa les jours suivants Ă explorer avec entĂȘtement chaque recoin du village dans l'espoir de la retrouver. Par une fin d'aprĂšs-midi brulante alors que Jean fumait sa derniĂšre gitane au bord du lac, il fut brusquement arrachĂ© Ă ses rĂ©flexions par le vrombissement d'une mobylette. A une centaine de mĂštres, un nuage de poussiĂšre laissa apparaĂźtre Marguerite et un certain Oscar qui descendaient de l'engin dans de grands Ă©clats de rire. L'allure de malfrat d'Oscar empĂȘchait toute mĂ©prise sur son compte. En un instant, leurs vĂȘtements furent jetĂ©s Ă terre et tous deux plongĂšrent nus dans l'eau claire. Le malheureux Jean se serait bien passĂ© de cette scĂšne outrageante dont l'issue ne faisait aucun doute. Il quitta les lieux bouleversĂ© et propulsa sa cylindrĂ©e hors de cette ville maudite. Le ciel s'Ă©tait couvert et l'agitation des mouches annonçait l'orage. Jean dĂ©cida de s'arrĂȘter pour la nuit. Le cÂur lourd, il fit halte au premier bistrot Ă©clairĂ©. Il Ă©tait loin de se douter, en poussant l'Ă©paisse porte de bois, qu'il dĂ©barquait lĂ dans le bordel jubilatoire des Troussot. Il constata vite que l'enseigne n'Ă©tait guĂšre recommandable mais le tonnerre grondait dehors et il fut obligĂ© de s'en contenter. Le nez dans sa choppe il ruminait son chagrin et essayait de se soustraire aux extravagances de la clientĂšle. Il reçu soudain une lourde frappe dans le dos. L'un des habituĂ©s avait repĂ©rĂ© Jean qui dĂ©tonnait franchement dans l'ambiance grivoise de la grande salle. Tiens ! VoilĂ un parigot qui n'a pas l'air dans son assiette ! Alors, quoi ? On n'aime pas not' pays ? » Mon brave monsieur, rĂ©pondit Jean, ne me bousculez pas trop, je vous en prie, car j'ai vĂ©cu chez vous de bien douloureuses dĂ©sillusions, et si votre panse est gonflĂ©e par le vin, je suis pour ma part rempli de larmes ». Nouvelle 123 _ L'affamĂ© et le trognon d'pomme L'affamĂ© J'ai faim ! J'ai faim ! MĂȘme une pĂąquerette bleu pĂąle⊠je la mangerais. _ Le trognon Que crois-tu ? Moi aussi, je hurle. Mais mes cris sont muets. Tais-toi donc, gueule de loup fou ! _ L'affamĂ© Mes minuscules cellules, lĂ©gos de mon corps, vibrent et tremblotent, de peur. _ Il faut les voir ces mitochondries fiĂšres, encore mobiles mais devenues farouches. _ GĂ©latines malheureuses. Glucose ⊠implorent-elles ensemble nous t'aimons ! _ Le trognon Vois le monstre. Il me tient entre ses mains, aliĂšne ma libertĂ©. Il vient tout juste de dĂ©clamer son pari Moi, lorsque je mange une pomme, je mange tout⊠si, si, tout ! ». _ Inracontable sĂ©quence de vie. _ Vertigineuse toujours⊠est la mort. _ L'affamĂ© Palabres que tes gĂ©missements ! _ PĂ©rir d'un coup de dents ? Je suis prĂȘt Ă troquer ton destin contre le mien agonie lente. _ PancrĂ©as ! Foie ! VĂ©sicule ! Abaissez vos passerelles. Laisser se mĂȘler pour ma chair gourmande, insuline et glucagon⊠_ Et toi, trognon, avant de trĂ©passer, je te lance un appel pour que tu sois soutien Ă mes priĂšres. _ Invoquons les ghrĂ©lines. Sonnons les leptines. _ Tu ne vois donc pas mes boyaux-guirlandes se tordre et enfler ma criante douleur ? _ Le trognon Pas ma queue, monstre !âŠpas ma queue ! _ Et vous mes doux pĂ©pins⊠votre avenir commence ici. Agissez ! Evadez-vous ! Soyez mobiles et rebelles. Semez le monstre et ⊠semez-vous ! _ Planquez-vous Ă ses pieds. _ Le sol sous lui est une terre mallĂ©able, dunes de quartz, cachette-silice. _ L'affamĂ© J'entends autour de toi ces SLURPSS⊠obscĂšnes. Claquent des incisives gigantesques. S'arrachent des pans de chair-compote comme des sĂ©racs qui se dĂ©tachent d'un glacier nourrissant. Le jus, la salive, se mĂȘlent aux rires des papilles. Jubilatoire festin de reines des reinettes⊠_ Tout illustre ici, dans ces mille secondes, la fin⊠de la faim. _ Le trognon Je me fiche de ton palais. Ton Âsophage est laid. Qu'il continue Ă attendre cette fĂȘte aux velours de ses muqueuses, ce songe d'estomac tapissĂ© de saveurs. _ Fleurs des champs en plein juin, espĂ©rant une pluie tiĂšde⊠Fin ruisseau, dans le cours de ses mĂ©andres, se stĂ©nose⊠vie stoppĂ©e nette. Flux interrompu. _ DĂ©sormais, j'existe Ă peine⊠Oh non !!! Je vais ĂȘtre⊠coupĂ© en deux ?! Attendez, prenez le temps, je vais vous guider. Sucez-moi d'abord lentement⊠n'en finissez pas⊠Je veux exister encore ⊠Quitte Ă brunir au fon d'un cendrier sale ! _ Jetez-moi n'importe oĂč, mais vivant ! _ L'affamĂ© Tu aurais dĂ» venir chez moi. J'aurais Ă©tĂ© ton guide. _ Mon accueil aurait Ă©tĂ© une noce pour toi. J'aurais dĂ©livrĂ© mes meilleurs sucs. _ Tes pĂ©pins auraient Ă©tĂ© choyĂ©s. _ Puis je t'aurais payĂ© un p'ti cafĂ© ! Pour un trognon-deuil ⊠de luxe. Torrent chaud. _ Le trognon Le pari est gagnĂ©. Je ne suis plus. _ EjectĂ© par une langue-limace, je termine bout-de-queue, crachĂ© dans le caniveau d'une rue inconnue. _ Demain je disparaitrai Ă jamais dans un boyau oĂč les anti-pommes chanteront leur hymne Vive le tout-Ă -l'Ă©gout » ! _ L'affamĂ© Tout est dĂ©goĂ»t. Le monde vacille. Tourne ma tĂȘte. _ Jambes flageolantes et Ă©tincelles bleues piquant les yeux. _ Je ne suis qu'un tuyau-usine Ă digĂ©rer. DĂ©saffectĂ©. Vide couloir humide et scintillant. _ Ma bouche s'ouvre au ciel. Je deviens chĂąteau de cartes fragiles et sans lien. Je m'Ă©croule. _ Moi, tas de molĂ©cules, rĂ©pandu dans ce mĂȘme caniveau. _ Mon sigmoĂŻde et mes lĂšvres Ă jamais dĂ©conciliĂ©s ». _ L'affamĂ© chantant un dernier rĂąle _ Pommes de reinett' tĂ© pommes d'api⊠d'api..d'ap⊠⊠⊠pi. » Nouvelle 124 _ Un misanthrope humaniste AtmosphĂšre grise. LumiĂšre glauque de l'Ă©clairage public. Pluie visqueuse accrochĂ©e Ă l'unique fenĂȘtre de sa mansarde. L'amer mĂ©lange de la dĂ©prime annihilait toute vie chez Aliocha. Alors que la terre tourne Ă un rythme effrĂ©nĂ©, le jeune homme reste hĂ©bĂ©tĂ©, abasourdi par le tambourinement de la pluie. Il pense que rien au Monde ne peut l'arracher Ă sa torpeur maladive, quand le tĂ©lĂ©phone retentit. Il dĂ©croche malgrĂ© lui, vivement, comme s'il obĂ©issait Ă un appel impĂ©rieux. Il n'a pas le temps de rĂ©pondre que l'inconnue au bout du fil l'a dĂ©jĂ matraquĂ© de paroles sur la situation dramatique des sans abris, des alcooliques, et des sans papiers, des sans culottes pourquoi pas pense t'il alors, et câest pourquoi il est priĂ© de bien vouloir faire un don au 0825 825 825. Elle lui prĂ©cise que ces dons lui permettront d'obtenir une exonĂ©ration sur sa tranche d'imposition, une sombre histoire d'assiette fiscale. C'est un rĂątelier auquel il ne mange plus depuis des annĂ©es. Quant Ă ses semblables, il s'en fout aussi. Le froid et le gris l'hypnotisent, forment un Ă©cran de tĂ©lĂ©vision sur lequel il a les yeux rivĂ©s en permanence, et dont l'image reste cramponnĂ©e au fond de son cerveau. Il pourrait rĂ©pondre qu'il n'en a rien Ă faire, mais cela reprĂ©senterait un dĂ©but de conversation auquel il se refuse mordicus. _ Mais, sans se rendre compte de ses paroles, il lui demande Pourquoi vous me demandez ça Ă moi? Pour quel mobile ? VoilĂ un mois que je n'adresse plus la parole Ă quiconque. Je suis le dernier d'entre nous, et ce serait Ă moi de sauver le monde ? Mes voisins ne soupçonnent mĂȘme pas mon existence, tous vos clochards, alcooliques et autres sans-abris non plus, qu'est-ce que je leur dois? De quel droit me rĂ©clamez-vous quelque soutien ? Que ce soit de l'argent ou de l'amour pour mon prochain que vous voulez, vous n'obtiendrez rien de moi. Je suis Ă©goĂŻste, je n'aime pas les autres, je ne vous aime pas. » Un silence, puis le bruit sec du combinĂ© raccrochĂ©. HallucinĂ© par cette discussion, il eut quand mĂȘme le sentiment jubilatoire d'avoir troublĂ© l'ordre Ă©tabli des pathĂ©tiques conversations de vente par tĂ©lĂ©phone. Une fois la douloureuse palabre achevĂ©e, la longue expiration du tĂ©lĂ©phone provoque en lui un dĂ©clic. Il allait agir. Il allait sortir de l'apathie dans laquelle sa vie le plongeait. Son pantalon enfilĂ©, il file au cafĂ© du coin sans trop savoir Ă quoi s'attendre. L'enseigne titre Aux Ăąmes affables et mallĂ©ables ». Etrange pour un cafĂ© se dit-il. Mais une fois assis il est tirĂ© de sa rĂȘverie Ă la vue d'un jeune homme attablĂ© un peu plus loin. Aliocha ne se souvient mĂȘme plus de la derniĂšre fois oĂč il a Ă©prouvĂ© cette sensation. Il ne se souvient mĂȘme pas du mot qui l'illustre. Bon sang, tout se mĂȘle dans son cerveau. L'inconnu se lĂšve. Il se dirige vers lui. Aliocha perplexe, retient son souffle. Il ressent de l'empathie pour un de ses semblables, sans mĂȘme lui avoir parlĂ© ! D'une voix passablement Ă©mĂ©chĂ©e, notre inconnu s'adresse Ă lui. _ Je suis Hiolaca. Je viens te parler car je suis comme toi, je suis seul. Je suis seul Ă vouloir vivre vraiment avec les autres, sans que les autres ne comprennent ce que cela signifie. Je troquerais volontiers les conversations enjouĂ©es de mes camarades que tu vois lĂ contre une minute avec toi car je ne te connais pas. Je ne te connais pas mais j'ai envie qu'on se sente ensemble, unis par notre humanitĂ©. Nous sommes tous aliĂ©nĂ©s par nous-mĂȘmes, tous avides de justice humaine, sans mĂȘme comprendre que la justice divine pĂšse sur nous de son Âil scrutateur. Tu craches sur les autres car tu les aimes trop, car tu t'aimes trop pour t'avouer vouloir de leur soutien. Toi comme moi, on sait qu'on est en mĂȘme temps le meilleur et le pire des hommes. En vĂ©ritĂ©, nous ne rĂ©soudrons jamais l'insondable problĂšme de l'Ăąme humaine. Coupables d'avoir eu le malheur d'aimer le beau mĂȘlĂ© au laid, la colĂšre Ă la compassion, nous sommes humains et nous le resterons Ă jamais. Accepte toi tel que tu es, et aime la fatalitĂ© dans laquelle t'a plongĂ©e la vie celle d'aller vers la mort avec la certitude de ne jamais connaĂźtre, de ne jamais percevoir un autre dans son entiĂšretĂ©. Je ne suis pas ton guide, je suis comme toi. Et j'accepte de t'aimer. » _ Cette tirade cloue Aliocha sur place. Il regarde son nouvel ami sans rien dire, puis celui-ci regagne sa tablĂ©e comme si rien ne s'Ă©tait passĂ©. La scĂšne n'avait durĂ© que quelques secondes, mais elle restait suspendue dans l'esprit d'Aliocha, en surimpression dans son cerveau vidĂ©. Il sent que toutes les barriĂšres qu'il avait dressĂ©es face Ă ses semblables viennent d'ĂȘtre balayĂ©es. L'Ă©motion l'Ă©treint, et en mĂȘme temps il se sent comme un enfant pris en faute. Il n'a rien rĂ©pondu Ă ce Hiolaca, car il n'avait rien Ă ajouter, il avait comme Ă©tabli une passerelle mentale entre eux deux sans lui demander son avis. Il dĂ©cide de quitter le cafĂ©, sort en titubant sous les regards des amis de Hiolaca toujours en train de rire. Le lendemain, il tourne en rond chez lui, et dĂ©cide de revenir au cafĂ© dans l'espoir de retrouver Hiolaca. Il demande aux habituĂ©s embusquĂ©s derriĂšre leur canard s'ils le connaissent, s'ils l'ont dĂ©jĂ vu. L'un d'entre eux croit reconnaĂźtre dans la description d'Aliocha un jeune premier, en ce moment Ă l'affiche avec sa troupe au théùtre populaire de Saint Maurice. Ni une, ni deux, Aliocha assiste aux rĂ©pĂ©titions la piĂšce est une adaptation contemporaine du Misanthrope. Hiolaca est sur scĂšne. Il parle toujours avec autant de fougue, ses yeux sont emprunts du mĂȘme pourpre, sa voix a la mĂȘme emphase que l'autre jour. Il dĂ©clame la mĂȘme tirade que dans son monologue du cafĂ©, Aliocha comprend. Il fuit la salle obscure sans que Hiolaca ne lâaperçoit, rentre chez lui Ă©tourdi. En nage, en rage, il dĂ©lire. La semaine passe dans l'attente de la reprĂ©sentation finale pour Aliocha et Hiolaca. Aliocha se rend tous les jours aux rĂ©pĂ©titions, Ă©tudie minutieusement le texte et le jeu de Hiolaca. Le grand soir arrive. Hiolaca est au zĂ©nith, il brĂ»le les planches. Vient le moment de la tirade finale. Aliocha bondit alors sur la scĂšne, le public est subjuguĂ© par cette apparition, cette sĂ©quence inattendue. Aliocha fixe le public, son regard passe Ă Hiolaca, revient au public. Il ouvre alors la bouche, laisse sa premiĂšre phrase en suspens, moment interminable. _ Qui est le misanthrope ici? Tu parles au nom de l'humanitĂ© entiĂšre, et tu te targues de pouvoir sauver de sa propre perte ce pauvre bougre qui n'aime personne. Tu n'es pas mieux que tous les autres, tu l'as dit. Tu joues Ă ĂȘtre comme tous les autres, mais tu ne seras jamais comme tes semblables. Tu cherches Ă te moquer, Ă te jouer des autres comme tu joues ton rĂŽle sur cette scĂšne. Tu joues mĂȘme plus dans la vie que maintenant. Pourquoi t'es-tu ri de moi l'autre jour? Tu es beau mais tu te caches, c'est lĂ la plus grande preuve de misanthropie qu'il m'ait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Et malgrĂ© cela je t'admire. Je crois qu'Ă nous deux nous formons ce qu'il y a de plus beau et de plus laid chez l'Homme. Bas les masques, ne me dis pas que tu m'aimes, vis le. » _ La rĂ©gie dĂ©semparĂ©e par cette intervention tire le rideau. Nos deux compĂšres rĂ©apparaissent dos Ă dos, la foule applaudit Ă tout rompre, les deux hommes repartent main dans la main en paix l'un avec l'autre et avec eux-mĂȘmes. Nouvelle 125 _ Jonas Jonas et moi sommes du mĂȘme Ăąge. Plus tout Ă fait des ados, mais toujours aux Ă©tudes l'un en philosophie, l'autre en sciences. Le sachant distrait, je dois parfois agir comme un grand frĂšre avec lui. Car je l'aime bien, et, en lui servant de guide, je peux lui Ă©viter des embarras. Hier, je l'ai aperçu qui s'engageait Ă pied sur la passerelle qui enjambe l'autoroute prĂšs de chez lui. La tĂȘte dans les nuages, perdu dans ses pensĂ©es. Comme j'Ă©tais Ă vĂ©lo, je l'ai vite rattrapĂ© et lui ai proposĂ© tout de go Si on allait prendre un cafĂ© ensemble? Il a acceptĂ©. _ Une fois au resto, et remarquant son air sombre, je me suis dit que ce n'Ă©tait guĂšre le temps de lui tenir des propos jubilatoires, ni le contraire, bien sĂ»r! Je sais que mon ami me fait confiance. Aussi, de fil en aiguille, il en est venu Ă me confier que ce prĂ©nom de Jonas » avait Ă©tĂ© lourd Ă porter, et, qu'Ă©tant donnĂ© sa nature timide, les nombreux quolibets qu'on n'avait de toutes parts cessĂ© de lui adresser l'avaient rendu mĂ©fiant, sauvage mĂȘme Ă ce qu'il dit. Tout ceci, ajoutĂ© Ă son caractĂšre indĂ©pendant, fait que, Ă part moi, on ne lui connaĂźt pas d'amis. _ Alors, que penser de son cousin Roger qui, loin d'ĂȘtre un soutien pour Jonas, dit de ce dernier qu'il est quelqu'un de mallĂ©able, voire de trĂšs influençable, et que si on sait vendre sa salade on peut tirer de lui ce qu'on veut. A contrario, d'aprĂšs ce que je sais de mon ami, il serait plutĂŽt difficile Ă vivre, rigide mĂȘme  Quel mobile pourrait bien inciter Roger Ă vouloir ainsi mĂȘler les cartes? Jalousie? Vengeance? Il faut dire que Jonas, enfant gĂątĂ© par les siens, n'a jamais voulu fraterniser avec ce cousin. Il est clair que je refuserai de discuter de la chose avec lui, puisque je n'aime pas perdre mon temps en palabres. _ De plus, comme tout finit par se savoir, je ne voudrais pas risquer de m'aliĂ©ner la sympathie de la famille de Jonas. Car il m'arrive de faire appel Ă son pĂšre, qui veut bien me guider dans mes recherches sur la sĂ©quence du gĂ©nome humain. Mais ce qui passionne vraiment cet Ă©rudit, se sont les fonds marins. Rien que de le voir illustrer ses propos sur le sujet, et en particulier sur les baleines, avec qui il espĂšre un jour pouvoir communiquer, est un pur bonheur. Quant Ă la maman, vĂ©ritable sirĂšne au cÂur d'or, elle a dĂ» en faire rĂȘver plus d'un dans sa jeunesse. Encore maintenant, chose extraordinaire, son charme se dĂ©ploie auprĂšs des Ă©tudiants de son grand homme de mari qui, lui, n'y voit que dalle, ayant toujours le nez fourrĂ© dans ses livres. _ Il m'a dit un jour dĂ©tester vieillir. J'Ă©tais Ă ce point obnubilĂ© par ce scientifique que j'aurais mĂȘme acceptĂ© de troquer quelques annĂ©es de ma jeune vie pour une fraction de son savoir. Mais, en y rĂ©flĂ©chissant plus avant, j'ai compris que cet homme Ă©tait un rĂȘveur, dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© au point d'affubler son propre enfant d'un prĂ©nom impossible. _ Si les baleines avaient pu parler, elles, si sages, lui auraient fait comprendre que, quand on est un humain, on a tout intĂ©rĂȘt Ă garder les deux pieds sur terre. Et qu'au lieu de Jonas » c'est peut-ĂȘtre de Maurice » dont on parlerait aujourd'hui. Nouvelle 126 _ Conscience aveugle J'ai trouvĂ© Sandrine, il y a deux semaines, Ă la sortie de l'opĂ©ra. Un peu comme on trouverait un chien errant qui arpente les rues en quĂȘte de nourriture. Ă la diffĂ©rence prĂšs que cette femme troquait volontairement quelques caresses Ă la sauvette contre une illusion l'amour. Mais ça, je l'ignorais alors. _ Le temps Ă©tait gris et maussade. J'ai remarquĂ© cette femme appuyĂ©e contre un rĂ©verbĂšre. Son impermĂ©able trempĂ©, ouvert sur le devant, laissait entrevoir une tenue affriolante aux couleurs criardes. Nos regards se croisĂšrent. Et, malgrĂ© le maquillage dĂ©lavĂ© qui lui barbouillait les joues de bavures grises, je perçus une Ă©tincelle Ă©maner du fond de ses yeux sombres. Cette lueur, Ă peine perceptible, je l'ai interprĂ©tĂ©e comme un appel Ă l'aide. _ J'abhorre ces rencontres fortuites oĂč, confrontĂ© Ă ma propre conscience, je me dois d'agir un peu contre mon grĂ©, je l'avoue, afin de porter secours Ă de pauvres hĂšres affamĂ©s. _ Aussi, sans hĂ©sitation, j'ai plongĂ© la main au fond de ma poche pour en sortir quelques piĂšces que je lui remis avant de poursuivre ma route. L'ingrate me pourchassa. Le son de ses escarpins retentirent sur le pavĂ© derriĂšre moi. Elle me couvrit d'injures, clamant que ses services valaient plus que ça. Puis, sans que je m'y attende, Sandrine me lança la monnaie en pleine figue. Confus et ne dĂ©sirant pas attirer l'attention sur nous, j'ai plaidĂ© ma cause en prĂ©textant un malentendu. Pour la calmer, je lui proposai de m'accompagner au cafĂ© du coin, question de se rĂ©chauffer et de prendre une bouchĂ©e. _ Ă peine Ă©tions-nous attablĂ©s que Sandrine me gratifia d'un sourire. Ravi que ma convive ait une personnalitĂ© aussi mallĂ©able, j'ai pu enfin me dĂ©tendre tout en consultant le menu. Mais, lorsqu'elle lĂącha spontanĂ©ment qu'on ne l'avait jamais invitĂ©e en un lieu aussi chic, je fus pris d'une soudaine gĂȘne. J'Ă©tais mal Ă l'aise que l'on puisse nous voir ensemble. Peur d'ĂȘtre associĂ© Ă cette fille de rien, je lui tendis aussitĂŽt un mouchoir pour qu'elle puisse Ă©ponger son visage souillĂ©. Elle prit ce geste pour de la galanterie et m'en remercia d'un battement de faux cils. Elle termina sa toilette en se mouchant bruyamment. _ SubjuguĂ©e par cette attention nouvelle qu'on lui portait, c'est en toute confiance que Sandrine se laissa aller. En une interminable palabre, elle dĂ©versa sur moi son lot de malheurs mĂȘlĂ©s d'espoirs brisĂ©s. J'en avais marre d'avoir Ă suivre la sĂ©quence des Ă©vĂ©nements traumatisants qui ont marquĂ© sa triste existence. Existence au cours de laquelle elle s'est aliĂ©nĂ© les quelques amis qu'elle ait jamais eus. Me croyait-elle tout Ă coup investi du rĂŽle de guide spirituel ? Il Ă©tait tard maintenant, j'Ă©tais Ă©puisĂ© et, surtout, impatient de me dĂ©faire de cette prĂ©sence accablante. J'ai demandĂ© l'addition. _ Mais voilĂ que cette seule pensĂ©e revient Ă nouveau aiguillonner ma conscience somnolente. Comment pouvais-je l'abandonner ainsi, l'ayant privĂ©e de son gagne-pain des heures durant ? Je m'entendis alors lui proposer de passer la nuit chez-moi. _ Pour s'y rendre, nous devions traverser un parc public. J'Ă©tais surpris de cette capacitĂ© qu'avait Sandrine de s'extirper d'une profonde grisaille pour en arriver aussi prestement Ă un Ă©tat jubilatoire. S'agrippant Ă mon bras, son pas devint plus lĂ©ger. Elle me confia alors ses ambitions secrĂštes toujours ce babillage ennuyeux devenir chanteuse d'opĂ©ra ». Puis, soudainement, elle lĂąche son emprise pour se prĂ©cipiter sur la passerelle qui surplombait un petit bassin parsemĂ© de nĂ©nuphars. Pour mieux illustrer sa vision, elle adopta la pause solennelle d'une cantatrice et y alla de quelques vocalises. _ Quelle utopie ! Cette femme rĂ©clamait mes conseils, mon soutien, alors soit, je lui devais la franchise. Tu cours tout droit vers un autre dĂ©sastre Sandrine. Tes rĂȘves sont la source de tous tes malheurs, ne vois-tu pas ? Sois rĂ©aliste ma belle ». Puis, c'est en silence que nous avons parcouru le reste du trajet. Ce soir lĂ , aprĂšs l'avoir prise, je n'ai pu trouver le sommeil. Au petit matin, je ne pouvais souffrir de la regarder et dĂ©sirais, plus que tout, qu'elle disparaisse Ă jamais. Je l'ai rĂ©veillĂ©e. Son corps Ă©tait lovĂ© contre le mien. Je te dois combien pour cette nuit » ? Sandrine se glaça, le regard plongĂ© dans le mien. Cette fois, Ă©trangement, j'y ai perçu le reflet d'un miroir qui Ă©clatait, dont les piĂšces mobiles me traversaient, me blessant l'une aprĂšs l'autre. Elle est partie, sans prendre l'argent. _ Le souvenir de cette rencontre Ă©tait Ă peine dissipĂ© quant un gamin vint frapper Ă ma porte. Il me remit une missive signĂ©e de la main de Sandrine. Une invitation en quelque sorte. Un sinistre rendez-vous que j'hĂ©sitais Ă accepter. J'entendis encore la voix de ma conscience qui s'exprimait Tu dois ĂȘtre plus clair cette fois ». J'ai suivi le garçon jusqu'au lieu prĂ©vu. Un homme vint Ă notre rencontre. Je lui remis le carton de Sandrine. Vous la connaissez ? » demandai-je. Bien sĂ»r ! Suivez-moi ». Un sentiment de fiertĂ© s'empara de moi. Sandrine aurait-elle suivi mon conseil en se dĂ©nichant un petit boulot dans ce lieu de paix ? Le mĂȘme homme, le fossoyeur, me mena jusqu'Ă une pierre tombale devant laquelle reposait un tas de terre meuble. On l'a retrouvĂ©e hier, pendue Ă ce chĂȘne, lĂ -bas. Le carton d'invitation Ă©tait au fond de sa poche », me dit-il avant de repartir avec son garçon. Nouvelle 127 _ Les aliĂ©nĂ©s⊠ou presque Ils Ă©taient quatre. Toujours ensemble. Luis, le professeur, le vieux Tom, NathanaĂ«l et le jeune Nordine. A l'asile on les appelait les veufs » car ils ne recevaient jamais de visites. Dans la cour bĂ©tonnĂ©e d'oĂč jaillissaient mollement des arbres et des bosquets grisĂątres, ils se retrouvaient chaque jour sans que personne ne s'en inquiĂšte. Ils fumaient, se croisaient dans de courts va-et-vient en Ă©changeant des mots ou entamaient une discussion animĂ©e. La palabre , ironisait l'infirmier, qui avait quelques lettres. Tant que ça palabre, c'est bon », insistait-il pour justifier sa nĂ©gligence. Il ne surveillait jamais vraiment les quatre veufs. _ Ce jour-lĂ , NathanaĂ«l leur parlait de Cendrars Il a dit cela, Blaise Cendrars, il a dit cela j'ai agi j'ai tuĂ© comme celui qui veut vivre. Le jeune Nordine demanda si c'Ă©tait un pote et NathanaĂ«l corrigea Un poĂšte ». Nordine haussa les Ă©paules Un poĂšte⊠un pote c'est pareil », et l'autre reprit patiemment Oui, presque. Le poĂšte de la main gauche, on l'appelait. Il a Ă©crit La main coupĂ©e, SĂ©quences⊠. Le jeune Nordine ouvrit des yeux incrĂ©dules Il a Ă©crit, la main coupĂ©e? » puis rĂ©pĂ©ta pensif il Ă©crivait, la main coupĂ©e⊠. NathanaĂ«l soupira CoupĂ©e la main. TronquĂ©e. Ils la lui ont tronquĂ©e. » Le vieux Tom releva sa casquette TroquĂ©e? Du troc de mains? De la main Ă la main? C'est une histoire d'Africains⊠de la sorcellerie⊠. Le conteur, un peu agacĂ©, se tourna vers lui ToquĂ©e, troquĂ©e, tronquĂ©e, ça se ressemble! La main tronquĂ©e. CoupĂ©e. Un obus, Ă la guerre. Alors il est passĂ© Ă l'autre ». Luis qui parlait de façon prĂ©cieuse et aimait se donner l'air fin, fit remarquer que, tout de mĂȘme, il avait une alternative. Les autres rirent, mĂȘme le vieux Tom et le jeune Nordine qui ne comprenaient plus grand chose. Dans leurs yeux une folle gaitĂ© s'Ă©tait allumĂ©e, ils agitaient leurs mains en tous sens et tapaient du poing sur leurs cuisses, pris d'un entrain jubilatoire. On s'en va? » Le vieux Tom avait levĂ© la tĂȘte et s'Ă©tait lĂ©gĂšrement redressĂ©, encore secouĂ© de leur rire commun. On s'en va! Enfin, presque », prĂ©cisa Luis d'un air pincĂ©. _ Ils s'Ă©loignĂšrent innocemment et se rapprochĂšrent de la grille. Elle Ă©tait entr'ouverte, l'infirmier Ă©tait rentrĂ© dans le bĂątiment. Une petit pluie froide tombait et seuls les veufs Ă©taient restĂ©s dans la cour. D'un coup, ils furent dehors et avec une agilitĂ© imprĂ©vue s'Ă©loignĂšrent de l'asile, se mĂȘlĂšrent Ă la foule des passants et furent trĂšs vite au bord du pĂ©riphĂ©rique, NathanaĂ«l devant. Les autres suivaient, sĂ©quence de joyeux drilles en goguette. En approchant de la passerelle qui franchissait le pĂ©riphĂ©rique, ils s'arrĂȘtĂšrent brusquement. Tremblant comme sur un pont de cordes, un homme chantait, alternant cris et murmures et battant la mesure de ses bras, se balançant et dansant. Il allait en aveugle, funambule rĂ©glant ses pas sur le rythme de son chant La dona e mobile⊠. Prudemment, NathanaĂ«l glissa vers lui et saisit par les ailes ce papillon qui s'immobilisa avec lenteur, baissa les bras et pencha la tĂȘte sur son Ă©paule. Son corps auparavant contorsionnĂ© par la danse s'Ă©tait amolli, fait Ă©lastique, souple et mallĂ©able comme un corps d'enfant. Il s'abandonnait, les yeux mi-clos. NathanaĂ«l l'invita Ă s'Ă©loigner du bord et le l'amena jusqu'au trottoir d'en face. Je m'appelle Lordjim » dit le papillon en souriant, et je remercie,mon guide ». _ De l'autre cĂŽtĂ©, entre deux immeubles-tours, un petit cafĂ© miteux se protĂ©geait des poussiĂšres et des sacs en plastique qui tournaient en vrille dans le vent. Une pancarte bringuebalait au dessus des vitres oĂč s'Ă©caillaient des PĂšres NoĂ«l et des flocons de neige. Ils lurent La DerniĂšre Chance et s'y prĂ©cipitĂšrent en se bousculant comme des Ă©coliers indisciplinĂ©s. _ Un silence se fit tandis qu'ils sirotaient leurs biĂšres, le nez dans la chope ou le mĂ©got accrochĂ© aux lĂšvres. Ils regardaient Lordjim, son visage marquĂ© de douceur et de douleur mĂȘlĂ©es, ses yeux bleuis par de vieilles larmes et qui parla d'une voix tranquille L'Afrique. Le soleil d'Afrique, l'or et la cendre. La guerre aussi⊠» NathanaĂ«l l'interrompit »Comme Cendrars! » et le papillon reprit en mesure ⊠comme cendrasses. J'ai connu cela. Il y a tant de lumiĂšre⊠On baisse les paupiĂšres, on tire les rideaux, on ferme les persiennes. On ne voit rien mais on sent sur sa peau la chaleur⊠un souffle de femme. » _ Nordine, qui portait la lumiĂšre dans son nom mais ne le savait pas, se tortilla; le vieux Tom tira une bouffĂ©e et toussa avec bruit; Luis se leva, prenant appui sur sa chaise qui bascula. Lordjim le soutint, Luis se rassit dignement et Lordjim reprit Il y a tant de lumiĂšre⊠Les bruits, les cris, les odeurs vous entrent dans la peau. On vit. J'aimais une femme, AĂŻcha. On avait un gosse. J'Ă©tais dans l'armĂ©e, militaire ». Luis voulut blaguer Un pied Ă droite et un Ă gauche? » mais aucun ne rit. Nordine, la voix un peu Ă©tranglĂ©e, insista Tu as eu le pied coupĂ©? Comme le poĂšte, le pote de NathanaĂ«l? ». Lordjim laissa un petit silence se faire, puis il sourit avec gentillesse. Il avait eu le pied coupĂ©, en effet. Son petit garçon de cinq ans avait sautĂ©. Mort dans un attentat. La femme Ă©tait partie et lui aussi, mais de l'autre cĂŽtĂ©, avec l'armĂ©e. _ Ils se turent. Lordjim fredonnait pour lui mĂȘme la dona e.. » et Luis intervint, en professeur Mobile. Sais-tu ce que c'est qu'un mobile »? Un soldat, enfin, presque. Un type qu'on a enrĂŽlĂ© pour combattre mais qui n'aurait pas dĂ» l'ĂȘtre. Il a rĂ©pondu Ă l'appel et on l'a jetĂ© dans la mĂȘlĂ©e, d'un seul coup, sans soutien. Tom voulut en savoir plus »Et il se bat seul? ». Et Luis, satisfait, poursuivit Non, ils se battent ensemble mais lui, il n'est pas instruit, un mobile, c'est un rien du tout ». Le vieux Tom hocha la tĂȘte et marmonna Pas un type qui s'illustre par ses hauts faits, un comme nous, pas un illustre, un biffin⊠» _ Un songe passa. _ Dehors, un groupe d'hommes approchait policiers, infirmiers, passants curieux. Ils Ă©crasĂšrent leur nez Ă la vitre opaque puis pĂ©nĂ©trĂšrent brutalement dans la salle. La rĂ©crĂ©ation est finie » ricana l'infirmier nĂ©gligent. La bande compris et se leva. Lordjim s'envola de son cĂŽtĂ©. Ils ne voyaient rien, ils sentaient sur leur peau des parfums d'Ă©pices, de cafĂ© grillĂ© et de fruits sĂ»ris, ils entendaient des cris de femmes et des rafales de mitraillettes. _ Enfin, presque⊠Nouvelle 128 _ EgrĂ©gore Jeanne est jubilatoire. _ Elle a articulĂ© les sĂ©quences, _ Son puzzle est complet, _ Sa comprĂ©hension claire. _ Le feu la ronge, elle est Ă vif. _ En colĂšre, elle entend l' appel, _ Sa pensĂ©e est aliĂ©nĂ©e. _ Ses muscles sont bandĂ©s. _ Son cerveau non mallĂ©able _ Est prĂȘt Ă dĂ©gainer. _ Elle cherche son ensemble. _ Elle a son mobile. _ Sur la toile d' araignĂ©e _ Elle cherche ses frĂšres. _ Elle sait que sur la planĂšte _ Le feu dĂ©vore aussi les siens _ Cherchant soutien et guide. _ Le virus est de partout. _ Les neurones sont Ă©lectriques. _ Les symptĂŽmes sont affligeants. _ Maux de ventre, envie de vomir. _ Migraine, fiĂšvre. _ Un serrement dans la poitrine _ Donne une impression d' asphyxie. _ La vision des infos agit bizarrement, _ DĂ©cuplant les effets. _ Jeanne voit un monstre, _ IncontrĂŽlĂ© et implacable _ Aux mĂąchoires puissantes, _ ArmĂ© jusqu' au dents, _ Avide et insatiable. _ PiĂ©tinant ses semblables. _ Le massacre est grand. _ La terre de ses enfants _ Est en danger. _ Jeanne rumine dans sa cuisine. _ Ses capsules de cafĂ© l' Ă©nervent. _ Dieu s' en mĂȘle avec What' s Else _ Corruption et chantage _ Palabres de paradis _ Territoires sans foi ni loi _ Pillage organisĂ© par des hommes de paille _ Aux services de grands escrocs, _ Alimentant le monstre, _ Toujours plus avide. _ Jeanne voit les passerelles _ Au-dessus d' elle, imbriquĂ©es _ Allant de repaire de rapaces, _ A des nids de corbeaux _ Transitant les flux Ă tire d' ailes _ Du Delaware aux CaĂŻmans _ D' Uruguay au Liban _ De Jersey au Luxembourg _ Obscurs paradis, antres cupides. _ Vampirisant les peuples _ Agissant impunĂ©ment _ Avec l' aval des gouvernements. _ Que sonne le tambour ! _ Aragorn leve toi. _ L' ombre grandit. _ Ta dĂ©vouĂ©e troque les mots _ Avec les siens. _ Que grandisse l' EgrĂ©gore. _ Qu' il s' illustre. Nouvelle 129 _ Histoire brĂšve d'un village et du monde en trois sĂ©quences Les irrĂ©ductibles, c'est comme ça qu'on les appelle dans la presse. Le sergent Ferraut entra dans le bar oĂč ils prenaient un dernier verre. _ â Messieurs, dames⊠_ â On sait, on sait. On peut bien finir notre cafĂ©, non ? _ â Le barrage doit exploser dans une demi-heure. _ â Ben qu'i fassent tout pĂ©ter ! D'façon qu'eq ça change pour vous qu'on dĂ©campe ou pĂŽ. _ â Vous en faites pas sergent, on finit et on sort. Vous voulez un verre ? GoĂ»tez moi cette liqueur Ă la pomme, je la faite moi-mĂȘme, c'est la spĂ©cialitĂ© du coin. _ â Je sais, j'ai grandi Ă cĂŽtĂ© d'ici, Ă Vermilly. Mon pĂšre Ă©tait exploitant. Le verger Ferraut, c'Ă©tait lui. _ Le verger Ferraut, les pommes qu'il vous faut. On peut dire que l'entreprise familiale avait sa petite notoriĂ©tĂ© Ă l'Ă©poque. Et puis un jour, le pont est arrivĂ©. D'ailleurs non, la direction du pont a bien prĂ©cisĂ©, ce n'est pas un pont, c'est une passerelle. Passerelle ! c'est plus joli, et puis ça veut dire que les gens se rapprochent, a expliquĂ© le comitĂ© de direction. Ah, bien. Et puis c'est important d'ĂȘtre mobile de nos jours, pour qu'on puisse travailler tous ensemble. Le comitĂ© de direction a illustrĂ© son propos en racontant l'histoire de la Chine et du Japon, comme quoi la passerelle Chipon a permis Ă la communautĂ© bridĂ©e d'ĂȘtre la plus puissante au monde. Alors aujourd'hui, il est temps d'agir, comme quoi nous aussi on a droit Ă notre passerelle avec le monde. _ AprĂšs la passerelle, c'est le supermarchĂ© qui est arrivĂ©, avec des pommes de toutes les couleurs, disponibles toutes l'annĂ©e, et toujours belles et brillantes. On n'en croyait pas ses yeux. Et le pĂšre Ferraut a du vendre une partie de son exploitation, puis le reste. Les affaires n'Ă©taient plus ce qu'elles Ă©taient, vous comprenez. C'est que maintenant, l'argent est jaune, vous comprenez, alors la terre le devient aussi. MĂȘme qu'ils appellent ça la jaunisse, les dĂ©sapprobateurs. _ â C'est un peu raciste quand mĂȘme, non ? _ â Ils nous ont aliĂ©nĂ©s ! _ â Nan, c'est eux les Aliens. T'as vu le film ? MĂȘme sale gueule. _ â Enfin, ça c'est quand mĂȘme raciste, non ? _ â C'est faux en tout cas. _ â Ăvidemment toi et ta Tong. _ â Tan, c'est Tan qu'elle s'appelle. Et la mĂȘle pas Ă tout ça, elle a pas choisi de v'nir travailler ici par plaisir j'te rĂ©pĂšte. Soit elle acceptait la mutation, soit elle perdait son poste. C'est Sunrise Corporation qu'il l'a forcĂ©e. _ Sunrise Corporation, Âcause we are your solution. On peut dire que le consortium des plus grosses firmes asiatiques a su conquĂ©rir l'Ouest en son temps. Quel Ă©lan d'espoir au fameux jour de l'appel du PDG Zhuan Sun. Il invitait tous les insatisfaits du peuple Ă rejoindre le groupe du travail et le wifi pour tous ! Promesse jubilatoire pour les millions d'occidentaux submergĂ©s par le tsunami venu de l'Est. Tout le monde rejoignait alors le bateau du guide Zhuan Sun, apportant sa contribution Ă l'intensification de la production. Le barrage date de cette Ă©poque. Mutualisation des moyens, harmonisation des processus, pour toujours plus d'efficience et de performance. C'est qu'on a un dĂ©fi Ă relever, vous comprenez. La population des consommateurs augmente de maniĂšre expotentielle, a expliquĂ© le guide Zhuan Sun, il faut donc produire de maniĂšre expotentielle pour pourvoir satisfaire tout le monde. Mais reste le problĂšme de l'Ă©nergie ! _ â Ouais ben moi j'en n'ai plus d'Ă©nergie. _ â La Nouvelle Union Africaine a promis d'apporter son soutien. _ â La NUA ? Tu parles d'un soutien ! En traitant avec ces dictateurs, on troque notre intĂ©gritĂ© contre des kilowatts ! J'ai lu ça dans le journal. _ â C'est bien pour ça qu'on fait sauter le barrage, pour ĂȘtre moins dĂ©pendant de la NUA. La Nouvelle Union Africaine, le gĂ©ant sorti de la graine. On peut dire que l'entente des gouvernements africains a permis au continent noir de renverser la vapeur ces derniĂšres annĂ©es. Quand leurs chercheurs ont trouvĂ© un moyen de produire Ă bas coĂ»t de l'Ă©nergie Ă partir de l'extraction du sable, les palabres intertribales ont aussitĂŽt cessĂ©. Cette dĂ©couverte fut pleinement exploitĂ©e grĂące au caractĂšre mallĂ©able des peuples et des paysages. Argent et tractopelles ont radicalement changĂ© le visage de l'Afrique. DĂšs lors, la NUA se trouva systĂ©matiquement conviĂ©e Ă la table des nĂ©gociations internationales. Puis ce fut elle qui se mit Ă convier les autres puissances. Et lĂ c'Ă©tait la classe, affirmait la jeunesse noire. _ Les vieilles nations, quant Ă elle, trouvaient ça vexant. Alors on se mit Ă vouloir extraire du sable nous aussi. Cet Ă©norme barrage rend la terre beaucoup trop verte ici, c'est une plaie. D'oĂč le projet de tout faire pĂ©ter. Certes on aura moins d'eau, mais on pourra produire assez d'Ă©nergie pour faire acheminer l'eau d'un autre continent jusqu'ici. C'est tout bon ! a proclamĂ©e Ă la bourgmestre. N'empĂȘche que c'est Ă y perdre son latin. Non pas que les irrĂ©ductibles aient un jour appris le latin, mais ils y tiennent Ă leur village. Et ils ne veulent pas le voir submergĂ© par les eaux libĂ©rĂ©es du barrage. Ils n'ont aucune envie d'aller s'installer en mĂ©galopole, mais alors pas du tout. _ â J'ai vraiment aucune envie d'aller m'installer en mĂ©galopole, mais alors pas du tout. _ â On y ferait quoi ? _ â Messieurs, dames, le barrage est prĂȘt Ă exploser. _ Alors ils sortirent malgrĂ© tout, les irrĂ©ductibles. Ils avaient tentĂ© de rĂ©sister, de sauver leur village, mais comment lutter contre l'Ă©volution du monde ? On peut pĂŽ, c'est comme ça, avait dit Macha. Puis elle ajouta Il parait qu'il y a des pommes qu'on n'a mĂȘme plus besoin d'Ă©plucher dans les magasins des mĂ©galopoles. » Finalement, c'est commode le progrĂšs. Nouvelle 130 Dans ces deux pages se cachent trois personnages mais peut-ĂȘtre que trois c'est beaucoup pour tenir sur deux pages. Alors disons que le troisiĂšme personnage n'en est pas vraiment un. Pourtant c'est lui qui a pour habitude de se cacher dans les pages. Il vit paisiblement avec ses semblables dans le sous-sol d'un vieil immeuble de bureaux. De lĂ , il peut accĂ©der aux rĂ©serves de la bibliothĂšque municipale. C'est un rat de bibliothĂšque. Oh pas un horrible rat noir, mais un rat des villes, une sorte de loir, un jeune, mallĂ©able aux idĂ©es qu'il dĂ©couvre dans les livres. Les livres sont sa maison, les feuilles son unique paysage. Il croit au pouvoir magique des signes noirs qui les dĂ©corent. Il s'en nourrit de dĂ©licieuses feuilles dactylographiĂ©es pour souper. _ Le deuxiĂšme personnage, par ordre d'apparition, est un humain. D'apparence du moins. En effet, Ă le voir fureter, tourner autour de son bureau comme s'il arpentait son territoire, le doute s'installe. Il en marque les limites en laissant les empreintes de sa tasse Ă cafĂ©, des ronds bruns sur ses affaires Ă lui. Il se plonge dans un tas de paperasse, le nez se plisse, s'allonge, les Ă©paules se tassent. La face rose Ă©clairĂ©e par une lampe, le dos est gris. Animal dans son antre. Au boulot. _ Le travail aliĂšne l'homme, ce n'est pas de la science-fiction ! _ Le rat est intriguĂ© par ce bonhomme scotchĂ© Ă son mobile, Ă©clairĂ© par en dessous du reflet de son Ă©cran d'ordinateur qui ronronne. Le rat ne se mĂȘle pas de sa vie, les camemberts et les baguettes qui sortent de l'imprimante ne sont pas allĂ©chants, pas comestibles, des chiffres, toujours des chiÂŁÂŁrÂÂ$. _ Le rat s'intĂ©resse Ă la littĂ©rature, il veut tester la puissance des mots, le pouvoir des signes. Il a donc laissĂ© Ă cet effet un message Ă©crit soigneusement Ă l'aide de petites crottes noires savamment disposĂ©es. La consĂ©quence de l'expĂ©rience fut Ă©tonnamment violente, une explosion de cris et de coups de balais avec une sĂ©quence dies Irae » en fond sonore. Sa maison fut brulĂ©e, sa famille dispersĂ©e. Ce soir, il git sur le pavĂ© de la Grande Rue. Les livres lui manquent. Il lustre son pelage triste devant le soupirail des rĂ©serves, bouchĂ©. Il rĂȘve d'un nouvel accĂšs, d'une passerelle pour son arche de NoĂ© qu'il reconstruira dans un papier bible Ă la douceur crissante. _ Craquant une allumette, la princesse monte la Grande Rue. C'est le genre de princesse qui s'illustre pour son addiction aux romans Ă l'eau de rose. Elle dĂ©sespĂšre de ne pas rencontrer de Prince Charmant. Sa marraine vient de lui souffler qu'il suffit d'embrasser un crapaud pour qu'il se transforme. Alors pourquoi pas celui lĂ , tout gris derriĂšre l'immense vitre de son bureau. Il a l'air tellement sĂ©rieux dans son bocal de verre open-space. Un milliardaire romantique qui sera le soutien d'une frĂȘle jeune femme, moi » _ La princesse scintillante comme un diamant dans le halo du rĂ©verbĂšre remarque une mignonne petite bĂȘte au doux pelage, une souris du carrosse de Cendrillon dans l'ombre. DerriĂšre la vitre, l'homme a troquĂ© son apparence animale contre une dĂ©froque de prince potentiel, pas encore charmant mais avec l'envie d'agir pour le devenir. Il comprend l'invitation Ă sortir de la princesse, l'appel Ă©lĂ©gant de sa main. DĂ©jĂ , il se prĂ©pare Ă lui parler, la baratiner, l'Ă©tourdir de palabres, la faire rire et continuer, la souler de mots, l'Ă©tourdir pour la conquĂ©rir. _ La porte s'ouvre. L'homme ne sort pas, il prĂ©fĂšre rester dans son domaine car il faut un royaume Ă un prince. La princesse et le rat entrent ensemble. Le futur prince officie comme guide auprĂšs de la princesse. Il lui explique l'importance de sa charge, l'Ă©tendue de son domaine d'activitĂ©. Il croise son regard, constate que ses yeux s'ouvrent tout grands ou se referment au rythme de son discours. De beaux yeux dans lesquels le temps passe au ralenti. Il a envie de les fixer pour toujours. Sans parler. _ Le rat retourne Ă ses chĂšres Ă©tudes. Lire, Ă©crire, jubilatoire. _ Si les mots sont magiques, il vient un moment oĂč il n'est plus besoin de mots. Nouvelle 131 _ Divergence C'Ă©tait un mardi d'automne, l'un de ces midis oĂč Florent et David avaient pris l'habitude de se retrouver pour dĂ©jeuner. Les deux amis de longue date Ă©changeaient des propos d'ordinaire anodins, mais ce jour lĂ leur conversation faillit tourner Ă l'affrontement idĂ©ologique. _ â DĂ©jĂ 14 heures 10 ! s'Ă©cria David. Il faut que je te quitte, je vais Ă la manifestation contre les retraites cet aprĂšs-midi ! _ â Tiens donc ? Tu ne changes pas, dirait-on, toujours au front pour le soutien des grandes causes » rĂ©torqua Florent non sans ironie. _ â Pas toutes les causes Seulement celles qui me semblent justifiĂ©es, et celle-ci en est une. _ â Une parmi tant d'autres ! J'ai l'impression que tu passes ta vie Ă manifester, Ă rĂ©pondre Ă tous les appels Ă la grĂšve Est-ce une rĂ©elle conviction ou as-tu d'autres motivations ? _ â Mais je ne peux tout de mĂȘme pas rester les bras croisĂ©s devant le modĂšle social qu'on cherche Ă nous imposer ! Tu n'es plus d'accord avec tout ça ? _ â Oh, tu sais, je me suis fait une raison Militer pour un monde plus juste, agir tous ensemble, refuser les rĂšgles Ă©tablies C'est jubilatoire, certes, mais ça ne marche qu'un temps ! Nous ne sommes plus des Ă©tudiants, David ! Pour moi, cette vie insouciante avec pour seul guide le rĂȘve d'une sociĂ©tĂ© idĂ©ale est bel et bien terminĂ©e. J'ai un travail Ă assurer, une famille Ă nourrir _ â Et cela vaut le coup de troquer ses idĂ©aux pour un mode de vie petit-bourgeois, selon toi ? De s'aliĂ©ner, de n'ĂȘtre plus qu'un pion sur l'Ă©chiquier capitaliste ? _ â Mais David, as-tu fini avec ces grands mots ? Tu n'as pas Ă me juger ainsi ! Crois-tu vraiment que j'ai le choix ? Si je fais grĂšve, je perds mon boulot ! _ â C'est justement bien ça qui me rĂ©volte. Aujourd'hui, seule une minoritĂ© de la population active jouit d'un emploi sĂ»r et correctement rĂ©munĂ©rĂ©. Des milliers de travailleurs sont constamment sur la brĂšche, mallĂ©ables au grĂ© des dĂ©sirs des patrons, taillables et corvĂ©ables Ă merci ! _ â Mais le monde du travail fonctionne ainsi ! De nos jours, il faut savoir ĂȘtre mobile, s'adapter rapidement aux Ă©volutions techniques et sociales, ne pas craindre de changer d'emploi plusieurs fois dans sa vie Regarde ne serait-ce que mon parcours, qui illustre parfaitement cette rĂ©alitĂ© quinze ans de vie professionnelle, cinq postes occupĂ©s dans trois entreprises complĂštement diffĂ©rentes J'ai vĂ©cu chaque changement comme une opportunitĂ© de dĂ©couvrir un nouvel environnement, de construire des passerelles entre des univers que tout oppose Ă premiĂšre vue Je vois ma vie comme une succession de sĂ©quences bien plus enrichissantes qu'une pauvre carriĂšre rectiligne ! _ â Ton discours me fatigue, Florent ! J'avais bien remarquĂ© que nous nous Ă©tions Ă©loignĂ©s sur un certain nombre de sujets depuis quelques annĂ©es, que nos conceptions des rapports sociaux, de l'engagement au quotidien divergeaient de plus en plus. Avec cette conversation, j'ai l'impression que nous vivons dĂ©sormais Ă des annĂ©es-lumiĂšre l'un de l'autre et que toutes ces palabres sont inutiles. Tu m'excuseras, mais je dois filer. » conclut David en avalant son cafĂ©. Florent regarda son ami s'Ă©loigner avec une pointe de mĂ©lancolie mĂȘlĂ©e de culpabilitĂ©. David avait-il raison ? Florent avait-il rĂ©ellement renoncĂ© Ă ses idĂ©aux ? Aurait-il pu choisir une autre voie ? Jalousait-il tout simplement David, dont la vie de cĂ©libataire lui permettait encore de n'effectuer ses choix qu'en fonction de ses seuls intĂ©rĂȘts ? Il se leva Ă son tour et hĂąta le pas. La conjoncture Ă©conomique Ă©tait encore dĂ©licate, et nul ne pouvait prĂ©dire ce que rĂ©serverait l'avenir. Mieux valait se montrer zĂ©lĂ© et revenir Ă l'heure au bureau. Nouvelle 132 _ La main retrouvĂ©e Lorsque la sonnerie de mon mobile avait retenti, j'avais dĂ©crochĂ© avec mĂ©fiance. Le portable, par le don d'ubiquitĂ© qu'il offrait, avait fait l'unanimitĂ© parmi ceux qui souhaitaient me joindre. . . _ â ValĂ©rie?⊠ValĂ©rie Diagre ? _ â âŠOui âŠC'est moi. _ â C'est Jean. _ Jean ⊠Avec force, l'Ă©cho de ce mot vint me pousser violemment au bord d'un prĂ©cipice je restai subitement figĂ©e. Puis, une passerelle dont je pensais avoir bloquĂ© l'accĂšs Ă tout jamais, relia ce prĂ©nom Ă un passĂ© que j'avais troquĂ© contre un prĂ©sent mouvementĂ© et intense. J'avais aujourd'hui une vie riche d'activitĂ©s, d'amis, de choses, j'Ă©tais mariĂ©e et maman de 2 enfants. Ma nouvelle vie, je me l'Ă©tais bĂątie piĂšce par piĂšce avec tĂ©nacitĂ©, et voilĂ que cette construction minutieuse destinĂ©e Ă me protĂ©ger se trouvait en pĂ©ril par un simple appel et par un prĂ©nom Jean. _ â J'ai mis du temps pour⊠te retrouver⊠_ Je fermai les yeux, un cri rĂ©sonna dans ma mĂ©moire, cette mĂ©moire que j'avais voulue mallĂ©able, mais dont je savais aujourd'hui qu'elle savait se rebeller ValĂ©rie ! Il ne savait prononcer les r, et disait ValĂ©hie .II hurlait, donnait des coups de pieds aux assistantes sociales et refusait de me lĂącher la main. _ Mon Dieu, mais cette sĂ©quence Ă©tait donc ancrĂ©e dans ma chair ! Le temps ne m'avait accordĂ© aucun rĂ©pit⊠_ â J'aimerais te revoir, avait il dit. _ A ces mots, je sombrai dans une plaie que je pensais avoir cicatrisĂ©e mais qui se rĂ©vĂ©lait, je le constatai, bĂ©ante. _ AprĂšs avoir pourtant convenu d'un rendez vous, pas chez moi mais dans mon entreprise que j'avais crĂ©e Ă force de volontĂ© et d'opiniĂątretĂ©, je raccrochais contrariĂ©e. Pourquoi mĂȘler Ă nouveau nos vies au bout de 32 ans ? Et pourquoi avais je acceptĂ© ? Qu'est ce que je voulais lui prouver ? _ Il voulait Ă©crire un livre sur sa vie⊠_ Lorsqu'il pĂ©nĂ©tra dans mon bureau, je vis Ă son mouvement de sourcil qu'il Ă©tait impressionnĂ©, toutefois ça ne provoqua pas en moi l'effet escomptĂ©. J'avais les mains moites et trouvais finalement ridicule le fait de le recevoir ici ⊠Je l'observais tentant de reconnaĂźtre chez lui des traits familiers. _ Il Ă©tait mince, pas trĂšs grand, on peut prĂ©ciser fluet, les mĂ©chants diraient gringalets âŠUn vilain bec de liĂšvre, dont je n'avais plus du tout souvenir, rendait au premier abord son visage hors norme, mais trĂšs vite cette imperfection ne devint qu'un dĂ©tail comme un nez trop long ou une bouche trop mince .Et finalement, on finissait par trouver l'ensemble harmonieux Ă©tait ce du au doux bleu de ses yeux ? Ou au blond soyeux de ses cheveux ? Je ne sais pas. Toujours est-il que rien ne venait illustrer le fait qu'il Ă©tait mon frĂšre. _ Tandis que je restais debout Ă le fixer, il me dit _ â On se fait la bise ? _ â ⊠Bien sur ⊠_ A cette perspective un trouble m'envahit. Pourtant dĂšs que je fus Ă son contact, un bouleversement Ă©lectrique s'empara de moi et je ne pu que laisser ma mĂ©moire d'enfant rĂ©investir mes sens j'avais cinq ans, lui quatre ; notre mĂšre dĂ©faillante ne pouvant rĂ©pondre aux besoins de tendresse et d'affection nĂ©cessaires Ă mon petit frĂšre, je le serrais trĂšs fort contre moi et il sâagrippait Ă mon cou jusqu'Ă ce que le sommeil vienne lui accorder le bienfait du repos. _ Un besoin animal, physique m'enserra alors, et je ne pu rĂ©primer l'envie de serrer trĂšs fort cet homme dans mes bras. Lorsquâ 'il fut tout contre moi, je retrouvais chavirĂ©e, Ă©perdue soulagĂ©e mon petit frĂšre, ce petit frĂšre que le temps m'avait volĂ©. Tandis que je me nichais dans son cou, le reniflant comme une louve Ă la recherche de son petit, une odeur de lait sucrĂ© m'enivra je compris alors combien il m'avait manquĂ© et que j'avais eu beau m'en dĂ©fendre, je restais immanquablement liĂ©e Ă cette petite fille que j'avais Ă©tĂ© et Ă ce petit garçon que j'adorais et que je devais protĂ©ger. Je passai la main dans ses cheveux, mais la poisse collante n'Ă©tait plus ! Folle que j'Ă©tais, il Ă©tait un homme Ă prĂ©sent, il avait grandi, Ă©tait bien mis et avait les cheveux propres. _ Sa façon rigide et maladroite de rĂ©pondre Ă mon Ă©treinte illustrait la mĂ©fiance dont il s'Ă©tait parĂ©, il restait sur ses gardes. Il faut dire que je m'Ă©tais tellement montrĂ©e distante au tĂ©lĂ©phone ! _ Jâen conclu qu'il n'y aurait ni il palabre, ni ineptie mais la vĂ©ritĂ© vraie avec ses bons et ses mauvais cotĂ©s. Je lui prĂ©sentai un fauteuil et m'assis face Ă lui. _ Il avait un cartable quâil ouvrit avec difficultĂ©s car les sangles Ă©taient coincĂ©es. Il perdit, malgrĂ© lui, de sa superbe et de son assurance, et j'eus subitement face Ă moi mon petit frĂšre tentant maladroitement d'assembler des legos âŠUne fois parvenu Ă accĂ©der au fond de son cartable, l'homme qu'il Ă©tait Ă prĂ©sent, en sortit un grand bloc note et un stylo plume. _ Il leva ensuite les yeux vers moi et me sourit aux trois quarts. CâĂ©tait une maniĂšre de m'assurer qu'il restait guide de l'entretien. _ Je lui proposai un cafĂ© qu'il refusa, il prĂ©cisa qu'il ne voulait pas dĂ©ranger. Il Ă©tait inutile de relever, pourtant je voulais Ă prĂ©sent lui assurer de mon soutien dans sa dĂ©marche. Depuis que je l'avais senti tout contre moi, j'avais eu la rĂ©vĂ©lation animale qu'il Ă©tait mon frĂšre et que mon passĂ© m'avait aliĂ©nĂ©e Ă un mensonge celui de faire comme si ma vie nâavait commencĂ© quâĂ 5 ans, aprĂšs avoir dĂ» lĂącher la te main de Jean. _ Des coups de bĂ©liers martelaient Ă prĂ©sent l'heure de ma sentence je l'avais abandonnĂ© ! AbandonnĂ© ! Je ressenti alors le besoin vital de lui demander pardon, et en moi tous les barrages que j'avais construits un Ă un depuis 36 ans volĂšrent en Ă©clat sous une cascade dĂ©ferlantes dâĂ©motion je m'effondrai derriĂšre une crise de larmes. _ â Pardon Jean, pardon âŠSi tu savais comme je m'en veux, si tu savais comme je m'en veux ! _ Mon attitude le dĂ©stabilisa, puis il entreprit d'agir en cherchant un mouchoir. N'en trouvant pas, il se saisit finalement dâun napperon de soie que m'avait offert un industriel chinois et me le tendit. _ Je le saisis avec gratitude et me mouchai Ă©nergiquement _ â Et bien t'y vas pas de main morte ! Il sourit et aprĂšs un temps d'hĂ©sitation, il osa saisir ma main qu'il nicha entre les siennes. _ Ce fut alors pour moi la fusion originelle ! Cette main que j'avais perdue m'avait retrouvĂ©e ! _ â Mon petit frĂšre, mon tout petit frĂšre! Je ne voulais pas te lĂącher, mais je nâai pas su. _ â Quoi âŠmais qu'est ce que tu racontes ? Il avait les yeux ronds comme des calots. _ â Je devais tenir, j'aurais du les en empĂȘcher. _ â ValĂ©rie, mais âŠtu avais 5 ans, 5 ans ! Tu n'Ă©tais qu'une petite fille ! Que pouvais-tu y faire ? _ â Si tu savais comme je m'en veux âŠ. _ J'alternais sanglots et paroles. _ â ValĂ©rie, c'est pas ta faute, c'est pas la mienne ⊠_ Il souleva mon visage, et tandis qu'il Ă©pongeait mes larmes, mon regard croisa une sĂ©rie de tranchĂ©es violacĂ©es au niveau de son poignet. Ces traces d'auto mutilation ou de suicide avortĂ©, je les portais moi aussi ⊠_ â On nous a sĂ©parĂ©s, poursuivait il, notre mĂšre a du nous abandonner pour x raison mais on s'en est sortis ValĂ©rie ! Et tu vois lĂ , dĂšs qu'on se retrouve, et bien la complicitĂ© d'antan ressurgit. On est ensemble ValĂ©rie et ensemble si tu veux bien, on va essayer de rassembler toutes les miettes de nos souvenirs pour reconstruire notre passĂ©. Puis avec une lueur amusĂ©e dans les yeux, il ajouta Tu sais ⊠j'ai crains le pire quand tu as ouvert la porte, tu avais une de ces tĂȘtes ! _ J'Ă©touffais un sanglot honteux. _ â En tous cas, reprit-il, ce moment lĂ , celui qu'on vit lĂ maintenant est âŠjubilatoire ! Oui jubilatoire et je suis persuadĂ© qu'il restera la plus belle sĂ©quence de ma vie, et de mon livre. Il souriait et je su alors que lâalchimie de ces retrouvailles serait le baume rĂ©parateur de nos plaies qu'il fallait enfin oser songer Ă panser⊠Nouvelle 133 Enfin ! Il venait de gagner de haute lutte, aprĂšs moults palabres ce fameux voyage Une randonnĂ©e d'une journĂ©e en pleine nature, seul. Il ne serait plus aliĂ©nĂ© par un mobile greffĂ© Ă l'oreille. Il s'agissait d'aller respirer le bon air sans entrave. Il allait pouvoir rĂ©pondre Ă l'appel de la Nature. DĂ©jĂ , il exultait Ă la perspective de cette journĂ©e. Il en imaginait toutes les pĂ©ripĂ©ties, s'amuser Ă visualiser son parcours, les paysages qu'il rencontrerait. Il serait son propre guide. Il savait que dans ce paysage de campagne, ses sensations seraient dĂ©cuplĂ©es, plus rĂ©elles que le rĂ©el. Ce serait l'automne, sa saison prĂ©fĂ©rĂ©e. Il ramasserait les feuilles dĂ©jĂ tombĂ©es, embrasserait les troncs d'arbres Ă pleine bouche. _ Ils Ă©taient tous dans un Ă©tat jubilatoire lorsqu'avec quelques autres, ils avaient franchi ensemble la passerelle mĂ©tallique puis troquer leurs habits ordinaires contre une tenue appropriĂ©e. Chacun Ă©tait parti de son cotĂ©, sans plus se soucier des autres. Il savait qu'une bonne prĂ©paration Ă©tait la clĂ© pour rĂ©ussir cette ballade. Il Ă©tait prĂȘt Chaussures de marche, pantalon de toile, un petit sac Ă dos pour le casse-croĂ»te, la bouteille d'eau et le petit thermos de cafĂ©. Le paysage de campagne qu'il avait ardemment rĂȘvĂ© se rĂ©vĂ©lait prometteur, aussi beau qu'il l'avait imaginĂ©. Il y Ă©tait. Il foulait un chemin damĂ©, bordĂ© de fossĂ©s serpentait entre des bosquets de peupliers et des haies basses vibrantes du chant des oiseaux. C'Ă©tait une belle journĂ©e d'automne. Son corps se dĂ©tendait. Il respirait mieux. Il s'arrĂȘta un instant pour ramasser un grand bĂąton qui serait son soutien dans sa marche. Il marchait maintenant d'un bon rythme, guidĂ© par ses seuls pas. Le paysage changeait Ă chaque instant Ici un caillou Ă la forme originale, lĂ un arbre curieusement taillĂ© en tĂȘtard, plus loin un espace enherbĂ©. Dans un coude que faisait le chemin, le vent avait amassĂ© des feuilles en tas. Il passa un bon moment Ă respirer l'odeur subtil des feuilles fraichement tombĂ©es. Il en choisit quelques unes pour les observer Ă loisir tout en continuant sa marche. Au fur et Ă mesure que le soleil baissait sur l'horizon, ses premiĂšres impressions jubilatoires du dĂ©but de journĂ©e laissaient sourdre un sentiment diffus d'angoisse la fin du voyage Ă©tait proche. Les feuilles mordorĂ©es bien rĂ©elles des premiers arbres aperçus semblaient se brouiller Ă sa vue. Il Ă©tait fatiguĂ©. Les troncs lisses et secs qu'il avait enlacĂ© de bonheur le matin mĂȘme, semblaient se distordre, mallĂ©ables sous ces doigts. Il s'appuya contre un tronc pour reprendre son souffle. Son sentiment de malaise grandit et se mĂȘla de crainte Oui, la sĂ©quence voyage » Ă©tait bel et bien terminĂ©e. Il se rĂ©veilla brutalement. La capsule dans laquelle il Ă©tait allongĂ©e s'ouvrit. Il retrouvait l'atmosphĂšre propre, filtrĂ©e mais artificielle de sa planĂšte. Oui tout Ă©tait artificielle ici, tout Ă©tait sous contrĂŽle. La nature n'existait plus, saccagĂ©e dans les moindres recoins par quelques siĂšcles de civilisation et de croissance ». L'humanitĂ© s'Ă©tait illustrĂ©e une fois de plus, dans la bĂȘtise comme dans sa capacitĂ© d'adaptation. Car la terre toute entiĂšre avait Ă©tĂ© soumise Ă la folie des Hommes. Toute trace de vie autonome avait Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e d'abord par prĂ©dation malhabile des premiers humains, puis sur-consommation systĂ©matique d'une minoritĂ© d'entre eux et enfin incapacitĂ© collective Ă mĂ©nager les ressources. Le dĂ©fi d'une famine s'Ă©tait profilĂ©. La rĂ©organisation des marchĂ©s agricoles avaient progressivement permit le remplacement des cultures Ă sĂ©lection naturelle par des cultures gĂ©nĂ©tiquement maitrisĂ©es. Aurait-il pu en ĂȘtre autrement ? Des milliers de nouvelles de science-fiction dĂ©battaient encore du sujet sur internet. Finalement, la cohabitation avec les plantes sauvages s'Ă©tait avĂ©rĂ©e impossible Ă gĂ©rer. Elles maintenaient un vivier de maladies intempestives, de ravageurs gloutons, qui finissaient par s'attaquer aux cultures contrĂŽlĂ©es. Devant l'avancĂ©e des sciences du vivant, on s'Ă©tait donc rĂ©solu Ă dĂ©truire sciemment, mĂ©thodiquement, les restes de nature sauvage pour ne pas nuire aux cultures artificielles. Au nom de lâefficacitĂ©, toutes les cultures Ă©taient maintenant sous contrĂŽle. Beaucoup de gens n'Ă©tant plus en contact avec un quelconque environnement naturel souffraient de dĂ©pressions et d'un Ă©tiolement gĂ©nĂ©ral de la santĂ©. On avait dĂ©veloppĂ© les Safaris Nature », oĂč l'on promenait les clients dans les immenses serres climatisĂ©es installĂ©es sur d'anciennes terres agricoles. Puis des recherches jugĂ©es au dĂ©but futiles sur les jeux vidĂ©os, avaient permis la mise au point de capsules de rĂ©alitĂ© virtuelle. Elles Ă©taient installĂ©es en Ă©toile au bout de passerelles mĂ©talliques et reliĂ©es Ă un ordinateur central. Une fois installĂ© Ă l'intĂ©rieur et le cerveau directement reliĂ© Ă l'ordinateur, le voyageur » se voyait proposer par l'ordinateur des sĂ©quences prĂ©-enregistrĂ©es de diffĂ©rents paysages naturels. La capsule permettait de piloter des interactions fortes entre l'imaginaire et le cortex de chaque personne. L'illusion Ă©tait parfaite. On pouvait alors voyager dans la nature, comme en vrai, complĂštement dĂ©connectĂ© pour un temps de la vie ordinaire. On pouvait enfin toucher des vĂ©gĂ©taux aux textures variĂ©s, sentir des odeurs de foin, de mousse, impossibles ailleurs. Aujourd'hui, tout le monde avait besoin de son voyage. Mais comme pour les Safari Nature », les places en capsule de rĂ©alitĂ© virtuelle, Ă©taient chĂšres. _ Il s'Ă©tait rĂ©veillĂ© un peu sonnĂ© par toutes les sensations de sa journĂ©e. DĂ©jĂ il pensait Ă son prochain voyage. Il hĂ©sitait entre une randonnĂ©e en ski de fond et une ballade Ă vĂ©lo sur une ile de la cĂŽte Atlantique. Il avait lu dans un vieil illustrĂ© que c'Ă©tait si beau. Nouvelle 134 _ Le tĂ©lĂ©phone ne rĂ©pond plus Le tĂ©lĂ©phone sonne mais ça ne dĂ©croche pas. En cette fin de matinĂ©e de printemps 2010, Christian est assis Ă une terrasse de cafĂ© dans le vieux OrlĂ©ans. Il n'arrive pas Ă joindre Fabienne qui habite dans le quinziĂšme arrondissement de Paris. Sa mĂšre est presque centenaire, et elle en a vĂ©cu des Ă©preuves depuis la perte de son mari en 1945, fauchĂ© lĂąchement par une derniĂšre balle perdue avant le cessez-le-feu final  la faute Ă pas de chance â avaient Ă©crit les autoritĂ©s militaires. Veuve et sans but prĂ©cis dans la vie, elle avait alors dĂ©cidĂ© d'accueillir dans son foyer un garçon de 7 ans fin de donner du piment Ă son avenir et une famille Ă ce jeune homme. Cet acte d'amour s'Ă©tait depuis lors transformĂ© en un lien fusionnel, une passerelle entre leurs deux vies antĂ©rieures. Il tape de nouveau le numĂ©ro de Fabienne, pas de rĂ©ponse ⊠Christian, directeur financier, habite dans le Loiret depuis trois ans suite Ă une mutation professionnelle exigĂ©e par sa banque, Ă deux ans de la retraite. DĂ©sormais loin d'elle, il s'impose le rituel de prendre de ses nouvelles tous les matins et connaĂźt parfaitement son emploi du temps et ses habitudes. En bon fils, il lui rend visite dĂšs qu'il le peut. Par beau temps, ils se promĂšnent ensemble, chinent et dĂ©couvrent pour le plaisir des yeux de nouveaux musĂ©es et celui des papilles les restaurants de la capitale. StressĂ© de nature, il n'apprĂ©cie guĂšre les imprĂ©vus et petits contre temps du quotidien qui peuvent laisser s'immiscer le doute dans son esprit. Depuis ce matin 8h15, il tente de la joindre, en vain, avec son mobile dernier cri troquĂ© la veille Ă un ami contre une vieille montre de marque. Il sait que sa mĂšre, malgrĂ© son Ăąge avancĂ©, est plutĂŽt du genre Ă agir que subir ; il lui rĂ©pĂšte sans cesse de faire attention Ă ses vieux os, ce qui lui vaut d'ĂȘtre traitĂ© en retour de rabat joie. Il compose mĂ©caniquement les dix chiffres, toujours pas la douce tonalitĂ© du timbre de voix de la femme de sa vie. S'il ne doit en rester qu'une, ce sera elle â se dit Christian, en commandant un second cafĂ© au serveur de La Chancellerie. Le soleil pointe son nez et Ă©blouit la terrasse, un instant de bonheur jubilatoire pour les badauds et les flĂąneurs anonymes de ce mercredi 19 mai qui lorgnent sur les places vides des terrasses de la Place Martroi. Il tripote son tĂ©lĂ©phone, le scrute, le tourne, le caresse et hĂ©site Ă rappeler de nouveau, la sĂ©quence se rĂ©pĂšte comme un tic, cinq ou six fois. Cette femme qu'il vĂ©nĂšre est une sorte de hĂ©ros des temps anciens, son guide spirituel ; elle s'est investie dans de nombreuses missions humanitaires et a apportĂ© son soutien financier Ă de grandes Âuvres de charitĂ©. Christian s'emporte souvent quant elle Ă©voque encore son vif intĂ©rĂȘt pour certaines associations. Peut-ĂȘtre est-elle allĂ©e faire un tour dans l'une d'entre-elles â songe t-il. Mais Christian rejette vite cette idĂ©e, elle l'aurait forcĂ©ment prĂ©venu la veille. Fabienne est toujours une femme trĂšs indĂ©pendante du moins dans l'esprit mais aussi les combats qu'elle mena avec passion dont celui pour la libĂ©ration des femmes oĂč elle s'illustra particuliĂšrement avec le MLF dans les annĂ©es 60 ; elle n'apprĂ©cie guĂšre d'ailleurs que son fils se mĂȘle de ses affaires. Elle est trĂšs dĂ©vouĂ©e, la main sur le cÂur, il le sait. Elle a toujours Ă©tĂ© prĂ©sente Ă ses cĂŽtĂ©s, s'est portĂ©e Ă son secours Ă maintes reprises ; un soutien de tous les instants lors de la perte de sa femme et de sa fille unique dans un accident de voiture 17 ans auparavant, de retour d'un week-end Ă Deauville. Il Ă©tait au volant sur l'autoroute de Normandie. Il tente un dernier appel sur son fixe. Toujours cette maudite voix du rĂ©pondeur. Peut-ĂȘtre est-elle dans l'escalier de l'immeuble cossu de la rue de la Convention, entraĂźnĂ©e par la concierge ou sa voisine de pallier, Madame de PimbĂȘche, dans une palabre dont elle seule a le secret. Ce n'est pas possible, il est 9h30, depuis tout ce temps elle serait dĂ©jĂ rentrĂ©e et l'aurait appelĂ©e de suite. Christian Ă©voque toutes les possibilitĂ©s, elle aurait fait un malaise, une mauvaise chute ou un voleur serait entrĂ© dans son appartement et l'aurait violentĂ© pour lui aliĂ©ner tous ses biens. Non, son voisin du dessous, Monsieur Lecurieux aurait entendu du bruit et lÂaurait contactĂ©. A moins que ce soit son vieux compagnon de route, Monsieur Pinailleur, un ami de 40 ans, collectionneur d'objets qui ne servent Ă rien, qui l'aurait emmenĂ© dans l'une de ses quĂȘtes du Graal dans le tout Paris des antiquaires. Ce n'est pas son genre Ă Fabienne de se laisse influencer dans de tels pĂ©riples, elle a beau s'ĂȘtre adoucie avec la sagesse des annĂ©es, elle n'est pas si mallĂ©able que cela la mĂšre DurĂ©e. Christian paie ses deux expressos et file dans sa voiture immatriculĂ©e 45, il dĂ©cide de monter sur Paris, vĂ©rifier directement ce qui se passe, le tĂ©lĂ©phone sur le siĂšge avant droit, prĂȘt Ă dĂ©gainer Ă tout instant. Il est nerveux, trĂšs inquiet mĂȘme, il sent que ça cloche, il accĂ©lĂšre. 10h47 â ArrivĂ© au pas de la porte de sa mĂšre au 3Ăšme Ă©tage, il l'ouvre doucement avec son double de clĂ©. Rien n'a changĂ© ni bougĂ© depuis mardi dernier, c'est bizarre cette atmosphĂšre de vide dans ce quatre piĂšces, comme si tout Ă©tait en place mais avec un soupçon d'Ă©trangetĂ©. Dans l'entrĂ©e, il regarde attentivement autour de lui Ă 360 degrĂ©s, rien Ă signaler, entre dans le salon, une vision le saisit et le fait stopper net Fabienne est assise dans son fauteuil velours noir, l'air sereine, les yeux fermĂ©s, la bouche lĂ©gĂšrement entrouverte avec un sourire en coin qui s'imagine. L'album photos de leurs premiĂšres annĂ©es est sur ses genoux, protĂ©gĂ© par une main lĂ©gĂšre et chaleureuse. Christian la contemple durant de longues minutes, toutes les images heureuses de leur vie dĂ©filent, avant d'apercevoir une enveloppe posĂ©e sur la table en merisier ; sĂ»rement ses derniers mots, apaisĂ©s et soulagĂ©s de toutes les mauvaises farces que son existence lui a infligĂ©es. Nouvelle 135 _ Une caisse un peu trop lourde Au contraire de beaucoup de personnes sur cette terre, je n'ai pas peur de mourir. J'ai juste peur d'arriver Ă ma derniĂšre heure en n'ayant pas rayĂ© tous les points de la liste. Car rendons nous Ă l'Ă©vidence, combien de personnes sur cette terre se sont Ă©teintes en ayant accompli tout ce qu'elles avaient prĂ©vu ? Pas beaucoup, je pense. Je sais que je ne suis personne pour Ă©mettre une telle thĂ©orie mais j'ai la certitude d'une chose la vie est trop courte pour se permettre de ne pas profiter de tout ce qui nous est donnĂ©. Le destin mĂȘle les cartes et nous jouons. J'ai dĂ©cidĂ© de me mettre Ă jouer sĂ©rieusement le jour oĂč j'ai perdu la personne la plus importante de mon existence. _ C'est dans cet esprit que j'avais pris l'initiative de mener une bonne action par jour, pour ĂȘtre certaine d'avoir fait ma part du travail dans cet ensemble qu'est le monde. J'ai commencĂ© par de petites actions, comme aider dans le mĂ©nage, dĂ©crocher Ă tous les appels de ma mĂšre sur mon mobile, faire le cafĂ© pour toute la famille, me concentrer sur les palabres des professeurs Je menais ce rituel tous les jours et je m'en sortais trĂšs bien depuis deux mois. Un dimanche matin, je me levai et je dĂ©cidai que ma bonne action de la journĂ©e serait la suivante Ranger le grenier. J'avais bien sĂ»r le soutien de ma mĂšre qui me donna toutes les indications nĂ©cessaires Ă cet effet. AprĂšs deux heures de dur labeur, ayant triĂ©s tous les objets aliĂ©nĂ©s par mes ancĂȘtres, une petite caisse en bois qui semblait dĂ©laissĂ©e depuis longtemps attira mon attention. Je l'ouvris avec prĂ©caution et son contenu ne me frappa pas directement. Il y avait des photos sur lesquelles Ă©taient illustrĂ©s mes parents et un enfant dont le visage ne m'Ă©tait pas familier. Ce n'est qu'aprĂšs avoir lu un document stipulant que ceux qui m'ont donnĂ© la vie Ă©taient Ă©galement parents d'un certain Francis que je compris que cette boite n'Ă©tait pas n'importe quelle boite. Cette boite contenait un lourd secret. Celui qui affirmait que moi, Odile, 15 ans, j'avais un frĂšre. Qui Ă©tait-il ? Pourquoi n'Ă©tais-je pas au courant ? Pourquoi me l'avait-on cachĂ© ? Vivait-il encore ? Avait-il changĂ© de nom ? Pourquoi ne vivait-il plus ici avec nous ? Tant de questions et tant d'hypothĂšses mallĂ©ables se bousculaient dans mon esprit. La premiĂšre rĂ©action fut de vouloir les poser Ă mes parents mais je savais pertinemment que s'ils m'avaient menti durant tant d'annĂ©es, rien ne les empĂȘchait de continuer. Je devais donc mener mon enquĂȘte seule. _ Je me serais crue au beau milieu d'une sĂ©quence de film. Je me retrouvais seule face Ă cette immensitĂ©. Je pris tout ce que contenait cette boite photos, acte de naissance, La premiĂšre chose Ă faire Ă©tait de tout analyser. _ Une semaine plus tard, je n'en Ă©tais pas beaucoup plus loin. Je savais juste qu'il s'appelait Francis, qu'il Ă©tait mon frĂšre, nĂ© en 1990, cinq ans avant moi et que toutes les traces s'arrĂȘtaient aprĂšs 1992. J'avais Ă©galement aperçu sur les photos que lui aussi, avait une tache de beautĂ© sur le pouce, comme tous les membres de notre famille. Je n'avais plus beaucoup d'espoir quand je dĂ©couvris une lettre glissĂ©e dans une partie de la boite que je n'avais pas remarquĂ©e. Je l'ouvris et j'appris, malgrĂ© les traces du temps qui avaient effacĂ© quelques mots, que ce Francis avait essayĂ© de renouer contact avec ma famille il y a sept ans d'ici. Il disait vivre en France, avec ses nouveaux » parents et venant d'avoir appris son adoption, il souhaitait connaitre ses parents biologiques. C'Ă©tait un indice de plus il ne vivait plus avec nous car mes parents l'avaient fait adopter Mais pour quelle raison ? Mes parents ont-ils rĂ©pondu ? Il y avait une adresse sur l'enveloppe accompagnant cette lettre. Peut-ĂȘtre pouvais-je, moi aussi, me servir la poste comme moyen de communication. Pourquoi ne pas troquer mon clavier contre un stylobille pour une fois ? _ Mes espoirs de rĂ©ponse Ă©taient minces Ă©tant donnĂ© l'incertitude face Ă la rĂ©ception de cette lettre. En sept ans, beaucoup d'Ă©vĂšnements pouvaient avoir lieu. Chaque matin, je me ruais vers la boite aux lettres, le cÂur battant avec une lueur d'espoir incontestable et chaque matin, je me faisais rattraper par la dĂ©ception. Rien, il n'y avait rien qui puisse me permettre de terminer ma bonne action commencĂ©e cinq semaines auparavant, celle de reconstituer le passĂ©. J'avais dĂ©laissĂ© mon idĂ©e journaliĂšre et je me concentrais sur une unique action qui me permettrait peut-ĂȘtre un jour d'affirmer avoir laissĂ© une trace dans ce monde. Ayant compris que je n'aurais aucune rĂ©ponse par voie postale, je me dis que je pourrais en parler Ă mes parents. C'est ce que je fis et je dois avouer qu'il n'y avait rien de jubilatoire Ă l'expression de leurs visages quand je leur fis part de mes exploits. J'eus une longue discussion avec ceux-ci aprĂšs laquelle je perdis tout espoir de reconstituer un jour la passerelle entre mon frĂšre fantĂŽme et moi. C'Ă©tait tout et je devais m'avouer que j'avais Ă©chouĂ©. L'espoir nous sert de guide tout au long de notre vie. Mais d'espoir je n'en avais plus. _ Un jour, environ un an par aprĂšs, je voulus reprendre mes bonnes actions journaliĂšres afin de peut-ĂȘtre avoir l'occasion de continuer ce que j'avais commencĂ©. Je me rappelais que je voulais faire face au destin et avec un peu de chance, j'avais la possibilitĂ© d'y arriver. Je me contenterais de faire une bonne action par jour et on verrait bien ce que l'avenir nous rĂ©serverait. La premiĂšre chose qui me vint Ă l'esprit pour agir bien fut d'aller acheter le pain. Je discutai un peu du beau temps avec le nouvel apprenti boulanger, Franck, un garçon de vingt ans. J'achetai deux baguettes, je donnai un billet de cinq euros en voulant lui laisser un pourboire pour sa sympathie mais il insista pour me rendre la monnaie. Et c'est lĂ que je la vis sur son pouce, cette tache de beautĂ© qui m'Ă©tait si familiĂšre. J'Ă©tais en face de celui que je n'avais plus espoir de rencontrer un jour. Nouvelle 136 _ Section W â Il te faudra beaucoup de temps pour comprendre l'absurditĂ© de cette situation. » Lorsque mon collĂšgue Pierre m'avait dit ces mots il y a quelques mois, alors que nous venions de prendre le cafĂ© dans le hall de notre entreprise, je l'avais d'abord regardĂ© fixement sans saisir leur signification. Qu'est-ce qui Ă©tait absurde ? D'avoir Ă payer de ma poche pour travailler chez Gesime ? Rien de plus normal. Depuis cinq ans que j'occupais mon poste dans cette SociĂ©tĂ© de prestation, je ne m'Ă©tais jamais posĂ© la question de la rĂ©munĂ©ration il n'y avait pas de salaire, il n'y en a jamais eu. Et si chaque mois j'ai dĂ» verser une cotisation, garantissant le prolongement de mon contrat, je ne m'en suis jamais plaint. Je payais toujours en temps et en heure, parce que j'avais pu mettre de l'argent de cĂŽtĂ© une banque m'avait accordĂ© un prĂȘt avantageux. Et pour Ă©viter le cauchemar du chĂŽmage, tous les coups Ă©taient permis. _ J'avais soupçonnĂ© Pierre de travailler la nuit dans un bar pour financer sa place. N'ayant d'autre guide que son caractĂšre mallĂ©able, il arrivait le matin mal rasĂ©, le visage fatiguĂ©. Ce laisser-aller lui aura coĂ»tĂ© cher privĂ© de dĂ©jeuner pendant six mois, et sans recevoir aucun soutien de personne, on lui avait imposĂ© chaque matin un entraĂźnement intensif de musculation. C'Ă©tait aprĂšs tout la meilleure mĂ©thode pour redynamiser l'Ă©quipe. Rien n'Ă©tait jubilatoire comme se sentir mĂȘlĂ© Ă un grand mouvement collectif. _ Le mois dernier j'avais pu obtenir un rendez-vous avec mon employeur Gilles Boichaux, pour lui montrer ma contribution Ă l'extension de la Section W. Il Ă©tait tout Ă fait normal de vanter sa place au sein d'une SociĂ©tĂ© si prestigieuse, et d'agir comme il le fallait pour se faire bien voir ; mais aussi nous n'avions pas le choix. Les heures supplĂ©mentaires Ă©taient logiquement obligatoires, correspondant Ă la moitiĂ© du travail total de chaque salariĂ©. Ceux qui ne les respectaient pas prenaient des avertissements. Un systĂšme de sanctions Ă©tait mis en place au bout du troisiĂšme avertissement. Des instruments de torture auraient Ă©tĂ© disposĂ©s dans une salle de rĂ©union tout le monde en parlait, mais personne n'avait jamais pu recueillir Ă ce propos de tĂ©moignage valable. Il Ă©tait inutile de perdre son temps en palabres nous n'avions que le temps de nous perdre, dans les sĂ©quences chaotiques d'une Loi implacable. _ C'Ă©tait aussi dans un continuel esprit de dĂ©lation que nous travaillions chez Gesime. Chaque employĂ© se devait de surveiller son voisin c'Ă©tait convenu explicitement avec la direction. Le matin au moment de pointer les heures, les salariĂ©s devaient remplir un formulaire concernant le travail des autres il s'agissait lĂ de nommer les erreurs de ceux dont on voulait se dĂ©barrasser, pour cause de rivalitĂ© professionnelle  ce qui illustre les exigences d'une forte concurrence nationale. La quantitĂ© de preuves, vĂ©rifiĂ©es ou non, sur l'incompĂ©tence supposĂ©e de collĂšgues de travail, Ă©tait proportionnellement liĂ©e Ă l'augmentation de responsabilitĂ©s au sein de Gesime cela donnait la possibilitĂ© de travailler plus que les autres en accĂ©dant Ă un statut privilĂ©giĂ©, Ă l'abri de toute mauvaise contrainte. _ La semaine derniĂšre j'ai rĂ©alisĂ© mon plus gros coup ayant repĂ©rĂ© un salariĂ© de la branche W32, dans le service Technique et Maintenance, qui s'est mis Ă falsifier les chiffres du projet W. pour des raisons occultes sans doute afin de se dĂ©gager d'une grande masse de travail, j'ai eu l'autorisation de commanditer son meurtre. La Section W., sous mes instructions, s'en est dĂ©barrassĂ©e d'une maniĂšre discrĂšte, sans que le corps ne nous pose de rĂ©els problĂšmes. Mais une fuite a eu lieu le mobile de cette liquidation a Ă©tĂ© dĂ©couvert, et des services spĂ©ciaux ont trouvĂ© contre moi des preuves solides j'ai dĂ» faire une erreur quelque part, mais oĂč ?. A cette heure-ci, dans ma cellule de prison, et Ă la veille de mon exĂ©cution sans appel depuis les dĂ©bordements terroristes de la fin du XXIĂšme siĂšcle, la peine de mort a Ă©tĂ© rĂ©tablie, je commence seulement de comprendre les mots de Pierre derriĂšre la couverture d'une entreprise respectable ne se cache-t-il pas une sombre organisation politique ? _ Aussi, l'essentiel n'Ă©tait-il pas de faire son travail le plus dignement possible, quitte Ă troquer de soi une part de libertĂ© contre une part de reconnaissance ? Nul n'a compris comme moi l'inconscience dont font preuve ceux qui confondent Travail et Devoir  deux notions entre lesquelles il ne peut exister aucune passerelle. C'est volontairement que j'ai aliĂ©nĂ© ma libertĂ© lorsque des forces impĂ©rieuses, des forces sans nom sont en jeu, ne faut-il pas adopter un comportement inflexible, et se vouer corps et Ăąme Ă la cause qui est la nĂŽtre ? Je le pense encore aujourd'hui, mĂȘme si cette question dans son ensemble ne se pose plus. Je suis maintenant prĂȘt Ă entrer dans la nuit la plus noire, nuit vĂ©nitienne si l'on veut, peut-ĂȘtre Ă©clairĂ©e par quelques lueurs d'espoirs. Je ne regrette rien de ce que j'ai pu faire. Nouvelle 137 _ L'appel Yuriken le savait c'Ă©tait maintenant ou jamais. Troquant la chaleur du sol sous ses pieds nus contre ses mocassins beiges, le jeune indien se dirigea jusqu'Ă la tente oĂč il devait ĂȘtre dĂ©clarĂ© apte Ă suivre son chemin, apte Ă devenir adulte, en quelques mots, apte Ă rĂ©pondre Ă l'Appel. Fermant les yeux, Yuriken respira profondĂ©ment. Franchir cette passerelle entre l'enfance et l'Ăąge adulte, il en avait rĂȘvĂ©. C'Ă©tait comme atteindre une Ă©toile longtemps dĂ©sirĂ©e. Ce qu'il ignorait, par contre, c'Ă©tait la nature de la tĂąche qui l'attendait. Devenir adulte n'est pas simple, n'est-ce pas ? Tout le monde en conviendra. Par consĂ©quent, il fallait d'abord qu'il fasse ses preuves et c'est avec dĂ©termination qu'il pĂ©nĂ©tra sous la tente, oĂč l'attendait le conseil des Sages. Mattari, Denki, Teran Ils Ă©taient tous lĂ , le dĂ©visageant sans vergogne, prĂȘts Ă juger le moindre battement de ses cils, le plus petit tressautement de ses lĂšvres. Ils pouvaient toujours chercher, Yuriken ne faillirait pas, il en Ă©tait persuadĂ©. _ C'est pourquoi, mĂȘme la mention de ce qui l'attendait ne le fit pas sursauter. Dompter un troupeau de chevaux sauvages, c'Ă©tait Ă la portĂ©e de n'importe qui ! MĂȘme l'enfant le plus maigrelet du village en Ă©tait capable ! Et ce, mĂȘme alors qu'il s'agissait du troupeau convoitĂ© par la tribu ennemie, mĂȘme lorsque celle-ci Ă©tait susceptible de vous cribler de flĂšches au moindre mouvement. Un jeu d'enfant ! Alors qu'il n'Ă©tait plus un enfant. Il allait le leur prouver ! Et son acte illustrerait son courage ! Oui, ce serait jubilatoire de voir la rage dĂ©former les traits de la tribu Ă laquelle il chiperait le troupeau, juste sous leurs nez, chevauchant l'Ă©talon le plus sauvage et le plus indomptable qui soit. Et son nom entrerait alors dans la LĂ©gende. _ Trois jours. Il avait trois jours pour rĂ©ussir. C'est tout ce que les Anciens consentirent Ă lui dire en le laissant seul face Ă la plaine aride. Devant lui, le troupeau. DerriĂšre lui, la honte. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas se retourner pour vĂ©rifier qu'il Ă©tait seul, ç'aurait Ă©tĂ© digne d'un coyote recherchant la protection de sa mĂšre. Alors il se mit en marche, sans guide, conscient des risques tout autant qu'impatient d'y faire face. La seule pensĂ©e qui s'imposa Ă son esprit, lorsqu'il ne fut plus qu'Ă quelques pas de la harde rĂ©sida en celle-ci agir. RĂ©flĂ©chir semblait hors de propos. Est-ce qu'elle avait rĂ©flĂ©chit, elle, avant de se jeter sur l'Ă©talon, juste sous son nez Ă lui ? Apparemment non ! Et Yuriken n'eut que le temps de se catapulter en arriĂšre pour ne pas se faire piĂ©tiner par les sabots du troupeau tout entier qui, Ă la poursuite de son chef, s'Ă©loignait dĂ©jĂ au grand galop. _ Une enfant. C'Ă©tait une enfant qu'il avait sous les yeux ! Un Ă deux ans plus jeune que lui autant dire qu'elle n'Ă©tait qu'une petite fille ! Et c'est cette gamine que la tribu rivale avait envoyĂ© rĂ©pondre Ă l'Appel ? Le mĂȘme Appel que le sien ? DĂ©cidemment, ils Ă©taient fous ! Des aliĂ©nĂ©s ! Des forcenĂ©s ! Il n'y avait qu'Ă voir la maniĂšre dont elle avait lamentablement Ă©chouĂ© et roulĂ© dans la poussiĂšre pour s'en rendre compte. _ â Cesse de me regarder et aide-moi ! _ Une enfant autoritaire qui plus est. Pourtant, une fois sur pieds et non plus Ă©talĂ©e par terre, Yuriken fut bien forcĂ© d'admettre qu'elle Ă©tait jolie. Oui, une jolie enfant. Mais une enfant tout de mĂȘme ! Et une enfant n'avait rien Ă faire lĂ ! Mais le jeune indien eut beau tempĂȘter, charmer ou ordonner, Lamia, puisque tel Ă©tait son nom, ne voulut rien entendre. Elle lui reprocha mĂȘme de se perdre en vaines palabres alors qu'ils avaient tous deux bien mieux Ă faire ! _ Et c'est ainsi que dĂ©buta leur Ă©trange collaboration. MĂȘlant les savoirs de l'un aux idĂ©es de l'autre, ils convinrent qu'il leur fallait toujours rester mobiles et alertes s'ils voulaient rĂ©ussir Ă quelque chose. Et qu'il leur fallait agir. Ensemble. Il est curieux que deux personnalitĂ©s aussi opposĂ©es aient pu rĂ©ussir Ă s'entendre. Et pourtant. Se relayant durant deux jours, ils remarquĂšrent tous deux que la mĂȘme sĂ©quence se reproduisait chaque soir l'Ă©talon s'Ă©loignait, explorant les alentours pour Ă©carter tout danger. Il se trouvait alors seul et, comme chacun le sait quiconque est seul est, de fait, plus vulnĂ©rable. _ Le soir suivant, ils le suivirent donc, admirant discrĂštement les reflets que le soleil couchant faisait miroiter sur la robe couleur cafĂ© du bel Ă©talon, la parant de chatoiements dorĂ©s captivants. Le bruit des sabots claquant sur le sol, la duretĂ© apparente des muscles jouant sous les poils soyeux, la fiertĂ© qui se dĂ©gageait de l'animal conscient de protĂ©ger sa famille Non. Aucun des deux indiens n'Ă©taient capable de briser toutes ces qualitĂ©s. Peut-ĂȘtre n'Ă©taient-ils encore que deux enfants aprĂšs tout Deux enfants conscients qu'ils auraient besoin du soutien l'un de l'autre pour survivre Ă l'humiliation de rentrer sans la harde promise. Deux enfants prĂȘts Ă tout pour sauver l'innocence et la libertĂ© d'un animal qui les avait vaincu, sans rien accomplir d'autre qu'en leur prouvant son amour des siens. _ Ils avaient donc fait fuir le troupeau. Et lorsque, le soir suivant, les deux tribus s'Ă©taient approchĂ©es pour les fĂ©liciter, ils n'avaient trouvĂ© sur place que deux enfants muets, incapables de dire ce qui les avait poussĂ© Ă Ă©chouer. Dans leurs yeux brillaient pourtant la flamme d'un devoir accompli. _ Vous le savez n'est-ce pas ? Les adultes sont mallĂ©ables Et la seule vue du sourire d'un enfant fier d'une action qu'il sait juste suffit souvent Ă endiguer les reproches. D'autant plus lorsqu'ils sont deux. D'autant plus lorsque ces deux enfants ont rĂ©ussit leur Appel bien plus brillamment qu'aucun autre avant eux. _ Parvenir Ă rĂ©unir deux peuples ennemis tout en prĂ©servant la libertĂ© d'une vie Ă©tait bien digne dÂun adulte. Oui, aprĂšs tout, y avait-t-il plus belle façon de grandir ? Nouvelle 138 _ Les mille et une nuits d'un Afghan J'ai Ă©tĂ© trimballĂ© comme un paquet, troquĂ© contre de l'argent, persĂ©cutĂ©, poursuivi. J'ai traversĂ© l'Asie Centrale, empruntĂ© la route de la soie sans en voir les trĂ©sors. Mon errance Ă©tait obscure, mĂȘlĂ©e d'espoir et de dĂ©couragement au grĂ© des rencontres et des kilomĂštres parcourus. _ Maintenant je suis en France. J'ai demandĂ© l'asile politique au pays des droits de l'Homme. J'ai souhaitĂ© l'utopie, j'ai cru qu'une autre vie paisible, dĂ©nuĂ©e de violence et bercĂ©e d'illusions, se profilait avec en toile de fond la tour Eiffel. _ Personne ne veut croire Ă mon histoire pourtant. Les entretiens avec les policiers furent vains et pĂ©nibles, palabres interminables dans lesquelles je fais face Ă des individus pour qui je ne suis personne, on m'a ĂŽtĂ© d'un seul coup de baguette identitĂ© et souvenirs on nuance mes propos, on fait des grands drames de ma vie des sornettes d'adolescent capricieux, comme s'ils Ă©taient mallĂ©ables. Je n'avais pas faim avant, je n'avais mĂȘme pas soif d'argent. Je suis venu chercher une libertĂ©, un soutien qui aujourd'hui semble me donner le seul droit de raconter des histoires, toujours les mĂȘmes, comme s'il s'agissait d'un conte des mille et une nuits, avant d'ĂȘtre expulsĂ© Ă nouveau vers ce qui fut un enfer. Je suis SchĂ©hĂ©razade au pays du vin rouge. Un pachtoune mangeur de grenouilles ? Maintenant j'ai faim et ce que je conte n'a pas d'Ă©cho dans l'oreille de ceux qui m'Ă©coutent. Je mendie du cafĂ© et des sourires dans les centres sociaux, en compagnie d'une cinquantaine d'autres afghans nous sommes venus en Ă©claireurs, nos Ă©pouses nous rejoindront ensuite. Les seules femmes isolĂ©es qui sont prĂ©sentes avec nous ont perdu leur guide, leur mari, une famille. _ J'Ă©tais avocat et je me retrouve aujourd'hui de l'autre cĂŽtĂ© du barreau, Ă dĂ©fendre une cause qui cette fois est la mienne, je jongle avec la loi et seule triomphe ma maladresse dans un théùtre dont je ne connais ni les usages ni les metteurs en scĂšne, dans lequel j'ai peine Ă comprendre la langue du public. _ Quand on m'a refusĂ© le droit d'asile j'ai fait appel bien sĂ»r. J'Ă©tais logĂ© dans un foyer oĂč des bĂ©nĂ©voles accompagnaient les rĂ©fugiĂ©s discussions autour d'un thĂ©, d'un petit-dĂ©jeuner, je pouvais raconter mon parcours et tenter de l'illustrer avec des mots qui rĂ©sonnaient dans les mÂurs des français. Ensemble, au cÂur de sĂ©ances d'aide au rĂ©cit, nous avons pu reformuler en une suite de sĂ©quences les bribes d'un passĂ© que je voulais oublier et qui pourtant constituait une passerelle fragile vers une vie meilleure. Je n'avais plus que ça des lĂ©gendes Ă raconter pour essayer de sauver ma peau. EnivrĂ© par mes propres rĂ©miniscences, aliĂ©nĂ© par les souffrances qu'elles provoquaient, j'Ă©tais bouffĂ© par l'attente. L'administration donne une seconde chance Ă ceux dont l'histoire est singuliĂšre, unique. Prouver que ma vie est unique Combien sommes-nous dans ce cas-lĂ , Ă©chouĂ©s du conflit qui ravage l'Afghanistan ? _ Etre mobile, apprendre le français, braver l'administration, lutter pour survivre sont des choses sur lesquelles on peut agir. Mais comment rendre mes souvenirs plus attractifs Ă la libertĂ© ? Qui peut dire si j'ai le droit de sĂ©journer ici pour rester en vie ? _ Le juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention dĂ©cide si, aprĂšs un sĂ©jour en centre de rĂ©tention administratif situĂ© prĂšs de Roissy, je vais pouvoir rester ici, isolĂ© de tout mais libre, ou si je vais retourner dans un pays qui ne veut plus de moi pour de sombres raisons politiques, idĂ©ologiques IdĂ©ologie ?! Des Ăąmes perdues vagabondent dans un pays Ă©tranger Ă la recherche d'une seconde chance, qui si elle survient, sera aussi jubilatoire qu'injuste pour les Ăąmes restĂ©es en peine. On me dit que mon rĂ©cit me donnera un titre de sĂ©jour. Mais comment le raconter ? _ Je possĂšde dĂ©sormais une autorisation provisoire en attendant que mon recours soit traitĂ©. Les centres d'hĂ©bergement sont saturĂ©s et la neige tombe Ă gros flocons sur Paris. Je vis dehors, toujours dans le mĂȘme quartier prĂšs de la gare de l'Est, de peur de ne plus savoir me repĂ©rer dans cette errance. Alors que les jours s'amenuisent, la lumiĂšre n'est plus qu'un interstice entre deux nuits angoissantes auxquelles s'ajoute un souffle glacial l'hiver. J'ai fui la peur de mourir pour une guerre mais la peur m'a pourchassĂ© comme un soldat et grandit doucement en moi avec la tombĂ©e du jour, s'ajuste Ă mes tremblements pour ne plus me quitter jusqu'au petit matin. La guerre s'est transformĂ©e en une lutte personnelle pour ne pas succomber au froid. J'ai changĂ© de pays sans me dĂ©barrasser de la crainte insoutenable de mourir. _ C'est en m'Ă©garant dans ce sombre dĂ©sespoir que c'est arrivĂ©. J'ai commencĂ© Ă chercher Ă tout prix un moyen d'Ă©chapper pour la deuxiĂšme fois Ă la mort, persuadĂ© qu'elle viendrait avec les premiĂšres lueurs du jour suivant. Pour me sauver du froid, il me fallait trouver un refuge en attendant que la dĂ©cision soit prise quant Ă ma demande de sĂ©jour. Les foyers Ă©taient bondĂ©s et je pensais alors aux alternatives la prison, l'hĂŽpital, ou le centre de rĂ©tention. Ce dernier Ă©tait bien trop proche des avions en partance pour Kaboul pour que je me risque Ă y entrer de mon plein grĂ©, la prison trop dangereuse je ne pouvais me rĂ©soudre Ă me faire du tort. Je dĂ©cidai donc de demander Ă quelqu'un d'autre de m'en faire, ce qui en plus de susciter la pitiĂ© des personnes en charge de mon dossier peut-ĂȘtre, me vaudrait un sĂ©jour de quelques jours dans une chambre d'hĂŽpital. Je demandai alors Ă un rĂ©fugiĂ© haĂŻtien de me battre, ce qu'il prit comme une aubaine de dĂ©charger sur moi sa haine et son chagrin. Il me brisa trois cĂŽtes et me broya le poignet j'Ă©chappai ainsi Ă la mort et m'accordai un sursis jusqu'Ă la prochaine fois qu'elle viendrait me hanter. Nouvelle 139 _ pARTaCHUTE GrĂące Ă l'interaction entre l'Âuvre et les visiteurs, l'artiste a voulu dĂ©montrer dans cette installation le caractĂšre mallĂ©able de tout corps soumis Ă une chute libre. Nous sommes rĂ©ellement ici au cÂur d'un art vivant ». Les mots Ă©taient clairs et distincts, prononcĂ©s sur un ton jubilatoire. _ Elle avait rĂ©pondu Ă un appel lancĂ© sur le site internet de sa commune Guide-confĂ©rencier cherche groupe d'une quinzaine de personnes pour tester un nouveau circuit dans le musĂ©e. S'adresser au service culturel de la mairie pour plus d'informations ». PassionnĂ©e depuis toujours par l'histoire de l'art, et notamment par l'art contemporain, grande consommatrice d'expositions et d'Ă©vĂ©nements culturels, elle avait immĂ©diatement rĂ©pondu. Le musĂ©e, elle le connaissait presque par cÂur, elle l'avait visitĂ© Ă de trĂšs nombreuses reprises et ne manquait jamais une exposition. Elle Ă©tait donc bien curieuse de voir quelle nouvelle approche ce guide pouvait en avoir. _ Le rendez-vous avait Ă©tĂ© fixĂ© ce samedi Ă 15h devant le cafĂ© du musĂ©e. Impatiente, elle Ă©tait arrivĂ©e la premiĂšre, une vingtaine de minutes en avance. Le guide avait suivi de peu, et ils avaient pu ainsi discuter Ă loisir en attendant le reste du groupe. Enfin, il avait essentiellement parlĂ© de lui, s'engageant dans un monologue qu'il avait dĂ©jĂ dĂ» Ă©prouver ailleurs. Il s'Ă©tait installĂ© rĂ©cemment sur la commune et connaissait encore mal la rĂ©gion, mais Ă©tait dĂ©jĂ venu Ă plusieurs reprises dans ce musĂ©e dont il apprĂ©ciait l'aspect Ă©clectique des collections. Son itinĂ©raire personnel Ă©tait un peu atypique puisqu'il avait troquĂ© son ancienne vie de boucher-charcutier  il avait dĂ» reprendre Ă contrecÂur la boutique de son pĂšre jusqu'au dĂ©cĂšs de ce dernier  contre sa passion pour les Âuvres d'art. Le mĂ©tier de guide Ă©tait en effet une vĂ©ritable vocation. Il lisait Ă©normĂ©ment sur le sujet, et s'enflammait dĂšs qu'il commençait Ă parler peintures, sculptures ou art contemporain ; il pouvait monopoliser la parole pendant des heures si quelqu'un le lançait sur le sujet. En rĂ©alitĂ©, derriĂšre cette passion dĂ©vorante se cachait surtout une forte curiositĂ© pour les petites histoires propres Ă chaque Âuvre. Il Ă©tait intarissable sur leur rĂ©alisation et sur ce qui Ă©tait en jeu en chacune d'elles les secrets de l'artiste, des amours interdites dĂ©voilĂ©es par des dĂ©tails apparemment insignifiants, un ego souvent surdimensionnĂ© dont on pouvait repĂ©rer quelques signes⊠En proposant un nouveau circuit dans le musĂ©e, il souhaitait donc faire dĂ©couvrir Ă ses auditeurs une nouvelle approche des collections, leur offrir un autre regard. Il avait reçu le soutien du conservateur pour cette premiĂšre insolite et ensemble ils avaient conçu le circuit de la visite. _ Quand le groupe fut enfin au complet  quelques personnes ĂągĂ©es, une famille avec trois enfants, deux couples et quelques cĂ©libataires comme elle, pour l'essentiel des habituĂ©s du musĂ©e  le guide dĂ©marra la visite. AprĂšs une courte d'introduction oĂč il se prĂ©senta  elle eut l'impression d'avoir appuyĂ© sur une touche repeat » virtuelle Â, il se dirigea d'un pas assurĂ© vers le tableau d'un maĂźtre italien du XVIIIe siĂšcle, et commença Ă raconter par le menu dĂ©tail les enjeux de la rĂ©alisation d'une telle Âuvre, illustrant ses propos de multiples anecdotes, sur un ton enflammĂ© ; le cadre Ă©tait plantĂ©. Salle aprĂšs salle, Âuvre aprĂšs Âuvre, il agissait de la mĂȘme maniĂšre, mĂȘlant dĂ©tails techniques, historiques, et bien Ă©videmment vie privĂ©e et potins⊠_ ArrivĂ©s devant un mobile  l'un des chefs-d'Âuvre du musĂ©e  dans la salle dĂ©diĂ©e Ă l'art contemporain, il raconta comment ce type d'objet Ă©tait trĂšs souvent utilisĂ© dans les asiles pour aliĂ©nĂ©s pour calmer des crises de personnalitĂ© trop fortes, et comment lui-mĂȘme avait ainsi su se maĂźtriser dans des situations dĂ©licates. Une courte sĂ©quence vidĂ©o prĂ©sentĂ©e Ă l'opposĂ© de la salle donnait un aperçu de ce Ă quoi pouvait ressembler un tel atelier en hĂŽpital psychiatrique. _ Elle Ă©tait captivĂ©e, fascinĂ©e par ce qu'elle entendait. Jamais plus elle ne regarderait les Âuvres de la mĂȘme façon. Elle qui avait appris l'histoire de l'art de maniĂšre trĂšs acadĂ©mique, selon des Ă©coles et des dates, venait d'entrouvrir la porte d'une histoire vivante, dĂ©voilant l'intimitĂ© des Âuvres et des artistes. ObnubilĂ©e par les palabres du guide, presque hypnotisĂ©e par tout ce qu'elle entendait, elle ne vit pas la passerelle derriĂšre elle et recula droit dans le vide. Avant de s'Ă©craser sur le sol dix mĂštres plus bas, elle eut le temps d'entendre le guide vanter, d'un ton jubilatoire, les performances des artistes contemporains, et notamment de ce dernier dont le musĂ©e venait d'acquĂ©rir l'installation et qui permettait, grĂące Ă l'implication de quelques visiteurs passionnĂ©s, d'apprĂ©cier en direct le caractĂšre mallĂ©able des corps soumis Ă une chute. A sa maniĂšre, et grĂące Ă son guide, elle venait de rentrer dans l'histoire de l'art. Nouvelle 140 _ La terreur de l'ennui Il s'assit Ă la terrasse d'un cafĂ©. En avance. Il avait horreur de ça. Il fallait attendre. Il commanda une biĂšre. N'ayant mĂȘme pas un bouquin avec lui, il se mit Ă Ă©plucher les palabres servies par les clients stupides qui l'entouraient. HĂ© dis, t'as vu la sĂ©quence oĂč il la surprend sur la passerelle ? » ; Ouais, ouais, trop bonne. Et on voit trop ses gros seins qui bougent⊠Je la kiffe grave. » ; J'en reviens pas⊠comment veux-tu que je te rĂ©ponde alors que j'ai pas vu ton appel ?! Non, je te dis que j'avais pas mon mobile ! ⊠Ah ça, t'es d'un grand soutien, tu parles ! C'est vraiment bien d'ĂȘtre ensemble si c'est pour se retrouver seul chaque fois que j'ai besoin de toi⊠» _ Banal, dĂ©primant. Il exĂ©crait ces lieux oĂč venait se cĂŽtoyer la lie de l'humanitĂ©. Il prĂ©fĂ©rait encore frĂ©quenter les PMU. Ăa parle jeux, ça parle chevaux, ça ne parle pas du quotidien aliĂ©nant et surfait. Et il y a un aspect assez jubilatoire Ă voir les joueurs gagner, puis perdre, et perdre encore. Les flammes dans leurs yeux dĂ©faits, leurs visages marquĂ©s par le stress, comme s'ils mettaient leur vie dans la balance. Ce qu'ils font presque toujours, aliĂ©nĂ©s par leur passion. S'en remettre au sort⊠ce qu'il allait faire. _ â Salut ! _ â Ah, salut. _ â Dis-donc, incroyable que tu sois lĂ Ă l'heure , ! _ â M'en parle pas, je supporte pas. _ â Bon, t'es prĂȘt ? _ â Ouais, plus que jamais. _ â Bon, c'est moi qui te guide alors ? _ â Ouais, tu seras ma guide⊠enfin, au dĂ©but. _ â Ne va pas commencer à ⊠_ â HĂ© ! DĂ©tends-toi, je plaisante. _ â Mouais, je prĂ©fĂšre. Bon, on y va alors ? _ â Attends deux secondes que je finisse mon verre quand mĂȘme. _ â Ăa marche. _ Il finit son verre d'un trait, et remit son manteau prestement. Ils se mirent en route, tournĂšrent Ă trois ou quatre reprises pour se retrouver devant un grand immeuble de style victorien. De couleur sombre, le lieu paraissait lugubre, surtout par ce temps pluvieux de novembre. Il frissonna. _ â Aller, il est temps d'agir. Tu me laisses entrer et faire les prĂ©sentations. Ensuite je te ferais la visite et on se mĂȘlera Ă l'assemblĂ©e. Ăa te va ? _ â C'est toi la chef, je te suis. _ â J'aime quand tu es mallĂ©able comme cela. _ â N'en fais pas trop non plus. _ L'ascenseur Ă©tait Ă©videmment en panne et ils durent gravir les quatre Ă©tages qui les sĂ©paraient de leur destination. Plus il s'avançait, et moins son pas Ă©tait assurĂ©. Qu'est-ce qu'il lui avait pris d'accepter ? Mais au fond il le savait. Il avait besoin de vie, d'intensitĂ© dans ce monde d'habitudes oĂč plus rien ne le faisait bander. BlasĂ©. Trente-et-un balais et blasĂ©. Il avait besoin de goĂ»ter Ă autre chose. N'empĂȘche, avait-il besoin de se livrer à ça ? Il n'alla pas plus loin dans ses rĂ©flexions quatriĂšme Ă©tage. Son cÂur s'emballa un peu plus. _ Un homme d'une cinquantaine d'annĂ©es leur ouvrit. C'est vrai qu'il Ă©tait dans la haute, les majordomes existaient donc toujours. Il les dĂ©fit de leurs lourds manteaux et les invita Ă s'avancer dans une piĂšce uniquement Ă©clairĂ©e par trois imposants chandeliers. Ils projetaient des ombres sur d'immenses tableaux de maĂźtre qui tenaient plus du Munsch que du Picasso. Tout cela avait un parfum de mauvais film d'horreur. Il se laissait complĂštement absorber par les Ă©vĂšnements. Ils traversĂšrent la piĂšce dĂ©serte, pour arriver dans une autre oĂč l'Ă©clairage Ă©tait cette fois d'une incroyable violence. Des bruits de voix s'Ă©levaient, ainsi que d'autres, plus tĂ©nus, comme des gĂ©missements contenus. _ Quand ils pĂ©nĂ©trĂšrent enfin, il aurait voulu troquer sa place contre n'importe quelle autre, simplement pour ĂȘtre ailleurs. Il lui sembla qu'on lui parlait, mais il n'entendait plus. Trop⊠absorbĂ©, trop choquĂ© par l'image. Les images. Il y Ă©tait. Devant ce qu'il ne croyait exister que dans les fantasmes pervers d'un cinglĂ©. Franchir ou s'enfuir ? _ Devant lui s'illustraient trois hommes et une femme. Grands, forts. Bien trop grands, bien trop forts pour les petits ĂȘtres attachĂ©s, bĂąillonnĂ©s, qui tentaient de se dĂ©battre pour Ă©chapper Ă leur condition. Comment avait-il pu ? Il jeta un regard Ă la femme qui l'accompagnait. Cette femme qui avait tout fait basculer. Cette femme, d'une beautĂ© souveraine lui apparaissait soudain comme la crĂ©ature la plus abjecte qu'il avait pu rencontrer. La main de la femme alla Ă son bouton de pantalon, puis sa braguette. Il ne savait plus bouger, ne savait plus parler. Puis, nu, il s'avança Ă son tour⊠Nouvelle 141 _ Les arbres ne font rien d'autre que vivre et mourir Un appel en absence. Je sors petit Ă petit de mon sommeil et fixe l'Ă©cran de mon tĂ©lĂ©phone en attendant que mes yeux se rĂ©veillent Ă leur tour. C'est Ashantee qui a voulu me joindre, Ă 4h29. VoilĂ qui illustre bien comme elle a changĂ©. Il y a deux ans je lui offrais sa premiĂšre cuite et ses premiers joints. Peut-ĂȘtre un peu trop jeune Ă l'Ă©poque, l'esprit bien mallĂ©able, elle m'a suivi sur toute la ligne, dans toute ma connerie. Aujourd'hui elle est totalement dĂ©foncĂ©e toutes les nuits, quand je dors pour rĂ©ussir Ă me lever au matin et gagner honnĂȘtement ma vie la journĂ©e. Ăa fait maintenant un an que nous ne sommes plus ensemble. _ Le cafĂ© coule dans mon verre, goutte Ă goutte, il me laisse le temps. Assis Ă regarder la neige qui tombe Ă la fenĂȘtre, je me repasse en boucle la derniĂšre sĂ©quence de mon rĂȘve interrompu par le rĂ©veil, toujours le mĂȘme  le rĂȘve, et puis aussi le rĂ©veil d'ailleurs, toujours triste et difficile. Finie l'Ă©poque des rĂ©veils jubilatoires oĂč le bonheur m'attendait sur la petite table basse Ă deux pas de mon lit. Toutes les drogues du monde s'y relayaient et, dĂšs le matin, un vide exaltant emplissait mes journĂ©es. Fini tout ça, j'ai troquĂ© cette vie dĂ©pravĂ©e contre celle que j'ai maintenant, sans intĂ©rĂȘt, un vide qui ne remplit rien. Alors je me permets tout de mĂȘme une petite larme de cognac dans mon cafĂ©, pour me donner du courage, et puis je poursuis mon rĂȘve Ă©veillĂ© tout en me brĂ»lant la langue Ă la premiĂšre gorgĂ©e. _ Il y a cette fille  mais qu'est-ce qu'elle Ă©tait belle !  qui m'Ă©coute. Je m'empĂȘtre comme d'habitude Ă propos d'un sujet futile, des palabres que j'essaye d'ordinaire de mener silencieusement lĂ -haut dans ma tĂȘte, avec moi-mĂȘme. Je lui Ă©tale la lutte du bien contre le mal, de l'ĂȘtre sain contre le grand malade. Je m'arrĂȘte de temps Ă autre pour reprendre mon souffle et tirer sur mon joint avant qu'il ne s'Ă©teigne. Mon briquet est mort. Un petit briquet rouge ornĂ© de spirales jaunes et vertes qui a Ă©tĂ© lancĂ© par terre. Le petit ange et le petit dĂ©mon s'entendent parfois trĂšs bien chez moi  c'est ce que j'essaye d'expliquer Ă cette fille  je crois pourtant que malgrĂ© la volontĂ© de l'ange, la force du mal est parfois invincible. Il me faut juste un soutien pour m'en sortir. Pas un soutien comme Ashantee, elle qui plonge inconsciemment dans tous les vices, mais un soutien comme elle  qu'est-ce qu'elle Ă©tait belle⊠Je croyais que le courant passait bien entre nous mais, quand je relĂšve la tĂȘte, je vois ses yeux humides et ses mains tremblantes. Quelqu'un rentre alors dans la piĂšce et crie mon nom. _ Je fais partie de ces gens qui peuvent rĂȘver Ă toute heure. MĂȘme si mon corps agit, mon esprit peut ĂȘtre trĂšs loin, sĂ»rement trop. Je rĂ©alise soudain que mon chef s'adresse Ă moi, il semble sĂ©rieusement remontĂ©. Yann ! Mets ton cerveau en marche, bordel ! Qu'est-ce que tu as foutu du bidon d'essence ?! » Je n'en sais rien, j'ai dĂ» l'oublier. Il n'est pas vraiment convaincu par ma rĂ©ponse et m'ordonne de retourner le chercher Ă l'entrepĂŽt. Mon boulot, c'est l'Ă©lagage. Tous les jours on s'attaque aux arbres Ă la tronçonneuse. On dĂ©truit ce qui est malade ou inutile. Aider les blessĂ©s Ă cicatriser plus vite, lutter contre le pourrissement⊠A dĂ©faut de savoir aider les gens, j'avais tentĂ©, et rĂ©ussit on ne sait trop comment, Ă me faire embaucher pour aider les arbres. Ăa m'aide Ă oublier, ça m'aide Ă vivre. _ Mais il y a des jours oĂč l'on n'a plus de volontĂ©. Aujourd'hui en est un. Je regarde les postillons voler de la bouche de mon patron qui s'Ă©gosille Ă me demander pourquoi je me comporte ainsi. Je n'Ă©coute pas, je me demande juste comment on peut vivre avec une telle moustache. M'imaginer cette sensation d'avoir en permanence des poils qui se coincent entre les lĂšvres me dĂ©goĂ»te. Apparemment je dois dĂ©cider quelque chose, alors je repose ma tronçonneuse vide de carburant dans le camion, lui dit de ne pas se mĂȘler de ce qui ne le regarde pas, puis lance un dernier au revoir » et commence Ă m'Ă©loigner. Ăa lui l'a coupĂ© sec Ă cette enflure. Je ne me retourne pas. Aujourd'hui est un mauvais jour. Je ne peux rien faire pour les arbres, ni pour moi ni pour personne. _ Je me dirige vers la riviĂšre et m'arrĂȘte au beau milieu d'une passerelle. AccoudĂ© Ă la barriĂšre, je regarde s'Ă©couler tout le malheur du monde dans cette eau grisĂątre oĂč flottent les sacs plastiques et quelques cannettes. Une pĂ©niche Ă touriste passe sous mes pieds. Au micro, le guide leur explique l'histoire du bĂątiment de la mairie qui vieillit sur la rive. Il y a des jours oĂč j'aimerais que quelqu'un choisisse pour moi ce qu'il faut regarder, ce qu'il faut faire. Au moins je ne me perdrais pas, et je ne perdrais pas les autres. Cette pauvre fille que mon influence a complĂštement aliĂ©nĂ©e⊠Je me dĂ©cide Ă la rappeler sur son mobile, Ashantee, et aussitĂŽt, alors que j'attends qu'elle dĂ©croche, je retombe dans ma rĂȘverie. _ Ashantee crie mon nom, et puis autre chose. Je me retourne et reprend conscience que derriĂšre moi il y a ce gars allongĂ©, et tout ce sang. Pourquoi a-t-elle fait ça dĂ©jĂ ? Et cette fille si belle Ă qui je parlais⊠Elle Ă©clate en sanglots. Elle aussi a bien entendu ce que disait Ashantee, elle a Ă©tĂ© le seul tĂ©moin de ce sinistre accident. Je m'en remets plein le nez pour avoir le courage, je prends l'opinel que me tend Ashantee, et puis plus rien. Juste des pleurs. _ J'en peux plus !, viens me voirâŠ, s'il te plaĂźt⊠» Mauvaise idĂ©e. Je laisse tomber mon tĂ©lĂ©phone dans la riviĂšre et regarde lĂ -bas la pĂ©niche qui s'Ă©loigne lentement, insouciante. J'espĂšre que mon patron voudra bien de moi pour aider les arbres demain. Nouvelle 142 _ La globalisation Une mouvance politique se prĂ©senta sous la forme d'un mouvement Ă©conomique dynamique. Son chef se fit appeler le Guide. Il prit ascendance sur des politiciens soit fleurs bleues ou incapables, souvent engluĂ©s dans leurs lobbies et leurs promesses Ă©lectorales impossibles Ă tenir ; cette Ă©quipe destitua ses adversaires intĂšgres. _ Pour asseoir son pouvoir, le Guide lança un appel _ â Agissons ensemble ! _ Il se garda bien de taire ses vĂ©ritables mobiles. _ Beaucoup crurent que le Guide leur offrait une passerelle vers la cĂ©lĂ©britĂ©. Ils donnĂšrent suite aux promesses illusoires du potentat, l'assurĂšrent de leur soutien. Mais ils virent trop tard que le Guide n'avait eu besoin de leur collaboration que pour arriver au pouvoir. AprĂšs de nombreux palabres, ils durent se rendre Ă l'Ă©vidence ils avaient Ă©tĂ© abusĂ©s. Leurs libertĂ©s politiques aliĂ©nĂ©es, ils ne reprĂ©sentaient qu'une masse mallĂ©able et corvĂ©able Ă souhait. _ Pour le Guide, cette nomination fut une victoire jubilatoire. _ EcrasĂ©e d'impĂŽts, la population se trouva au bord de la famine. Le pays s'approcha dangereusement de la ruine. _ Des voix s'Ă©levĂšrent. _ â MĂȘlez-vous de vos affaires, sinon⊠les menaça la police prĂ©sidentielle sans pitiĂ©. _ La dĂ©lation fleurissait. _ Les opposants illustrĂšrent, par des scĂšnes vĂ©cues, un journal. Cet album circulait, sous le manteau, parmi la population risquant gros en cas de dĂ©couverte de cet Ă©crit taxĂ© de licencieux, diffamatoire et nuisible Ă la patrie. Les opposants restĂšrent dans l'anonymat, mais pas dans l'inaction. Ils firent une vidĂ©o dont la sĂ©quence la plus dramatique Ă©tait celle de la vie d'un planteur de cafĂ©. On ne lui payait mĂȘme pas sa rĂ©colte. On la troquait, pour lui Ă perte, contre des semences, des plants, des engrais, des vivres alimentaires de base. Ce paysan et sa famille arrivaient Ă peine Ă subsister. Ils occupaient Ă©galement un orphelin, pauvre diable plus misĂ©reux qu'eux. Cet esclave travaillait plus longtemps, effectuait des travaux plus pĂ©nibles pour ne recevoir qu'une pitance honteuse ; souvent, il devait se contenter de ronger des racines. Ce qui lui permettait de survivre, c'Ă©taient les arbres assoiffĂ©s de la forĂȘt massacrĂ©e. Un, surtout, lui tenait Ă cÂur. Il lui parlait, se serrait contre son tronc, espĂ©rait se fondre en lui. Le Guide et son Ă©quipe jubilaient. Ils avaient globalisĂ© le commerce, en Ă©taient devenus millionnaires, milliardaires mĂȘme. En fait, ils avaient pillĂ© les ressources de la terre, Ă©puisĂ© la nature, esclavagĂ© le monde. Pour polir leur image, ils patronnaient des manifestations sportives, organisaient des dĂ©filĂ©s militaires au pas de l'oie, Ă©rigeaient quelques statues en l'honneur du peuple fidĂšle et reconnaissant. _ Tout allait bien, trop bien, jusqu'Ă ce que⊠_ La terre se convulsa en tremblements terribles, les flots se dĂ©chaĂźnĂšrent, les cieux crachĂšrent du feu. _ â Mais, qu'arrive-t-il donc ? se demanda le Guide. _ Il finança un tournoi de football aux rĂ©sultats tronquĂ©s, dĂ©grada quelques militaires, emprisonna un poĂšte parlant du pouvoir de l'amour, interna les tĂ©mĂ©raires rĂ©clamant un commerce Ă©quitable. Il flĂ©trit, de la marque indĂ©lĂ©bile des traĂźtres, ceux qui proposaient des Ă©lections libres. _ Rien n'y fit. Les Ă©lĂ©ments restĂšrent les plus forts, ne se laissĂšrent ni impressionner, ni amadouer, ni corrompre, ni dompter. _ Trahissant ses acolytes, le Guide s'emplit les poches de diamants Ă©claboussĂ©s de sang, se chargea d'un sac rempli d'or, se bourra, entre poitrine et chemise, de billets de banque. Il s'enfuit incognito habillĂ©, derniĂšre ignominie, d'une tenue de travailleur. Mais le poids de sa richesse l'empĂȘcha d'aller loin, l'Ă©puisa dans une marche impossible, le plaqua au sol vaseux qui l'aspira, l'engloutit. _ A des milliers de kilomĂštres, le pauvre des pauvres, presque nu, ayant juste un trognon de manioc comme provision, se rĂ©fugia dans la forĂȘt, parmi les arbres qu'il caressait, Ă qui il parlait, s'excusant de leur voler des bourgeons, des pousses tendres, des segments de racine. La terre spongieuse le portait. Il arriva Ă son arbre, l'entoura de ses bras maigres et le serra contre lui. Il lui sembla que son ami feuillu lui murmurait quelque chose, que leurs cÂurs battaient Ă l'unisson. F I N Nouvelle 143 _ Un grain dans le paquet Agir, c ÂĂ©tait tout ce qui occupait son corps et son esprit. Bouger, Ă©tirer ses membres, grimper sur les chaises, les tables, tenir en Ă©quilibre sur l'extrĂȘme pointe d'un pied, la jambe tendue et tremblante, l'autre, en l'air, servant de poids pour rééquilibrer son corps comme un mobile et les mains dressĂ©es au dessus de la tĂȘte, mĂȘlant et dĂ©mĂȘlant des fils de toutes couleurs, les punaisant au plafond et les nouant ensemble. _ On va en accrocher partout, partout ! Comme si les fils de scoubidou Ă©taient le soutien du plafond ! Hein ? QuÂest-ce que t'en penses ? » _ Elle Ă©tait habituĂ©e Ă ne jamais recevoir de rĂ©ponses Ă ses palabres et prenait presque un malin plaisir Ă Ă©touffer son silence par une litanie de bruits dĂ©cousus qui illustrait pĂ©niblement toutes ses actions. Scrutant attentivement le petit salon fraĂźchement peint, son intĂ©rĂȘt se porta dĂ©sormais sur la boĂźte de cafĂ©. Elle ferma avec beaucoup de difficultĂ© ses yeux grands ouverts et agrippa sauvagement le paquet qui, ne rĂ©sistant pas Ă une telle violence, laissa tomber tous les grains au sol. _ On va coller les grains partout au plafond et on va les relier aux scoubidous ! Comme si les grains Ă©taient des perles et les scoubidous des colliers ! Hein ? Qu'est ce que t'en penses ? » . _ Dans une explosion jubilatoire, elle ramassa une pleine poignĂ©e de grains de cafĂ©, les jeta en l'air et les regarda retomber dans le miroir suspendu en face d'elle. Les grains ne cessaient de pleuvoir, ils avaient empli toute la piĂšce et s'Ă©coulaient Ă prĂ©sent au ralenti, comme hors du temps, comme si elle Ă©tait devenue l'hĂ©roĂŻne magnifiĂ©e par une sĂ©quence cinĂ©matographique. Sous les grains de cafĂ©, assis dans le fauteuil Ă cĂŽtĂ© d'elle, elle contemplait le reflet de cet homme qui partageait sa vie et qui continuait de lire imperturbablement son roman. _ Dans le miroir, elle ne cessait de le fixer son paquet de cafĂ© Ă la main. Il ne rĂ©agissait pas comme s'il Ă©tait prisonnier des pages de son roman. Elle se rapprocha de son image et essaya de dĂ©chiffrer Ă l'envers le nom de l'Âuvre qu'il Ă©tait en train de lire. Ses longs doigts cachaient presque parfaitement le titre et elle pouvait a peine dĂ©chiffrer quelques lettres U  D ÂD â O  I  I⊠AlertĂ© par son regard pesant, le jeune homme Ă l'Ă©paisse chevelure brune se retourna et releva le livre comme pour cacher son visage. Cette dĂ©licate manipulation lui permit de lire le nom du mystĂ©rieux roman ; et il ne s'agissait pas d'un roman mais plutĂŽt d'un guide de voyage. Elle en dĂ©duit qu'il avait troquĂ© son roman pour ce guide dans une de ses longues promenades solitaires sur les rives de St Michel. A la lecture du titre, son cÂur s'emballa. Guide d'une Bolivie explosĂ©e. La Bolivie, la Bolivie criait elle au fond d'elle, le pays de leur rencontre, le pays de leurs nuits d'Amour, le pays oĂč mĂȘme les vomissements liĂ©s Ă l'altitude avaient leur moment de grĂące. Elle serra le paquet de cafĂ© dans ses mains et se rendit compte qu'il restait encore un grain. _ Elle palpa ardemment l'enveloppe vide et dĂ©sormais mallĂ©able qui contenait le dernier grain. CoincĂ©e entre ce miroir qui l'aliĂ©nait, ce plafond beaucoup trop lourd pour les fils, et tous ces meubles inutiles, rigides, aux odeurs Ăącres et envahissantes, il lui sembla que ce petit grain de cafĂ© Ă©tait sa seule chance, une passerelle gustative pour la Bolivie. Mais Ă©tait ce un pays oĂč tout Ă©tait si lĂ©ger, si doux et si facile ? Elle plongea une main tremblante dans le paquet, en ressortit la pĂ©pite noire et la porta Ă sa bouche avide. AussitĂŽt, le bruit des enfants dans la rue caillouteuse lui revint. Les voix des femmes et la mĂ©lopĂ©e de l'espagnol. La petite chambre aux murs verts. Le matelas dans le coin. Et la couverture rouge. Sous la couverture reposait ce grand garçon brun tant aimĂ©. Elle prononça son nom. Plus fort. Mais son appel se perdit, ne rejoignit personne. Nouvelle 144 Londres. C'Ă©tait une journĂ©e ensoleillĂ©e. Monsieur Sheperd y avait emmenĂ© sa classe de terminal pour un voyage scolaire. Ils venaient d'arriver, il Ă©tait environ 14 heures. A peine sur place, ils Ă©taient dĂ©jĂ en route pour le National Portrait Gallery sur Trafalgar Square, qui retrace l'histoire de l'Angleterre et les grands Hommes qui s'y sont illustrĂ©s. Pour la visite, un guide Ă©tait Ă leur disposition, c'Ă©tait un homme trĂšs gentil, mais son discours Ă©tait palabre. _ Quand leur visite fut terminĂ©e, tous partirent se dĂ©tendre sur Covent Garden. Monsieur Sheperd donna rendez-vous Ă ses Ă©lĂšves devant la fontaine vers 18 heures pour pouvoir ensuite rentrer Ă l'auberge de jeunesse. DĂšs que leur professeur eut fini de parler, Marie et ses deux amies se ruĂšrent vers les magasins tout en se mĂȘlant Ă la foule. Vers la fin du temps libre, ses amies remarquĂšrent un changement chez Marie, de ce fait elles lui demandĂšrent ce qu'il se passait, mais Marie ne leurs rĂ©pondit pas, elle leur demanda juste de partir devant en prĂ©textant une envie pressante. _ Lorsque les deux amies arrivĂšrent devant la fontaine, monsieur Sheperd Ă©tait dĂ©jĂ lĂ et commençait Ă faire l'appel, mais quand il appela Marie, personne ne rĂ©pondit. Le professeur continua son appel jusqu'au bout et dĂ©cida d'attendre que Marie les rejoigne. Au bout de 30 minutes, Marie manquait toujours Ă l'appel. Monsieur Sheperd demanda alors Ă sa collĂšgue de raccompagner les Ă©lĂšves jusqu'Ă l'auberge pendant qu'il attendait Marie et demanda qu'on le prĂ©vienne si quelqu'un avait des nouvelles. Will, un Ă©lĂšve se proposa d'attendre avec monsieur Sheperd. C'Ă©tait le petit ami de Marie. Le professeur accepta avec plaisir, ravi d'avoir de la compagnie. _ Au mĂȘme moment, Marie Ă©tait assise dans un cafĂ© oĂč sur les murs on pouvait voir une sĂ©quence de photos reprĂ©sentant le 20Ăšme siĂšcle. Elle ne s'Ă©tait pas retrouvĂ©e lĂ par hasard, elle avait suivi une jeune fille dans ce cafĂ©. Cette personne lui semblait Ă©trangement familiĂšre et lui ressemblait tellement Elle devait savoir pourquoi. _ AprĂšs une heure d'attente, Marie n'Ă©tant toujours pas revenue, Monsieur Sheperd et Will commençaient sĂ©rieusement Ă s'inquiĂ©ter. Will demanda donc Ă son professeur s'ils pouvaient agir et faire des recherches plutĂŽt que de rester devant la fontaine. Au dĂ©part, monsieur Sheperd Ă©tait rĂ©ticent, car il prĂ©fĂ©rait l'attendre pour que lorsqu'elle reviendrait elle ne s'inquiĂšte pas de ne voir personne, mais comme monsieur Sheperd Ă©tait une personne mallĂ©able, Will finit par le convaincre. Mais d'abord, le professeur devait appeler l'auberge. _ Lorsque la jeune fille se leva et partit du cafĂ©, Marie la suivit. Elles passĂšrent sur une passerelle qui conduisait Ă une jolie petite maison de briques rouges et sur le rebord des fenĂȘtres Ă©taient accrochĂ©s des pots avec diffĂ©rentes sortes de fleurs. Marie remarqua des roses blanches c'Ă©tait ses fleurs prĂ©fĂ©rĂ©es. DerriĂšre les rideaux de la fenĂȘtre aux roses, on pouvait distinguait une trĂšs belle piĂšce de couleur taupe. On pouvait apercevoir les meubles d'une chambre. Marie s'assit sur un banc en face de la maison et observa la chambre. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce celle de cette Ă©trange jeune fille qui lui ressemblait tant ? _ Toujours devant la fontaine, monsieur Sheperd Ă©tait au tĂ©lĂ©phone avec les deux amies de Marie pour savoir oĂč Will et lui commenceraient leur recherche. Les deux filles leurs indiquĂšrent la rue oĂč elles avaient vu Marie pour la derniĂšre fois. Ensemble, le professeur et Will se rendirent jusqu'Ă cette rue et dĂ©cidĂšrent de demander aux commerçants s'ils n'avaient pas vu Marie. _ Au moment oĂč Marie allait s'en aller  non pas parce qu'elle n'avait pas envie de savoir qui Ă©tait cette fille, mais tout simplement parce qu'elle avait peur de la vĂ©ritĂ©  la jeune fille sortit. De ce fait, Marie prit son courage Ă deux mains et alla l'aborder. Elle se prĂ©senta et lorsque la jeune fille croisa son regard elle la reconnut. _ Un commerçant put renseigner les deux hommes c'Ă©tait l'homme qui tenait le cafĂ© et il avait remarquĂ© que Marie fixait intensĂ©ment une jeune fille. Comme il Ă©tait ami avec les parents de cette fille, il leur indiqua la route de chez eux, mais ce ne fut pas gratuit. Monsieur Sheperd et Will durent troquer l'information, ils durent s'aliĂ©ner de quelques livres sterling. AprĂšs cet Ă©change, ils partirent en direction de la maison que leur avait indiquĂ©e le commerçant. _ La jeune fille ne put s'empĂȘcher de sursauter, elle avait tellement attendu ce moment. A l'instant oĂč marie lui demanda si elles ne s'Ă©taient pas croisĂ©es quelque part et si elle aussi avait remarquĂ© leur ressemblance, la jeune fille lui raconta leur histoire malgrĂ© l'interdiction de ses parents adoptifs. En effet, ils avaient peur qu'Ă cause de cela Marie haĂŻsse ses parents mĂȘme si elle racontait le mobile de cette sĂ©paration. En rĂ©alitĂ©, ce sont des sÂurs jumelles. LĂ©a, sa sÂur avait Ă©tĂ© abandonnĂ©e par leurs parents Ă la naissance, car ils n'avaient pas d'argent  leur naissance n'Ă©tait pas du tout attendue -. A ces paroles, Marie s'Ă©croula par terre comment ses parents avaient-ils pu lui cacher une chose pareille ? Mais, en mĂȘme temps, elle ressentait une sensation jubilatoire, car elle avait toujours rĂȘvĂ© d'avoir une sÂur. _ Quand Will et monsieur Sheperd arrivĂšrent, ils virent les deux jeunes filles. Will se prĂ©cipita vers Marie et lui proposa son soutien, car elle avait l'air trĂšs Ă©mue. _ AprĂšs quelques minutes, Marie et LĂ©a racontĂšrent leur histoire. Comme il se faisait tard, monsieur Sheperd dĂ©cida de rentrer Ă l'auberge. Mais avant ça, les deux sÂurs se promirent de jamais ĂȘtre sĂ©parĂ©es. Nouvelle 145 _ Queue de poisson solidaire Tout avait pourtant merveilleusement commencĂ©. Cela lui semblait ĂȘtre un rĂȘve, dorĂ©navant. Comment cela avait-il pĂ» dĂ©gĂ©nĂ©rer aussi brusquement ? _ C'Ă©tait hier. Elles remontaient le Boulevard Monivong, en touk touk, le cÂur lĂ©ger. Au milieu de l'effervescence de la ville, et sous la chaleur assommante, elles papotaient. Elles se remĂ©moraient les moments forts de leur voyage, les sĂ©quences qui dĂ©jĂ alimentaient leur carnet de route. Les Ă©motions de l'arrivĂ©e, le passage Ă la douane, les discussions pendant l'attente, avec des locaux qui rentraient au pays et Ă©taient prĂȘts Ă leur servir de guide. DĂšs leur arrivĂ©e, elles s'Ă©taient se senties Ă l'aise, et prĂȘtes Ă partir la dĂ©couverte de ce pays lointain et Ă s'y adapter. _ Elles se fĂ©licitaient de voir enfin l'aboutissement de leur projet. D'avoir rĂ©pondu Ă cet appel du large, et troquĂ© enfin leur quotidien coquet et confortable pour un mobile bien concret. D'illustrer ces discours tenus depuis si longtemps sur le soutien aux peuples dĂ©favorisĂ©s, sur les passerelles entre le Nord et le Sud. Enfin elles allaient agir, et en finir avec ces palabres enjouĂ©es dans les cafĂ©s bobos ». Tout cela avait indĂ©niablement un aspect jubilatoire. _ Un peu d'anxiĂ©tĂ© se mĂȘlait Ă leur allĂ©gresse, tout de mĂȘme, en arrivant devant le portail de l'orphelinat. Leurs proches les avaient alimentĂ©es d'anecdotes, d'expĂ©riences vĂ©cues, d'ouvrages Ă consulter avant mĂȘme le dĂ©part. Ces mĂȘmes proches qui les avaient mises en garde contre les dĂ©viances du dĂ©veloppement, dans l'Ă©ducation comme dans d'autres domaines. Cette tendance du pouvoir Ă profiter d'une population jeune, dĂ©sorientĂ©e, mallĂ©able, qu'il Ă©tait si aisĂ© d'aliĂ©ner, mĂȘme de maniĂšre involontaire. Toutes ces problĂ©matiques se profilaient bien qu'elles n'aient aucune envie de les aborder encore. Heureusement, elles Ă©taient ensemble. Cela leur donnait l'impression de pouvoir faire face Ă toutes les situations. _ Tout Ă coup, alors qu'elles arrivaient au niveau de l'orphelinat, le touk touk avait freinĂ©, pour contourner un vĂ©hicule arrĂȘtĂ© en plein milieu de la route. Un 4 x 4, un de ces vĂ©hicules sur lesquels le propriĂ©taire orgueilleux ajoutait un autocollant Lexus » pour se donner l'illusion d'une fortune. Devant lui, une petite moto Ă©tait Ă terre, et deux jeunes hommes semblaient inconscients. Un troisiĂšme garçon, qui visiblement faisait partie de l'Ă©quipage car son bras Ă©tait en sang, Ă©tait en train d'empĂȘcher le conducteur du 4 x 4 de partir en se plaçant devant le vĂ©hicule et en criant. Sans pour autant impressionner un tant soit peu l'intĂ©ressĂ©. C'Ă©tait alors que furieux, le jeune homme avait dĂ©cochĂ© un coup de pied sur le vĂ©hicule qui eut pour effet de briser un phare. La rĂ©action avait Ă©tĂ© immĂ©diate. Le chauffeur Ă©tait sorti de sa voiture, avait pointĂ© son arme, avait criĂ©, tirĂ©, la balle avait ricochĂ© contre une barre mĂ©tallique du touk touk qui Ă©tait Ă la hauteur de la moto, et Ă©tait allĂ©e se loger dans le buste de sa passagĂšre. _ Ensuite, tout s'Ă©tait prĂ©cipitĂ©. Les secours, l'infirmerie dĂ©suĂšte de l'orphelinat, le transport vers l'hĂŽpital, la dĂ©cision du rapatriement, le retour au bercail. _ Tout avait pourtant si bien commencĂ©. Nouvelle 146 _ La piscine Jeanne Ă©tait enchantĂ©e de la journĂ©e d'Ă©tĂ© qui s'annonçait. VĂȘtue d'un pantalon corsaire et d'un dĂ©bardeur Ă©pousant une poitrine qui tenait sans soutien, se sĂ©chant les cheveux dans une Ă©paisse serviette Ă©ponge, elle emprunta la passerelle qui prolongeait le couloir des chambres puis descendit l'escalier Ă limon central qui plongeait tout droit vers le grand salon. Ă travers la large baie vitrĂ©e, elle profitait d'un point de vue unique sur la mer mĂ©diterranĂ©e qui s'offrait Ă elle dans la lumiĂšre de ce dĂ©but de matinĂ©e d'Ă©tĂ©. En fredonnant une rengaine Ă la mode, elle arriva Ă la cuisine oĂč elle posa la serviette au hasard sur une chaise. D'une sĂ©rie de gestes dĂ©notant l'habitude, elle prĂ©para un cafĂ© expresso, se saisit d'une cuillĂšre pour y mĂȘler du sucre, prit la tasse et revenant vers la porte fenĂȘtre grande ouverte, elle appela _ â TancrĂšde ! _ Sortant d'un buisson de lauriers roses, un golden retriever rĂ©pondit Ă son appel, gambadant, la langue pendante et l'Âil rieur. _ Le jeune chien entra dans le salon et elle loqueta la crĂ©mone sĂ©curisĂ©e de la porte fenĂȘtre derriĂšre lui. _ VautrĂ© sur le canapĂ© de cuir blanc, un chat angora Ă©tira une patte armĂ©e de griffes noyĂ©es dans les poils. Jeanne le gratifia d'un frĂŽlement sur le ventre. _ â Bonne journĂ©e, mon gros Izmir! _ Ăbouriffant la masse mallĂ©able de ses cheveux encore humides, elle ouvrit la penderie. Elle troqua ses tongs pour des sandales Ă talon. Elle repartit dans le couloir sous l'escalier. _ â Au revoir les enfants! _ La porte d'entrĂ©e se referma avec un bruit sourd. On entendit Ă peine ronronner un moteur. _ Du point de vue du chat, cette journĂ©e d'Ă©tĂ© s'annonçait sous les meilleurs auspices. Il Ă©tait jubilatoire de n'avoir rien d'autre Ă faire que paresser ou rĂȘvasser. Ă la minute prĂ©sente, il contemplait le jardin. Le regard vague, il se laissait hypnotiser Ă travers les vitres par quelques oiseaux qui picoraient dans l'herbe. Soudain, il put entendre les pĂ©piements des volatiles et sentir la brise chargĂ©e d'effluves iodĂ©s. Autour de lui, une agitation commençait Ă se faire jour dans le grand salon usuellement si paisible dans la journĂ©e. Des chaises bougeaient, des tiroirs s'animaient. Quand son canapĂ© fut poussĂ© sans mĂ©nagement, il en eut assez. D'un mouvement souple, il sauta sur le sol de marbre et s'en fut vers l'escalier d'une dĂ©marche digne, ondulant de la queue. Il grimpa souplement et sans s'arrĂȘter ce merveilleux escalier Ă claire voie qui offrait tant de postes d'observation. En haut des degrĂ©s, il se retourna, les yeux mi-clos, s'imprĂ©gnant de la scĂšne qui se jouait en contrebas. Peu Ă peu, il prit la posture d'un sphinx, immobile et attentif. _ Du point de vue du chien, c'Ă©tait encore une excellente journĂ©e qui s'offrait Ă lui. Il faisait beau. Il avait commencĂ© par quelques allĂ©es et venues sans but au milieu du jardin et avait conclus par la dĂ©pose d'un fumet au pied du grand agave. Puis, il Ă©tait rentrĂ© assurer la garde de la maison. Il partagerait paisiblement le vaste rez-de-chaussĂ©e avec le chat jusqu'au soir. CouchĂ© sur son plaid dans un coin du salon, il rĂȘvassait. Le bruit d'une clĂ© qui tournait dans la serrure le fit se redresser. La quiĂ©tude des lieux Ă©tait Ă l'instant rompue par l'intrusion d'un Ă©tranger qui, pourtant, avait ouvert la porte comme un habituĂ©. L'huis Ă©tait restĂ© ouvert et le chien en aurait bien profitĂ© pour aller patrouiller dans les lavandes. _ â Dehors le chien ! _ Entendant cette voix nouvelle, son instinct et l'Ă©ducation qu'il avait reçue le forcĂšrent Ă attendre. L'inconnu s'affairait dĂ©jĂ . Il agitait les cadres accrochĂ©s au mur, retournait les coins des tapis, dĂ©plaçait les fauteuils. Il monta mĂȘme sur une chaise et passa ses mains sur les murs derriĂšre les meubles. Il finit par jeter la chaise par terre et il avança vers l'escalier. Le chien fit quelques pas dans la mĂȘme direction. _ â Tout doux, le clebs ! _ D'un air dĂ©bonnaire, le retriever s'approcha de l'homme. Pensant instaurer la paix, ce dernier tendit une main vers la tĂȘte du canidĂ© qui esquiva la caresse d'un mouvement souple et entreprit de renifler les doigts qui s'offraient Ă lui. Puis le chien lĂ©cha cette main dont il n'avait pas l'odeur en mĂ©moire. L'homme fit alors un pas en arriĂšre et posa un pied sur la marche de pierre pour monter l'escalier. C'est le signal que le gardien espĂ©rait. Sans un bruit, il ouvrit grand la gueule et la referma sur la paume de l'homme, les crocs lĂ©gĂšrement enfoncĂ©s dans la peau. Maintenant, il attendait le retour de Jeanne. _ Du point de vue d'Hector, rien ne valait d'aliĂ©ner sa libertĂ© en travaillant et sa vie devait l'illustrer. _ Il prĂ©fĂ©rait pister le plombier et subtiliser les clĂ©s des bĂątisses oĂč l'ouvrier effectuait des rĂ©parations pendant que ce dernier s'accordait des siestes indues au bord des piscines dont il assurait l'entretien. _ Il s'Ă©tait fĂ©licitĂ© d'avoir l'opportunitĂ© de dĂ©couvrir sans guide l'intĂ©rieur de cette extraordinaire maison d'architecte toute de verre et de bĂ©ton. Il savait qu'il devrait agir vite. Ouvrir la porte n'avait pas prĂ©sentĂ© de difficultĂ©. Il avait Ă©tĂ© surpris par l'aspect dĂ©pouillĂ© de l'intĂ©rieur. Le chien avait l'air amical. Hector avait senti son regard le suivre pendant qu'il cherchait vainement un coffre derriĂšre l'ensemble du mobilier de style contemporain. ArrivĂ© au pied de l'escalier il avait jetĂ© un coup d'Âil vers le haut d'oĂč un Ă©norme chat persan roux le fixait. Le mobile de sa visite devait justement se trouver lĂ -haut. C'est alors qu'il avait eu l'idĂ©e saugrenue de caresser le mĂątin. _ Ă prĂ©sent, en revivant la sĂ©quence qui l'avait amenĂ© jusqu'ici, il espĂ©rait encore pouvoir libĂ©rer sa main prisonniĂšre des crocs du cerbĂšre qui avait l'air de sourire de cette bonne plaisanterie. Un pied sur une marche, penchĂ© de cĂŽtĂ© en une attitude cocasse, Hector avait posĂ© derriĂšre lui l'autre pied sur la deuxiĂšme marche. Ă la seconde mĂȘme, un mugissement de sirĂšne propre Ă lui dĂ©chirer les tympans s'Ă©tait dĂ©clenchĂ©. Le chat avait brusquement disparut de sa vue. Allait-il devoir patienter ainsi jusqu'au soir ? _ Il n'attendit pas aussi longtemps. Une silhouette en chemisette Ă manches courtes, bientĂŽt suivie de plusieurs identiques se matĂ©rialisa devant la porte fenĂȘtre. _ â Auriez-vous besoin d'aide ? demanda le gendarme sans autre palabre. Nouvelle 147 Le dĂ©sordre avait outrepassĂ© son droit Ă se prĂ©valoir d'une qualitĂ© artistique. Pierre rassembla toute son Ă©nergie mentale, aprĂšs les sept Ă©tages gravis pĂ©niblement, pour Ă©viter l'ouverture des hostilitĂ©s. Il se fraya un chemin parmi les livres et feuillets Ă©pars se mĂȘlant aux reliefs de la pause cafĂ©, pour rejoindre Alice sur le canapĂ© oĂč elle se prĂ©lassait depuis quelques heures. _ Comment Ă©tablir une passerelle entre les prĂ©occupations intellectuelles trĂ©pidantes qui l'habitaient en permanence, et la sĂ©rĂ©nitĂ© effarante dont Alice semblait se satisfaire ? _ â Pierre, j'ai agi aujourd'hui, j'ai Ă©tendu le linge. _ Etendre le linge Alice connaissait peu d'Ă©vĂ©nements susceptibles de dĂ©clencher de telles vibrations dans son ĂȘtre, dans sa chair. Ces gestes venus du fond des Ăąges, elle les accomplissait avec ferveur se saisir d'une chemise, respirer sa bonne odeur de lessive, la disposer sur le fil en tirant les extrĂ©mitĂ©s pour que toutes les fibres bĂ©nĂ©ficient d'un sĂ©chage optimal, organiser l'orientation par rapport au soleil et Ă la brise qui la caressaient pas trop, juste assez. C'Ă©tait un moment jubilatoire⊠_ â Bien, dit Pierre, troquant son Ă©nervement contre la conviction rassurante qu'il dominait avec panache une situation intolĂ©rable, tu as superbement contribuĂ© Ă la normalitĂ© Ă laquelle, ensemble, nous aspirons. _ Il se remĂ©morait les cours de pĂ©dagogie spĂ©cifiant que le sujet adoptait le rĂŽle qu'on lui attribuait. Si Alice Ă©tait confortĂ©e, mise en confiance, il y avait une lueur d'espoir de faire progresser ses centres d'intĂ©rĂȘt. _ â C'est incroyable comme les gens sont dĂ©sorganisĂ©s, s'insurgea Alice. Figure toi que j'ai reçu un appel d'Air Larnak pour nos bagages perdus eh bien, plus d'espoir. Ah, vraiment, il faut se battre. Ils croient que je suis mallĂ©able mais non ! _ Pierre Ă©tait en train de mettre au point une procĂ©dure de soutien psychologique quand la sonnerie de son mobile entrouvrit d'autres perspectives. _ â Ah, mais⊠_ Pierre annonça avec une mine de faire-part bordĂ© de noir _ â C'est notre guide du Ladakh aprĂšs des palabres interminables, il a rĂ©ussi Ă faire admettre l'idĂ©e que tous les participants du voyage seront associĂ©s Ă une sĂ©quence publicitaire illustrant la qualitĂ© de service d'Air Larnak. _ â Oh ! On va passer Ă la tĂ©lĂ©, s'Ă©merveilla Alice. _ â Oh ! Quand finiront-ils de nous aliĂ©ner ? s'indigna Pierre. _ Et chacun de se plonger dans les dĂ©lices des rĂ©flexions que ces perspectives ouvraient Alice, Ă©moustillĂ©e par des sensations futures dont la qualitĂ© surpasserait le bonheur Ă©prouvĂ© lors de l'Ă©tendage du linge et Pierre, confortĂ© dans la perception des qualitĂ©s supĂ©rieures d'analyse qu'il saurait mettre en Âuvre dans cette expĂ©rience qu'il vivrait bien entendu en observateur lucide. Nouvelle 148 _ La passerelle Quel temps de chien ! » pesta-t-il en ramenant ses jambes sous la table du cafĂ©, Ă l'abri de la pluie. Oui, un temps de vieux chien gris au poil hirsute et Ă l'Âil morne. Le genre de clebs qu'il aurait pris en pitiĂ©, avant⊠Il aurait tentĂ© de le caresser, de chercher dans sa fourrure grossiĂšre un collier, un tatouage. Jamais il n'avait pu se rĂ©soudre Ă laisser vagabonder des animaux qui avaient dĂ» un jour connaĂźtre la douceur d'un foyer. Mais aujourd'hui, ce temps-lĂ Ă©tait rĂ©volu. TerminĂ© de s'apitoyer sur les autres, de prendre en compte leurs opinions, de faire preuve d'empathie. Son mariage illustrait parfaitement cette pĂ©riode de sa vie. Il avait Ă©tĂ© aliĂ©nĂ© par une Ă©pouse bienveillante et des enfants si bien Ă©levĂ©s. Tous ses dĂ©sirs avaient Ă©tĂ© mis au placard. Seul comptait le fait d'ĂȘtre ensemble, auprĂšs de sa famille, mĂȘme si pour cela il devait se plier aux quatre volontĂ©s de sa femme et obĂ©ir aux directives de son beau-pĂšre qui l'employait. OĂč tout cela l'avait-il conduit ? Au mensonge, Ă la honte, Ă un regret qui ronge la conscience comme un chien son os⊠Encore un horrible clĂ©bard tout hĂ©rissĂ©, l'un de ceux qui grogne pour dĂ©fendre une pitance qui n'en vaut pas la peine⊠A bout de souffle, au bout du rouleau, il n'avait pas osĂ© appeler Ă l'aide. Mais un soutien inespĂ©rĂ© s'Ă©tait prĂ©sentĂ© Ă lui, perchĂ© sur dix bons centimĂštres de talons aiguilles. Il avait sautĂ© le pas. Il lui avait tout racontĂ©. Dans un rĂ©cit libĂ©rateur, jubilatoire, il avait avouĂ© ses crimes, ceux de son beau-pĂšre, et dĂ©noncĂ© toute la complicitĂ© silencieuse qui l'avait poussĂ© Ă dĂ©tourner le regard durant tant d'annĂ©es. Complice. TĂ©moin. La frontiĂšre Ă©tait tĂ©nue⊠_ Il avait bien fait. Il voulait s'en persuader. Mieux valait penser moins et agir plus. Reprendre sa vie en main. IdĂ©alement, la reprendre lĂ oĂč il l'avait laissĂ©e le jour oĂč il avait dit oui ». Oui Ă celle qu'il aimait sincĂšrement. Oui aux magouilles de son patron. Oui Ă cette famille qu'il pensait banale et honnĂȘte. Aujourd'hui, lui si mallĂ©able, lui qui ne protestait jamais, allait apprendre Ă dire non ». Pour la premiĂšre fois de son existence personne n'allait se mĂȘler de sa vie. Il faisait ses adieux Ă ce lui » qu'il avait habitĂ© quelques annĂ©es, Ă ce pantin mĂ©prisable et serrait fort entre ses doigts la poignĂ©e de la mallette qui contenait son laissez-passer pour un changement de cap. _ Il posa son mobile sur la table, juste Ă cĂŽtĂ© du cafĂ© qu'un serveur peu avenant venait de lui porter. Il ne le boirait pas. Il en serait incapable tant qu'il n'aurait pas reçu l'appel qu'il attendait. Son cÂur battait trop vite, sa respiration Ă©tait courte son interlocuteur allait s'en rendre compte et profiterait de sa faiblesse. Il ferma les yeux, dĂ©sireux de se ressaisir. Il ne devait pas passer Ă cĂŽtĂ© de sa chance. Il voulait effacer ces derniĂšres annĂ©es de vie comme on coupe une mauvaise sĂ©quence au montage d'un film. Avec un peu d'obstination, il Ă©tait certain de pouvoir en effacer jusqu'aux moindres souvenirs⊠Il eut une pensĂ©e pour ses deux fils⊠Sa gorge se noua. Puis il les revit auprĂšs de leur grand-pĂšre, avec ce mĂȘme regard hautain. Ils admiraient tellement leur aĂŻeul ! Bien plus qu'ils ne pourraient jamais aimĂ© leur pĂšre qui n'Ă©levait jamais la voix, n'avait aucune envergure, n'avait rien rĂ©ussi dans sa vie⊠Cela aussi devrait changer. _ Le tĂ©lĂ©phone sonna. _ Il constata dĂšs les premiers mots que sa voix Ă©tait assurĂ©e. Il devait conserver son avantage coĂ»te que coĂ»te, ne pas donner la parole Ă son interlocuteur, Ă©viter les palabres⊠Il ne se laissa pas dĂ©stabiliser par la voix de bouledogue Ă l'autre bout du fil et posa ses conditions il troquerait les documents de la mallette contre une immunitĂ© totale, un changement d'identitĂ©, une vie confortable assurĂ©e et la possibilitĂ© de voir ses fils d'ici quelques annĂ©es. Le bouledogue grogna son accord et demanda s'ils pouvaient se retrouver au plus vite. _ Il reposa son tĂ©lĂ©phone, incrĂ©dule. Cela avait Ă©tĂ© facile, si facile de reprendre sa vie en main. Les doigts un peu tremblants, il attrapa sa tasse et avala son expresso d'un trait. Il avait soudain l'impression d'avoir oubliĂ© quelque chose. Il sortit de sa veste un morceau de papier sur lequel il avait notĂ© tout ce qu'il devait demander en Ă©change des piĂšces comptables originales de l'entreprise de son beau-pĂšre. Il n'avait rien oublié⊠_ Il leva les yeux et la vit s'avancer vers lui, ses hauts talons claquant sur le sol. Le guide vers sa nouvelle vie s'installa Ă sa table. â _ â Vous avez de sacrĂ©es exigences, fit-elle d'une voix suave. â _ â Vous allez avoir de sacrĂ©es preuves, rĂ©pondit-il sans se dĂ©monter. â _ â Vous ĂȘtes certain de ne rien avoir oubliĂ© ? _ Il rĂ©flĂ©chit un instant et laissa Ă©chapper un sourire confiant. Si, bien sĂ»r, il avait oubliĂ© quelque chose⊠â _ â Je veux aussi un chien⊠Nouvelle 149 _ Imprimer 1. _ Consciencieusement, assise Ă une table, elle compulsait des feuillets⊠Elle ne voulait que rien ne lui Ă©chappe, de la lettrine au point final. Quand elle crĂ»t bien cerner les pleins et les dĂ©liĂ©s qui se cachaient derriĂšre les caractĂšres, elle entreprit une ultime lecture. Il s'agissait dĂ©sormais de parcourir sauvagement les paragraphes et les titres, les chiffres et les noms. Comme si elle dĂ©sirait faire s'envoler les mots les plus essentiels jusqu'Ă son Ăąme. Pour les-y imprimer. _ 2. _ Insidieusement, le silence qu'elle faisait peser dans la piĂšce, s'effaçait derriĂšre le tintement de cloches. Elle s'arrĂȘta, pour savourer le crescendo de l' »appel » dominical, provenant de l'Ă©glise du village. Ces sonoritĂ©s rassurantes et habituelles apaisaient son agitation intĂ©rieure. _ Alors, elle rĂ©alisa qu'il Ă©tait le moment. Elle vĂ©rifia le contenu de son portefeuille, et ce qu'elle avait de monnaie. Quelques piĂšces se languissaient là ⊠Cela semblait lui suffire. Elle rangea donc son portefeuille, aprĂšs y avoir glissĂ© soigneusement un papier qu'elle choisit sur la table. Elle attrapa ses clefs. Puis enfourcha sa bicyclette. _ 3. _ En trois coups de pĂ©dales, elle s'Ă©chappa du quartier pour s'embarquer sur la voie principale une voie dĂ©serte en cet instant⊠Elle se plia alors aux mauvais gĂ©nies de la vitesse puis bientĂŽt Ă ceux de la dĂ©sinvolture, en zigzaguant largement sur la chaussĂ©e. Durant ces instants, elle Ă©prouvait â Ă la fois dans son corps et son esprit- une diversitĂ© de sensations jubilatoires. _ A gauche, puis Ă droite, encore Ă droite. Les rues dĂ©filaient aussi rapidement, que les mots imprimĂ©s en mĂ©moire plus tĂŽt, descendaient subtilement jusqu'Ă son cÂur. Et lĂ au carrefour, elle freina subitement. Les barriĂšres s'Ă©taient abaissĂ©es. Le train des questions, conduit par le doute, arrivait. Allait-t-elle dans la bonne direction, Sa direction ? Mais, les barriĂšres se relevĂšrent heureusement, une seconde plus tard⊠Une courte sĂ©quence de sa vie qu'elle voudra effacer. Elle dĂ©teste les incertitudes ! _ 4. _ Elle rattrapa un groupe de piĂ©tons sur le chemin qui mĂšne Ă l'unique bistrot du village, un cafĂ© », nommĂ© TroquĂ© ». Un cafĂ© unique, mais surtout quasi-mystique ! Quasi-mystique en rĂ©fĂ©rence Ă l'histoire de son nom ! Cette bĂątisse â rĂ©cemment aliĂ©nĂ©e Ă la municipalitĂ© pour un euro symbolique â a-t-elle Ă©tĂ© l'objet d'un troc similaire jadis ? TroquĂ© » est-il la version mal orthographiĂ©e ou la version locale du troquet » ? Un cafĂ© quasi-mystique Ă©galement en rĂ©fĂ©rence aux vestiges qu'il renferme. L'existence de la passerelle mĂ©tallique suspendue au grenier l'illustre Ă merveille. Ce lieu servait-il de théùtre ? En tout cas, ce jour-lĂ , le commerce fera bonne recette⊠_ Elle dĂ©passa maintenant le groupe de piĂ©tons, d'oĂč s'Ă©leva soudainement une voix Roulez jeunesse ! ». Elle leva le bras pour acquiescer ou pour saluer. Sans doute, pour les deux raisons. _ 5. _ Elle arriva enfin face Ă la porte et lĂącha son vĂ©lo Ă terre. Elle s'engouffra Ă l'intĂ©rieur de la piĂšce. Il y avait, lĂ , un peu de monde. On l'accueillit chaleureusement et un homme, en guide, l'accompagna jusqu'Ă une place libre. Elle ne resta pas longtemps Ă l'intĂ©rieur. _ En sortant, elle retrouva le groupe de piĂ©tons qu'elle avait frĂŽlĂ© un temps plus tĂŽt. Ils l'interrogĂšrent du regard. _ â A votĂ© !! rĂ©pondit-elle fiĂšrement. _ â A notre tour ! _ 6. _ Oui, Ă votre tour, se dit-elle, espĂ©rant que tous rĂ©pondraient Ă l'appel. Comme pour la rassurer, un jeune homme s'approcha derriĂšre elle. Il lui passa la main sur le bras, la faisant sortir dĂ©licatement de ses songes. _ â Alors ? lui lança-t-il calmement mais sĂ©rieusement. Qui ?âŠ. Qui est l'Ă©lue de ton choix ? _ â Voyons, voyons, cher ami Ă l'Ăąme mallĂ©able et Ă l'esprit mobile ! N'espĂšre pas trouver rĂ©ponse en la mienne ! dĂ©clama-t-elle. Tu dois faire ton propre choix jeune homme ! Sois responsable un peu⊠_ Et elle ajouta que cela n'est pas son affaire. Mais, en le disant, elle rĂ©alisa concrĂštement que le vote d'un individu pĂšse dans la balance des Ă©lections. Et que ce choix influe, en un ou plusieurs sens, sur les gens ! Elle conclut donc qu'elle se mĂȘlerait bien de ce qui la regarde, aprĂšs tout ! _ Elle trouva alors intĂ©ressant que l'Ăąme du jeune homme soit mallĂ©able et que son esprit soit mobile ! Elle trouva intĂ©ressant d'apporter soutien Ă sa rĂ©flexion, voire d'apporter conseils ! _ â A gauche toute ! cria-t-elle. _ Ils se dirigĂšrent ensemble vers Le TroquĂ© ». Et ils y vĂ©curent beaucoup de palabres⊠Nouvelle 150 _ IntĂ©rim Mobile », ce terme orne chacun de mes curriculum vitae depuis maintenant plusieurs annĂ©es. En haut Ă droite ; mĂȘlĂ© Ă 37 ans », et cĂ©libataire », ces quelques mots sont censĂ©s donner une idĂ©e prĂ©cise de ma personne, de moi-mĂȘme. Mobile », et pourquoi pas MallĂ©able », tant qu'Ă y ĂȘtre ! Ou alors Maudit ». _ J'aurai tellement aimĂ© Ă©crire doux rĂȘveur, fatiguĂ©, Ă l'imagination trop prĂ©gnante, et pourtant heureux ». _ Alors Mobile » Moi qui n'ai jamais quittĂ© Grenoble, ville oĂč je suis nĂ©. Moi dont les pas ne me conduisent que trĂšs rarement au-delĂ de la place aux herbes, ou de celle mitoyenne, dite du Tribunal. _ Du reste, du travail, je n'en ai jamais vraiment eu. _ Pour ĂȘtre complĂštement franc, je n'en ai jamais vraiment cherchĂ© non plus. _ J'Ă©cris pourtant des dizaines de curriculum vitae, dans lesquels je cherche en vain Ă m'illustrer par des faits hĂ©roĂŻques, que je n'ai pas vĂ©cus, mais qui Ă mes yeux devraient suffire Ă convaincre n'importe quel employeur de mon exacte valeur, avec pour seul but de nous unir dans une ronde jubilatoire pour une ultime danse. Oh Travail ! Oui, je me sens prĂȘt Ă crier ton nom, prouvant par lĂ mon dĂ©sir de m'aliĂ©ner Ă ton service, des jours entiers, des nuits entiĂšres. Tel un naufragĂ© lançant un ultime appel, je propulse alors ces pages A4 qui offrent Ă l'improbable lecteur la fĂ©licitĂ© de mon parcours professionnel Ă©talĂ© sur un seul recto, au fin fond de l'IsĂšre, ce fleuve gourmant au courant tranquille. _ De la place aux herbes Ă l'IsĂšre, de l'IsĂšre Ă la place aux herbes, je compte ainsi les jours et occupe mon temps avec cette curieuse pratique littĂ©raire. _ Et puis, RaphaĂ«lle est entrĂ©e dans ma vie. _ Elle y fit une entrĂ©e toute en douceur, tout en discrĂ©tion, de derriĂšre son bureau. _ RaphaĂ«lle, c'est la fille de la boite d'intĂ©rim qui me propose le poste de pĂšre NoĂ«l pour les derniers jours de dĂ©cembre. Au dĂ©but je ne l'ai pas franchement remarquĂ©e, trop occupĂ© que j'Ă©tais avec ma propre situation. Je voulais qu'elle comprenne, qu'elle me comprenne, et je m'oubliais dans d'interminables palabres, nĂ©gligeant mĂȘme de la regarder. Un jour elle me dit trĂšs simplement qu'elle aimerait troquer sa vie contre une autre, plus remplie, plus belle. Pour la premiĂšre fois je contemplais son regard. _ Depuis, je suis comme au cinĂ©ma ma vie se dĂ©coupe en sĂ©quences, il y a les sĂ©quences avec RaphaĂ«lle, et les sĂ©quences sans RaphaĂ«lle. La nuit, mon envie de conquĂȘtes m'emporte au loin, je rĂȘve d'aventures et de grands espaces, de vitesse et de combats, de sexe et d'amour. _ Le jour, je pousse la porte de la boite d'intĂ©rim. _ Une autre fois elle me dit qu'elle s'apprĂȘtait Ă partir elle veut aller vivre au bord du lac BaĂŻkal, en SibĂ©rie. Elle a vu des photos et s'est dĂ©cidĂ©e. C'est comme ça que c'est arrivĂ©, Ă sa façon, sans faire de vagues, presque silencieusement, et cette fille changeait ma vie. Un autre jour encore et elle m'invita dans un sourire Si nous partions ensemble », elle ajouta en riant franchement que son contrat de travail se terminait. _ De retour place aux herbes, j'ai comme un grand besoin de soutien ; comme une nĂ©cessitĂ©, je cours Ă la recherche de mon ami Mohamed. _ Mohamed, c'est mon ami de longue date, il est un peu comme un guide pour moi. C'est d'ailleurs lui qui m'a donnĂ© l'adresse de l'agence d'intĂ©rim oĂč travail RaphaĂ«lle, il doit donc me dire ce qu'il faut que je fasse maintenant. D'ailleurs, Mohamed n'est pas avare de conseil et me pousse Ă agir. Il me dit que lĂ bas je pourrai certainement aussi faire le pĂšre NoĂ«l, que ce sera mĂȘme plus facile avec mon traĂźneau vu que tout doit ĂȘtre gelĂ© Ă cette Ă©poque de l'annĂ©e. _ MalgrĂ© tout, il me faut une bonne semaine pour trouver le courage de passer Ă nouveau prĂšs de la boite d'intĂ©rim. _ A travers la vitrine je devine que RaphaĂ«lle n'est plus lĂ . Un homme occupe sa place derriĂšre son bureau. J'Ă©prouve immĂ©diatement le dĂ©sir de lui casser la figure, mais il me tend une lettre dans la quelle elle me propose de la rejoindre au cafĂ© La Cimaise », un jour, n'importe lequel, Ă quinze heure, qu'elle y sera encore quelques temps. _ Je sors en courant, et traverse Grenoble. _ Plus que la passerelle au dessus de l'IsĂšre Ă franchir, et j'arrive devant le cafĂ© La Cimaise ». La boucle de ma sacoche cliquette Ă chacun de mes pas, je m'imagine aussitĂŽt cow-boy dans le dĂ©sert, un Ă©peron Ă chaque pied. _ Je ralenti. _ Je me sens bien. _ J'ai envie de me laisser faire, de dire oui, de l'accompagner au pays du froid. _ Je pousse la porte du cafĂ©. _ Je sais qu'elle m'attend. _ Son regard bleu m'Ă©voque tout de suite les Ă©tendues du lac BaĂŻkal. Nouvelle 151 _ Une table en terrasse Assis Ă une table en terrasse, il semblait Ă©tudier avec soin un itinĂ©raire sur son guide touristique, mais ses pensĂ©es Ă©taient ailleurs ; marquant d'un coin la page illustrĂ©e de photos de monuments anciens, il le referma. Il prit un peu de mie de pain entre ses doigts. Elle Ă©tait souple et mallĂ©able comme de la pĂąte Ă modeler, et machinalement, il se mit Ă former de petites boules, tout en buvant son cafĂ© sans sucre Ă petites gorgĂ©es⊠_ Il se souvenait de leurs parties de billes, comme c'Ă©tait jubilatoire de gagner, le bonheur intense du jeu, le bonheur de l'enfance⊠_ De l'endroit oĂč il se trouvait, il pouvait voir la passerelle qui enjambait le canal⊠C'Ă©tait lĂ , assis sur la plus haute marche, qu'ensemble ils Ă©changeaient leurs trĂ©sors, images de foot, petits cyclistes sur socle et autres babioles, troquaient des agates contre des calots, Ă©tait-ce deux ou trois contre un, il n'en Ă©tait plus trĂšs sĂ»râŠEt tandis que remontaient Ă la surface de sa mĂ©moire ces sĂ©quences-souvenirs d'un temps heureux, de l'arriĂšre salle lui parvenait la musique d'un vieux juke-box, qui , mĂȘlĂ©e au brouhaha confus des voix jeunes des lycĂ©ens, ne parvenait pas Ă les couvrir totalement. De leurs interminables palabres Ă©mergeaient quelques mots rĂ©currents, 'soutien, agir, ensemble âŠ', la rĂ©union semblait animĂ©e⊠D'autres souvenirs surgissaient, comme si , longtemps enfouis au fond de son ĂȘtre, ils retrouvaient une existence propre, et il ressentait quelque chose d'Ă©trange, une sensation de renouveau, qui le surprenait, lui faisait presque peur⊠_ C'est alors que son 'mobile' sonna,- une petite ritournelle aigrelette-, ce qui eut pour effet de le ramener dans le prĂ©sent. C'Ă©tait l'appel qu'il attendait depuis de longues heures. Il essaya de contrĂŽler sa voix, pour qu'elle ne trahisse pas son Ă©motion 'd'accord, dans dix minutes, sur la passerelleâŠ' _ Il commanda un autre cafĂ©, paya, puis jeta un coup d'Âil Ă sa montre dans cinq minutes Ă peine ils se croiseraient sur la passerelle, se reconnaĂźtraient Ă leurs guides verts, et puis⊠_ Il avait tant attendu ce moment-lĂ , Ă prĂ©sent il Ă©tait prĂȘt, prĂȘt Ă aliĂ©ner sa vie triste et tranquille, il Ă©tait mĂȘme impatient ! Il se leva et commença Ă gravir les marches, en s'efforçant de ne pas aller trop vite⊠Nouvelle 152 _ Les prisonniers verts Toute ma vie, j'avais entendu parler de ce moment, de cette fin. J'avais dĂ©jĂ vu nombre de mes frĂšres pĂ©rir ainsi sans avoir eu l'opportunitĂ© d'agir pour les sauver. Et ce serait Ă prĂ©sent mon tour de passer Ă la casserole. _ Je considĂ©rais tous ces individus comme des ennemis. Depuis qu'ils m'avaient enfermĂ© ici, j'avais eu le temps et le loisir de les espionner. En effet, ils ne nous donnaient guĂšre autre chose Ă faire de nos jours. Leur quotidien  bien que moins morne que le nĂŽtre  ne m'eĂ»t jamais convenu. Ils perdaient leur temps dans d'incessants palabres audibles depuis le fin fond de nos cellules. Ils ricanaient et se moquaient de tout en buvant du cafĂ©, des biĂšres, en passant des appels Ă leurs amis avec leurs mobiles ou en les invitant aux massacres. J'Ă©tais d'ailleurs Ă©tonnĂ© qu'il pĂ»t y avoir tant d'ĂȘtres sans cÂur. Et je me demandais souvent, avant de me rĂ©pondre qu'ils avaient dĂ» ĂȘtre aliĂ©nĂ©s d'une quelconque maniĂšre, comment il Ă©tait possible qu'ils eussent si peu de compassion pour nous. _ J'Ă©tais d'un Ăąge mĂ»r mais mes parents, que je n'avais jamais vraiment connus, m'avaient toujours manquĂ©. Nous n'avions passĂ©s que peu de temps ensemble car j'avais assez rapidement Ă©tĂ© dĂ©racinĂ© et dĂ©portĂ© lors de ma plus tendre jeunesse. Cela avait Ă©tĂ© une expĂ©rience effroyable que je ne souhaiterais Ă personne. _ J'avais fait le voyage jusqu'ici, parquĂ© avec mes nombreux frĂšres et cousins, sans eau et les pieds nus. Cela n'avait pas durĂ© longtemps mais avait Ă©tĂ© assez Ă©prouvant Ă cause de la vitesse Ă laquelle avaient Ă©tĂ© pris la plupart des virages lors de notre transport. Cela avait aussi Ă©tĂ© pour moi un grand moment de frayeur car on nous avait laissĂ©s dans le noir sans nous rĂ©vĂ©ler le lieu de destination. _ DĂšs que nous Ă©tions enfin arrivĂ©s, mon angoisse s'Ă©tait accentuĂ©e pour se muer en dĂ©sespoir. J'avais troquĂ© mes rĂȘves et mes souhaits contre des cauchemars et les pires craintes. Un de mes amis m'avait dĂ©jĂ parlĂ© d'un tel endroit, mais je n'avais jamais osĂ© croire en son existence tellement cela me paraissait improbable. Jusqu'alors, j'avais toujours considĂ©rĂ© ses dires comme une lĂ©gende illustrant les dĂ©lires les plus fous et incertains. Mais je devais Ă prĂ©sent me rĂ©soudre Ă faire face Ă la triste vĂ©ritĂ©. _ Jour aprĂšs jour, mes frĂšres et mes cousins sortaient de ces geĂŽles pour ne plus jamais y rentrer. A chaque fois, j'observais nos ennemis qui n'hĂ©sitaient pas Ă les torturer devant nos yeux. Le mode opĂ©ratoire consistait en diffĂ©rentes sĂ©quences de rites avant la mort. Les jours passaient et le nombre de prisonniers dĂ©croissait tandis que celui de morts ne faisait que progresser inĂ©luctablement. _ Un jour, l'ennemi oublia de fermer la porte de la cellule. Un de mes cousins persuada un de mes frĂšres Ă l'esprit mallĂ©able de s'Ă©chapper. Ce cousin Ă©goĂŻste cherchait en fait Ă observer si la fuite Ă©tait rĂ©ellement possible ou non. Mon frĂšre voulut tenter sa chance. Malheureusement, il n'existait aucune passerelle menant Ă la sortie de cet enfer. DĂšs qu'il fut sorti de la cellule, un geĂŽlier arriva furibond et l'extermina sur le champ. _ Les cellules Ă©taient Ă prĂ©sent presque toutes vides. Seul un de mes frĂšres se trouvait encore Ă mes cĂŽtĂ©s, c'Ă©tait le benjamin. Je savais que la prochaine fois qu'un des ennemis viendrait emmener quelqu'un, ce serait l'un de nous deux. Ainsi, je dĂ©cidai que je lui apporterais mon soutien en passant en premier afin de lui laisser un rĂ©pit. Il s'agissait lĂ du seul acte dont j'Ă©tais encore capable, alors je me devais de le faire. _ Le dernier jour de ma triste existence sonna enfin. L'ennemi ouvrit la cellule et commença Ă nous regarder en affichant un sourire malsain. Mon courage comme guide, je me plaçai devant mon frĂšre de maniĂšre Ă ĂȘtre vu le premier. Je me demandai comment je fis pour ne pas crier lorsque la poigne de fer de l'ennemi m'extirpa, mais je n'eus pas le temps de m'y attarder car, pour une raison inexpliquĂ©e, il me donna une douche froide. Je supposais qu'il avait peut-ĂȘtre peur que je ne lui salisse les mains. _ C'est alors que j'entendis le bruit qui signifiait que la fin Ă©tait toute proche. C'Ă©tait le bruit de l'eau Ă©bouillantĂ©e que contenait une cuve bien plus grande que moi celle qui servirait Ă m'exĂ©cuter. Je repensai Ă ma terre natale en regrettant le passĂ© et en prenant conscience de la limite de mon futur. On me plongea dans mon destin au fond de cette cuve. J'endurai mon calvaire inhumain. Alors qu'au fond de moi se mĂȘlaient la douleur morale et la souffrance physique, je sentais la vie me quitter. Les derniers mots que j'entendis avant mon trĂ©pas furent ceux d'une connaissance de mon geĂŽlier qui, tout en me regardant, s'exclama d'une voix jubilatoire Tu viens de le mettre Ă cuire ? J'adore les brocolis ! » Nouvelle 153 _ Vie Il Ă©tait une fois, non pas une, deux⊠ou trois !! ?? Je ne sais plus trĂšs bien, mais peu importe, puisqu'une fois suffit pour vous la raconter⊠mon histoire. Du moins l'histoire de cette petite fille Ă qui tout arrivait, mĂȘme l'inracontable. Elle se faisait appeler, Vie. _ Elle Ă©tait nĂ©e sous le signe des meilleures augures !!! Celui de la chance et du bonheur. _ Ce dernier fit en effet quelques apparitions, Ă chaque fois trop brĂšves pour que cette petite fille puisse le nommer. _ Quelle importance, puisque sous les aires de catastrophe, il arrive toujours a pointer son nez, alors savoir le nommer ?? L'essentiel c'est d'arriver Ă l'attraper. Eh, non, pas comme on attrape un rhume. _ Un bonheur ça ne s'attrape pas d'ailleursâŠ.., c'est pas une maladie. Quoique, Non Ă peine si l'on rĂ©ussit Ă le frĂŽler ne serait ce que du regard, juste l'effleurer, le toucher ou mieux encore s'y baigner. _ Un bonheur c'est comme un rayon de soleil. Allez mettre un rayon de soleil dans une boite, vous !!! _ Pourtant c'est pas faute d'avoir essayé⊠à part les frĂšres LumiĂšre qui inventĂšrent le cinĂ©ma, c'est vrai ce ne sont pas les rayons du soleil qu'ils rĂ©ussirent Ă enfermer dans une boĂźte, mais la lumiĂšre _ Et bien cette petite fille, elle, elle y arrivait. Seulement, sa boite n'Ă©tait jamais assez grande. Chaque jour un, deux, six d'un coup Ă ranger jusqu'Ă plus. Vie ne s'en sortait plus Ă devoir changer de boĂźte tous les jours. Alors elle dĂ©cida de les accumuler d'abord dans sa chambre, puis trĂšs vite elle envahit le couloir, la chambre de papa maman, du petit frĂšre, de la grande sÂur, jusque dans la baignoire de la salle de bains. Puis les escalier, le sĂ©jour, la cuisine, le hall d'entrĂ©e, et comme cela n'Ă©tait toujours pas suffisant, elle amoncela ces petits tas de bonheur dans le jardin, mĂȘme la niche d'Hector le chien saint-bernard ne put y Ă©chapper. Bref son histoire commença Ă interpeler les parents. Tous ces bonheurs emmagasinĂ©s dans la maison, passaient encore, mais dans la rue ; jusqu'oĂč allait on ? Palabre, cafĂ©s sur cafĂ©s, ensemble parents et voisins, n'eurent de cesse de chercher une solution pour calmer cette invasion jubilatoire. _ Cependant, les voisins qui s'Ă©taient accrochĂ©s Ă leurs petits soucis, leurs petits chagrins, et qu'ils n'Ă©taient pas prĂȘts Ă abandonner pour du bonheur, ne purent rien faire contre ce dĂ©ferlement. Oui OUI messieurs Dames, Un torrent de tas de petits bonheur commençaient Ă envahir toutes les rues, puis tous les jardins, les maisons, les bureaux, les usines, rien ne fut Ă©pargnĂ©, pas le moindre recoin. Et la petite fille n'y pouvait rien. _ Personne n'y pouvait, rien. Personne ne rĂ©ussit Ă freiner cette invasion. _ C'Ă©tait bien simple, partout oĂč Vie passait le bonheur s'installait. _ Jusqu'au jour oĂč, sous ce dĂ©ferlement de bonheur, un des pays pas encore atteint par cette heureuse pandĂ©mie, trouva la parade, ils inventĂšrent la Peur. _ Et oui le bonheur s'installant partout, plus personne ne se souciait de gagner de l'argent pour gagner de l'argent. Incroyable, monstrueux. Il fallait Ă tout prix stopper cet ignominie. _ C'est ainsi que malheureusement pour tous les habitants de la planĂšte terre naquit la peur. _ Vie, devant ce grand danger, pour elle mĂȘme, dĂ»t agir, et vite. _ RĂ©pondant Ă l'appel de son guide intĂ©rieur, elle troqua pĂšle mĂȘle tous ces petits tas de bonheur contre des tas de bĂ©quilles. Ainsi, Ă chaque Ă©branlement causĂ© par la peur, un soutien venait Ă©tayer l'ensemble. _ Avec toutes ces bĂ©quilles, se construisit, ponts, passerelles, Ă©difices pour ces aliĂ©nĂ©s de la peur. Bien que mallĂ©able, cette derniĂšre bien trop mobile, se devait d'ĂȘtre stoppĂ©e, et nette. Des sĂ©quences courtes d'apprentissage de domptage de peur, s'instaurĂšrent. Et Vie, avec tous ces petits bonheurs, s'illustra encore fois, par sa dextĂ©ritĂ©. _ Une par une elle rĂ©ussit Ă immobiliser et vaincre les peurs. _ Et c'est ainsi que peu Ă peu s'ouvrit le monde aux bonheurs, du plus petit au plus grand, du plus gros au plus mince, bref, sans distinction aucune. _ Car si tu sais prendre chaque instant de bonheur de VIE quelque qu'il soit, c'est toi qui aura gagnĂ© !!! Nouvelle 154 _ Neige Dehors la tempĂȘte s'amplifiait les flocons tombaient drus et Ă©pais tandis que sur le poĂȘle le cafĂ© restait au chaud .Tout se mĂȘlait dans sa tĂȘte souvenirs, rĂȘves, tracas quotidiens. Comment ne pas se laisser aliĂ©ner par cette solitude, comment troquer cette vie loin de tout contre une existence intrĂ©pide oĂč l'on agit comme l'on respire, dans les horaires, les contraintes, les objectifs Ă atteindre⊠Nul besoin alors, de s'interroger sur le sens des choses, sur ce qui oriente et guide son activitĂ© ; les appels du tĂ©lĂ©phone mobile rythment et meublent les trajets, les attentes de bavardages innocents et plats, sans vĂ©ritable contenu, du genre T'es oĂč ?, J'arrive, tu me vois ? » Absolument rien Ă voir avec la palabre des Anciens du village qui Ă©lĂšve les esprits, les agite et les apaise dans la magie d'une parole partagĂ©e ; Non rien Ă voir avec cela, mais la sensation rassurante d'une vĂ©ritable passerelle entre soi et cet autre au bout du fil », comme la promesse d'ĂȘtre ensemble toujours. _ AbsorbĂ© dans sa rĂȘverie intĂ©rieure, l'homme s'approcha de la fenĂȘtre ; lĂ , saisi par l'Ă©clat du paysage enneigĂ©, ses yeux s'arrĂȘtĂšrent sur deux oiseaux minuscules, mĂ©sange, troglodyte peut-ĂȘtre, voletant Ă la recherche de quelque miette perdue. Un peu plus loin une pie s'Ă©tait posĂ©e et sur la branche d'un chĂȘne on pouvait deviner le bec jaune du merle. L'homme, le front appuyĂ© contre la vitre, se laissa envahir par la scĂšne. Peu Ă peu la mĂ©lancolie le quitta ; c'Ă©tait comme si le spectacle vivant l'avait introduit dans une page de livre pour enfant, un conte illustrĂ©. FraĂźche et douce, ferme et solide, la vitre lui offrait toujours le mĂȘme soutien ; il n'avait plus Ă se soucier de lui-mĂȘme et pouvait se laisser aller Ă une dĂ©tente jubilatoire et bĂ©nĂ©fique. _ Neige et oiseaux avaient suffi Ă transformer le moment. _ Il ne s'Ă©tait rien passĂ© en fait ; rien ou pas grand chose, juste assez d'abandon de soi pour, un instant, devenir tendre et mallĂ©able, rĂ©actif au sursaut joyeux du regard. Dehors la neige tombait encore ; Ă l'intĂ©rieur, une nouvelle sĂ©quence pouvait commencer l'homme avala une tasse de cafĂ© et se mit Ă Ă©crire. Nouvelle 155 _ Regarde, Agis C'Ă©tait par hasard qu'il l'avait trouvĂ©e. _ Lorsqu'il l'avait vue dans ce bar, il avait reconnu son visage pour avoir Ă©tudiĂ© les fichiers de toutes les personnes disparues. Aussi, le soir mĂȘme, il avait parcouru la base de donnĂ©es piratĂ©e et trouvĂ© Anita. Fille d'un des membres du gouvernement, Ă©tudiante en droit, promise Ă une grande carriĂšre politique, elle avait disparu, comme ça, un beau jour. Non, elle n'avait pas exactement disparu. Elle leur avait juste tournĂ© le dos, refusant leur soutien financier, ne leur adressant plus la parole, se soustrayant Ă leur regard. Du moins, le croyait-elle⊠Ils l'avaient vite retrouvĂ©e. Ă'avait Ă©tĂ© assez facile, elle n'avait rien effacĂ© de sa vie antĂ©rieure. L'once de dĂ©goĂ»t et l'Ă©tincelle de rĂ©bellion Ă©taient dĂ©jĂ en elle. Il suffirait de lui montrer comme sa fuite Ă©tait factice pour faire renaĂźtre cette Ă©tincelle et en faire un brasier. Muni de ses informations, il retourna au bar et s'arrangea pour que ce soit elle qui le serve. _ â Mademoiselle ? Vous voulez bien prendre un cafĂ© avec moi ? _ Anita avait lĂ©gĂšrement rosi, consultĂ© sa montre _ â Oh, je peux bien prendre ma pause maintenant⊠_ La premiĂšre sĂ©quence du plan de Daniele Ă©tait facile. Il avait beaucoup de charme, peu de femmes rĂ©sistaient Ă une demande Ă la fois aussi anodine et aussi connotĂ©e. La seconde partie Ă©tait plus ardue, mais tout Ă©tait affaire de rhĂ©torique, et il s'y connaissait. _ â Alors ? Il te plaĂźt ce boulot ? _ â Oh, oui, on rencontre des gens trĂšs intĂ©ressants ! C'est assez physique pour rester en forme, et les horaires sont trĂšs bien ! _ â Pas trĂšs convaincant⊠Ăa ne te plaĂźt pas, hein ? Je suis sĂ»re que tu aurais pu avoir beaucoup mieux⊠Tu n'as pas envie de changer ? _ â De quoi tu te mĂȘles ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? _ Anita s'Ă©tait levĂ©e, rose d'agacement cette fois. Il lui prit le bras pour la retenir _ â Tu as fait du droit, non ? _ â Comment tu sais ça ? _ â Peu importe⊠Mais ça ne te plaisait pas⊠Pas plus que ce que tu fais maintenant ne te plaĂźt. Tu es partie, tu te sentais aliĂ©nĂ©e⊠Et qu'est ce que tu as fait ? Tu es passĂ©e Ă une autre aliĂ©nation. Maintenant il faut dĂ©passer ça ! _ â Laisse-moi tranquille⊠Je suis bien comme ça, personne ne sait oĂč je suis, personne ne me contrĂŽle⊠_ â Ăa c'est ce que tu crois. _ Il pointa son badge pour illustrer ses propos _ â Tu as ton vrai nom lĂ -dessus. Une puce et tout ce qu'il faut. Tu crois vraiment que tu es introuvable ? _ â La semaine, je travaille dans une fabrique de mobiles, tu sais, ce qu'on accroche au-dessus du berceau des enfants ? On n'a pas de badges lĂ -bas⊠_ â Mais tu as gardĂ© le mĂȘme compte bancaire, le mĂȘme numĂ©ro de SĂ©curitĂ© Sociale, la mĂȘme identitĂ© ! C'est facile de te retrouver, il suffit d'avoir des contacts dans ta banque⊠_ â Ce que je te propose, Anita, c'est agir. Tu crĂšves de faire ce boulot de serveuse, tu crĂšves d'entendre et de voir les mĂȘmes inepties, tu as vĂ©cu parmi eux, je le sais. Et tu sais ce qui se passe en rĂ©alitĂ©, tous les jours, et qu'on nous cache. Tu as choisi de ne pas le voir pour ne plus ĂȘtre confrontĂ©e Ă ta lĂąchetĂ©, mais si tu agissais maintenant ? Si tu dĂ©cidais d'ouvrir les yeux ? Si tu dĂ©cidais de les regarder en face et de ne plus ĂȘtre lĂąche ? _ â Mais⊠Mais on n'en fait pas ce qu'on veut de la rĂ©alitĂ©, elle n'est pas mallĂ©able⊠_ â TrĂȘve de palabres ! Ne chercher pas Ă te justifier, Anita, tu as Ă©tĂ© lĂąche, maintenant je te propose d'ĂȘtre courageuse⊠Je suis Ă la passerelle nord tous les mardis Ă 15h. Si tu veux que nous agissions ensemble, tu n'as qu'Ă m'y rejoindre. _ Elle acquiesça sans mot dire, et retourna Ă ses occupations. Mais elle savait dĂ©jĂ qu'elle rĂ©pondrait Ă l'appel, elle n'avait pas besoin d'y rĂ©flĂ©chir. Il avait fait renaĂźtre en elle les souvenirs de tout ce qu'elle haĂŻssait dans cette nouvelle sociĂ©tĂ©. Quelques semaines plus tard, elle avait troquĂ© sa petite vie banale et bien rangĂ©e pour une vie en marge, rebelle. Il avait Ă©tĂ© tout Ă fait jubilatoire de voir Daniele faire disparaĂźtre une Ă une toutes les preuves de son existence. Le mercredi suivant sa disparition de tous les fichiers gouvernementaux, elle accomplissait son premier vĂ©ritable acte de rĂ©bellion. Oh, pas grand-chose, juste ce qu'il fallait pour bien faire comprendre que ce gouvernement avait quelque chose d'insupportable. Le mercredi matin, elle s'introduisit donc Ă l'AssemblĂ©e parmi le personnel d'entretien, et dĂ©posa un boĂźtier muni d'un minuteur, dans un coin de la tribune du public. En plein milieu de la sĂ©ance, on put entendre l'hymne français adoptĂ© lors de la RĂ©volution, et maintes fois interdit par la suite. Juste ce qu'il fallait pour annoncer des reprĂ©sailles futures⊠_ La Victoire en chantant nous ouvre la barriĂšre _ La LibertĂ© guide nos pas _ Et du Nord au midi, la trompette guerriĂšre _ A sonnĂ© l'heure des combats. _ Tremblez ennemis de la France, _ Rois ivres de sang et d'orgueil. _ Le peuple souverain s'avance _ Tyrans descendez au cercueil ! » Nouvelle 156 _ Hurler pour survivre J'ai l'impression de ne pas exister », hurla t-il dans le silence de la montagne. Un appel presque bestial Ă la fois jubilatoire et dĂ©sespĂ©rĂ©. Au plus loin qu'il voyait se dessiner le chemin devant ses yeux Ă©carquillĂ©s de folie, il n'espĂ©rait plus rien. Pourtant, il attendait encore, il espĂ©rait toujours. _ Le souffle lui revint, sa respiration reprit un doux rythme. Rien n'Ă©tait plus important pour lui que de s'aliĂ©ner Ă cette marche infinie. Ses chaussures Ă©taient depuis bien longtemps usĂ©es par la poussiĂšre caillouteuse de cette route sans fin. Le sourire avait quittĂ© son visage. Son seul guide Ă©tait les rayons du soleil mĂȘlĂ©s tantĂŽt Ă une brume matinale, tantĂŽt Ă une pluie d'aprĂšs-midi. Il avait pris l'habitude d'illustrer mentalement chacun de ses cris. Pour chacune de ses phrases Ă l'allure de sentences, il s'imaginait dans une autre vie, une autre nature, une autre Ă©poque⊠mais surtout pas, non, surtout pas, lĂ , dans ce moment-lĂ . _ Pour le j'ai l'impression de ne pas exister », il se voyait avec des lunettes de soleil, sirotant un cafĂ©-crĂšme, sur une terrasse embaumĂ©e par les magnolias, regardant une nuĂ©e de badauds qui, tous, un par un, le regardait avec un sourire bienveillant. Il goĂ»tait avec dĂ©lectation aux Ă©motions que lui procurait cette sĂ©quence animĂ©e. _ Parfois, seule une image figĂ©e lui parvenait⊠Sur le Merde, me laissez-pas ! », c'Ă©tait Ă la tombĂ©e de la nuit. Il se trouvait ridicule. Il pensait Ă sa mĂšre⊠SA mĂšre qui l'avait Ă peine pris dans ses bras. Mais, ce n'Ă©tait pas elle qui venait Ă son esprit. Non ! LĂ , prĂ©cisĂ©ment, lĂ , Ă ce moment exact, dans cette boĂźte de nuit branchĂ©e, nu, tel un athlĂšte grec, de son podium, il surplombait, immobile, une nuĂ©e de danseurs subjuguĂ©s par la perfection de son corps. L'image restait fugace. Il fallait sans cesse la reconstruire. Image trop mallĂ©able ! _ Et puis, quand il n'avait plus la force de hurler, il se souvenait de sa vie. Sa vie d'avant. Avant d'ĂȘtre en perdition dans ce lieu hostile, Sa vie d'avant oĂč il se voyait agir costume sur mesure, cravate unie, souliers vernis. Une vie de palabres alimentĂ©es par son tĂ©lĂ©phone fixe, son fax, son ordinateur portable et surtout, son tĂ©lĂ©phone mobile, le plus important. Vital ! Curieusement, les images de son passĂ© ne l'apaisaient pas. Il faisait beaucoup d'efforts pour les troquer contre d'autres visions, celles qu'il avait créées depuis qu'il marchait sur ce chemin. _ Au fil des jours, il comprit que ces images figĂ©es ou animĂ©es l'accompagnaient, l'aidaient ensemble, ils reconstruisaient un univers imaginaire. Un soutien dans ce monde uniforme, avec si peu de couleurs, si peu de reliefs. _ Pourtant, un jour, sans qu'il s'en rende compte, le paysage se mit Ă changer des arbustes fleuris remplacĂšrent les rares buissons. Ses hurlements laissĂšrent place Ă des cris, puis Ă des appels presque apaisĂ©s. Moins il hurlait, et plus la vĂ©gĂ©tation se faisait dense. _ Le silence devenait apaisant. _ C'est alors qu'il comprit que, vraiment, tout avait changĂ©. Le chemin s'arrĂȘtait devant une riviĂšre. Il aperçut une passerelle en bois. Peut-ĂȘtre se serait-il mĂȘme surpris Ă sourire mais une voix lui murmura Si je pouvais choisir, c'est dans tes bras que je voudrais mourir. Tu es la vie au-dedans et au dehors. Alors je me nourris Ă l'infini de ta vie. Je me plonge dans tes yeux et je veux y vivre. Un regard en forme de pichenette et de pied de nez. Nous nous sommes choisis et nous cheminons l'un vers l'autre. Je meurs mille fois quand tu ne me regardes pas. Comme seule nourriture, je n'accepterais que ton sourire⊠». _ Alors, il accepta enfin de sourire⊠et d'ouvrir les yeux. _ De ses doigts fĂ©briles, il reprit contact avec une autre rĂ©alitĂ© celle de son lit d'hĂŽpital, aux draps blancs et de sa chambre aux murs irisĂ©s. _ Proche de lui, si proche qu'il aurait pu la toucher s'il en avait eu la force, un visage de femme Ă©tait penchĂ© au dessus de lui et lui souriait sans parler. Ses yeux brillaient de larmes. _ Avec une joie intense, il l'entendit alors prononcer ces quelques mots Si je devais mourir, c'est dans tes bras que je le ferai »⊠Nouvelle 157 _ Stalactite La lumiĂšre du jour passait Ă travers la baie vitrĂ©e du salon. La piĂšce Ă©tait trĂšs claire, trĂšs spacieuse, trĂšs lumineuse, meublĂ©e sobrement et Ă©lĂ©gamment. Les murs Ă©taient d'un blanc immaculĂ©. Au centre de la piĂšce, une femme habillĂ©e d'un tailleur chic et d'un pantalon assorti Ă©tait assise Ă une table en verre, seule. Elle se regardait dans un miroir en buvant son cafĂ©. CrispĂ©e, des cernes sous les yeux, elle semblait extĂ©nuĂ©e, et ne s'Ă©tait pas maquillĂ©e. A la voir dĂ©jeuner dans ce cadre, aussi tĂŽt le matin, avec son chignon strict et son air absent, on pensait tout de suite Ă une femme d'affaires surmenĂ©e. Elle caressait de ses longs doigts fins sa bague de fiançailles qu'elle ne parvenait pas Ă ĂŽter, mĂȘme des semaines aprĂšs la mort de son mari⊠_ Tout d'un coup elle se leva, et jeta de toutes ses forces la tasse qu'elle venait de terminer sur le miroir, qui Ă©clata dans un fracas assourdissant et rĂ©pandit sur le sol des morceaux de verre. Puis, toujours rageuse, elle renversa la table, qui se fracassa Ă©galement, le bruit du choc rĂ©sonnant dans la salle. La jeune femme s'Ă©croula en sanglots sur le sol, des bouts de verre lacĂ©rant ses cuisses et les paumes de ses mains. Elle se regarda alors dans un fragment de miroir qui se trouvait non loin d'elle. Elle serra les poings, se releva, dĂ©fit sa ceinture et quitta son pantalon. Ensuite elle retira sa chemise, dĂ©grafa son soutien-gorge et enleva sa culotte. AprĂšs, elle tira sur l'Ă©lastique qui nouait ses cheveux, et retira une Ă une les Ă©pingles de son chignon. _ Elle marcha jusqu'Ă la baie vitrĂ©e, au milieu des Ă©clats de verre. Elle ressemblait Ă un fantĂŽme, semblait Ă peine humaine. Elle ouvrit la porte-fenĂȘtre. Elle agissait mĂ©caniquement, froide et presque triomphante dans sa douleur. Du sang coulait de ses blessures. Elle sortit pieds nus dans la neige, fit quelques pas et se blottit alors en chien de fusil sur le sol, dans le froid. Elle resta longtemps prostrĂ©e dans cette position, sentant des flocons de neige recouvrir son corps d'une fine pellicule de coton blanc et gelĂ©. Ăa lui faisait du bien. Elle se sentait exister Ă travers cette souffrance. Elle avait cessĂ© de vivre en mĂȘme temps que son mari. Il lui manquait Ă un point inimaginable. Les souvenirs des moments passĂ©s ensemble, des longs palabres les soirs d'hiver, lui revenaient par sĂ©quences, toujours douloureux. _ Elle ferma les yeux et resta comme ça pendant des heures, des larmes roulant sur ses joues, se transformant aussitĂŽt en perles de glace. Au bout d'un moment, frigorifiĂ©e, les lĂšvres bleuies, elle se leva, laissant l'empreinte de sa silhouette et des traĂźnĂ©es Ă©carlates dans la neige. Une voix. Elle entendit la voix de son Ă©poux, comme un appel. Elle la suivit jusqu'Ă une passerelle au fond du jardin, comme on suit un guide, laissant derriĂšre elle la trace de ses pas dans la neige mallĂ©able. Plus elle progressait, plus la voix semblait rĂ©elle et l'attirait. Elle traversa le pont. ArrivĂ©e de l'autre cĂŽtĂ©, elle poussa un cri jubilatoire oĂč se mĂȘlaient extase, et souffrance. _ Elle se rĂ©veilla en hurlant, toujours allongĂ©e dans la neige. C'Ă©tait impossible ! Elle avait rĂȘvĂ© ! Elle se releva, paniquĂ©e, et courra jusqu'au pont. Il n'y avait pas de marques dans la neige. Un cauchemar. Il illustrait parfaitement ce qui lui arrivait depuis le dĂ©cĂšs de son mari. Elle dĂ©lirait souvent, son esprit dĂ©raillait. Elle troquait sans cesse illusions, souvenirs, sensations, avec la rĂ©alitĂ©. Elle avait pu auparavant remonter la pente grĂące au soutien et Ă l'amour de son mari. Il n'Ă©tait plus lĂ . Elle n'avait plus de mobile, comme il disait, d'avancer, de se relever. Sa raison de vivre Ă©tait morte. _ Tremblotante, elle monta sur la passerelle, le verglas brĂ»lant les coupures faites par le verre sur la plante de ses pieds. Son souffle saccadĂ© faisait peine Ă entendre. De la vapeur s'Ă©levait dans l'air lorsqu'elle respirait. Elle s'appuya sur la barriĂšre du ponton, leva son visage vers le ciel, des flocons tombant sur son corps nu et mutilĂ©, la faisant frissonner. Un unique rayon de soleil fit briller une larme sur sa joue bleuie par la froideur de l'hiver. Elle serra les mĂąchoires et ses Ă©paules se raidirent. Elle se retourna une derniĂšre fois vers leur maison. Puis, elle arracha Ă deux mains, dans un dernier effort, une stalactite qui pendait sous le rebord de la barriĂšre du pont. Elle leva la pointe et se la planta dans le cÂur de toutes ses forces, aliĂ©nant Ă la mort les derniers fragments de vie qui l'habitaient. _ Elle s'Ă©croula sur le sol, le pieu de glace enfoncĂ© dans le sein gauche. On entendit un dernier murmure⊠_ Je t'aime. » Nouvelle 158 _ Agir C'est en cherchant aprĂšs un support pour Ă©crire que je tombai sur mon ancien cahier de collĂ©gien. Sur la couverture, on pouvait encore lire l'en-tĂȘte qu'une main maladroite avait remplie avec une dĂ©vouĂ©e application classe de sixiĂšme B ». Je ressentis un lĂ©ger pincement au cÂur en dĂ©couvrant cet objet dont j'avais oubliĂ© l'existence. Ou plutĂŽt que j'avais relĂ©guĂ© Ă un passĂ© lointain et diffĂ©rent, celui d'une personne que je n'Ă©tais plus. En somme, tenir ce vestige entre mes mains m'apparut comme un appel du passĂ©. Vestige d'une vie qui n'Ă©tait Ă l'Ă©poque ni malheureuse ni joyeuse. J'Ă©tais un collĂ©gien plutĂŽt effacĂ©. Ni trĂšs bon ni trĂšs mauvais, de ceux dont les professeurs mettent du temps Ă retenir le prĂ©nom. J'avais traversĂ© le collĂšge puis le lycĂ©e et l'universitĂ© pour devenir comme l'on dit un jeune actif ». Moins effacĂ©, avec un peu plus d'amis, un travail qui ne m'apportait pas la sensation d'avoir changĂ© le monde mais qui me satisfaisait nĂ©anmoins. Un petit monsieur tout-le-monde, un de ceux que vous croisez le matin en prenant le mĂ©tro. Un petit peu au dessus de la moyenne nĂ©anmoins, j'avais fait des Ă©tudes plutĂŽt longues en sciences humaines et brassĂ© un certain nombre de grandes considĂ©rations l'homme aliĂ©nĂ©, l'animal politique, la guerre de tous contre tous, j'en avais soupĂ© pendant plusieurs annĂ©es. J'avais donc l'immense privilĂšge de pouvoir citer Nietsche ou Lacan entre deux gorgĂ©es de biĂšres ou encore de mener des discussions enflammĂ©es au cafĂ© sur la permanence de l'Âuvre de Marcel Proust au XXIe siĂšcle. Satisfait, l'adjectif convenait plutĂŽt bien Ă mon Ă©tat d'esprit. Je n'avais jamais Ă©tĂ© trĂšs nostalgique, pourtant, feuilleter mon petit cahier de collĂ©gien entraĂźna en moi l'irruption de pensĂ©es confuses. Je lu la premiĂšre page SĂ©quence 1, leçon 1 » suivi de quelques mots d' anglais. Je souris. La sixiĂšme B, Monsieur Dubar, mon professeur d'anglais, mes efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour Ă©chapper au courroux maternel en tentant de mĂ©moriser tant bien que mal quelques mots de vocabulaire et atteindre le graal tant convoitĂ© du dix sur vingt. A bien y rĂ©flĂ©chir, la sixiĂšme avait Ă©tĂ© un moment plutĂŽt difficile de mon enfance. L'enfermement huit heures par jour dans un endroit pas trĂšs rĂ©jouissant, encerclĂ© par des grilles. Un univers quasi carcĂ©ral, le gris du bĂ©ton, les clan des grands » qui vous toisent du regard, vous mĂ©prisent ou vous briment. Non, vraiment, la vie Ă©tait loin d'ĂȘtre facile Ă l'Ă©poque de la sixiĂšme B. Je relu les mots soigneusement recopiĂ©s et classĂ©s par ordre alphabĂ©tique A an alarm clock », un rĂ©veil, B a boat », un bĂąteau. Effectivement il n'y avait rien de jubilatoire dans cette annĂ©e de sixiĂšme. Les confusions constantes dans le dĂ©dale des salles, la peur rĂ©currente de dĂ©cevoir, la pression quant Ă l'orientation. Au rythme des verbes irrĂ©guliers, je me remĂ©morai la boule au ventre des vendredis matins puis des salles d'examens. Eteignez vos tĂ©lĂ©phones mobiles, toute copie rendue en retard sera sanctionnĂ©e ». Finalement le petit Ă©lĂšve de sixiĂšme B n'avait pas tant changĂ©. La boule au ventre avait changĂ© de jour et Ă©tait passĂ©e du vendredi au mardi, journĂ©e d'inspection de la hiĂ©rarchie. Je suis toujours bloquĂ© huit heures par jour dans un environnement grisĂątre et quand je contemple les grilles fermĂ©es sur une cour cimentĂ©e, je repense aux palabres sans fin quant Ă l'orientation. De ces Ă©tranges ritournelles qui vous bercent jusqu'Ă la fin de vos Ă©tudes rĂ©ussir ou mourir, ĂȘtre heureux ou malheureux, tout se joue dans votre dossier scolaire, et par une subtile synecdoque au rĂ©sultat de cette interrogation d'anglais. Faire des listes, apprĂ©hender sans rĂ©elle ambition. MĂ©moriser. Je ne me suis finalement jamais illustrĂ© dans un domaine particulier et le petit sixiĂšme mallĂ©able se demande toujours ce qu'il est venu faire dans ce vaste ensemble dont les rouages lui semblent bien Ă©tranges. Les grands sont toujours en bande au fond de la cour. Ils sont toujours les plus populaires et les plus forts. Pas question de protester contre l'ordre Ă©tabli. Les passages et les passerelles sont toujours aussi confusants, je me perds encore dans les dĂ©dales. La rĂ©crĂ©ation sonne, je prends mes cinq semaines de congĂ©s payĂ©s. Le professeur dit que je dois accentuer mon travail, continuer de faire des efforts, j'ai droit Ă un cadeau de fin d'annĂ©e. Les surveillants surveillent, me disent de ne pas faire de bĂȘtises, de me mĂȘler de ce qui me regarde. Je tourne les pages, le petit sixiĂšme me demande d'agir mais je ne l'Ă©coute pas. C a clock » , une horloge, D a desk » un bureau. J'ai appris consciencieusement. J'ai eu la moyenne. Moi tout seul. Sans guide, sans soutien, sans souffleur. J'ai troquĂ© une partie de mon savoir, j'ai donnĂ©, j'ai reçu, j'ai Ă©tĂ© sage. Le petit sixiĂšme me demande si je suis satisfait. Je lui rĂ©ponds, aprĂšs une hĂ©sitation j'ai eu la moyenne » Nouvelle 159 _ Moratoire pour l'accessibilitĂ© Ă©nergĂ©tique » Azh descendit Ă la gare d'Ulan Bator avec cette indĂ©fectible expression jubilatoire qui la caractĂ©risait. C'Ă©tait pourtant un jour d'hiver ordinaire, la chape de pollution au dessus de la ville maintenait un niveau d'alerte 9, le plan charbon avait Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©, il Ă©tait difficile de respirer tout comme de voir le bout de l'avenue. Elle voulu prendre un vĂ©lo mais une fois de plus en cette saison les stations Ă©taient fermĂ©es. Elle mit son gšm3 pour se protĂ©ger et accĂ©lĂ©ra le pas pour ĂȘtre Ă l'heure au congrĂšs. _ En poussant la porte de la salle son mobile tombait Ă terre, ouvrant sa boite Ă messages bonne nouvelle, je serai lĂ pour ton arrivĂ©e ». Tout en rĂ©cupĂ©rant les feuilles du dossier qui s'Ă©talaient sur le sol et en rangeant son masque, elle vĂ©rifiait la source du texto. Elle n'avait pas aperçu Iknut et de toute maniĂšre il n'avait pas pour habitude d'ĂȘtre prĂ©venant Elle put attraper un cafĂ© avant de s'installer autour de la table de discussion. Il Ă©tait dĂ©jĂ lĂ , prĂ©sidant la rencontre des FĂ©dĂ©rations. Ses joues s'embrasaient, elle avalait vite une gorgĂ©e du breuvage brulant-essayant de sauver son embarras L'avait il vraiment attendue, ou bien voulait il simplement lui transmettre un soutien ? Ou Ă©tait-ce cette condescendance qu'il exprimait quelquefois ? Iknut ouvrit la sĂ©ance en soulignant l'importance des dĂ©bats. L'Appel de Nomade International avait Ă©tĂ© entendu, chaque membre venait aujourd'hui dĂ©fendre un projet fĂ©dĂ©rateur pour l'ensemble des RĂ©gions. Azh mit sur silencieux, posait le portable devant elle, se concentrait finalement sur ses travaux et prit la parole sans prĂ©ambule MĂȘme si notre modĂšle de dĂ©veloppement et nos Ă©co-villages inspirent bien des initiatives ici oĂč lĂ , nos vraies difficultĂ©s viennent actuellement de notre dĂ©pendance Ă©nergĂ©tique qui contribue fortement Ă aligner notre Ă©conomie sur le modĂšle dit- occidental notamment en matiĂšre d'Ă©changes. Nous devons agir au plus vite pour nous en affranchir. De part les situations gĂ©o-climatiques extrĂȘmes, dont nous nous proclamons, nous ne devons pas pour autant nous laisser aliĂ©ner par la logique des gouvernements traditionnels. Il en va de notre souverainetĂ© ». Un murmure parcourut la salle, s'amplifiait. Son intervention, une fois de plus, provoquait l'approbation et suscitait les dĂ©bats Oui, comment continuer Ă se passer d'Ă©nergie lĂ©gale jusqu'Ă quatre mois l'annĂ©e et supporter d'ĂȘtre Ă©pinglĂ©s par la Commission et son cortĂšge de pĂ©nalisations » »Sans compter que nous pourrions augmenter nos productions en restant fidĂšle nos choix » »Quant au fossĂ© numĂ©rique il n'est que partiellement comblĂ© ! Le Protocole avait pourtant Ă©tĂ© clair sur cette passerelle, mais nous en sommes rĂ©guliĂšrement coupĂ© faute d'accĂšs permanent Ă l'Ă©nergie » »Nos capacitĂ©s de financement sont moindres, pourtant nos matiĂšres premiĂšres rares et prĂ©cieuses ». Azh repris la parole Justement notre rĂ©flexion s'appuie sur l'article 15 de la Convention sur la DiversitĂ© Biologique. Nos prĂ©dĂ©cesseurs ont dĂ» se battre afin que la rĂ©partition des bĂ©nĂ©fices soit une rĂ©alitĂ©, ceci dit les accords continuent Ă particuliĂšrement nous lĂ©ser. Prenons l'exemple de Capra Hircus, seul le patrimoine gĂ©nĂ©tique global de l'animal est considĂ©rĂ©. Alors que la fibre pashmĂźnĂą est devenue un composant indispensable aux nouvelles technologies. Sa valeur pourrait ĂȘtre considĂ©rable dans nos Ă©conomies, plus seulement en terme textile. A y regarder plus scientifiquement une grande partie de nos produits dĂ©rivĂ©s contient des sĂ©quences gĂ©nomiques. Nous devons absolument obtenir une extension de la norme APA ». La mobilisation de toutes les communautĂ©s nomades avait Ă©tĂ© trĂšs forte dĂšs les premiers effets irrĂ©versibles du rĂ©chauffement climatique. Les fĂ©dĂ©rations rĂ©gionales indĂ©pendantes s'Ă©taient ensuite regroupĂ©es au sein de Nomade International. Un vĂ©ritable trait d'union Ă©tait nĂ© entre des entitĂ©s topographiques similaires dissĂ©minĂ©es Ă travers le monde. Et il avait fallu encore de longues dĂ©cennies avant que des accords internationaux leur reconnaissent une lĂ©gitimitĂ© de Gouvernement Ă faire valoir leurs droits. _ Iknut toussota. A dire vrai il s'ennuyait, connaissant dĂ©jĂ trop les dossiers dont il avait Ă©tudiĂ© la recevabilitĂ©. EreintĂ© par les voyages rapprochĂ©s, il rĂȘvait malgrĂ© tout d'une plage de sable fin aux antipodes de ses motivations habituelles, d'un beau sable blond et chaud, mallĂ©able Ă souhait, qui Ă©pouserait les courbes de son corps et le dĂ©connecterait de ses responsabilitĂ©s. Il s'ennuyait et pianotait distraitement sur son clavier. Azh ne vit pas tout de suite que son portable approchait le bord de la table, emportĂ© par les soubresauts du vibreur⊠le signal urgent clignotait, elle l'attrapait au vol, le mettait discrĂštement dans sa poche en lisant de Iknut au 28, ma cocotte d'amour ». DĂ©concertĂ©e par tant de dĂ©sinvolture, Azh essayait de contenir les spasmes qui montaient en elle, oĂč se mĂȘlaient des Ă©motions tout Ă fait contradictoires, un tragi/comique qu'elle ne pouvait exulter. Sauf qu'instinctivement son regard se tournait vers lui, essayant de lire une empreinte de ce qui par le passĂ© avait fait naitre des Ă©motions bien plus poĂ©tiques Le fou rire s'emparait d'elle, l'obligeait Ă quitter la salle. Il lui emboitait le pas Mais enfin, c'est insensĂ©, qu'est-ce qu'il t'arrive ? » Mais tu veux dire nerveuse qu'est qu'il t'arrive Ă Toi ? ces messages que je reçois gros Ă©clats irrĂ©pressibles je ne crois pas j'ai pas pu » Iknut rĂ©alisait sa mĂ©prise, son visage perdait de sa superbe Az s'essuyait les yeux, le fou rire la repris, reniflait, repartait de plus belle, essayant de terminer sa phrase, mais en vain. Finalement elle textotait un petit mot tĂ©moignage de la tendresse qu'elle gardait pour lui. Il haussait les Ă©paules â bien sĂ»r cela ne lui Ă©tait pas destinĂ© â et avec son grand rire franc il l'invita Ă rejoindre l'assemblĂ©e. Quoique incongrue, cette situation ne surpris personne car tous connaissaient leur histoire. EngagĂ©s l'un comme l'autre dans l'Ă©cologie politique le couple n'avait pas rĂ©sistĂ© aux nouvelles donnes. Lui avait choisi de rester Mongol, tandis qu'Azh, d'origine Bouriate avait optĂ© pour la nationalitĂ© de Nomade International. Sur le plan personnel elle incarnait pleinement l'esprit des Hauts Plateaux, tout comme elle illustrait parfaitement ce que la confĂ©dĂ©ration attendait de ses ambassadeurs. Il ne fallu pas des longues palabres pour que les RĂ©gions Oasis, Plaines, Fluviales, CĂŽtiĂšres et PĂŽles rĂ©itĂšrent leur soutien aux orientations qu'Azh avaient suggĂ©rĂ©es. Engager les pourparlers jusqu'Ă obtenir l'extension de la norme APA ; crĂ©er un guide multilatĂ©ral d'Ă©quivalence en unitĂ©s de valeurs savoir-faire/ productions locales ; exiger que ces matiĂšres soient dites -aussi â premiĂšres et puissent ĂȘtre troquĂ©es contre des Ă©quipements high-tech favorisant l'autonomie Ă©nergĂ©tique. Il devenait essentiel de se procurer les derniers gĂ©nĂ©rateurs solaires portatifs. Pour eux tous, la vie prenait son sens dans cette philosophie, ils se battraient, farouchement s'il le fallait, pour ensemble porter un peu plus loin le droit des peuples nomades Ă disposer d'eux mĂȘme. En l'occurrence, ce 12 janvier 2123 le Moratoire pour l'accessibilitĂ© Ă©nergĂ©tique » fut adoptĂ©. Et c'est ainsi, autour d'un verre d'airag et dans la convivialitĂ©, que se clĂŽturait le congrĂšs. Nouvelle 160 _ Kes ? _ Bonjour, vous allez oĂč ? _ Ben kestuveu qu'j'en sache ? _ ForcĂ©ment, cette rĂ©ponse lĂ personne ne s'y attend, du plus aguerri Ă celui qui a fait le plus long parcours, du plus blasĂ© Ă celui qui n'a jamais Ă©tĂ© regardant, y a un espace temps aussi nano soit il qui laisse l'Ă©ternitĂ© en suspens. Cependant, il faut aller vite, que le cerveau se dĂ©mĂšne Ă prendre ou pas la bonne dĂ©cision, au moins UNE dĂ©cision. Pas le temps de peser les pours les contres, examiner de prĂšs les mobiles qui font ou non ouvrir la portiĂšre ; Ă©couter l'instinct auprĂšs duquel il est si bon se rĂ©fugier en cas de doute. _ â Kestuveu qu'j'en sache est sur ma route si vous voulez. _ â J'mets mon sac Ă l'arriĂšre pour pas qu'ça vous dĂ©range ? _ â Oui merci. _ Elle s'installe, avec elle un certain malaise fait de mĂȘme. L'Ă©troit habitacle s'imbibe et renvoie l'Ă©paisseur de leurs postures malmenĂ©es. Comme une sĂ©quence obligatoire, le silence s'impose, ni l'un ni lautre ne sait comment briser ce mur muet, chacun cherche le mot qui sauve, la palabre qui dĂ©gourdit. Mais aucun des deux ne sait oĂč kestuveu qu'j'en sache se trouve, ils savent juste que la distance qui les en sĂ©pare est trĂšs mallĂ©able. Avec une base aussi friable, qui pourrait prĂ©tendre construire un Ă©change ? Mais bien sĂ»r ils en ont envie, ils ont Ă©tĂ© chiches de faire le premier pas, le plus dangereux, le plus alĂ©atoire, alors savoir si kestuveu qu'j'en sache c'est loin c'est prĂšs, on s'en fout, le truc important et urgent Ă savoir lĂ tout de suite, y vont ils ensemble ou l'un Ă cĂŽtĂ© de l'autre. _ â Excuse moi M'sieur normalement j'fais pas mais j'ai la tĂȘte un peu mĂȘlĂ©e, je peux fumer ? _ â Ouf ! _ â Presque j'attendais l'appel pour en fumer une moi mĂȘme, mais on ouvre un peu les vitres. _ Elle se dĂ©tend, il se dĂ©coince les vertĂšbres, elle roule une clope et la lui tend, son sourire Ă elle est espiĂšgle, son sourire Ă lui est sĂ©duisant. Elle lui passe le briquet, s'en roule une pour elle ; avant le retour de la flamme, elle pose en grandiose son sourire ce n'est que par respect du soutien qu'aura Ă©tĂ© cette cigarette, de l'ouverture qu'elle aura provoquĂ©e, ces deux lĂ ne sont pas prĂšs d'arrĂȘter de fumer. _ La gĂȘne ne s'est pas pour autant volatilisĂ©e, quelques uns de ses jalons les entourent encore et elle a beau farfouiller des yeux les alentours, elle ne trouve pas. _ â Faut un guide pour trouver l'cendrier ? _ Il sourit, sĂ©duit encore mais en plus il est charmant, appuie doucement sur une surface invisible aux non initiĂ©s et un tiroir vierge de tout mĂ©got s'extirpe entre eux deux. _ â Waouh, c'est classieux. Ceci dit si tu fumes jamais dans ta caisse, faut pas le faire pour moi. _ S'aliĂ©ner Ă ma connerie, c'est pas forcĂ©mĂ©nt une bonne idĂ©e. _ â Je ne suis pas sĂ»r de m'aliĂ©ner, je suis certain d'apprĂ©cier la cigarette. _ â Avant d'arriver Ă kestuveu qu'j'en sache, ça te dit une pause cafĂ© ? _ â Que du bonheur. _ Avant de trouver l'endroit qui leur ressemble, la gomme laisse ses empreintes sur des tonnes de kilomĂštres, pendant ce temps ils ont trouvĂ© leur distance et dĂ©ployĂ© des lĂ©s entiers de paroles. Les points communs qui n'Ă©taient au dĂ©part que des hasards se dessinent au fur et Ă mesure du macadam essuyĂ© comme des points de suspension sur la passerelle inavouĂ©e entre l'enfance et l'apparence d'adulte. _ Que faire de tout ça ? _ Les coĂŻncidences sont troublantes, mais ce qu'il ne peut avouer reste inavouable. Les concordances sont indĂ©niables, mais elle n'a jamais pu savoir ni qui ni combien ils Ă©taient Ă l'avoir laissĂ©e sur un chemin de vie si chaotique. _ Il ralentit. Le patelin est tout petit, la borne barrĂ©e de sa limitation se voit depuis la borne d'entrĂ©e⊠en y mettant un peu du sien. _ â Tu penses que c'est bien d's'arrĂȘter lĂ ? _ â Pour le cafĂ© le plus infĂąme sans doute, pour le bistrot le plus pittoresque certainement. _ Sur la table oĂč ils s'installent, comme sur toutes les autres autour d'eux, la toile cirĂ©e qui fut un temps Ă carreaux tranchants rouges et blancs est dĂ©lavĂ©e, dĂ©chirĂ©e aux angles et le cafĂ© est dĂ©gueulasse. Un nouveau silence s'installe, plus gĂȘnĂ©, plus intime. Tout autour d'eux agit tel un rĂ©cital du passĂ© ; il n'y a pas d'inconnu ici, ni pour l'un ni pour l'autre, ça n'en devient que plus mystĂ©rieux, ils le savent, le sentent ; seuls leurs regards qui courent furtivement partout et parfois se rencontrent pour partager la mĂȘme surprise illustrent leur dĂ©sarroi commun. _ Aucun des deux n'ose y croire mais aprĂšs Dame Hasard, c'est Dame Evidence qui s'invite. Si peu probable, mathĂ©matiquement impossible, humainement LA ! Ils se regardent Ă nouveau, sans fuite, maintiennent l'intensitĂ©, leurs yeux s'humidifient, leurs sourires s'embellissent, comment est-ce possible ? _ La vieille dame courbĂ©e par les ans revient avec sa cafetiĂšre, l'oeil si pĂ©tillant, le sourire si timide, le geste si retenu. _ â Je vous offre un autre cafĂ© ? _ MĂȘme infect nul ne saurait refuser un tel cadeau. D'autant moins qu'il vient d'elle, mais oui c'est elle qui semblait vieille du haut de leurs quelques centimĂštres, et ce pincement des lĂšvres pour dire je vous aime tous, Ă nul autre pareil⊠ils le reconnaissent⊠tous deux. _ â Vous ĂȘtes les enfants de Raymonde et HervĂ© morts dans l'Accident, hein ? Ca fait drĂŽlement plaisir de vous voir. J'm'assoie un peu, j'ai plus les muscles pour rester d'bout. Pour sĂ»r zavez changĂ©, enfin grandi, mais j'peux pas m'tromper, c'est ben vous. J'ai cherchĂ© aprĂšs vous, savoir c'que vous Ă©tiez dev'nu suite aprĂšs c'te maudite histoire. Bah, ça pas Ă©tĂ© simple et les services sociaux » ou un nom com' ça m'ont dit qu'vous Ă©tiez sĂ©parĂ©s !! N'importe quoi y racontent ! Eh, faut pas pleurer les mĂŽmes, keski vous arrive ? C'est l'Ă©motion ? Bon, ça remplit pas les estomacs, ça, j'vais vous prĂ©parer un bon p'tit r'pas ; ça vous dit steak hachĂ©  frites⊠vous mangiez que ça chez moi avec du ketcheupe. _ Elle les regarde tous deux, leurs joues mouillĂ©es, leur silence obstinĂ© ; un retour au village c'est quand mĂȘme pas si Ă©motionnant !! _ â Bon d'accord, zavez grandi, alors j'troque un bon repas contre l'arrĂȘt d'vos larmes, que lĂ j'sais pas quoi en faire. D'accord ? _ â Merci Mado. _ Mado s'Ă©loigne, elle a gagnĂ© en souplesse, mĂȘme si chaque dĂ©placement la fait visiblement souffrir. _ â Tu te souviens de son prĂ©nom ! _ â J'avais huit ans tu n'en avais que quatre. _ SILENCE. _ Elle se met Ă pleurer vraiment, sans pouvoir s'arrĂȘter, un flot continu de paroles muettes et mouillĂ©es. Il dĂ©place sa chaise, un vacarme dans ce silence de meurtrissures, se place Ă ses cĂŽtĂ©s, la force Ă se dĂ©coller des parois sĂ©curisantes du dossier et la prend dans ses bras. Ces bras rĂȘvĂ©s depuis tant d'annĂ©es, elle prend peur de s'y laisser aller. Mais il est si tendre, si aimant, si coupable. _ â Si on veut manger, il faut que tu arrĂȘtes de pleurer. _ C'est murmurĂ©, c'est doux, c'est phĂ©nomĂ©nal, c'est jubilatoire. _ â T'as un mouchoir ? _ â Oui, tiens⊠Il nous en faudra un trĂšs grand pour panser nos peines, mais on le fera en l'absence de Mado. Et quand le trĂšs grand mouchoir sera plein, on le jettera et on ira voir Ă quoi ressemble kestuveu qu'j'en sache. Nouvelle 161 _ Petite histoire universelle L'accident avait eu lieu, terriblement violent et efficace, occasionnant des dommages multiples et consĂ©quents que Bertrand n'avait malheureusement aucun mal Ă imaginer. De par sa nature totalement inattendu et soudain, cet Ă©vĂ©nement venait bouleverser de façon brutale la confortable monotonie de sa petite vie d'adolescent privilĂ©giĂ©. Pour lui, cela ne faisait aucun doute c'Ă©tait la plus mauvaise sĂ©quence du film de sa vie. Et il avait beau fermer les yeux, se rejouer la scĂšne maintes et maintes fois, quand ses paupiĂšres fatiguĂ©es se soulevaient Ă nouveau, la rĂ©alitĂ© Ă©tait toujours la mĂȘme, irrĂ©versible et dĂ©sastreuse⊠_ De retour chez lui, le temps de la stupeur et de l'Ă©motion passĂ©, Bertrand n'eut plus qu'une idĂ©e en tĂȘte il devait agir, prendre les devants et l'appeler, pour tout lui raconter⊠Ce n'Ă©tait pas le genre de choses que l'on pouvait cacher de toute façon, et il finirait bien par l'apprendre, dĂšs qu'il rĂ©apparaĂźtrait, dans quelques semaines, dans quelques jours, dans quelques heures peut-ĂȘtre⊠Bertrand ne le savait pas exactement, ce qui contribuait Ă l'affoler davantage. Depuis qu'ils Ă©taient capables de voyager Ă la vitesse de la lumiĂšre, les hommes n'Ă©taient jamais trop Ă©loignĂ©s les uns des autres. Il devait donc l'appeler, et vite, trĂšs vite, avant qu'il ne soit lĂ pour en dĂ©coudre, dans un face-Ă -face forcĂ©ment douloureux. S'il devait y avoir affrontement, Bertrand prĂ©fĂ©rait autant que cela se fasse par mĂ©dias interposĂ©s⊠_ Mais que lui dire exactement ? Par oĂč commencer ? Bertrand se sentait complĂštement dĂ©semparĂ©. Peut-ĂȘtre aurait-il pu rechercher le soutien d'une tierce personne, mais vers qui se tourner dans pareille situation ? Instinctivement, il pensa d'abord Ă sa mĂšre, elle Ă©tait mallĂ©able, trop aimante, et il avait toujours su la mettre de son cĂŽtĂ©, mais cette fois-ci ?! Finalement, il jugea prĂ©fĂ©rable de ne pas la mĂȘler Ă cette histoire tragique. De par son comportement, il avait dĂ» s'aliĂ©ner une bonne partie de sa famille et de ses amis de toute façon. Non, vraiment, il Ă©tait terriblement seul et dĂ©muni. Il existait des modes d'emploi, des guides pratiques pour pratiquement tout, mais rien pour ça. NĂ©anmoins, il Ă©tait convaincu d'une chose il devait absolument Ă©viter les palabres interminables et aller directement Ă l'essentiel. Les exemples tirĂ©s du passĂ© Ă©taient trĂšs nombreux pour illustrer cet Ă©tat de fait Bertrand ne tiendrait pas longtemps l'Ă©change sans craquer, sans s'effondrer littĂ©ralement face Ă un tel interlocuteur⊠_ Totalement indiffĂ©rente au drame qui se jouait Ă ses cĂŽtĂ©s, l'horloge holographique Ă©grenait ses heures, machinalement, et chaque nouvelle minute projetĂ©e sur le mur de la piĂšce ajoutait une once de trouble et d'angoisse dans l'esprit de Bertrand. Soudain, dans un excĂšs dĂ©sespĂ©rĂ© de rage, il se saisit de sa tablette numĂ©rique et la lança en direction de la pendule, dans l'espoir de faire cesser ce maudit compte Ă rebours. Mais les deux appareils dĂ©ployĂšrent chacun leur bouclier magnĂ©tique et se posĂšrent sans bruit et sans encombre sur le sol. Il n'Ă©tait mĂȘme plus possible de satisfaire ses pulsions les plus primitives en fracassant contre des murs des objets innocents⊠Foutus appareils auto-protectifs ! Ironie du sort ces systĂšmes de protection n'existaient pas encore pour des objets de plus grande taille⊠_ Une sonnerie stridente s'Ă©chappa de la cuisine et enleva Bertrand Ă ces tristes considĂ©rations. Son cafĂ© Ă©tait prĂȘt. Combien en avait-il bu depuis ce matin, depuis le drame ? Dix ? Quinze ? Peut-ĂȘtre plus⊠Paradoxalement, cette antique boisson Ă©tait la seule capable de le calmer un peu. D'origine terrienne, c'Ă©tait l'un des seuls bioaliments Ă avoir Ă©chappĂ© Ă la prohibition. Il serra ses mains fĂ©briles autour de la tasse, bouillante. C'est fou comme la peur accentue la sensation de froid. Lui qui ne se sentait pas l'Ăąme d'un aventurier, lui qui n'avait mĂȘme jamais quittĂ© sa galaxie d'origine, quand tant de jeunes de son Ăąge et de son rang avaient dĂ©jĂ parcouru des dizaines d'ocĂ©ans stellaires, en cet instant prĂ©cis, il ne souhaita rien d'autre que d'ĂȘtre ailleurs, lĂ oĂč nul n'aurait pu le retrouver⊠D'ailleurs, la fuite Ă©tait peut-ĂȘtre la meilleure des solutions aprĂšs tout⊠Il repensait sans cesse Ă cet article, tĂ©lĂ©chargĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente, dans lequel le professeur Zylberstein relatait les progrĂšs considĂ©rables que lui et l'ensemble de son Ă©quipe avaient accomplis dans leurs recherches sur les mondes parallĂšles. Le cĂ©lĂšbre scientifique, de renommĂ©e galactique, travaillait Ă la confection d'une sorte de passerelle heptadimensionnelle, qui devait lui permettre, dans un avenir proche, de se tĂ©lĂ©projeter dans ces mondes encore inconnus. Douze singes Ă©lectroclonĂ©s avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©s comme cobayes successifs. Tous Ă©taient partis, aucun n'Ă©tait revenu pour l'instant, le passage ne fonctionnait que dans un sens⊠C'est sans aucune hĂ©sitation que Bertrand aurait troquĂ© sa place contre celle d'un de ces malheureux primates ! _ Allez, courage, juste un appel⊠Les aveux n'effaceraient pas la faute  comme ce serait jubilatoire ! Â, mais lui enlĂšveraient un poids Ă©norme de ses Ă©paules, il le savait⊠Bertrand prit une profonde inspiration, enchaĂźna avec une expiration non moins prononcĂ©e en espĂ©rant que ce ne fut pas l'une de ses derniĂšres, puis, sans plus rĂ©flĂ©chir, il se saisit de son mobile 9XG++ et tĂ©lĂ©composa ce numĂ©ro qu'il ne connaissait que trop bien _ â Allo ? Papa ? C'est moi, Bertrand⊠Laisse-moi parler s'il te plaĂźt, c'est important⊠Je t'appelais pour te dire que j'avais empruntĂ© la navette familiale omnispace et que je⊠Pas le droit, pas le permis, trop jeune, je sais⊠Laisse-moi finir Papa, je t'en supplie ! Je ne sais pas ce qui s'est passé⊠J'ai dĂ©clenchĂ© sans le vouloir la septiĂšme vitesse hypersonique et je⊠J'ai perdu le contrĂŽle de l'appareil⊠Je me suis expulsĂ© dans la capsule de secours⊠La navette est allĂ©e s'Ă©craser contre la gĂ©opile thermonuclĂ©aire du systĂšme Alpha⊠Nouvelle 162 _ Une nouvelle renversante 8h32 Gontran se rĂ©veilla dans le monde rĂ©ellement renversĂ©. Mais de cela, il ne se rendit pas compte. _ 8h34 PlongĂ© dans une argumentation probablement dĂ©cisive sur la beautĂ© intrinsĂšque d'un bol de cafĂ©, Gontran ne prit pas conscience de l'infime changement de ce dĂ©but de journĂ©e. Quelque chose de fugace, d'imperceptible mais de si jubilatoire qu'il devait le regretter quelques heures plus tard. Rien, une bĂȘtise, une ridicule habitude mise au rencard car la transvaluation avait eu lieue. Pour tout dire, il avait simplement soulevĂ© sa chaise en fer forgĂ© plutĂŽt que la tirer sur son sol de cuisine, sol dont le revĂȘtement rĂ©percutait le moindre bruit jusque dans l'oreille de sa charmante mais irascible voisine du dessous. Il avait agi sans y penser, mais le geste Ă©tait lĂ . RĂ©el. Comme un souci de l'autre. _ 8h43 La douche de Gontran fut particuliĂšrement brĂšve car un appel fit Ă©mettre Ă son tĂ©lĂ©phone portable la douce mĂ©lodie de Stars War. Robinets, serviette, porte de la salle de bain et enfin tĂ©lĂ©phone. Aucun son propre Ă dĂ©verser un quelconque Ă©nervement ne franchit ses lĂšvres, mais de cela non plus, il n'eut pas conscience. Axelle, sa fiancĂ©e. Avait-il remarquĂ© quelque chose ? Non. Sentait-il un changement, dans le monde ? Non plus, et il rit Ă cette question. Tout de mĂȘme, le monde⊠Croyait-il en la thĂ©orie des ensembles, Ă l'axiome du choix et Ă l'infini actuel plutĂŽt que potentiel ? Evidemment qu'il y croyait, comment pourrait-il en ĂȘtre autrement ! Voulait-il un enfant avec elle ? Mais oui, naturellement, pourquoi cette question ? Axelle raccrocha. _ 8h55 Gontran, debout devant la fenĂȘtre de sa cuisine, tentait de percevoir un changement quelconque, une chose qu'il n'aurait pas encore vu. La Tour du GuĂ© restait dĂ©sespĂ©rĂ©ment penchĂ©e, prĂȘte Ă s'Ă©crouler d'une minute Ă l'autre, la Passerelle des Amants n'accueillait toujours aucun passant, amoureux ou pas, la ville Ă©tait morte, comme tous les jours. Et pourtant, il sentait qu'Axelle avait raison, pas besoin de palabres tĂ©lĂ©phoniques interminables pour comprendre cela. Elle avait eu raison de raccrocher. _ 9h05 Gontran sortit de chez lui, pensant trouver un dĂ©but de rĂ©ponse en allant se mĂȘler Ă la foule de ce dĂ©but de matinĂ©e. Un groupe de personnes de petites tailles suivait un guide vers la Tour du GuĂ© fleuron de l'histoire locale, mais il prĂ©fĂ©ra ne pas le rejoindre de peur d'ĂȘtre repĂ©rĂ©. Une femme lui sourit lorsqu'il passa Ă sa hauteur, un homme l'Ă©vita de justesse et s'excusa de son inattention, une autre femme lui sourit. Un jeune homme s'approcha de lui et lui proposa de troquer sa veste en cuir contre son pardessus en poil de vache. Il refusa et l'homme lui sourit, comme si cela Ă©tait finalement trĂšs naturel. Il dĂ©cida de rentrer chez lui. _ 9h28 Il opta alors pour une ouverture sur le monde plus large que le centre de sa petite ville, il alluma la radio. Les nouvelles Ă©taient bonnes. Le monde allait bien. Les cours de la bourse ne furent pas annoncĂ©s. Quelque chose clochait, voilĂ bien une Ă©vidence qui se faisait jour dans la tĂȘte de Gontran. Ou qui ne clochait plus, il n'aurait pu trancher. Etait-il finalement si aliĂ©nĂ© qu'il ne pouvait plus comprendre l'Ă©vidence du changement ? Il commença Ă enrager. Un peu. _ 9h42 Il dĂ©cida de rappeler Axelle, le seul soutien rĂ©el qu'il avait senti au cours de ce dĂ©but de matinĂ©e. Il tomba directement sur sa messagerie. Mais le message avait changĂ©. Vous ĂȘtes bien sur le portable d'Axelle. Laissez un message. Pour Gontran, la question est depuis comment de temps as-tu enfin d'un enfant avec moi ? Une fois la rĂ©ponse trouvĂ©e, la deuxiĂšme question est Qu'est-ce qui te bloquait, avant ? La question Ă la premiĂšre question lui vint en 17 secondes exactement. Cette envie naturelle d'enfant datait de son rĂ©veil. La deuxiĂšme le foudroya littĂ©ralement en 2 secondes. La peur. Il n'avait plus peur depuis son rĂ©veil. Son esprit si rigide, si peu mallĂ©able, n'avait pas rĂ©ussi Ă percevoir la nature du changement survenu Ă son rĂ©veil. L'enfant n'avait Ă©tĂ© Ă©voquĂ© que pour illustrer le bouleversement qui Ă©tait advenu au cours de la nuit. Il fut reconnaissant Ă Axelle d'avoir eu l'intelligence de passer par lĂ , d'avoir eu recours Ă ce qui Ă©tait, in fine, le symbole de sa peur viscĂ©rale du monde tel qu'il Ă©tait, avant. _ 9h48 Gontran dĂ©vala l'escalier et se retrouva au beau milieu de la rue, baignĂ© par le soleil matinal. Il avança vers la Tout PenchĂ©e, fit demi-tour, dĂ©cida d'aller boire un cafĂ©, se ravisa en pensant que le mieux serait d'aller voir Axelle, chez elle. Il se voulait mobile, pris dans le mouvement d'un monde nouveau, d'un monde sans peur. Il sourit Ă une femme qui le croisa. Cette derniĂšre s'Ă©carta de lui en secouant la tĂȘte. Gontran fut stoppĂ© dans son Ă©lan. Il regarda autour de lui. Le monde avait-il rĂ©ellement changĂ© ? Un leurre ? Le jeune homme Ă la veste en cuir passa Ă quelques mĂštres de lui ? Il portait un impermĂ©able qui lui donnait des faux airs de mods. Comme une trace de qui avait eu lieu. Une preuve. _ 10h02 Gontran comprit, trop tard, ce qui venait de se passer. Une sĂ©quence de deux heures au cours de laquelle le monde s'Ă©tait renversĂ©, rĂ©ellement. Mais l'Ă©quilibre Ă©tait instable, cela n'avait pas tenu bien longtemps. Quelques heures seulement. Et lui n'avait pas compris, lui qui attendait ce renversement depuis tant d'annĂ©es. Axelle l'avait senti plus vite. La peur rendait le monde si absurde que sa disparition seule pouvait le renverser. Il se fit deux promesses concevoir un enfant avec Axelle et se tenir prĂȘt pour le prochain renversement. Il lui faudrait pour cela restait en Ă©veil. Cela ne lui faisait dĂ©sormais plus vraiment peur. Nouvelle 163 _ SĂ©quence dominicale Sortie d'after, 10h30, un peu mal aux cheveux, je me suis malgrĂ© tout laissĂ© entrainer pour un Ă©niĂšme dernier verre » par Constance, ma rencontre du soir qui n'avait de constant que le prĂ©nom, bien dĂ©cidĂ©e Ă ne pas en rester lĂ . Elle rejoignait une amie sur le dĂ©part » au marchĂ©, et disait apprĂ©cier croiser des gens qui sont dĂ©jĂ demain avant de se coucher. _ Tu sais c'est comme une passerelle tendue entre un hier et un demain sur laquelle le prĂ©sent a du mal Ă se trouver une place » _ Je n'ai pas bien compris. _ J'aurais du rentrer, prendre un doliprane, et me coucher. _ Mais je n'ai pas pu m'y rĂ©soudre je n'aime pas me coucher seul. _ On a traversĂ© le marchĂ© d'un mal assurĂ©, Ă l'heure oĂč la foule compacte et mobile se presse, et oĂč se mĂȘlent couleurs, odeurs, et appels frĂ©nĂ©tiques des commerçants transis par le froid depuis des heures. _ Trop d'animation pour mon cerveau baignant encore dans un mĂ©lange douteux de vodka, rhum, et autres douceurs diverses et variĂ©es ingurgitĂ©es au cours cette soirĂ©e sans fin, et pour mes jambes qui commençaient Ă peiner Ă me porter et qui ne me seraient bientĂŽt plus d'aucun soutien. _ L'amie en question Ă©tait assise au soleil Ă la terrasse d'un cafĂ©, par une tempĂ©rature bien infĂ©rieure Ă 0°C, un bonnet enfoncĂ© jusqu'aux sourcils et une Ă©charpe remontĂ©e jusqu'aux yeux accoutrement passible d'une amende de 150 Â. Mais la concernant, aucun risque. Certes on ne voyait que ses yeux, mais ils Ă©taient bleus _ Elle Ă©tait plongĂ©e dans la lecture d'un guide touristique, et ne nous a remarquĂ©s qu'une fois installĂ©s Ă sa table. _ Elle dĂ©gageait une assurance insolente qui m'a immĂ©diatement dĂ©rangĂ©e. Elle s'Ă©coutait un palabre interminable autour d'elle et son projet ». _ Elle allait enfin agir, se rendre utile. _ Elle venait de tout plaquer un boulot confortable et pas trop mal payĂ© par les temps qui courent ; son mec aprĂšs trois petites annĂ©es passĂ©es ensembles ; son appartement, dont elle venait juste de remettre les clĂ©s Ă un agent immobilier pinailleur Ă la limite du vĂ©reux. _ Lorsqu'elle dĂ©gageait son visage Ă la faveur d'une cigarette qui symbolisait, Ă l'entendre, le dernier bastion de son aliĂ©nation » elle arborait ce large sourire qui me gĂȘnait. MĂȘme une fois l'Ă©charpe replacĂ©e sur son visage, je pouvais le deviner au travers. _ DĂ©part imminent ! H-2 ! JU-BI-LA-TOIRE ! _ Ce n'est qu'Ă ce moment que je ne remarquai la grosse valise postĂ©e derriĂšre sa chaise, comme pour illustrer son propos. _ Elle partait un an, au minimum, pour une mission bĂ©nĂ©vole au sein d'une association dont je n'ai pas retenu la mission Enfin quelque chose de bien, louable, altruiste, dĂ©sintĂ©ressĂ© _ Je n'ai jamais compris ce qui peut bien animer ce type de dĂ©marche chez certains. Ils attendent quoi en retour ? Qu'on les applaudisse ? Une mĂ©daille ? Une place au chaud entre Gandhi et mĂšre Theresa ? Non pas que je considĂšre que ce soit complĂštement inutile, mais Ă les entendre ils me donnent toujours l'impression qu'ils pensent pouvoir changer le monde, qu'ils vont faire de grandes choses. _ J'aime pas les utopistes. _ Alors je l'ai interrogĂ©e sur ses motivations, d'un ton certes incisif qui m'a valu de goĂ»ter au regard noir de Constance. Et ça n'a pas loupĂ© mĂȘme si mon action ne touche que dix ou mĂȘme deux personnes, elle est utile pour eux. Et si tout le monde s'y mettait, on arriverait Ă changer le cours des choses. Regarde la mer est faite de minuscules gouttes d'eau et elle recouvre pourtant les 2/3 de la surface de la terre⊠» _ Ca a durĂ© au moins dix minutes, j'ai du me mordre la joue pour ne pas Ă©clater de rire ce qui aurait, Ă coup sĂ»r, anĂ©anti tous mes efforts de la soirĂ©e et m'aurait contraint Ă renter me coucher seul. _ Mais le coup de la mĂ©taphore des petites gouttes d'eau et de la mer, on ne me l'avait jamais fait somptueusement ridicule ! _ Vas plutĂŽt remplir ta mare aux canards⊠_ J'Ă©tais fatiguĂ©, j'aurais bien troquĂ© cette terrasse contre ma couette, mĂȘme seul. _ AprĂšs avoir Ă©changĂ© avec Constance les derniers potins sur leurs amis communs, elle a jetĂ© un coup d'Âil Ă sa montre et enfin annoncĂ© fiĂšrement qu'elle devait nous quitter. Il Ă©tait midi passĂ©, et j'allais pouvoir jouer ma carte avec Constance que l'alcool n'avait jusqu'ici pas rendue trĂšs mallĂ©able, mais qui ne pouvait plus douter de ma tĂ©nacitĂ©. _ Elles se sont embrassĂ©es. _ On s'est Ă©loignĂ©. _ Un crissement de pneu. _ Un bruit sourd. _ Une goutte d'eau n'atteindra ni la mare aux canards, ni la mer. _ Je suis un con, aliĂ©nĂ©. Nouvelle 164 _ LĂ©a Je m'appelle LĂ©a, je suis nĂ©e un jour de pluie. Aucun rapport pensez-vous ? Peut-ĂȘtre⊠Sauf que je ne suis pas arrivĂ©e bien au chaud Ă la clinique, je suis nĂ©e sous la pluie ! Quand elle les a perdues, les eaux de ma Maman se sont mĂȘlĂ©es Ă l'eau de pluie, et elle n'a rien senti. Alors on s'est dĂ©brouillĂ© toutes les deux, elle a Ă©tĂ© mon guide vers le monde extĂ©rieur et voilĂ ! Je suis lĂ ! _ Aujourd'hui j'ai dix ans, de drĂŽles de choses se sont passĂ©es depuis⊠Une fois, ma copine Marthe s'est ouverte le front en tombant sur un coin de table pendant qu'on jouait. Maman l'a amenĂ©e chez le mĂ©decin. On a dĂ» marcher sous la pluie, je tenais Marthe par la main. Mais chez le Docteur Palabre je ne connais pas son vrai nom, Maman l'appelle comme ça car il ne s'arrĂȘte jamais de parler, il n'y avait plus rien, son front Ă©tait comme neuf ! _ Une autre fois, Maman avait l'air triste. Elle venait de recevoir un appel annonçant une mauvaise nouvelle. En plus, la pluie avait commencĂ© Ă tomber sur le linge qui sĂ©chait entre les arbres. Je l'ai accompagnĂ©e le dĂ©crocher, elle m'a prise dans ses bras et, comme par magie, elle a troquĂ© son air sombre contre un grand Ă©clat de rire jubilatoire » qu'elle a dit. _ Un jour aussi, la maĂźtresse nous avait demandĂ© d'illustrer une poĂ©sie. J'Ă©tais incapable de dessiner un corbeau, encore moins un renard⊠Le plus facile Ă©tait peut-ĂȘtre le fromage, rien de sĂ»r⊠Bref, c'Ă©tait ratĂ© d'avance. Papa ne voulait rien savoir comme dit souvent Maman il n'a pas Ă©tĂ© d'un grand soutien » sur ce coup-lĂ . J'ai finalement dĂ» apporter mon gribouillage Ă l'Ă©cole. Encore un jour de pluie. Mon cahier a pris l'eau en chemin et, je ne sais comment, mon corbeau est devenu si majestueux que la maĂźtresse l'a montrĂ© Ă toute la classe ! _ J'arrĂȘte la sĂ©quence souvenirs pour revenir Ă la vie de maintenant. _ Le dimanche, on le passe avec ma grand-mĂšre. Je ne vous en ai pas parlĂ© encore. Elle s'appelle Mamie Charlotte, c'est la maman de Maman. Je crois qu'elle est trĂšs vieille mais je ne sais pas de combien. Elle est vraiment gentille, toujours elle me dit que j'ai grandi alors que quand Docteur Palabre me mesure, ce n'est pas tout-Ă -fait ça⊠Le problĂšme c'est qu'elle est aussi trĂšs malade et ne sort pas de son lit. Quand elle nous voit, qu'on prĂ©pare le repas et les petits plats pour sa semaine, qu'on fait vivre sa belle et grande maison, ça la rend triste car c'est tout ce qu'elle ne peut plus faire, et alors elle dit qu'elle ferait mieux d'ĂȘtre dans une rĂ©sidence pour vieux aliĂ©nĂ©s, qu'elle ne nous embĂȘterait plus⊠_ Moi ce que je prĂ©fĂšre, pendant que les autres s'agitent, c'est rester avec elle dans sa chambre qui sent la lavande? Je lui parle de l'Ă©cole, on fait des puzzles, elle me raconte des histoires, on bricole. Pour la naissance de mon cousin, on a fabriquĂ© ensemble un mobile avec des pompons de laine. Ăa a Ă©patĂ© tout le monde ! _ Mamie Charlotte c'est la seule maintenant il y a vous mais c'est pas pareil Ă qui j'ose dire ces choses qui se passent quand il pleut. Je sais qu'elle me croit. Maman pense qu'elle n'a plus toute sa tĂȘte mais moi je vois bien il ne lui manque rien Ă sa tĂȘte⊠_ Un dimanche de novembre, il pleuvait et j'ai compris. Elle m'a serrĂ©e fort contre elle alors que j'Ă©tais toute mouillĂ©e et ça lui a redonnĂ© des couleurs⊠On a discutĂ© encore plus longtemps que d'habitude, elle m'a dit tout ça j'ai essayĂ© d'apprendre tout par cÂur, mais des choses m'ont Ă©chappĂ© Ma petite LĂ©a, je sens que je vais bientĂŽt partir⊠Ne t'inquiĂšte pas. Je ne vais pas loin, comme si je traversais une passerelle pour rejoindre l'autre rive. Et de LĂ -bas, je continuerai Ă t'aimer et Ă habiter ton cÂur. En attendant je m'ennuie dans ma vieille chambre, les journĂ©es sont longues Ă ne rien faire. Je voudrais tellement pouvoir encore sentir les gouttes de pluie sur ma peau, savourer l'odeur de la nature aprĂšs une averse, ĂȘtre ruisselante⊠Maintenant que tu es grande je peux te le dire et je crois que tu en as devinĂ© l'essentiel tu as un don ma petite-fille, tu peux agir, tu peux changer le visage des choses, le cÂur des gens, et rendre la vie plus lĂ©gĂšre avec quelques gouttes de pluie. Ce don est infini, tant que tu seras dans un endroit oĂč il pleut⊠Il n'existe pas de formule magique, c'est mystĂ©rieux mais Ă©coute-toi, entends ce que tu ressens, tu feras naĂźtre du bonheur ! J'ai le mĂȘme don que le tien, seulement en Ă©tant enfermĂ©e, je ne peux pas m'en servir, et ce depuis des mois maintenant⊠» Maman nous a interrompues pour lui servir du cafĂ© puis est redescendue. _ Elle a continuĂ© Sois discrĂšte, tu risquerais d'attirer des personnes intĂ©ressĂ©es, voulant rendre mallĂ©ables par tes soins leurs petits quotidiens. Quand tu le sentiras, ou parfois sans mĂȘme que tu y penses, les choses se feront toutes seules comme tombe la pluie⊠Et lĂ , j'ai besoin de toi. Je vais mourir mais je ne veux pas avoir mal, je veux ĂȘtre heureuse jusqu'au bout. Chaque fois qu'il pleut, mets de cĂŽtĂ© quelques gouttes pour moi, dans cette fiole. Quand tu en as le temps, apporte-moi ce que tu as rĂ©coltĂ©, je m'arrangerai avec⊠» _ Je pleurais quand elle a tournĂ© la tĂȘte vers moi. J'avais entre les mains un flacon de verre ornĂ© de motifs aux couleurs rayonnantes, fermĂ© par un bouchon dorĂ©. Il avait dĂ» contenir des plus prĂ©cieux liquides⊠Elle m'a fait signe d'ouvrir la fenĂȘtre pour le remplir. J'ai tirĂ© les rideaux et tournĂ© la poignĂ©e au mĂ©canisme rouillĂ©. La pluie ne s'Ă©tait pas arrĂȘtĂ©e depuis le dĂ©but de la journĂ©e et rapidement le flacon a dĂ©bordé⊠Je le lui ai rendu, elle en a alors versĂ© quelques gouttes sur mes yeux. J'ai retrouvĂ© mon sourire. _ Cela fait plusieurs semaines que je fais ce que Mamie Charlotte m'a demandĂ©. Souvent en rentrant de l'Ă©cole, nous partageons le contenu du flacon et le goĂ»ter, c'est doux⊠Quand la pluie n'est pas annoncĂ©e je lui laisse sa petite bouteille⊠_ Ce soir, je suis passĂ©e la rĂ©cupĂ©rer juste avant l'orage⊠Mamie Charlotte Ă©tait dans lit, un grand sourire aux lĂšvre, paisible, le flacon vide Ă la main⊠Son cÂur ne battait plus. _ Et il s'est remis Ă pleuvoir. Nouvelle 165 _ Silence Bienvenue dans monde de silence , suivez le guide ! _ La semaine 'remise en forme' commence. Pas les moyens de faire une cure de balnĂ©othĂ©rapie. Pas non plus la possibilitĂ© d'aller me prĂ©lasser au soleil Mais il me faudra ĂȘtre au mieux de ma forme pour le grand Ă©vĂ©nement. J'ai un sacrĂ© mobile. Il me faut agir et il n'existe pas de meilleur soutien que celui qu'on s'offre Ă soi mĂȘme. Je m'offre un programme sur mesure. Pour commencer, deux jours de silence. _ Le silence n'est pas une notion aussi Ă©vidente que ce que l'on pourrait croire. On a chacun son silence et il faut troquer ses bruyantes habitudes pour le dĂ©couvrir ce qui, surtout en milieu citadin, ne va pas de soi. _ Il ne s'agit pas de rester chez soi, prostrĂ©, Ă ne rien faire. De cela on ne peut tirer aucun bien-ĂȘtre. _ Le silence s'apprend. Avant d'ĂȘtre un non-bruit, c'est un Ă©tat d'esprit. On peut s'enduire intĂ©rieurement d'une couche de silence suffisamment Ă©paisse pour s'isoler du monde. Tapisser son intĂ©rieur mental de douillettes couches de laines soyeuses et feutrĂ©es. _ D'abord, dĂ©brancher les tĂ©lĂ©phones. Cela peut paraĂźtre trivial, c'est toujours quand on ne le souhaite pas que les amis et familles se donnent le mot, que les appels fusent, que le portable vibre. _ Surtout, pas d'ordinateur. Je ne parle pas de ce ronronnement Ă©lectrique entĂȘtant que l'on n'entend mĂȘme plus, mais Internet est un grand pollueur de silence. Toutes ces informations, tous ces messages, vous font un boucan dans la tĂȘte ! _ Ensuite, prendre le chemin de moindre rencontre. Car quoi de plus cacophonique que l'autre ? Une des clĂ©s de la rĂ©ussite est d'aliĂ©ner l'autre, d'Ă©viter le contact humain au maximum. Aller prendre son cafĂ© matinal loin de chez soi. Commander le cafĂ©, remercier, payer , est le minimum acceptable. Il ne va pas Ă©brĂ©cher votre silence. Il s'agit d'un Ă©change humain encadrĂ© par des rĂšgles. Mais pour le serveur qui vous voit tous les matins, le bistrot est l'arbre Ă palabres. Il va vouloir Ă©changer, babiller, discuter, vous emmener sur un terrain qu'aucun code prĂ©cis ne rĂ©git. Que de bruit dans votre pauvre tĂȘte, que vous avez depuis ce matin habituĂ©e au son paisible du pas grand chose. Par contre, ne pas avoir peur de se mĂȘler Ă la foule. L'anonymat est tel que vous pouvez oublier ou vous ĂȘtes, dans cette marĂ©e faite de vos semblables. Semblables aujourd'hui qui vous paraissent si Ă©tonnants de prĂ©cipitation. Vous dĂ©couvrez alors ce thĂ©orĂšme silence rime avec lenteur. _ Assez de gĂ©nĂ©ralitĂ©s; pour ces deux jours, au programme, j'ai choisi l'eau, les mains, et la forĂȘt. _ L'eau. A dĂ©faut de plage et de mer Ă perte de vue, Ă dĂ©faut du roulis rythmĂ© des vagues, Ă dĂ©faut du vent qui traverse les oreilles et rince le cerveau, la piscine. On s'habitue assez vite au bruit de fond. On le laisse de cotĂ©. Reste alors le meilleur. Pas forcĂ©ment ce qui pourrait ĂȘtre un clichĂ©, nager sous l'eau, dĂ©couvrir le monde du silence » , ainsi d'ailleurs que les diffĂ©rentes formes de maillots et de corps. Non. Mais cet entre-deux entre l'eau et l'air quand on sort la tĂȘte de l'eau, le clapotis en rythme quand on frappe la surface avec les mains et la vision des gouttelettes qui s'envolent, joyeuses, en s'Ă©chappant des bras levĂ©s. Bruit de la respiration devenue si rĂ©guliĂšre et si paisible, la source mĂȘme de la vie. Ensemble reposant et lyrique. OpĂ©ra d'eau sur fond de musique respirĂ©e. _ Les mains. Rendez-vous hebdomadaire avec les mains. Il fallait au moins ça. J'ai failli dĂ©commander, j'aurais eu grand tort. Tout cela aurait pu prendre un tour trop mĂ©ditatif et spirituel. La sensualitĂ© du massage n'a rien contre le silence. Elle l'illustre avec talent, lui donne une saveur de plus, jubilatoire ! Le corps mallĂ©able devient pĂąte Ă pain; seuls bruits, le frottement des peaux et la respiration du maĂźtre boulanger. Vous n'existez plus. Lui non plus n'y a plus en ce monde qu'un dos et des mains qui causent avec chaleur, la dĂ©tente absolue, le bonheur total, et malheureusement une voix qui vous tire de votre douce torpeur 'voilĂ , relevez vous tranquillement. Et la pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de votre expĂ©rience silencieuse vous vient une idĂ©e bizarre vous boucher les oreilles ! _ Retour Ă la maison. La casserole d'eau qui chauffe. Ecouter le frĂ©missement C'est bon de boire un thĂ© bien chaud quand il fait si froid dehors. Clin d'Âil du chat, maitre du silence. _ Et enfin, le roux des arbres, l'odeur de l'automne, le bruissement du vent dans les feuilles, le sifflotement des oiseaux. VoilĂ du silence qu'une qualitĂ© supĂ©rieure. Le bruit de fond des cris d'enfants, bavardages, vĂ©los, poussettes, est assez lĂ©ger. Il suffit de faire dans le cosmĂ©tique s'enduire d'une couche de silence de deux ou trois centimĂštres. Ne laisser dĂ©passer que le nez et les yeux. C'est vital. De l'air frais Ă grandes bouffĂ©es. Les yeux grands ouverts, c'est une indispensable passerelle sur le monde. Il ne faut pas confondre silence et autarcie. L'esprit se ralentit. Les pensĂ©es cessent de ressembler au brouhaha d'un orchestre qui rĂ©pĂšte. Elles deviennent fluides, lĂ©gĂšres. Un bruit d'hĂ©licoptĂšre au dessus de votre tĂȘte ? Ail , quelle agressivitĂ©. Un deuxiĂšme ? Ce qui fait du bruit, donc, c'est la folie de l'homme. Vouloir voler, quelle mĂ©galomanie ! _ Rentrer Ă la maison. Qu'ai-je appris ? Mon silence c'est l'absence de contact avec l'autre. C'est une expĂ©rience Ă©trange, et je suis presque triste de devoir revenir Ă la civilisation. Mais la semaine n'est pas terminĂ©e. Demain sĂ©quence amitiĂ©. Ensuite journĂ©es sportives, peut ĂȘtre plus rude, mais bĂ©nĂ©fique. Suivront les deux jours de repos, lecture, farniente, sucreries Ă volontĂ©. _ Je devrais ĂȘtre au point pour le grand jour aussi inattendu qu'espĂ©rĂ©, imprĂ©visible aprĂšs toutes ces annĂ©es la revoir. â Ă©lĂ©charger l'ensemble des nouvelles en pd
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Eton y dĂ©couvre, au moment oĂč Blues & Polar sâapprĂȘte Ă parler du blues roots et de nos propres racines en 2022, combien Eddy Mitchell a tĂ©tĂ© influencĂ© par ces rythmes venus du gospel et du blues pour engendrer le rock, et quâil sâest intĂ©ressĂ© Ă cette histoire au travers des marches pour les droits civiques aux Etats-Unis, mais aussi du Chicago blues, des musiciens de
Apaise ton cĆur et fleuris ton Ăąme Deviens la meilleure version de toi-mĂȘme Ă travers ce livre, l'objectif est dâapporter une lueur d'espoir, de rĂ©confort et d'apaisement. Tu y trouveras de la bienveillance, de la douceur, de la tendresse, mais surtout beaucoup dâ livre est dĂ©diĂ© aux personnes souffrantes psychologiquement, aux Ăąmes brisĂ©es et mon tĂ©moignage et celui de plusieurs femmes, chacune Ă©tant sur un cheminement diffĂ©rent afin que les personnes qui le liront soient plus aptes Ă sâidentifier. Tu comprendras qu'aucune personne nâest seule, et qu'il viendra un jour oĂč toute la peine Ă©prouvĂ©e se dissipera. »
ToiATON vivant, commencement de la vie. Tu es grand, gracieux, brillant au-dessus de tous pays, Comme tu es RĂȘ, tu atteins la fin de tous, et aucun des hommes ne connais tes voies . Lorsqu'Ă l'horizon de l'Occident tu disparais, le pays entre dans les tĂ©nĂšbres et semble mort. L'obscuritĂ© devient un linceul et le silence couvre la Terre.
Câest avec une joie immense que je vous annonce enfin la sortie de mon livre Cultivez vos dĂ©chets, faites repousser vos fruits et lĂ©gumes» publiĂ© chez les Ă©ditions du Rouergue, paru le 20 avril 2022. Jâai travaillĂ© sur ce projet pendant 1 an et en plus de lâĂ©criture, jâai rĂ©alisĂ© toutes les photos du livre. Câest un livre pĂ©dagogique, ludique et illustrĂ©, accessible Ă tous, que vous soyez dĂ©butante ou dĂ©jĂ expĂ©rimentĂ©e sous forme de fiches pratique, Ă mi-chemin entre la cuisine et le jardinage, oĂč nous faisons repousser nos dĂ©chets verts de cuisine trognons, graines, pĂ©pins, noyaux, rhizomes, etc. Câest une maniĂšre de se ressourcer, de sâĂ©merveiller sur le vivant tout en jardinant mĂȘme sur un rebord de fenĂȘtre en privilĂ©giant la rĂ©cupâ ! Il y a aussi une rubrique pour bouturer ses herbes aromatiques, pour rĂ©colter ses graines de tomates avec les Ă©tapes de semis jusquâaux rĂ©coltes. Il y a Ă©galement la mĂ©thode sous paillis pour cultiver vos pommes de terre, comment faire vos plants de patate douce par exemple et plein dâautres choses Ă dĂ©couvrir dans le sommaire ci-dessous. Cela peut ĂȘtre aussi une activitĂ© pour les enfants. Merci Ă Julie, mon Ă©ditrice pour sa confiance, son Ă©coute, ses conseils et Ă Audrey pour la maquette et la magnifique couverture. Que lâon dispose simplement dâune petite cuisine, dâun rebord de fenĂȘtre, dâun balcon ou dâun jardin, que lâon soit un grand dĂ©butant ou dĂ©jĂ une main verte, ces mĂ©thodes sont accessibles Ă toutes et Ă tous. Attention, le risque est grand de ne plus pouvoir sâarrĂȘter ! Le livre est imprimĂ© en France, disponible partout dans vos librairies indĂ©pendantes prĂ©fĂ©rĂ©es et aussi sur Internet Je suis toute Ă©mue de me dire quâil a Ă©tĂ© semĂ© un peu partout en France, un peu comme une chasse au trĂ©sor oĂč chacune peut avoir son propre exemplaire qui lâattend et en prendre soin. Jâai trop hĂąte que vous dĂ©couvriez ce livre et dâavoir vos ïž Ils parlent du livre
Cest si beau que je ne veux rien de nouveau. Jamais je n'aurai l'habitude de ton amour, de la douceur de l'abandon Ă Ta GrĂące, Seigneur. Je n'ai rien Ă demander, Seigneur, car je sais bien que tu te soucies de moi plus que moi de
TOP10 des citations apaise (de célébrités, de films ou d'internautes) et proverbes apaise classés par auteur, thématique, nationalité et par culture. Retrouvez + de 100 000 citations avec les meilleures phrases apaise, les plus grandes maximes apaise, les plus belles pensées apaise provenant d'extraits de livres, magazines, discours ou d'interviews, répliques de films, théùtre
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ŃĐșáčŐŁá 438Likes, 0 Comments - Lilya B.F | Auteur (@douceurandsabr_) on Instagram: âLivre « Apaise ton coeur et fleuris ton Ăąme » â
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